critères de beauté

Enjeux d’une histoire de la beauté

Tout a commencé pour moi avec une coquetterie ordinaire de petite fille et d’un amour de la déesse Aphrodite qui ne s’expliquait pas. Une préoccupation quasi-sacrée qui n’a cessé de m’interroger, de m’émerveiller tout au long de ma vie. Un souci condamnable quand vous faites des études, car trop entaché de préjugés de superficialité. Face à la condamnation, soit on culpabilise, acceptant le jugement, soit on continue. Pas très influençable, j’ai continué jusqu’à créer ce blog, consacré à la déesse et aux questionnements autour de son domaine.

Bien m’en a pris, en vérité, car celui-ci m’a conduit bien plus loin que tout ce que j’aurais pu imaginer, et dans des voies qui ont été tout sauf passagères et de façade. Le fait est que la beauté ne peut être un objet superficiel, mais au contraire essentiel à toute civilisation, la civilisation qui se veut savante, mais aussi celle qui cherche son histoire.

Dans l’Histoire de la Beauté de Georges Vigarello, c’est autant l’histoire de la mode, la conception du féminin au fil des siècles que celle des mentalités et des aliénations, qui nous sont racontées en même temps. Tant il  n’est pas possible de faire l’histoire d’une problématique humaine d’une telle importance sans rejoindre les aspects les plus fondamentaux d’une société.

Lucrèce ne s’y trompait pas, lui qui, en épicurien tenté par une forme d’agnosticisme, avait malgré tout mis Aphrodite au rang de seule divinité dont tout procédait. Dans tout le vivant, en effet, et d’un point de vue initial, la beauté esthétique est signe de santé, quand un aspect repoussant signe carences, usure, maladies, vieillesse – autant de signes distinctifs qui rappellent à qui veut vivre, qu’il faut passer son chemin. Là où les animaux ont également un odorat développé pour les renseigner, l’Homme ne possède presque plus que la vue. La beauté est donc à la base, une question de survie de l’espèce.

Un enjeu qui se voit confirmé dans notre étonnement face aux Vénus du Néolithique qu’on est surpris de voir obèses quand nous n’apprécions plus que la minceur, mais qui manifeste sûrement d’un goût pour les vivantes, celles dont le corps fut assez solide pour survivre et assurer la survie de ses descendants. Car dans les situations de vie très difficiles comme l’était celle des premiers humains, la femme qui vit, survit, porte les enfants, les nourrit et garantit leur santé, c’est celle qui stocke le gras pour en faire des réserves lors des périodes de famines, très courantes et souvent fatales à cette époque.

Le corps idéal garant de la survie s’est ainsi inscrit dans la pierre, débutant du même coup une histoire de l’art dans laquelle l’évolution du corps des femmes surtout – mais aussi des hommes – raconte en creux l’évolution des sociétés, de leurs techniques de survie, de leurs réflexions philosophiques sur la place de l’un et l’autre sexe, la santé, et les techniques d’ornementation, d’art et d’artisanat. Un biais choisi par Umberto Ecco pour ses histoires de la beauté et de la laideur, qui passe par l’histoire de l’art et une véritable érudition pour lire l’histoire occidentale à travers le corps représenté, exposé et conservé comme moyen d’expression de choses signifiantes pour une époque.

Une importance pourtant contestée du point de vue de la civilisation où sciences et techniques sont privilégiées car seules elles permettent à la société d’avancer vers plus de connaissances, de développement, d’espérance de vie, de santé et de bonheur potentiel. Alors, la beauté, dans tout ça ? Et bien, en tant qu’artifice, en se jouant des codes de plus en plus complexes, la beauté construite, élaborée, est d’abord un langage culturelle à fonction sociale très élaborée, où la mise en scène est le moyen que trouvent certaines intelligences pour jouer avec les règles sociales, prendre parfois une place qui ne leur semblait pas destinée et se forger un destin personnel.

C’est l’histoire des grandes maîtresses royales, de la danseuse Théodora devenue reine de l’Empire byzantin, de Ninon de Lenclos, qui passait pour avoir de jeunes amants jusque fort tard, et de toutes les chanteuses et actrices, qui, vieilles encore, étaient toujours sublimées pour leur art et leur maquillage.

Mais l’histoire de la beauté, c’est aussi celle d’une magnifique aliénation et des inégalités sociales entre les hommes – dont on juge de la valeur sur les critères d’intelligence et d’action dans le monde socio-politique – et les femmes, à qui on demande d’abord d’être belles pour accepter de leur concéder, éventuellement, un peu d’intérêt – pourtant toujours minoré socialement, si ce n’est dévoyé pour les plus pauvres et les plus fragiles.

Car au fond, la beauté, sur l’ensemble de l’histoire humaine, c’est une esbroufe : un souci qui permet aux femmes de provoquer le désir, en vue de se faire épouser ou de réussir dans le seul espace qu’on leur a concédé en les sur-occupant à des choses futiles qui ne peuvent nourrir le cerveau de connaissances et de compétences aptes à leur donner une place dans le monde. Et tandis qu’hommes et femmes reçoivent désormais la même éducation, prisonniers de ces représentations culturelles plusieurs fois millénaires, ils n’en reçoivent pour autant ni reconnaissance ni privilèges à égalité.

Alors, une histoire d’inégalités, l’histoire de la beauté ?

Mais oui, tout comme une histoire de survie, de mode, d’art, de mentalités, d’amour, de sexualité, de construction identitaire et une histoire politique.

Tout cela serait-il donc sans importance ? J’ai beau être une femme, j’ai bien conscience qu’un système qu’on a fait perdurer pendant des millénaires ne peut être considéré comme superficiel, à moins de vouloir se leurrer soi-même ou leurrer les autres..

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Beauté et résistance

Beaucoup d’analyses et de critiques existent expliquant l’aliénation de la beauté, le caractère obligatoire de celle-ci pour paraître à l’écran, dans les magazines de mode, dans la séduction amoureuse elle-même. On ne peut pas en effet contester cet aspect inégalitaire qui s’est encore accru en même temps qu’a explosé l’art de l’image comme moyen d’expression ou de pression dans les médias. C’est pourtant loin d’être le seul dans l’histoire humaine, qui oscille souvent entre volonté d’égalité et désir d’élitisme, et dont les religions sont les manifestations principales et constantes à l’échelle de l’humanité.

Pour autant, il serait réducteur de n’y voir que ça. Dans une époque où on ne laissait pas la parole aux femmes et où des siècles de convention culturelle leur attribuait la beauté et la séduction jusqu’à la nuisance, c’était leur seul atout en même temps que leur prison. Or, dans chaque analyse humaine, tout n’est qu’affaire d’interprétation et tout peut toujours s’argumenter de la manière qu’on veut ou qu’on peut.

Dans la réalité des faits, la beauté est une possibilité du vivant. Et tout ce qui offre une possibilité au vivant va s’incarner de manière très créative et de toutes les façons possibles en fonction des libertés. A l’échelle du vivant, le meilleur exemple est la fleur, dont les multiplicités de formes, couleurs, senteurs, sont autant de moyens pour attirer l’insecte pollinisateur. Une technique qui a réussi au-delà de sa cible puisqu’elle est parvenue à séduire également l’espèce apte à développer ses capacités de longévité, de résistance aux maladies et de diversité qu’elle n’aurait sans elle jamais atteint : l’espèce jardinière, appelée humaine.

A l’échelle des sociétés humaines, c’est le même mécanisme : la beauté se développe en fonction de l’histoire, la géographie, l’inventivité, le développement des sciences et des techniques, la culture et la religion, le tout avec des particularités inattendues qui vont par exemple faire disparaître le péplos mais conserver le sari 5000 ans après.

La beauté est une manière de conjurer le sort de la médiocrité du réel lorsqu’elle consiste en un embellissement de soi, de sa maison, de son jardin, de sa vie, de son langage. C’est une forme d’élévation dans le refus de la nature aliénante qui nous a défavorisée ou qui se rappelle à nous par celle du temps qui passe et de la gravité. Tout effort contre une paupière, un sein tombants, un oeil trop petit, une couleur de cheveu terne ou blanchi, tout combat contre une ride est un acte de résistance contre la fatalité, le destin et la mort qui sont le propre de ce qui est mortel et la quête du genre humain depuis qu’il est en mesure d’y réfléchir.

Dans les procédés de momification de l’Ancienne Egypte, on a beaucoup insisté sur les techniques chirurgicales et les connaissances en chimie permettant la conservation du corps par son assèchement après en avoir retiré les organes. En revanche, on a peut-être moins insisté sur le fait que toutes ces techniques pour conserver l’intégrité du corps afin de se donner l’illusion de l’immortalité passaient par la beauté : beauté du corps qui reste intact, de l’or, des bijoux, des ornements, des vêtements, mais aussi des peintures, des couleurs, des dorures.

Lutter contre la laideur, en Egypte ancienne, c’était déjà lutter contre la mort. Ramsès avait les cheveux teints au henné plutôt que blancs. Et dans leur mythologie, Horus retrouvait la beauté de son oeil perdu en se maquillant, rendant au ciel la lune qui venait de disparaître, lune dont chacun admire instinctivement la beauté qu’on attribue rarement au soleil, impossible à regarder pleinement par la brûlure qu’il inflige aux yeux.

Dans la nature, la diversité des formes, couleurs, senteurs va faire l’attrait pour les fleurs; dans les sociétés humaines, des milliers de paramètres vont permettre de créer de la beauté plus seulement pour perpétuer la vie mais aussi pour transmettre de l’art, de la culture, des idéaux, des manières d’être plus libres, plus heureux, de rêver à rendre le monde meilleur.

Oui, quitte à être prisonnier de ce leurre, comme lorsque vous passez trente ans de votre vie à être malheureuse de ne pas ressembler naturellement à un mannequin qui ne peut être que retouché par photoshop et dont vous ne pouvez voir les douleurs que lui ont coûtées cette séance de 2 heures sur des talons de 15 centimètres.

Car au bout des années, et on le voit sur la plupart des silhouettes, la beauté qu’il faut travailler pour en obtenir quelque chose, c’est parfois tellement d’efforts pour peu de résultats que la vraie résistance, c’est finalement de parvenir à imposer au monde ses propres critères, sa propre beauté.

Nouvel article Labo de Cleopâtre : Les senteurs de la terre

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Beauté et image

Envahissante au point de devenir une véritable dictature, l’estimation de la beauté, ancrée dans les sociétés humaines depuis fort longtemps nous semblerait presque naturelle. De fait, elle l’est un peu. Pour améliorer l’espèce, les animaux cherchent un partenaire pour se reproduire, sont attirés par le plus beau, celui qui a donc à la fois la santé et la force. Car la base de la beauté, à l’origine, c’est la santé, qui induit de la vigueur aux membres, un poids équilibré, la symétrie liée à la jeunesse procréatrice, des yeux vifs, des dents saines et des cheveux brillants et forts. On a envie d’ajouter : »et tout le reste est littérature ».

Car c’est vrai. Le monde de la beauté reposant sur des concepts est un pur produit né du langage, des conceptions liées à la culture et qui peuvent tout à fait se faire en dépit du bon sens qu’on prête au contraire à la nature. En témoigne cet étrange goût du XIX ème siècle pour les femmes atteintes de « chlorose », maigres et anémiées, s’évanouissant souvent mais aussi rongées par la tuberculose. Ce sont les héroïnes d’Edgar Allan Poe, de Nerval, Chateaubriand, Lamartine, Baudelaire, etc., pour qui l’amour et la beauté  prennent le masque de la mort à une époque où la médecine, à la fois savante et paradoxalement impuissante, comprenait précisément les mécanismes de la plupart des maladies sans parvenir à les éradiquer.

Dans Ligeia, une des Histoires extraordinaires où la première épouse décédée du narrateur possède et anéantit la seconde, Poe écrit : »Il n’y a pas de beauté exquise, dit Lord Verulan, parlant avec justesse de toutes les formes et de tous les genres de beauté, sans une certaine étrangeté dans les proportions.« . Une définition que partageait Baudelaire mais que ne pouvaient goûter les sculpteurs de la période classique.

Et pourtant, dans l’un et l’autre cas, on reste frappé par ce constat : quels qu’aient été les idéaux esthétiques d’une époque, ils n’ont jamais pu se représenter autrement et traverser le temps que dans des images fixes, qu’elles aient été mentales reposant sur l’imagination personnelle comme dans une description, ou physiques comme dans les arts visuels consacrant les Vénus de l’époque classique, des Joconde, Marylin Monroe, Amber Heard ou même Kim Kardashian. Ils sont pourtant sans mouvements, ces photographies prises au bon moment, ces peintures figeant les regards dont on dit pourtant qu’ils vous suivent partout, ces marbres qui ont traversé les millénaires pour nous faire entrevoir quelques principes esthétiques auxquels on s’est appliqué à donner une sorte de dynamisme qui ne peut être que feinte.

Et même lorsqu’une forme de mouvement a malgré tout été captée, comme le cinéma a immortalisé l’image mobile d’une actrice au temps de sa beauté, ce sont toujours les mêmes mouvements qui se jouent; mouvements et gestes que reprennent les fans qui les connaissent par coeur et qui les répètent dans l’adoration sans jamais parvenir à ressusciter la beauté unique de l’instant, de l’actrice, de la scène, de tout ce que nous pouvons croire y prendre comme modèle quand l’image que nous voyons coïncide si parfaitement avec l’image mentale idéale que nous portons en nous.

A l’époque où William Curtis photographiait les derniers amérindiens vivant en tribus, ceux-ci pensaient que l’image qu’on prenait d’eux allait leur voler leur âme. Près de deux siècles plus tard, on comprend que c’est l’inverse : la photo, l’image, l’oeuvre d’art quelconque ont saisi non la beauté d’une personne – qui est l’ensemble de ses mouvements, de sa vie, de son caractère, son humeur, ses émotions, etc.- mais la beauté conjuguée d’un instant figé et choisi, d’une capacité momentanée de l’artiste à la restituer, de la réussite du cliché et de l’acceptation passagère d’un public. Un équilibre fragile, en vérité : l’individu en mouvement aurait très bien pu être laid ou rendu méconnaissable par l’image qui fait la décomposition de ce mouvement, le public aurait pu ne pas s’y reconnaître, etc.

Pourtant, rien n’a plus de pouvoir que l’image pour définir nos conceptions pourtant illusoires de la beauté, certainement parce que notre cerveau fonctionne par images fixes, concepts immobiles, catégorisations stables à l’origine des processus cognitifs qui nous permettent d’appréhender le monde.C’est d’ailleurs pourquoi nous pouvons sans problèmes vénérer des idoles vivantes, mortes ou juste symboliques pour peu que nous ayons photos, statues et images pour support de notre adoration. Mais à l’inverse, un animal n’y est pas sensible, n’y voyant qu’un objet inanimé auquel il ne peut donner du sens. Et même lorsqu’il lui arrive de réagir au mouvement de la télévision, il s’en détourne bien vite car son instinct ne lui fait pas perdre de vue que seul le mouvement fluide, varié et imprévisible est la marque du vivant, qui seul l’intéresse.

Et c’est à cette frontière-là que se situe la limite entre aimer la beauté, être obsédé par sa représentation et vivre l’amour qui, lui, nécessite le vivant, bien plus complexe, et sur lequel plaquer des idéaux figés peut aussi bien s’avérer créatif que destructeur.

Nouvel article : khôl antique aux pétales de rose

 

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Les objets de la beauté

Ils nous fascinent, nous attirent, nous font peur, et surtout, nous font des promesses de beauté plus ou moins tenues : ce sont les objets de la beauté. Ils accompagnent notre désir d’accomplissement esthétique, condition première au bonheur dans la destinée féminine. Au moins dans l’imaginaire collectif. Car la beauté ne fait pas nécessairement le bonheur, et l’absence de beauté n’y fait pas forcément obstacle.

Pourtant, dès le début de l’humanité, dès que des mains habiles ont été capables de ramasser des plumes, concevoir des perles ou employer une plante tinctoriale, la beauté a cessé d’être une faveur uniquement génétique pour devenir la marque d’une distinction sociale. Car en effet, malgré la démocratisation des nombreux accessoires de beauté qui ont été inventés et ont jalonné l’histoire de l’esthétique, l’accès aux améliorateurs d’apparence a toujours été le privilège d’une élite avant de devenir le privilège de tous et surtout celui des industriels et parfois des artisans dont ça a fait la fortune.

Si on les rassemblait quelque part, les objets de la beauté formeraient un immense bric-à-brac fascinant où on trouverait de tout et pour modifier toute partie du corps ou du visage : des ciseaux pour tailler cheveux, ongles, pièces de cuir et de vêtements, des pinces pour extirper les poils anarchiques ou pour fermer un collier. On trouverait également de nombreux produits utilisant la couleur : teintures pour vêtements, pour cheveux, couleurs des fards, des crèmes, des correcteurs, des embellisseurs, des autobronzants, des vernis, des tatouages. Il y aurait encore des objets pour trouer : le vêtement pour le coudre, la peau pour la percer, la tatouer ou la réparer chirurgicalement,

Il y aurait également les objets qui redressent, redessinent, améliorent la silhouette – voire le visage – en serrant, compressant comme les gaines, les ceintures, les corsets, les culottes ventre-plat, les collants amincissants, les soutien-gorge minimisant ou au contraire rembourrant, gonflant la poitrine, les pantalons remontant les fesses, affinant les cuisses, mais aussi les chaussures à talons nous rehaussant, nous faisant gagner une taille et prendre de la hauteur.

Ces objets peuvent avoir toutes matières : métal, huile, plastique, gel, poudre, liquide, laine, satin, soie, viscose, et toutes textures : souple, rigide, mou, dur, froid, soyeux, gélatineux, granuleux, aérien…Ils nous lavent, nous parfument, assouplissent notre peau, font luire les cheveux, les éclaircissent, luttent contre le relâchement cutané, la grisaille de la peau, donnant l’illusion du maintien, de la beauté, de la jeunesse, nous font « perdre une taille » ou juste cassent l’austérité d’un vêtement par une touche de fantaisie.

A l’avant-dernier stade de l’utilisation des objets de la beauté, nous trouvons les outils médicaux utilisés dans la chirurgie plastique et les technologies de pointe comme des ultra-sons, des lasers, des appareils de cryogénisation dans l’amincissement ciblé, et autres procédés « brevetés » et « uniques ».

Rien de tout cela n’est nouveau, pourtant. Mettre son inventivité au service de la beauté, l’Homme le fait depuis qu’il fabrique des objets. Lui donner une dimension technologique, en revanche, il le fait depuis le triomphe conjugué de la science, de l’industrie et de l’économie de marché, c’est-à-dire le début du XX ème siècle.

Le dernier stade de l’utilisation des objets de la beauté est celui du XXI ème siècle, où la technologie, avançant à pas de géant, court plus vite que son concepteur, ne lui permettant pas de se projeter lui-même de façon cohérente dans l’avenir qu’il est en train de créer. Et les objets qui, autrefois dans le domaine de la beauté, servaient à se rendre plus beau qu’on ne l’était auparavant, à devenir un être humain en mieux, peuvent désormais incarner par eux-mêmes l’idéal de beauté à atteindre, prouvant que dans tous domaines, esthétique y compris, la créature a dépassé le créateur.

Et dans cette aventure contemporaine du mythe de Pygmalion, les gourous étranges d’un nouveau type de beauté – Valeria Lukyanova, Justin Jedlica – nous montrent la voie d’un idéal en plastique, originellement de 29 centimètres, né en 1959 dans les usines Mattel.

http://orleansactu.fr/valeria-lukyanova-et-justin-jedlica-alias-barbie-et-ken/

Un phénomène qui, au-delà du ridicule apparent, nous interroge fortement…

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Photo à la Une : masques et appareillages anti-rides de l’institut Anglais de Beauté de Mary Earle, vers 1900.

Critères de beauté en poésie : les blasons

Au XVI ème siècle, la beauté féminine triomphe comme jamais car en effet, le Moyen-Age l’évoquait peu, et l’Antiquité semblait s’intéresser autant, sinon plus, à la beauté masculine. La femme devient objet d’admiration – et le mot objet est ici tout approprié – figeant sa forme dans des représentations, certes plus variées qu’autrefois, mais malgré tout rigides. Pourtant, les critères esthétiques, loin d’être vécus comme aliénants, inspirent toute la poésie de la Renaissance en prenant la forme de poèmes et de jeux littéraires appelés blasons dans lesquels seule une partie de la femme est célébrée.

Bien qu’il soit très connu, pour continuer sur le thème du sein à la Renaissance, et aussi parce qu’il est bon de se rappeler qu’avant d’avoir été mise en boîte par des académies, la littérature a d’abord été le lieu de l’expression du désir et de la frivolité un peu vulgaire – bref, de la vraie vie ! -, c’est le blason du Beau tétin de Clément Marot, datant de 1535, qui a été choisi.

Le Beau Tetin

Tetin refaict, plus blanc qu’un oeuf,
Tetin de satin blanc tout neuf,
Tetin qui fait honte à la rose,
Tetin plus beau que nulle chose ;
Tetin dur, non pas Tetin, voyre,
Mais petite boule d’Ivoire,
Au milieu duquel est assise
Une fraize ou une cerise,
Que nul ne voit, ne touche aussi,
Mais je gaige qu’il est ainsi.
Tetin donc au petit bout rouge
Tetin quijamais ne se bouge,
Soit pour venir, soit pour aller,
Soit pour courir, soit pour baller.
Tetin gauche, tetin mignon,
Tousjours loing de son compaignon,
Tetin qui porte temoignaige
Du demourant du personnage.
Quand on te voit il vient à mainctz
Une envie dedans les mains
De te taster, de te tenir ;
Mais il se faut bien contenir
D’en approcher, bon gré ma vie,
Car il viendroit une aultre envie.
O tetin ni grand ni petit,
Tetin meur, tetin d’appetit,
Tetin qui nuict et jour criez
Mariez moy tost, mariez !
Tetin qui t’enfles, et repoulses
Ton gorgerin de deux bons poulses,
A bon droict heureux on dira
Celluy qui de laict t’emplira,
Faisant d’un tetin de pucelle
Tetin de femme entière et belle.

La même année, l’auteur s’est ensuite amusé à écrire le contre-blason de son Beau tétin, celui du laid tétin, qui n’est pas moins connu. Ici, c’est tout le manichéisme d’une société qui a su concevoir, sans autre alternative, Dieu d’un côté et le Diable de l’autre. En somme, tout ce qui n’est pas Dieu est Diable.

Et sur la beauté, quelles conséquences ?

A la Renaissance, la belle femme est célébrée, oeuvre angélique et divine. Mais malheur à celle qui est laide !

L’épanouissement intellectuel, culturel et artistique de cette époque masque bien, à cause de notre pensée manichéenne, justement, que ce n’est pas le Moyen-Age qui a vraiment brûlé les sorcières, mais bien la Renaissance, et que contre l’avis de Michelet, c’était surtout la vieille femme, la femme âgée d’où toute beauté est partie et à qui Dieu semble avoir retiré sa grâce qui était persécutée.

Les entendez-vous, ces menaces discrètes : « Cueillez, cueillez votre jeunesse ! », « Comme à cette fleur la vieillesse, fera ternir votre beauté » et « Quand vous serez bien vieille, Hélène…Ronsard me célébrait, du temps que j’étais belle » ?

Du Laid Tétin

Tetin, qui n’as rien, que la peau,
Tetin flac, tetin de drapeau,
Grand’ Tetine, longue Tetasse,
Tetin, doy-je dire bezasse ?
Tetin au grand vilain bout noir,
Comme celuy d’un entonnoir,
Tetin, qui brimballe à tous coups
Sans estre esbranlé, ne secoux,
Bien se peult vanter, qui te taste
D’avoir mys la main à la paste.

Tetin grillé, Tetin pendant,
Tetin flestry, Tetin rendant
Vilaine bourbe au lieu de laict,
Le Diable te feit bien si laid :
Tetin pour trippe reputé,
Tetin, ce cuydé-je, emprunté,
Ou desrobé en quelcque sorte
De quelque vieille Chievre morte.

Tetin propre pour en Enfer
Nourrir l’enfant de Lucifer :
Tetin boyau long d’une gaule,
Tetasse à jeter sur l’epaule
Pour faire (tout bien compassé)
Ung chapperon du temps passé ;
Quand on te voyt, il vient à maints
Une envye dedans les mains
De te prendre avec des gants doubles
Pour en donner cinq ou six couples
De soufflets sur le nez de celle
Qui te cache sous son aisselle.
Va, grand vilain Tetin puant,
Tu fourniroys bien en suant
De civettes et de parfums
Pour faire cent mille deffunctz.
Tetin de laydeur despiteuse,
Tetin, dont Nature est honteuse,
Tetin des vilains le plus brave,
Tetin, dont le bout tousjours bave,
Tetin faict de poix et de glus :
Bren ma plume, n’en parlez plus,
Laissez-le là, veintre sainct George,
Vous me feriez rendre ma gorge.

Dans cette image de sein de vieille femme, les voyez-vous, ces métaphores démoniaques et caractéristiques de tout ce que pense une société de ses femmes âgées : « le Diable te fait bien si laid », «  »tétin propre pour en Enfer, Nourrir l’enfant de Lucifer. »?

N’oublions jamais qu’il n’y a pas de critères de beauté qui s’établisse sans les critères opposés, ceux de la laideur.

N’oublions pas non plus que plus les critères définissant la beauté sont précis, plus celle-ci est rare, et plus la laideur devient répandue.

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La leçon de beauté des Aphrodites

Vous les avez déjà vues aux musées, et leurs formes statiques et graves vous ont plus touchés par leur sérieux, leur classicisme, leur aspect artistique que par l’idée que vous vous faisiez souvent de la Beauté. Peut-être même que vous les trouvez ennuyeuses et vous pensez qu’appartenant au passé, elles n’ont plus rien à vous apporter ni à vous apprendre sur la beauté.

Et bien détrompez-vous.

Si nous partons du principe qu’Aphrodite est la déesse de la beauté et que chacun des sculpteurs qui en a conçu une a projeté dans sa sculpture un idéal de la beauté accepté par tous, alors, ces statues ont forcément quelque chose à nous dire sur la Beauté.

Alors oubliez dates, noms d’artistes, périodes artistiques et techniques, et écoutez les vérités que les déesses du Louvre ont à nous apprendre sur la beauté.

– La beauté ne concerne pas que la jeunesse

Parmi les différentes représentations de la déesse de l’Amour et de la Beauté figurent des femmes qui font assez juvéniles, comme la Vénus d’Arles, dont le corps et le visage sont lisses. C’est vrai aussi de l’Aphrodite de Cnide, dont il ne nous reste de la statue que l’intervalle entre le cou et les genoux. En revanche, les autres corps nus comme celui de l’Aphrodite « aux cheveux lâchés » , l’Aphrodite pudique et la Vénus de Milo présentent des femmes aux corps et aux visages plus matures, aux traits plus durs et aux corps marqués, où le muscle a pris forme au fil des ans.

– La beauté n’implique pas nécessairement la nudité

La Vénus de Cnide fut la première statue d’Aphrodite nue, et c’est ce qui fit sa célébrité. Mais de la Vénus de Milo à la Vénus d’Arles en passant par la Vénus Genitrix, on voit que la beauté se conçoit dans toutes les étapes du dévoilement du corps féminin, d’un sein à la totalité de ce corps. Mais la beauté se conçoit aussi dans un corps habillé comme celui de l’Aphrodite au pilier, où le vêtement, fait de multiples drapés, participe à cette beauté, et même, la construit peut-être.

– La beauté, c’est la fermeté

En revanche, si le corps peut être plantureux, généreux à certains endroits, comme le ventre de la Vénus de Milo dont Rodin disait qu’il était « splendide, large comme la mer« , il ne peut être relâché. Comme aujourd’hui, le relâchement signe du délabrement, est incompatible avec l’idée qu’on se fait, de la beauté. La confirmation de cette identification entre beauté et fermeté se vérifie dans le galbe des seins de ces déesses, et atteint son paroxysme dans le bras tendu de la Vénus d’Arles. Car si ce bras tendu et cette main parfaite démontrent surtout le talent du sculpteur, n’importe quelle femme attentive sait que très tôt, le relâchement se manifeste à l’arrière du bras, chez la femme.

Pas sûr que la magnifique tenue du bras de la déesse ne soit qu’un détail insignifiant.

– La beauté est aussi soumise à  la mode

Pour vérifier ce fait, il n’y a qu’à regarder l’affreuse coiffure de l’Aphrodite pudique qu’aucune femme ne porterait aujourd’hui en se trouvant belle et qu’aucun homme ne regarderait en la trouvant autrement que ridicule. Par ailleurs, si on regarde les coiffures de toutes les statues, elles sont toutes bouclées, même si les coiffures sont toutes différentes.

Enfin, il faut bien reconnaître que ces statues de corps féminins ont presque toujours, comme l’ont fait remarquer beaucoup d’historiens de l’art, des corps plutôt masculins. Et le fait est que dans la poésie comme dans la philosophie de cette époque-là, et pour la seule fois de l’histoire, c’est la beauté masculine qui est préférée.

– La beauté, c’est la dignité

Les attitudes des déesses représentant l’Amour, la Beauté, la Sexualité, sont paradoxalement prudes ou fières, jamais lascives. Etrangement, seule l’Aphrodite au pilier, dont la posture paraît un peu vulgaire, a changé de destin et est devenue Muse, semblant nous donner ce conseil avisé et toujours valable : »Si tout espoir de beauté est mort pour toi, exerce un art où tu excelles pour t’en donner un peu. »

Et c’est vrai que beaucoup d’artistes qu’on n’a pas toujours trouvé beaux ou belles ont su séduire par leur talent et projeter vers l’extérieur leur beauté intérieure.

Et si on écoutait un peu les déesses ? On constaterait certainement que l’idée qu’on se fait de la beauté en Occident reste inchangée depuis les Aphrodites.

Cet article et ces photos – sauf celle de la Venus Genitrix qui appartient au site http://www.theio.com – sont les propriétés du site Echodecythere. Il est interdit par le code de la propriété intellectuelle de les reproduire sans l’autorisation de leur auteur.

Les tours du monde web. 2.0 de la Beauté

La Beauté, objet fascinant et fantasmatique de désir depuis la nuit des temps, semble s’offrir depuis quelques temps un coup de jeune et un coup de buzz grâce au web 2.0 qui permet la communication des idées dans une ouverture au monde passant par la collaboration. Les projets beauté deplus en plus intéressants s’offrent ainsi une visibilité extraordinaire grâce à la participation du plus grand nombre de personnes relayant les projets via les sites et les différents réseaux sociaux.

De quels projets s’agit-il ?

– Le projet d’Esther Honig : cette jeune journaliste et blogueuse américaine de 24 ans a diffusé sa photo et demandé à des graphistes de la rendre simplement plus belle. Elle diffuse les résultats sur son blog, ici : http://www.estherhonig.com/#!viral-/cax1

– Le projet de Priscilla Yuki Wilson : cette américaine de 27 ans ne propose pas autre chose aux internautes que ce qu’a fait Esther Honig. En revanche, les défis sont plus grands pour ceux qui veulent la rendre belle car Priscilla est à la fois plus ronde – peu apprécié en termes de beauté – et métis japonaise et noire américaine – cas trop rare pour pouvoir faire l’objet de normes. Le résultat, c’est ici : http://priscillaywilson.wix.com/priscillayukiwilson#!blank/c1de8

– Le projet de Mihaela Noroc : photographe roumaine de 30 ans, elle décide de faire un atlas de la Beauté qui consiste à photographier la beauté des femmes de tous les pays du monde. Elle demande aux internautes d’y contribuer en lui donnant l’argent nécessaire pour poursuivre son voyage et donc son projet, dont on voit beaucoup de photos ici : http://www.msn.com/fr-fr/actualite/photos/l%E2%80%99atlas-de-la-beaut%C3%A9/ss-BBhSEdx

Que peut-on en penser ?

Ce sont de bonnes initiatives qui font rêver et réfléchir avant toute chose et leur médiatisation nous fait accourir.

Dans le projet d’Esther Honig, on peut voir le poids de la culture dans le traitement des photographies selon certains pays. C’est surtout vrai pour le Maroc, culturellement marqué par la mode musulmane visible à l’habillement complet et au voile, et les Etats-unis où la sophistication, notamment sur les cheveux, rappellent ce qu’on sait de la culture des cheveux féminins qui sont sur-travaillés. Même chose dans le traitement des photos de Priscillia dont le projet n’est pas différent : l’une des photos venue des USA la transforme en afro-américaine perruquée typique, la vietnamienne la fait considérablement maigrir et dans les pays où on est plutôt blanc, on éclaircit souvent sa peau.

Chez Mihaela Noroc, pas de doute : les photos sont magnifiques, les femmes choisies sont souvent très belles, et le choix du cadre dans lequel les photos ont été faites est toujours judicieux. C’est un tour du monde idéal et qui fait rêver la toile, c’est certain.

Fait-on vraiment le tour du monde ?

On fait le tour d’un monde, en tous cas, car des interrogations subsistent une fois qu’on s’est laissé bercer par le caractère inédit de ces expériences, de l’originalité de la démarche et la diversité des réponses.

En effet, quand Esther Honig et Priscillia Yuki Wilson donnent leurs photos à retravailler par les internautes pour les rendre belles, ceux qui les transforment le font selon plusieurs critères qui ne sont pas mentionnés et qui peuvent comprendre : leurs critères de beauté personnels et non culturels, leurs obsessions personnelles et leur rapport à la technologie qu’ils utilisent, c’est-à-dire quelles techniques ils préfèrent utiliser pour la retouche photo en dehors de toute considération pour les canons esthétiques en vigueur. La question se pose par exemple pour les photos où le fond a plus été travaillé que le modèle lui-même. Par ailleurs, que sait-on réellement des critères de Beauté de la Macédoine ou des Philippines, par exemple ? Sans une connaissance des canons esthétiques en vigueur dans les pays représentés, difficile d’évaluer si ce sont les critères collectifs ou individuels qui ont primé dans la retouche des photos.

Comment penser que des photos retouchées sans explications des intentions peuvent refléter de façon certaine des critères de Beauté censés être culturels quand les individus ne sont pas faits que de culture ?

Le travail de Mihaela Noroc est magnifique, mais une fois passé l’émerveillement, un constat s’impose que vous pouvez sans aucun problème faire vous-même : de photo en photo, à très peu de choses près, on croirait voir le même modèle. Car si la couleur de peau ou de cheveux change, de même que le type ethnique et l’habillement, nous avons le même type de femme récurrent : corps souvent mince, visage régulier, yeux en amandes, regard intense, bouche toujours légèrement charnue, et majoritairement les cheveux longs. Une photo diffère et on se dit qu’il y a finalement plus de diversité qu’on ne le croyait. Erreur ! C’est l’auto-portrait de la photographe.

Mihaela Noroc a visiblement choisi les belles femmes du monde en fonction de ses propres critères de Beauté qui, par chance, ressemblent à ceux de tout le monde.

Ces tours du monde de la Beauté sont intéressants et il faut être franc : on adore les regarder. Mais comme dans la réalité des voyages, ils montrent leurs limites car ils ressemblent à ces séjours que les touristes font sans jamais bouger de leur hôtel, loin de toute rencontre authentique avec le pays visité, tant les plus infranchissables frontières sont culturelles.

En réalité, nous sommes bien incapables, à titre individuel ou collectif, de voir la Beauté par les yeux de l’Autre.

Voilà un des nombreux défis que la modernité se doit de poser à l’Avenir…

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Beauté, relativité et temporalité

Dans ce qu’on appelle Beauté, il n’y a jamais d’absolu, jamais de fixité et ce qu’une époque a pu adorer, a pu trouver beau et désirable, une autre époque le trouvera méprisable et se demandera comment on a pu qualifier cela de beau. Pas seulement une époque mais aussi une culture tout entière. C’est vrai d’un point de vue esthétique : les tableaux adorés à une certaine époque peuvent être aujourd’hui complètement méprisés, oubliés, et de tous les ouvrages écrits qui parfois furent des révolutions pour leur époque, la plupart paraissent aujourd’hui vieillis, et personne ne les lit plus hormis les spécialistes. Et ce jusqu’à ce que quelqu’un d’influent les remette à la mode, les fasse redécouvrir…ou pas.

Lorsque nous regardons les vieux portraits des reines et princesses engoncées dans leur corset, cachées dans leurs froufrous, dénaturées par leurs perruques, on a bien du mal à s’imaginer ce que leurs contemporains pouvaient trouver de beau en elles.

C’est que nous rêvons la Beauté sous forme d’absolu en oubliant qu’elle n’est que la manifestation d’un temps et d’un moment, et avant tout l’objet d’un jugement. Il n’y a pas de beauté s’il n’y a pas d’oeil pour la voir ni de juge pour déterminer selon des critères très relatifs si c’en est ou ça n’en est  pas. En somme, dans chaque estimation de la Beauté, il y a une grande part de leurre, de mythologie et de conditionnement car étant intégrés à notre époque, nous ne pouvons qu’en subir les valeurs et donc involontairement, se les voir imposer plutôt que les accepter consciemment.

Nos critères esthétiques sont d’ailleurs également relatifs à notre désir d’intégration sociale par conformisme ou au contraire notre désir d’émancipation par l’exploration de voies différentes. Et effectivement, une personne en mal de reconnaissance sociale fera les choix de tout le monde et valorisera ce que la société valorise en termes d’art ou de beauté physique tandis que la personne en phase avec son identité et son individualité saura voir la beauté en dehors de tout conditionnement, là où tout le monde ne la verra pas mais où elle se niche peut-être malgré tout.

Cela veut-il dire que cette personne autonome est capable de voir la beauté de Marie-Antoinette ou d’autres souveraines telles qu’elles parurent à leur époque, à travers leurs portraits ? Même avec une formation d’historien ou d’historien de l’art, c’est une chose rigoureusement impossible. Appréhender la beauté d’une princesse ou d’une reine d’autrefois de la même manière que le faisaient ses contemporains ne peut s’esquisser qu’à partir de ce que nous ressentons devant une photo de Kate Middleton, par exemple.

Car la Beauté est une relativité de relativité et s’établit selon des critères restreints à partir desquels elle est envisageable. Si nous prenons pour base ces souveraines ou princesses auxquelles l’imaginaire a toujours donné à priori une forme de beauté de convention, on peut déjà poser un cadre théorique et plausible qui fait pencher le jugement de beauté beaucoup plus du côté de critères sociaux stricts que de critères philosophiques et éthérés. Ainsi, la beauté va se trouver plus facilement du côté de l’élite sociale qui comprend aussi les signes extérieurs tels que la minceur, les vêtements de luxe et les soins esthétiques spécialisés et difficilement accessibles, une histoire glamour qui fasse rêver, dans lequel le peuple puisse se reconnaître, des actions remarquables augmentant le capital sympathie de la personne ainsi jugée et avant tout une adéquation entre ce que nous attendons d’elle et la façon dont elle y répond. Kate Middleton en tailleurs élégants et Béyoncé en body, c’est la beauté. Mais l’inverse ne marcherait pas. Et Marlène Dietrich en bombe sexuelle d’aujourd’hui, ça ne paraît pas vraiment concevable à tout le monde.

Ainsi la Beauté, même si elle se rêve éternelle comme les philosophes la projettent et comme chacun se projette bien malgré lui, elle n’est que l’affaire d’une circonstance, d’une histoire, d’une émotion et donc d’un moment seulement. C’est ce qui fait que les vêtements, les coiffures, les silhouettes, attitudes, oeuvres et gens se démodent. Ce qui est démodé est ce dont nous nous sommes désengagés.

Oui, car la Beauté, c’est aussi une forme d’engagement, un pacte invisible entre la personne qui voit et la personne vue. Et l’oeil, le public, ce qui juge la Beauté, cruels, entendent la revoir telle qu’ils l’ont conçue à partir du moment où ils ne s’en sont pas désengagés. Mais gare à ceux qui trahissent ce pacte sans même le savoir, et ceux qui incarnent la Beauté reconnue n’ont pas intérêt à y faillir ! Ce sont les réseaux sociaux qui rendent le mieux compte de ces phénomènes : le scandale et les insultes qui ont explosé à partir de photos jugées imparfaites de Renée Zellweger, Uma Thurman et Angelina Jolie montrent à quel point la beauté, aussi désirable puisse-t-elle paraître, s’avère en réalité l’aliénante prison du relatif érigé en absolu.

Marlène Dietrich, qui était peut-être plus lucide que belle, l’avait bien compris puisqu’elle vécut sa vieillesse cloîtrée, refusant de montrer à chacun son délabrement physique pour que ne soient conservées d’elle que des images de sa beauté projetée de façon absolue. D’ailleurs, quelles beautés deviennent des icônes incontestées hormis celles fauchées en pleine gloire, avant tout démystifiant vieillissement et donc tout désengagement?

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Beauté : la tentation mathématique

Dans Costume de la donne, en 1536, Morpugo établit une liste de 33 perfections que doit avoir la femme idéale. Ce n’est pas une nouveauté, depuis ce 16 ème siècle, on fait des listes de perfections féminines allant de 3 à 30. Morpugo ne fait qu’en ajouter 3 autres. 3,30,33…On ne peut que remarquer la récurrence du 3 et ses multiples.

Voici cette liste, citée dans l’Histoire des femmes en Occident :

« Trois longues : les cheveux, les mains, les jambes

Trois menues : les dents, les oreilles et les seins

Trois étroites : la taille, les genoux et  » l’endroit où la nature a placé tout ce qui est doux »

Trois grandes ( mais bien proportionnées ) : la taille, les bras et les cuisses

Trois fines : les sourcils, les doigts, les lèvres

Trois rondes : le cou, le bras et le…

Trois petites : la bouche, le menton et les pieds

Trois blanches : les dents, la gorge, les seins

Trois rouges : les joues, les lèvres et les tétons

Trois noires : les sourcils, les yeux et ce que vous savez. »

Chacune de ces perfections s’assemble par triades où domine la géométrie : large, longue, ronde, ou la simple représentation spatiale : grande, fine, menue. Les couleurs, elles, sans nuances aucune, renvoient à l’imaginaire alchimique : l’oeuvre au noir, au blanc, au rouge. La pierre philosophale des alchimistes était censée aussi bien changer le plomb en or que faire obtenir l’immortalité à son possesseur. Normal que les critères censés définir la beauté d’une femme s’inspirent de certains de ses symboles, d’autant plus que la pratique de l’alchimie explosa à la Renaissance. Le chiffre 3, quant à lui, a le pouvoir de représenter Dieu dans presque toutes les cultures ( le Père, le Fils, le Saint Esprit des catholiques; Brâma, Vishnou, Shiva, la trinité des hindous; Le Bouddha, le Dharma, le Sangha, les 3 refuges des Bouddhistes, etc..), logique donc de le retrouver, lui et ses multiples, dans ce qui doit définir, les « perfections », la première des perfections étant Dieu lui-même.

Si les symboles mathématiques énoncés dans cette liste sont propres à leur époque, ne pensons pas être épargnés par le phénomène. Le critère de beauté minimal établi par notre Indice de Masse Corporelle, s’établit à partir d’un chiffre – un nombre pour être exact – obtenu grâce à la conjonction, dans un tableau, d’un poids établi en chiffre avec une taille également en chiffres, à quoi s’ajoutent la nécessité de la symétrie dans les traits, les sourcils qu’on redessine en les épilant, un rapport seins-taille-hanches suffisamment marqué et qui a pu également se traduire par des chiffres, le fameux 90-60-90, mensurations idéales établi dans les années 90 quand les journalistes, pour créer de la nouveauté, décidèrent de stariser les mannequins. Toute récurrence d’un multiple de 3 dans l’établissement d’une mesure visant à exprimer l’idéal s’avère bien évidemment culturellement fortuite. ..

On pourrait continuer la liste : nos tailles s’établissent en chiffres, nécessairement pairs en France, lesquelles expriment l’idéal à partir du moment où elles ne dépassent pas la trentaine, 36, pour être tout à fait exact, représentant l’idéal de la taille mannequin. La trentaine, c’est également le somment de la vie d’un homme et d’une femme, tant, en ce qui concerne la beauté et la forme physique que l’épanouissement socio-professionnel et personnel.

Pourquoi tant de chiffres ?

Les lois mathématiques et physiques définissent l’univers et contribuent donc à faire disparaître beaucoup de son arbitraire, de son côté hasardeux et angoissant. Il y a ainsi un ordre du monde, et pour les physiciens qui ont étudié l’univers comme pour certaines religions, Dieu est souvent vu comme un architecte, celui qui en a établi les lois perceptibles dans les mesures, règles, chiffres et autres systèmes mathématiques permettant de définir cet univers.

Et la beauté ?

La beauté rejoint une autre grande merveille du monde qu’on appelle l’Amour, et les définir tous deux d’une façon rationnelle leur ôte à la fois de leur mystère, de leur pouvoir et donc de tout ce qui les rend angoissants. Contrôlés et maîtrisés, la Beauté et l’Amour n’ont plus ce caractère terrible défini par les Grecs à travers des figures comme Eros et Aphrodite.

Mais Aphrodite finit toujours par renaître : « L’imperfection est beauté, la folie est génie, et il vaut mieux être totalement ridicule que totalement ennuyeux. » Marylin Monroe.

Une invitation à rendre leur liberté à la beauté, au charme, à la spontanéité en séduction et en amour, et à laisser tomber les chiffres aussi ridicules qu’ennuyeux dès qu’il s’agit d’Amour et de Beauté.

Quand c’est la plus belle qui le dit, il n’y a qu’à s’incliner.

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La beauté est équilibre

Quand on analyse ce qui conduit à juger du sentiment de beauté, on en revient à d’autres qualificatifs tout aussi mystérieux tels que l’élégance, la grâce, quelque chose d’assez indéfinissable qui nous fait aboutir à un autre plus clair : l’équilibre.

Dans la beauté, tout nous ramène à l’équilibre, à l’harmonie naturelle ou créée et dans tous ses aspects.

La beauté féminine instinctive et universellement jugée en quelques instants, par les adultes comme par les plus petits enfants, concerne le rapport taille-hanches pour le corps et la symétrie des traits pour le visage. Une taille bien marquée par rapport aux hanches est le signe d’une saine fécondité à quoi l’espèce est sensible, mais ce que les études oublient de dire à ce propos, c’est que si la taille était démesurément marquée et les hanches trop larges, tout le monde trouverait cela en réalité monstrueux.

Il en est de même pour la symétrie du visage. Oui, il faut que les traits soient symétriques, oui, il faut que le côté droit ressemble au côté gauche, mais l’oeil et le cerveau savent que la stricte symétrie n’appartient qu’aux mathématiques et que dans le vivant, rien ne peut être rigoureusement symétrique. D’ailleurs, quand on regarde une femme refaite par la chirurgie plastique, on n’en a pas toujours conscience et pourtant le regard ne cesse d’être attiré par quelque chose qu’il ressent comme anormal et qu’il tente alors de comprendre.

Oui, mesdames les refaites ou qui souhaitez le faire, si vous passez par là, sachez que nous vous regardons plus lorsque vous êtes passée par la chirurgie mais ce n’est pas parce que nous vous trouvons belles, c’est parce que nous voyons sur votre visage quelque chose qui nous choque et que nous ne cessons d’interroger, d’analyser, de tenter de comprendre.
Pourtant, et puisqu’il est question d’équilibre, la chirurgie n’est pas complètement exclue pour créer de la beauté. La chirurgie corrective qui vient rectifier une dissymétrie du visage est un des exemples que l’on peut citer. De façon très commune, l’orthodontie qui corrige l’alignement des dents refusé par la nature fait beaucoup pour la symétrie d’un sourire qui devient magnifique après avoir été hideux.

Mais la beauté, ce ne sont pas que les traits. Ce sont aussi mille et une petites choses que le cerveau juge en quelques secondes sans s’arrêter pour les analyser et qui sont néanmoins opérantes.
Tout d’abord, la beauté, c’est la santé. Dans les pays dont le niveau de vie est élevé, les gens sont plus beaux. Quand nous venons d’un de ces pays, nous oublions de le prendre en compte et les critères de beauté s’élèvent. Ailleurs, là où on a moins de chance, moins d’argent, moins de médecins accessibles à tous et compétents, on est plus petit, on a plus de problèmes qui affectent le physique et avec lesquels on doit vivre sans réel soulagement. Un état de santé équilibré est un socle stable pour la beauté.
La beauté, c’est également le moral. Quand on va bien, on rayonne de l’intérieur d’une pulsion de vie communicative, car le vivant attire le vivant. A l’inverse, quand on est déprimé et donc dominé par la pulsion de mort, le regard s’éteint et plus rien de beau ne se dégage de celui qui subit cet état. Qui a déjà vu des bipolaires subissant l’une puis l’autre de ses phases maniaque ou dépressive sait de quoi il s’agit à maints niveaux. Les photos d’une même personne dans chacune de ces deux phases sont très efficaces pour se rendre compte de cette réalité : la beauté vient de l’intérieur, et elle n’est rien sans équilibre.

Enfin, la beauté, c’est aussi la beauté de l’âme et une personne dont les traits physiques nous semblent laids peut être transfigurée par la découverte de sa bonté de coeur, de sa grande humanité. Cette expérience qu’on a tous vécue un jour a été scientifiquement démontrée par un anthropologue, Kevin Kniffin et un biologiste Sloan Wilson au cours de trois études qui ont mis en évidence que lorsque nous devons juger de la beauté physique de personnes que nous ne connaissons pas, nous nous basons uniquement sur leur aspect extérieur, mais lorsque nous évaluons quelqu’un que nous connaissons, nous nous basons aussi sur ce que nous avons évalué de son caractère. Et à traits également beaux chez une personne connue et non connue, celle qui sera connue, pourvu qu’elle ait une belle âme pour celui qui la juge, verra sa beauté appréciée. Dans l’estimation inverse, ses beaux traits ne seront pas reconnus comme tels par celui qui la connaît alors que ceux qui ne la connaissent pas la jugeront belle.

En bref, la beauté est une valeur dans laquelle l’équilibre est valable à double niveau : dans le premier, chaque partie jugée doit se trouver dans une sorte de juste milieu, dans le second, la beauté ne s’établit qu’à partir d’un ensemble qui doit former un équilibre de toutes les parties.
Ainsi, s’il n’est pas dans la nature du vivant d’être rigoureusement symétrique, le cerveau qui conceptualise, lui, n’arrive pas à concevoir les choses autrement.

Tant mieux, parce qu’ainsi, tout défaut peut être compensé pour nous faire parvenir à un équilibre dans lequel nous parvenons malgré tout à une certaine beauté, voire à une beauté certaine.

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