élégance

Elégance et confinement

Allure sportive, véganisme, contrôle du poids, entraînement pour correspondre aux canons de la société, la femme occidentale a vu son style conditionné par des idéaux dépendant de certains paramètres qui n’existent plus en pleine crise de Covid 19, lequel risque de s’étendre.

Eclate alors un peu plus la vérité sur la valeur de nos codes esthétiques et idéologiques : soumis à des contingences extérieures, ils sont aussi fragiles que relatifs, obsolètes au moindre coup du sort.

Pourtant, cette notion de confinement n’est qu’une vue de l’esprit, qui prend des proportions d’autant plus grandes qu’on se focalise dessus. Or, ce qu’on oublie beaucoup, c’est que la vie des femmes, dans le monde, se passe essentiellement au foyer. Non pas qu’il soit particulièrement juste que depuis la nuit des temps, on leur ait attribué préférablement la sphère privée, mais notre culture s’est ainsi construite majoritairement, de la Méditerranée à l’Asie en passant par le Moyen-Orient, des pays de culture monothéiste primitive tout comme dans notre culture gréco-romaine – où les femmes ne sortaient jamais ou alors voilées, vivant au gynécée – ou la culture hindoue.

A la base de ce phénomène, une stratégie de survie pour protéger les êtres à la fois les plus fragiles et les plus indispensables comme une femme enceinte, sur laquelle repose la survie de l’espèce, une mère chargée de jeune enfant, une femme que son sang coulant plusieurs jours dans le mois rend décelable et qui excite l’agressivité les prédateurs potentiels à une époque où, la civilisation n’étant pas développée, elle ne pouvait en protéger suffisamment l’individu.

Devenue culture, la nécessité de base semble être devenue plus mythologique et tyrannique qu’elle paraissait peut-être moins justifiée dans des sociétés assez sophistiquées pour générer des défenses suffisantes contre les prédateurs.

Quand on regarde l’histoire d’une manière générale ou même sa propre vie, l’extrême mobilité qui caractérise la vraie liberté de mouvements est très rare, et quand ce n’est pas le cas, elle est souvent vécue comme une contrainte empêchant de voir la famille, de voir grandir les enfants, etc…Car bouger beaucoup coûte de l’argent, les déplacements les plus importants n’existant souvent que parce qu’ils en rapportent bien plus.

Par ailleurs, qu’on le veuille ou non et depuis toujours, le foyer reste le point d’ancrage de la famille et de la femme qui y investit souvent plus de sa personne. A l’heure d’une pandémie dont on ignore encore presque tout – et surtout si elle sera durable – il est plus que jamais urgent de s’en rappeler, non pour s’y contraindre, mais pour se rappeler d’y placer le plus possible son bonheur plutôt que sa frustration.

Alors, oui, c’est vrai, une garde-robe de ville devient obsolète. Habituée à un moi social engoncé dans des vêtements aux multiples coutures qui révèlent le corps pour lui faire jouer son rôle complexe – mais aussi le serrant – ces contraintes sociales qu’on accepte pour travailler ou quand on est en représentation sont refusées par le mental une fois chez soi. Car le foyer est le seul lieu autorisé d’une liberté plus grande, où on a le droit d’être soi-même, de relâcher les efforts, de tomber le masque social et se reconstituer après tant de luttes.

Pourtant, vêtements d’intérieur et élégance ne s’opposent pas forcément, à condition d’aller chercher l’inspiration dans les cultures où les femmes ont moins de réticence culturelle à vivre dans la sphère privée – c’est-à-dire majoritairement dans le monde – et où le vêtement, ne connaissant pas la frontière entre le dedans et le dehors pour nous faire consommer plus, propose à la fois des coupes et des matières confortables, naturelles le plus souvent. De l’Asie au Moyen-Orient, en passant par l’Afrique, c’est une multitude de vêtements inspirants, amples, naturels, confortables et aux styles infinis qu’on peut adopter et qui évitent le clivage entre le pantalon serré, la mini jupe étriquée et le jooging ou le pyjama multi-fonction.

L’Inde, les pays d’Asie du sud est comme le Vietnam ou le Cambodge proposent une infinité de pantalons et tuniques pour tous les jours, diversement colorés et aux motifs très élégants qui permettent aux femmes de sortir sans problème avec les vêtements qu’elles peuvent aussi porter à l’intérieur. Une tradition similaire existe aussi au Maghreb et au Moyen-Orient avec les caftans aux couleurs et motifs différents selon les régions, et qu’on peut trouver à des prix très abordables pour les jours ordinaires.

La même polyvalence se retrouve pour les kimonos dont certains, simples et légers, comme les yukatas, peuvent être portés à tout moment et pour des petits prix – contrairement aux kimonos de cérémonie – semblables à ça aux boubous africains qui peuvent être simples ou complexes selon l’occasion pour laquelle on les destine, mais qui seront pourtant toujours colorés et confortables.

Et bien entendu, les sarouels et pantalons harem, jusqu’à ceux conçus pour la danse orientale, associent au confort l’érotisme discret dont on retrouve la présence dans les tableaux orientalistes du XIX ème siècle, des Delacroix, Ingres et autres, l’Abyssinie de Rimbaud, les rêveries de hammam, et de façon plus lointaine, l’Orient de la propreté et des parfums ramenés de Croisades.

Enfin, dernier point précieux, par la beauté des tissus amples, simples et colorés qui laissent enfin l’esprit libre de l’exigence dictatoriale de la beauté du corps en représentation, l’élégance ne renonce plus au confort tout en cessant de devenir un tyran social imaginaire qui ne laisserait le choix qu’entre des « négligés » d’intérieur et des « habillés » « pour sortir ». Et ça pourrait faire beaucoup de bien à notre moral !

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Femmes d’Alger dans leur appartement. Eugène Delacroix. 1833

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Le sens de l’élégance

 

 

L’élégance est une notion assez indéfinissable et subtile. Cela consiste, globalement, à s’habiller, se présenter, se représenter avec goût et recherche. Mais le goût, notion culturelle et donc très relative, ne se définit pas de façon universelle. L’élégance se juge par comparaison avec un ensemble de personnes qui, pour leur mise, commune, vont mettre en évidence celle qui s’habille de façon plus recherchée.

L’élégance n’induit pas un prix ou une marque obligatoire, un vêtement très cher peut très bien ne pas nous aller et être d’une grande vulgarité parce que la mode le veut, le créateur a voulu faire de la provocation, a manqué d’inspiration ou a voulu délivrer un message. Dans le choix du vêtement se partagent en effet deux visions qui se rencontrent sur le corps de la personne qui l’adopte : le choix du concepteur pour la création de sa pièce, ses couleurs, ses formes, agencements, et l’adhésion de celle qui la porte. On choisit un vêtement pour de nombreux critères et de nombreuses raisons, : prix, confort, valeurs de la classe sociale, goûts personnels, etc. Quand, malgré tout, c’est l’impression de beauté et d’admiration qui prévalent, on atteint l’élégance.

Cette élégance est un signe, de l’ordre du manifesté. On sait qu’elle est là, on la reconnaît, mais son sens est multiple. Pour autant, il y en a toujours un car se distinguer a toujours une raison, même si celle-ci ne paraît pas toujours très claire.

Se distinguer, par des vêtements, des bijoux, des accessoires spéciaux, c’est depuis toujours l’apanage de l’élite qu’on doit pouvoir reconnaître de loin comme telle, de la coiffe de plumes des chefs amérindiens, aux sceptres et couronnes, symboles du pouvoir royal, les bijoux des maharadjahs, et même le costume du patron contre le tee-shirt de l’ouvrier ou le pull du simple employé.

Dans les oeuvres d’art anciennes, les plus beaux vêtements étaient soit pour l’élite royale ou seigneuriale avant de s’étendre à la bourgeoisie, soit pour les figures mythologiques ou religieuses. L’expression d’une oeuvre picturale, réduite à la seule vision, se devait d’être très symbolique pour que le message fût clair. Au cinéma, c’est pareil : les personnages principaux, pour peu que ce soient des héros, se doivent d’être distingués par leur façon de s’habiller, leur mise élégante et surtout d’une façon qui les mette en valeur afin qu’on ne voie qu’eux. C’est encore plus vrai pour les actrices, dont la richesse des tenues et des accessoires permis – infinis par rapport à ce que les hommes peuvent porter – ont distingué au point de les immortaliser, elles – et les films dans lesquels elles jouaient – dans des tenues qu’elles n’auraient pu supporter dans la vie quotidienne.

L’élégance, en effet, sacralise, fait entrer du miracle dans un événement, un moment, un instant exceptionnel tout symbolique qui ne se verrait pas sans cela : un mariage, où tout le monde se doit d’être bien habillé, un enterrement, une réunion de famille, un événement particulier et bien sûr, un rendez-vous amoureux. Pris à n’importe quel moment hors cérémonie ou événement, rien ne distingue cet instant pour son importance sans la belle tenue choisie pour l’occasion. La beauté d’une tenue signale l’instant sacré : on sort ses beaux habits pour la messe, pour aller à la mosquée, pour le shabbat; aux Antilles, les femmes des anciennes générations portent encore les perruques lisses qu’elles mettaient autrefois pour entrer dans la maison de Dieu.

Mais parfois, l’élégance est quelque chose qu’on reçoit en héritage, comme les Sapeurs du Congo qui, depuis le XIX ème siècle, ont choisi le vêtement pour exister dans la sphère sociale et introduire du merveilleux dans les quartiers de Kinshasa. Mais plus qu’un choix, c’est une culture, un héritage avec une histoire, des codes, des règles et même une reconnaissance dans le milieu de la mode. Société des Ambianceurs et des Personnes Elégantes, les Sapeurs font du dandysme un événement, un show sous forme de compétitions et de rencontres de fans de marques différentes se faisant face lors de combats uniquement symboliques autour du beau vêtement et de sa valeur.

Mais on peut aussi être une personne élégante par goût, personnalité, culture. Dans ces cas-là, une seule personne suffit à faire entrer de la magie dans le quotidien, à travers un comportement qui semble dire : « C’est mon existence, c’est l’ici et maintenant qui sont sacrés. » Un militantisme silencieux mais voyant qui, depuis l’ère des dandys, s’exprime dans la sphère individuelle, révélant des étoiles filantes de l’esthétique dans la galaxie informe de l’habillement par nécessité.

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Les secrets de l’élégance

Dans l’Hymne homérique consacré à Aphrodite, on apprend que la déesse, éprise d’Anchise, met des vêtements « magnifiques » et des bijoux en or pour le séduire. Cet adjectif, « magnifique », met l’accent sur la beauté tout en n’en disant rien. Le lecteur reste confronté à son imaginaire, à ce qui, pour lui, peut-être qualifié de magnifique.

Le terme d’élégance est encore plus obscur, à tel point que si on y réfléchit, on s’aperçoit qu’on se fait une idée vague de ce qu’est l’élégance, qu’on a toujours su s’en faire une idée mais que finalement, on n’en connaît pas la définition. Voici celle donnée par le petit Robert : » Qualité esthétique qu’on reconnaît à certaines formes naturelles ou créées par l’homme dont la perfection est faite de grâce et de simplicité ».

C’est là que le mystère devient entier, car la définition ne renvoie pas plus à quelque chose de précis. Quelles formes naturelles ? Quelles formes créées par l’homme ? Comment définir la grâce ? A quoi la reconnaît-on ?

Le langage ne parvient pas à circonscrire ce qui constitue l’élégance comme les théologiens ont rempli des milliers de livres aux innombrables pages pour expliquer qu’on ne pouvait connaître Dieu.

L’élégance a en effet quelque chose de divin : on la désire, la devine, la perçoit sans pour autant la connaître, ce qui est l’essence du divin. Pourtant, autant on est capable de reconnaître l’élégance, autant on est incapable de la définir. C’est d’autant plus vrai qu’aucun vêtement, aucun accessoire ne peut porter à lui seul la responsabilité de l’élégance qui consiste en une harmonie, une construction à laquelle doivent participer tous les éléments qui font dire d’une personne qu’elle est élégante. Une seule pièce inappropriée est capable de faire passer une tenue du divin au commun, ce qui fait de l’élégance un objectif aussi mystérieux, désirable que rarement atteint.

Cette abstraction pure, cet idéalisme esthétique mis en mouvement, ayant besoin d’un visage et d’un corps harmonieux pour lui donner vie et sens, c’est le but recherché par les créateurs de mode, tous mus par une philosophie et un objectif artistiques voulant élever les hommes et les femmes au rang de dieux.

Mais l’une des autres significations de l’élégance, plus personnelle, consiste en le bon goût d’une personne, lequel laisse deviner sa personnalité unique faite de connaissance souvent intuitive, de sensibilité particulière, de capacité à créer de la Beauté. Car dans l’élégance personnelle, ce n’est pas le créateur qui habille le mannequin et donne des directives concernant sa coiffure, son maquillage et ses bijoux. La personne élégante a elle-même construit sa beauté au moyen de vêtements, accessoires, coiffure, maquillage quand c’est une femme, sur la base de capacités que tout le monde n’a pas mais que tout le monde remarque.

L’élégance donne du prix à une personne même si celle-ci est par ailleurs pauvre, puisque le bon goût est une qualité intrinsèque qui n’a pas besoin de luxe pour s’exprimer. C’est comme une belle vitrine qui donne envie d’entrer dans un magasin et de découvrir les objets qu’il contient quitte à ce que ceux-ci soient sans intérêt. De la même façon, c’est l’apparence gracieuse d’un être qui semble promettre la beauté de son esprit, même si ce n’est qu’un leurre, l’élégance pouvant aussi bien être l’écrin magnifique de la plus vulgaire superficialité.

Et pourtant, la seule qualité d’être élégant peut également suffire en tant que manifestation réelle et tangible d’un état de grâce, d’une capacité à faire advenir la Beauté dans un monde contraint par la loi humaine de la nécessité. D’un seul coup, le besoin prosaïque de s’habiller plus ou moins chaudement selon le climat, à sa taille, de façon décente pour la société, etc; est éclipsé par la beauté, l’amour et l’art de le faire.

Et quand le style et les manières de Brummel faisaient seuls sa célébrité sous le nom de dandysme dans l’Europe du XIX ème siècle, de même que quand les rois de la sape magnifient par leur présence les rues boueuses des bidonvilles africains, on hésite toujours entre l’admiration et l’indignation. Pourtant, on finit par trancher en faveur de l’admiration, car les élégants, par leur présence, font s’unir le monde d’en Haut et le monde d’en Bas en une manifestation visuelle unique.

Grâce à eux, un peu de merveilleux pourtant accessible et public s’incarne dans le monde sensible pour transcender l’ordinaire.

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