Mois: octobre 2014

Désir et civilisation

Le désir est un des sentiments les plus ambivalents auxquels la civilisation ait à se confronter, et ce quelle que soit la civilisation.

Chez les Grecs, et d’abord pour Hésiode, Eros est un dieu primordial qui vient opposer au Chaos un ordre du monde qui lui permet d’être stable. Cette idée, on la retrouve chez Empédocle et sa loi aphrodisienne d’attirance et répulsion qui crée la cohérence de l’univers. Mais à l’inverse, plus tardivement, Eros, le désir, est devenu le petit dieu ailé, insolent, indiscipliné qui dicte sa loi au père des dieux lui-même et sème paradoxalement…le chaos.

Car le désir, c’est l’inattendu, la force qui fait agir hommes et femmes, leur fait construire ou détruire des vies, des enfants, des familles, des empires, même, comme le roi Edouard VIII qui abdiqua pour épouser Wallis Simpson.

Le désir est d’une telle puissance qu’il n’est pas une civilisation qui ne se soit méfiée de lui tout en reconnaissant qu’on ne peut faire sans. Et entre la tendance humaine à l’absolu apportée par l’intelligence et la tendance naturelle au désir de vivre imposé par l’espèce, les plateaux de la balance ne sont jamais vraiment parvenus à s’équilibrer. De la satisfaction de ses désirs prônée par Epicure à la maîtrise de ceux-ci par Platon, la philosophie grecque a pu affirmer une chose et son contraire.

En Orient, en revanche, rien ne vaut la maîtrise de soi et la paix de l’esprit. Chez les Hindous, il existe un dieu du désir, Kamâ, dont le Kamâsûtra tire son nom. Pourtant, le jour où Shiva s’éprend de son épouse Paravatî, il le fait sans l’aide du dieu du désir qu’il a pulvérisé de son 3 ème oeil pour avoir osé le perturber pendant sa méditation.

Ce mythe est très éclairant et la suite le confirme : il est du devoir de Shiva d’épouser Parvatî pour engendrer le chef de guerre des dieux, Skanda, destiné à les protéger. Le devoir ! Pas le désir. La maîtrise. Le dieu hindou se doit de dépasser tous les conditionnements imposés par la matière dont il n’est pas fait. Dans l’idéal, l’Homme devrait les dépasser aussi, et dépasser ce qui conditionne son espèce, cette espèce qui le rapproche de la bête et l’éloigne de Dieu.

Car le désir, c’est ça : cette puissance qui nous rappelle qu’à force de vouloir faire l’ange, on finit par faire la bête, cette bête que l’on est aussi et qu’on voudrait bien oublier.

Pire même, à force de vouloir faire l’ange, le Bouddhisme lui-même dut assouplir sa philosophie uniquement destinée aux vrais renonçants, et valoriser le mariage, la famille, au risque de voir chacun vouloir devenir moine ou nonne et voir s’éteindre du même coup, bien sûr, la doctrine. Le détachement absolu, ce n’est pas bon pour la natalité ni pour la diffusion de la doctrine qui serait morte en une génération si chacun avait suivi ses préceptes libérateurs. Sur le site Buddhachannel tv, on peut lire un article portant néanmoins ce titre révélateur de ce que le Bouddhisme du Petit Véhicule reflète : «  Procréer, c’est engendrer le dépérissement et la mort. »

Et c’est un peu la posture de toutes les religions à l’origine des civilisations : leur survie dépend beaucoup de ce démon logé au fond du corps qu’il faut tenter de canaliser, équilibrer pour l’empêcher de faire oublier Dieu.

Et puis, Freud est arrivé pour nous expliquer que le désir était à la base de la construction compliquée de notre psyché et nous a également appris que sa répression avait permis à l’Homme de créer la civilisation, mais que son passage dans l’inconscient faisait de nous des marionnettes qui pilotions en automatique.

Cette vérité sera reprise à son compte par son neveu Edward Bernays qui, sur la base des découvertes de Tonton, inventera la propagande moderne et le marketing – inspirant ironiquement Goebbels qu’on croit souvent être l’inventeur de la propagande -, n’hésitant pas à utiliser des images phalliques et user et abuser de ce démon controversé des religions dans le commerce pour nous faire consommer.

Et c’est pourquoi, à la télé, les femmes semblent avoir un orgasme quand elle goûtent un carré de chocolat ou une tasse de café, se caressent nues en mettant du gel douche dont les ventes vont sûrement exploser sans que soit intervenu l’entendement, le jugement critique, l’attention portée aux choses qui nous entourent et qui nous conditionnent.

Saisi par les ailes et mis en cage par le père de la psychanalyse, le bel Eros est désormais condamné à nous envoyer ses flèches par campagnes publicitaires, films ou musiques médiocres interposés pour un succès facilement assuré. Il fut un dieu, le voici désormais aussi esclave que nous.

Souviens-toi toujours que le désir est sacré pour lui rendre sa liberté et fonder la tienne.

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Pourquoi cherche-t-on à s’embellir ?

Nous ne sommes pas tous et toutes à égalité devant les pratiques esthétiques. Certains y sont très sensibles et d’autres pas du tout, certains peuvent avoir conscience des causes profondes qui leur donnent envie de se rendre plus beaux et d’autres l’ignorent totalement. Pour les hommes et les femmes, les problèmes ne sont pas les mêmes, et aujourd’hui, il ne sera question que de l’embellissement au féminin.

La pratique n’est pas taboue, elle est même extrêmement répandue mais il plane toujours sur elle une forme de culpabilité gênante et sourde qui nous vient du regard inquiet des parents sur le corps des jeunes filles devenant femmes et surtout de notre sévère culture du Livre qu’interroge toujours plus la rencontre avec quelque femme voilée : la mauvaise conscience féminine de vouloir plaire…

Mais qui sait à qui on veut plaire et pourquoi on veut plaire ?

Pour certaines, c’est avant tout à soi-même. En visitant la plupart des blogs de mode et de beauté où les filles jouent les mannequins, on ne voit que des personnes qui testent, s’amusent de vêtements, coiffures, maquillages et explorent par ce biais, tout en partageant leurs découvertes avec les copines, les différents styles possibles qui sont autant de créations de soi-même.

 » Tu te fais belle donc tu cherches à séduire. », disent les jaloux, les possessifs, les insécures et les soit-disant religieux.

Que voit-on dans les choses, les actes, les gens hormis les choses que l’on redoute ou que l’on désire ? Car peurs et désirs, constituant des obsessions, ont ce pouvoir d’envahir tout l’espace de la conscience. Comment alors ne pas les projeter sur le monde entier et surtout sur le corps et l’esprit de la femme ?

Pour autant, on peut effectivement vouloir s’embellir pour séduire, bien entendu, et c’est normal. Mais on peut aussi vouloir s’embellir pour sacraliser le jour – se faire belle lors d’un mariage, une fête, etc -, pour donner une bonne image de soi en entreprise, d’un produit qu’on crée ou représente. On peut aussi vouloir s’embellir parce qu’on sait le faire : les esthéticiennes, maquilleuses, stylistes, coiffeuses, etc. sont souvent soignées comme personne parce qu’elles en ont le savoir-faire devenu comme une seconde nature. On peut aussi vouloir s’embellir pour corriger un défaut qui a pris une place énorme dans la vie de celle qu’il empoisonne, qui le grossit mais qui ne peut s’en empêcher et qui en souffre. Maquiller, masquer une brûlure, une cicatrice, porter une perruque ou un foulard plutôt qu’un crâne rasé, ce sont des formes d’embellissement.

Or, dans les cultures religieuses hébraïques et musulmanes, porter foulard ou perruque pour une femme est symbole de vertu puisqu’elle cache ses cheveux. Mais si les cheveux de la femme n’ont rien d’attrayant et ne font rien pour sa beauté, n’est-ce pas un embellissement que de les couvrir ? Le prêt-à-juger, dans son absolu, peine à toucher du doigt la vérité, plus souvent multiple qu’unique…

Hormis pour tous ces cas particuliers, pourquoi veut-on s’embellir ?

On veut s’embellir parce que nous vivons en société, parce que la société décide de ce qui est beau ou non, de qui est beau ou non, parce que pour vivre en société, il faut être adapté, intégré, parce que vieillir est mal vu, parce que grossir est mal vu, s’habiller comme si ou comme ça est mal vu, bref, parce qu’il y a toujours quelqu’un pour regarder et juger comme un dictateur, sans s’occuper de finesse et d’objectivité ni accepter la liberté de l’autre. Une liberté qu’on peut considérer comme relative parce qu’elle est toujours conditionnée par un contexte social, mais c’est quand même un sentiment de liberté.

Et fondamentalement, pourquoi a-t-on toujours cherché à s’embellir ?

S’embellir, c’est tenter d’échapper aux contingences de ce que la nature nous impose pour nous créer un physique idéal, proche autrefois de ce que l’art avait fait naître dans les statues des déesses ou des photos retouchées des actrices et des mannequins d’aujourd’hui posant dans des tenues parfaites, sur lesquelles les hommes fantasment et que les femmes tentent d’imiter, faisant grimper les ventes de soutien-gorges push up et les crèmes décolorantes.

Oui, parce que s’embellir, c’est surtout ça : sauter très haut pour toucher Dieu et les étoiles et retomber très bas au sous-sol d’un centre commercial…

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Séduction, amour et folie

En cherchant le terme pin up sur Wikipédia, on trouve des articles connexes qui nous sont proposés comme à chaque fois : « playmate », « vamp », « femme fatale », « séduction », qui ne nous surprennent pas. Et puis un autre plus surprenant :  » trouble de la personnalité histrionique », appelé autrefois hystérie.

En effet, l’hystérique homme ou femme ne conçoit ses relations que dans la séduction, une séduction dont se nourrit le Moi perturbé pour éviter les angoisses. Sa séduction est physique et se voit au soin excessif apporté à sa personne, mais elle s’exerce pour mieux mettre une limite entre soi et l’autre. Bref, c’est un allumeur ou une allumeuse…

Chaque pathologie génère ou subit sa propre manière de séduire et d’aimer. On pourrait citer le cas des cyclothymiques qui développent un TOC de l’apparence non pour séduire mais par complexe, grossissement de leurs défauts, les femmes anorexiques ou les hommes souffrant du complexe d’Adonis ( appelés manorexiques dans le ELLE de cette semaine ) qui ne parviennent pas à se voir tels qu’ils sont et qui s’abîment toujours plus, l’une dans les régimes hypocaloriques, auxquels s’ajoute le développement de la musculature pour l’autre.

Car la séduction est d’abord un rapport de soi à soi : comment plaire à l’autre si on ne se plaît pas à soi-même ? Et sur quels critères pouvons-nous projeter l’image de notre beauté dans le regard de l’autre sinon par ceux que nous possédons ? La séduction commence à l’intérieur de notre esprit, quand Narcisse rencontre sa propre image et s’éprend de lui-même ou du moins, tente d’y parvenir, comme le fait une anorexique ou une victime du complexe d’Adonis, sans se rendre compte que c’est impossible. Vouloir plaire, c’est d’abord vouloir se plaire à soi-même sur des critères subjectifs, même s’ils se nourrissent de représentations communes dans la société.

Pareillement, le rapport au partenaire ne s’envisage pas de la même manière selon qu’on a affaire à un pervers narcissique qui séduit l’autre pour mieux l’écraser, une hystérique qui repoussera le désir après l’avoir provoqué, un bipolaire en phase maniaque dont la séduction extraordinaire débouchera sur une sexualité frénétique, voire à risque, la cyclothymique dont le choix de partenaire et de sexualité iront dans un sens souvent destructeur, etc.

Dans nos amours, ce sont des Moi que nous rencontrons, des Moi différents qui se sont construits selon des lois dont nous ignorons tout et qu’eux-mêmes ne maîtrisent souvent pas. Et ce sont nos Moi que nous y oppposons dans un choc des psychés qui se sont séduits avant même de se comprendre.

Derrière cette séduction, il y a toujours une raison. Pour les Anciens, Aphrodite en a donné l’ordre à son fils ailé, Eros. L’homme et la femme sont incomplets et chacune des parties de cet être qui ne faisait qu’un cherche à se rejoindre.

Oui, cela est vrai. Hors l’amour, nous sommes incomplets et au fil des années, ayons nous été appelés sains d’esprit, nous développons des pathologies car il est dans la nature essentielle du vivant de chercher à rejoindre l’autre, même si c’est de manière bancale, même si c’est au travers d’un psychisme blessé, aveugle ou construit de travers.

Et nous, quelle séduction pouvons-nous trouver à une personnalité histrionique, un dépressif, un pervers narcissique ou encore quelqu’un qui ne peut nous aimer comme un homosexuel quand on est une femme, un hétéro quand on est un homme, etc. ?

Chaque fois que nous aimons, nous tentons effectivement de rejoindre cette partie que nous ne possédons pas et qui nous fera atteindre un équilibre. C’est vrai des amours temporaires comme de l’amour de notre vie. Avez-vous remarqué comme bien après une relation qui s’est terminée, nous sommes capables de trouver des causes à notre amour dans la conjonction entre la personnalité de celui ou celle qu’on aimait et l’état de notre psychisme à ce moment-là ? Les amours-tampons ou les amours temporaires nous font parvenir à l’équilibre partiel d’un moment. Combien de fois avons-nous conclu ainsi le bilan de ces relations  par des :  » J’avais besoin de cette expérience. » ?

Et l’amour d’une vie ? On le partage avec l’être qui, psychiquement, répond intégralement à notre déséquilibre par le sien pour parvenir à un équilibre qui peut être heureux ou malheureux mais qui dans tous les cas ne s’atteint qu’à deux. Cet équilibre s’inscrit dans la durée car les points de jonctions sont plus nombreux.

Alors, oui, vraiment, l’amour est une folie !

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Recette aphrodisiaque : Beignets au lait d’Aphrodite

Dans son bel ouvrage Cinq mille ans de cuisine aphrodisiaque, Pino Correnti propose des recettes autour d’histoires d’amour célèbres du monde entier, de la Création du monde au sens où l’entendaient  les anciens Hébreux à nos jours. C’est un rêve, c’est un voyage poétique en cuisine, car les Grecs le savaient déjà et nous le savons tous, la sensualité, le fait de goûter, de se réjouir avec le palais a un lien avec l’érotisme, le fait de goûter avec le corps, goûter le corps de l’autre…

La recette qui suit a un lien avec Aphrodite, les roses, et n’aura pas, contrairement aux autres recettes aphrodisiaques données un peu partout, ce lien avec la science qui transforme l’amour en laboratoire de chimie. Car l’amour et le désir sont des aventures d’où la Beauté, le rêve et la poésie ne peuvent être exclus.

Exit donc les blouses blanches et les strictes compositions chimiques des aliments riches en ci ou riches en ça, bienvenue dans une cuisine symbolique où le miel s’accorde avec la rose et le lait pour nous rappeler la Déesse des amours, de la Beauté et de la douceur. Cette recette est dite authentiquement Grecque et ancienne par son auteur, et  » parvenue dans son intégralité ». Où la trouve-t-on, comment peut-on la retrouver, c’est ce qu’il ne dit pas.

N’importe, laissons-nous charmer…

«  Beignets au lait d’Aphrodite

Pour 4 personnes

– 1/2 litre de lait

– 2 oeufs

– 25 gr. de farine tamisée

– Huile d’olive

– 1 pincée de sel

– 1 pincée de poivre

– 50 gr. de miel liquide

– Les pétales d’une rose

– 50 gr. de pistaches

Hacher les pétales de rose et les laisser macérer dans le miel pendant 2 ou 3 jours.

Au bout de ce temps, battez le lait avec les oeufs et la farine en évitant les grumeaux. Tout en tournant, ajouter une cuillerée d’huile d’olive, 2 petites cuillérées de miel aux pétales de rose, le sel et le poivre.

Laisser reposer la pâte au frais pendant 30 minutes.

Pendant ce temps, éplucher et concasser les pistaches, les disposer dans une grande assiette et disposer le miel dans une autre.

Faire chauffer de l’huile dans une poêle et y mettre  la pâte à frire en petites crêpes fines. Lorsqu’elles sont bien dorées, les rouler, les passer dans le miel puis dans les pistaches.  »

Cela fait déjà rêver, non ?

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2300 ans de poèmes de femmes, de fleurs et de beauté

Femmes et fleurs sont rapprochées depuis longtemps dans la tradition poétique et littéraire en raison de leur beauté et du caractère éphémère de celles-ci. Il y a d’autres rapprochements entre elles dans la littérature ancienne, notamment à propos de la virginité. La libération du corps des femmes, longue à émerger, a malgré tout fini par avoir raison du mythe de la virginité, du moins dans la société occidentale. Ne reste alors plus que la vieillesse pour unir femmes et fleurs dans une même métaphore qui perdure.
Voici une généalogie – sommaire et donc incomplète malgré tout- de cette tradition très épicurienne et née en même temps que cette philosophie.
 » Si tu t’enorgueillis de ta beauté, considère avec quel éclat passager la rose fleurit. Elle se fane dans un instant, et soudain elle est confondue avec les choses les plus viles. Les fleurs et la beauté ont la même durée; le temps envieux les flétrit également. » Anthologie Théocrite, Bion, Moschus. III ème siècle av. J-C
– Ici le constat est sévère et cru : le vocabulaire péjoratif « enorgueillis », »les choses les plus viles », « flétrit ». Il y a autant de hargne que de poésie, les grecs anciens n’ayant jamais craint la brutalité. L’invitation épicurienne à jouir de la vie n’est pas présente et on sent quelque chose comme du ressentiment à l’égard d’une femme qui repousse un amant.

 » …Nous nous plaignons, nature, que la beauté des fleurs soit fugitive : les biens que tu nous montres, tu les ravis aussitôt. La durée d’un jour est la durée que vivent les roses : la puberté pour elle touche à la vieillesse qui les tue. Celle que l’étoile du matin a vue naître, à son retour le soir elle le voit flétrie. Mais tout est bien : car si elle doit périr en peu de jours, elle a des rejetons qui lui succèdent et prolongent sa vie. Jeune fille, cueille la rose, pendant que sa fleur est nouvelle et que nouvelle est ta jeunesse, et souviens-toi que ton âge est passager comme elle. » Ausone. IV après J-C.
– Ausone est un poète bordelais de langue latine aujourd’hui oublié. Ce morceau est extrait d’une poésie plus longue et plus naturaliste qui parle longuement de la rose. D’une manière générale, sa poésie est champêtre et s’intéresse donc beaucoup à la nature. L’invitation à « cueillir » est enfin présente : elle aura une longue lignée. Ici, et ce sera la seule fois dans l’histoire de ce motif littéraire, il y a un espoir dans la génération future :  » elle a des rejetons qui lui succèdent et prolongent sa vie ».

– Ce n’est pas ce motif qu’utiliseront ses imitateurs très connus de la Renaissance, Malherbe : «  Et rose elle a vécu ce que vivent les roses.. » qui exprimait le deuil d’une petite fille de 3 ans qui ne pouvait alors pas avoir eu de rejetons, et Ronsard, qui emploie ces vers et la métaphore de la rose flétrie pour inviter Cassandre à partager son amour avant qu’il ne soit trop tard :
« A Cassandre
Mignonne, allons voir si la rose
Qui ce matin avoit desclose
Sa robe de pourpre au Soleil,
A point perdu ceste vesprée
Les plis de sa robe pourprée,
Et son teint au vostre pareil.
Las ! voyez comme en peu d’espace,
Mignonne, elle a dessus la place
Las ! las ses beautez laissé cheoir !
Ô vrayment marastre Nature,
Puis qu’une telle fleur ne dure
Que du matin jusques au soir !
Donc, si vous me croyez, mignonne,
Tandis que vostre âge fleuronne
En sa plus verte nouveauté,
Cueillez, cueillez vostre jeunesse :
Comme à ceste fleur la vieillesse
Fera ternir vostre beauté. »
Ronsard 1545

– Enfin, Raymond Queneau, comme dans un de ces exercices de style, reprend le thème bien connu dans une chanson de 1947 pour Julienne Gréco, mêlant langage familier et descriptions peu flatteuses d’un siècle qui depuis peu manipule les images devenues fixes permettant d’avoir un recul et une image enfin précise du délabrement de la beauté féminine. L’invitation à cueillir les roses de la vie est la même que celle d’Ausone et de ceux qui le suivent, mais les Grecs anciens s’invitent dans cet hommage sous la forme de la brutalité du propos néanmoins réaliste.
« Si tu t’imagines
Si tu t’imagines
Fillette fillette
Si tu t’imagines
Xa va xa va xa
Va durer toujours
La saison des za
La saison des za
Saison des amours
Ce que tu te goures
Fillette fillette
Ce que tu te goures
Si tu crois petite
Si tu crois ah ah
Que ton teint de rose
Ta taille de guêpe
Tes mignons biceps
Tes ongles d’émail
Ta cuisse de nymphe
Et ton pied léger
Si tu crois xa va
Xa va xa va xa
Va durer toujours
Ce que tu te goures
Fillette fillette
Ce que tu te goures
Les beaux jours s’en vont
Les beaux jours de fête
Soleils et planètes
Tournent tous en rond
Mais toi ma petite
Tu marches tout droit
Vers sque tu vois pas
Très sournois s’approchent
La ride véloce
La pesante graisse
Le menton triplé
Le muscle avachi
Allons cueille cueille
Les roses les roses
Roses de la vie
Roses de la vie
Et que leurs pétales
Soient la mer étale
De tous les bonheurs
De tous les bonheurs
Allons cueille cueille
Si tu le fais pas
Ce que tu te goures
Fillette fillette
Ce que tu te goures »
Queneau.1947

Alors, à qui le tour ?