Spécificité du corps féminin, caractère sexuel secondaire qui, paradoxalement prend la première place par sa visibilité bien qu’il soit couvert, le sein, de toutes les manières qui lui sont possibles, occupe bien souvent l’espace principal du rapport homme-femme.
Les seins apparaissent chez la femme à la puberté, comme le reste des autres caractères sexuels secondaires, mais celui-ci, contrairement aux autres – les poils, qu’on peut épiler, les règles, qui ne se manifestent que 5 jours par mois – s’installe aussi bien dans la durée que dans la contrainte.
Car les seins paraissent libres, poussant comme ils le veulent, en taille, en forme, apparaissent selon des lois génétiques et hormonales se déclarant soudainement et évoluant selon des changements hormonaux ou relatifs à d’autres causes pas toujours identifiables et qui peuvent laisser perplexes. En bref, ils semblent mener leur propre vie sur le corps de la femme, comme ces parasites qui colonisent d’autres espèces pour pouvoir vivre, occasionnant parfois des gênes, des douleurs, et, parce qu’ils sont également une zone érogène, le plaisir et l’excitation.
Ils sont si contraignants, si envahissants, si puissants qu’ils exigent même un appareillage, un vêtement, qui leur est réservé pour pouvoir les dresser, les sangler et les contraindre à plus d’obéissance et de discrétion !
Mais ce ne sont pas les seuls problèmes qu’ils génèrent, car apparaissant à un âge où les idées de séduction, de désir et d’identité, commencent à émerger, ils ont le pouvoir d’occasionner bien des complexes selon qu’une jeune fille se voit dotée bien malgré elle d’une poitrine conforme à ce que les autres désirent ou non. Trop petite, on se moquera d’elle, trop grosse, on se moquera également d’elle et elle attirera bien souvent des comportements grossiers d’une violence d’autant moins certaine qu’elle se prétendra souvent involontaire. Un sein frôlé, n’est-ce pas un petit plaisir que certains s’offrent hypocritement, à peu de frais, se retranchant derrière l’accident ?
Ainsi, en plus d’être des parasites, les seins sont les éclaireurs à l’avant-poste de la vie sexuelle, laissant deviner sa part violente et pulsionnelle qu’il faudra cerner et maîtriser avant de pouvoir la vivre sereinement. Car les seins, de par leur position comme de leur fonction initiale destinée à nourrir l’être à qui on a donné la vie, nous projettent hors de nous-mêmes, dans cette arène désirante que constitue le monde.
Et dans ce monde d’hommes où la femme est l’objet du désir, les seins ont la première place, créant des inégalités entre celles qui en ont et celles qui n’en ont pas, celles qui en ont de gros, celles qui en ont de petits, celles qui sont inhibées, celles qui ne le sont pas, tournant la roue du destin dans un sens inattendu, révélant à certaines leur pouvoir, à d’autres qu’elles n’en ont pas, et donnent l’idée aux plus ambitieuses et limitées à leur enveloppe physique, d’en acquérir de plus gros. Comment s’en étonner quand certaines publicités pour la lingerie, entre autres, cachant le visage du mannequin et se focalisant sur la poitrine pour une meilleure identification, symbolisent à merveille le rapport que la société entretient vis-à-vis des femmes, c’est-à-dire avec leur corps plutôt qu’avec leur esprit, ce corps muet sur lequel projeter tous ses désirs ?
Cette réduction, assez courante pour finir par devenir inaperçue est donc logiquement autant ce qui aliène la femme au désir que ce par quoi elle va pouvoir manifester son pouvoir, sa colère et sa contestation dans la langue où on a le plus envie de l’entendre, c’est-à-dire l’exposition de son corps. En mai 68, les femmes brûlaient leur soutien-gorge dans un rituel destiné à brûler également toute entrave faisant de la femme un être aliéné. Dans les années 70, une femme se promenait dans les rues de Paris, les seins enfermés dans une boîte, proposant à des hommes inconnus de les caresser, montrant combien le corps de la femme était un objet. Seuls nos seins vous intéressent ? Et bien, c’est désormais eux qui parleront, semblent dire au monde les Femen, féministes activistes dont les seins sont les pancartes sur lesquelles elles inscrivent leurs revendications.
Ainsi, les seins, lieu de notre faiblesse et de notre aliénation, savent aussi devenir lieu de notre pouvoir et de notre révolte.
Ce pouvoir, c’est aussi celui de participer à la nature quand une femme décide d’allaiter ou de revendiquer sa liberté quand elle choisit à l’inverse de ne pas le faire, mais aussi de le faire en public, comme la nature le lui permet et comme la société ne l’accepte plus. Car à force de les avoir érotisés, exposés dans un but d’excitation purement sexuel depuis que la Renaissance a adopté le point de vue hédoniste des Grecs de l’Antiquité, les seins dénudés ne signifient plus désormais, dans nos vies où ils sont à vendre, ce don de l’amour et de la vie offerts à un nouvel être tel que le Moyen-Age en avait l’habitude dans les représentations de Vierge à l’enfant.
Logique alors qu’ils soient le lieu de tous les paradoxes, clivages, oppositions et révoltes. Les seins sont donc les contestataires qui remplissent nos soutien-gorge, des bombes sociales qui ne se désamorcent que dans la maturité de la relation apaisée d’une femme avec elle-même, dans toutes ses dimensions physiques et spirituelles – qu’elle peut découvrir parfois à la suite d’une ablation – mais aussi avec le monde, quand celui-ci accepte qu’elle soit aussi autre chose qu’une belle femme : une belle personne.
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Encore un bel article sur le sujet, je ne saurais être aussi éloquent que toi à décrire l’impact des seins sur notre société et sur la vie des femmes d’autant plus que je suis un homme. Mais justement c’est un des attributs qui attirent les hommes justement parce qu’il n’en a pas et que c’est quelque chose qui l’intrigue. Comme tu le disais c’est aussi un symbole maternel fort et de nouveau remis en cause de nos jours dans nos faits de sociétés ( de manière assez stupide , mais ce n’est la que mon avis, quoi de plus naturel qu’une femme qui donne le sein à son petit enfant?, mais bon). Bref pour en revenir à mon propos initial en voyant parfois quelques films loufoques et comiques ( principalement des comédies US) si un homme venait à se retrouver pendant un jour il se toucherait les seins très régulièrement certainement car objet de désir pour lui ( je m’excuse si je choque mais je pense ne pas me tromper la dessus) alors que pour vous ça fait partie naturellement de votre corps. Personnellement ça ne me viendrait pas à l’esprit de me toucher les fesses à longueur de journée et même les testicules (quoi certains le font mais bon peut être problème d’hygiène ou de virilité à affirmer?)
Comme tu le dis si bien dans ton article , les femmes sont jugées elles même par les autres femmes sur la taille des seins, leurs formes, etc… vous êtes déjà assez dures entre vous , sans en plus vous imposer les désirs cachés des hommes vers ces formes qui les intriguent…
j’avais lu il n’y a pas si longtemps de cela un article sur le fait des femmes à revendiquer de pouvoir circuler dans la rue torse nue comme certains hommes viennent à le faire , en quoi ça choquerait ? peut être sur l’esprit macho et pervers des hommes ? difficile à savoir mais est on prêt à cela de nos jours? j’ai des doutes…
Merci de ton article.
Quelqu’un m’a dit un jour qu’aux Pays-Bas, il avait vu une femme faire du vélo en soutien-gorge. Mais je crois que c’est la limite, et on la trouve plutôt dans des pays protestants. Il y a ce qu’on désire et il y a ce qui est possible. La sagesse est de faire coïncider les deux sans contrainte, juste par la raison. Après, rien n’interdit de rêver à un absolu dans lequel l’égalité serait possible, c’est clair.