Parmi les soins esthétiques associés à la femme, l’épilation occupe incontestablement la première place, surtout en terme d’érotisme. Première cause des rendez-vous chez l’esthéticienne, sujet trivial mais courant des conversations féminines décomplexées, sujet toujours actualisé des magazines et des blogs beauté, l’épilation trouve le moyen d’être une pratique à la fois plusieurs fois millénaires et suffisamment d’actualité pour continuer d’être soumise à la mode.
Pour autant, c’est une des seules pratiques esthétiques vécue comme une aliénation par les femmes au point que certaines stars entrent en résistance contre elle en exhibant une aisselle poilue, c’est-à-dire telle qu’elle devrait être en réalité.
Il est vrai que depuis l’histoire de la reine de Saba et de ses jambes polues épilées avant d’entrer au harem de Salomon, l’épilation a, dans la culture, tout du symbole de l’aliénation féminine. Pourtant, elle n’a pas toujours été associée au féminin puisque les premiers à l’avoir pratiquée étaient les prêtres égyptiens de l’Antiquité pour qui les poils, considérés comme des sécrétions – comme l’explique Plutarque dans son traité d’Isis et Osiris – étaient jugés impurs. La famille du pharaon, censée descendre des dieux, était soumise elle aussi aux mêmes contingences; or, les élites constituent toujours des modèles.
En Grèce ancienne, l’épilation était pratiquée pour renforcer le fossé idéologique qui existait entre le masculin et le féminin, déjà sensible dans les droits, les modes de vie, la liberté sexuelle, et qu’on marquait aussi dans la chair avec la pilosité, si l’âge ne s’en chargeait. Pierre Brûlé l’explique dans son étude Les sens du poil : à l’homme la virilité, la force, le sombre, et donc le poil; à la femme, au pré-pubère, la chair tendre, le clair, le lisse, le mou.
Dans les monothéismes, le poil n’est pas censé être proscrit car il est un don de Dieu. Les barbes fournies des religieux de toutes confessions attestent de cette fierté de porter le signe d’élection du Créateur. Mais tout n’est pas aussi simple : porter ses poils diffère d’une communauté à l’autre de façon à pouvoir se distinguer les uns des autres et reconnaître son clan. La barbe des musulmans se porte ainsi au sacrifice de leur moustache , qui pourrait les faire confondre avec d’autres porteurs de barbes déjà existants des autres religions.
Et la femme, dans tout ça ?
Ses poils aussi doivent être logiquement la marque de l’élection de Dieu. C’est vrai qu’il n’existe pas d’interdit sur ses poils : elle n’a ni le devoir de les garder, ni le devoir de les retirer. Dans ce cas, pourquoi la pression pour que le corps de la femme soit épilé perdure-t-elle ? implicitement, les religions le justifient ainsi : l’élu de Dieu, c’est l’homme car c’est lui qui a été créé par Dieu. La femme, sortie de sa côte, en est un sous-produit assujetti à lui. Alors, si l’homme veut que la femme soit épilée parce que son corps lui semble plus désirable ainsi, cela sera, puisqu’elle a été créée à partir de lui et pour lui, d’après le texte.
Si les poils des hommes apparaissent donc comme leur fierté, la preuve de leur création par Dieu, l’épilation apparaît donc aux femmes comme leur assujettissement aux règles voulues par l’homme, et ce d’autant plus sûrement que dans l’Antiquité, même au-delà des sexes, seul le citoyen – et donc adulte – de sexe masculin, pouvait exhiber ses cheveux librement et ses poils. Tous les autres, femmes, esclaves, étaient soumis dans leur apparence par le sacrifice de leur pilosité rendue aussi absente que celle des enfants, des mineurs auxquels on les rapprochait symboliquement autant que leur situation les rapprochait légalement.
L’épilation est également vécue comme une aliénation par la souffrance qu’elle inflige à celle qui la pratique, la souffrance s’apparentant souvent symboliquement à une punition. Si aujourd’hui les techniques d’épilation ne consistent plus, au prix de souffrances terribles, à brûler directement le poil de différentes manières – comme on voit Eros le faire à la lampe à huile dans la photo à la Une – il n’en reste pas moins que la pratique consiste toujours en une véritable agression pour la peau. Or, c’est une torture à laquelle la femme ne peut souvent pas échapper si elle veut vivre une vie sexuelle, l’image de son corps érotisé se représentant imberbe depuis des millénaires – même s’il y eut des périodes d’éclipse. La soumission de la femme à cette convention augmente d’ailleurs l’érotisme par le fait qu’elle ne peut exprimer plus clairement son envie de plaire et donc son désir.
Comment échapper à cette aliénation, alors ?
Comme on échappe à toutes les autres : soit en la repoussant fermement, par choix, soit en l’épousant complètement, en la faisant sienne. Vous aurez en effet beaucoup de mal à imposer à la société ces poils qui nous rapprochent naturellement de l’individu masculin de même espèce, même si nous savons tous qu’il en est pourtant ainsi. Le mieux à faire est peut-être d’apprendre à aimer cet état de fait en voyant dans cet héritage celui de la reine de Saba, la relique plusieurs fois millénaire d’une culture féminine que nous ne devons pas que subir, mais que nous devons d’abord choisir et construire.
Alors, certes, à l’heure des luttes pour l’égalité dont les frontières ont bien du mal à se définir, cette inégalité-là paraît bien archaïque. Mais Mao et les autres le savent bien, même s’ils le refusent : tout n’est pas politique, et surtout pas la séduction, l’amour et le désir.
( Photo centrale : Marina Razumovskaya sur le site www. lexpress.fr)
Le labo de Cléopâtre : Découvrir les encens de l’Antiquité
Cet article est la propriété du site Echodecythere. Il est interdit de le reproduire sans l’autorisation de son auteur.