Mois: octobre 2016

Epilation et symbolisme

Parmi les soins esthétiques associés à la femme, l’épilation occupe incontestablement la première place, surtout en terme d’érotisme. Première cause des rendez-vous chez l’esthéticienne, sujet trivial mais courant des conversations féminines décomplexées, sujet toujours actualisé des magazines et des blogs beauté, l’épilation trouve le moyen d’être une pratique à la fois plusieurs fois millénaires et suffisamment d’actualité pour continuer d’être soumise à la mode.

Pour autant, c’est une des seules pratiques esthétiques vécue comme une aliénation par les femmes au point que certaines stars entrent en résistance contre elle en exhibant une aisselle poilue, c’est-à-dire telle qu’elle devrait être en réalité.

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Il est vrai que depuis l’histoire de la reine de Saba et de ses jambes polues épilées avant d’entrer au harem de Salomon, l’épilation a, dans la culture, tout du symbole de l’aliénation féminine. Pourtant, elle n’a pas toujours été associée au féminin puisque les premiers à l’avoir pratiquée étaient les prêtres égyptiens de l’Antiquité pour qui les poils, considérés comme des sécrétions – comme l’explique Plutarque dans son traité d’Isis et Osiris – étaient jugés impurs. La famille du pharaon, censée descendre des dieux, était soumise elle aussi aux mêmes contingences; or, les élites constituent toujours des modèles.

En Grèce ancienne, l’épilation était pratiquée pour renforcer le fossé idéologique qui existait entre le masculin et le féminin, déjà sensible dans les droits, les modes de vie, la liberté sexuelle, et qu’on marquait aussi dans la chair avec la pilosité, si l’âge ne s’en chargeait. Pierre Brûlé l’explique dans son étude Les sens du poil : à l’homme la virilité, la force, le sombre, et donc le poil; à la femme, au pré-pubère, la chair tendre, le clair, le lisse, le mou.

Dans les monothéismes, le poil n’est pas censé être proscrit car il est un don de Dieu. Les barbes fournies des religieux de toutes confessions attestent de cette fierté de porter le signe d’élection du Créateur. Mais tout n’est pas aussi simple : porter ses poils diffère d’une communauté à l’autre de façon à pouvoir se distinguer les uns des autres et reconnaître son clan. La barbe des musulmans se porte ainsi au sacrifice de leur moustache , qui pourrait les faire confondre avec d’autres porteurs de barbes déjà existants des autres religions.

Et la femme, dans tout ça ?

Ses poils aussi doivent être logiquement la marque de l’élection de Dieu. C’est vrai qu’il n’existe pas d’interdit sur ses poils : elle n’a ni le devoir de les garder, ni le devoir de les retirer. Dans ce cas, pourquoi la pression pour que le corps de la femme soit épilé perdure-t-elle ? implicitement, les religions le justifient ainsi : l’élu de Dieu, c’est l’homme car c’est lui qui a été créé par Dieu. La femme, sortie de sa côte, en est un sous-produit assujetti à lui. Alors, si l’homme veut que la femme soit épilée parce que son corps lui semble plus désirable ainsi, cela sera, puisqu’elle a été créée à partir de lui et pour lui, d’après le texte.

Si les poils des hommes apparaissent donc comme leur fierté, la preuve de leur création par Dieu, l’épilation apparaît donc aux femmes comme leur assujettissement aux règles voulues par l’homme, et ce d’autant plus sûrement que dans l’Antiquité, même au-delà des sexes, seul le citoyen – et donc adulte – de sexe masculin, pouvait exhiber ses cheveux librement et ses poils. Tous les autres, femmes, esclaves, étaient soumis dans leur apparence par le sacrifice de leur pilosité rendue aussi absente que celle des enfants, des mineurs auxquels on les rapprochait symboliquement  autant que leur situation les rapprochait légalement.

L’épilation est également vécue comme une aliénation par la souffrance qu’elle inflige à celle qui la pratique, la souffrance s’apparentant souvent symboliquement à une punition. Si aujourd’hui les techniques d’épilation ne consistent plus, au prix de souffrances terribles, à brûler directement le poil de différentes manières – comme on voit Eros le faire à la lampe à huile dans la photo à la Une – il n’en reste pas moins que la pratique consiste toujours en une véritable agression pour la peau. Or, c’est une torture à laquelle la femme ne peut souvent pas échapper si elle veut vivre une vie sexuelle, l’image de son corps érotisé se représentant imberbe depuis des millénaires – même s’il y eut des périodes d’éclipse. La soumission de la femme à cette convention augmente d’ailleurs l’érotisme par le fait qu’elle ne peut exprimer plus clairement son envie de plaire et donc son désir.

Comment échapper à cette aliénation, alors ?

Comme on échappe à toutes les autres : soit en la repoussant fermement, par choix, soit en l’épousant complètement, en la faisant sienne. Vous aurez en effet beaucoup de mal à imposer à la société ces poils qui nous rapprochent naturellement de l’individu masculin de même espèce, même si nous savons tous qu’il en est pourtant ainsi. Le mieux à faire est peut-être d’apprendre à aimer cet état de fait en voyant dans cet héritage celui de la reine de Saba, la relique plusieurs fois millénaire d’une culture féminine que nous ne devons pas que subir, mais que nous devons d’abord choisir et construire.

Alors, certes, à l’heure des luttes pour l’égalité dont les frontières ont bien du mal à se définir, cette inégalité-là paraît bien archaïque. Mais Mao et les autres le savent bien, même s’ils le refusent : tout n’est pas politique, et surtout pas la séduction, l’amour et le désir.

( Photo centrale : Marina Razumovskaya sur le site www. lexpress.fr)

Le labo de Cléopâtre : Découvrir les encens de l’Antiquité

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Pouvoir et beauté

La beauté, valeur humaine et sociétale, a la particularité d’être mobile, fluctuante car dépendante du jugement humain, aussi souvent subjectif qu’arbitraire. Avec de telles caractéristiques dépendant plus du hasard que de règles objectives, on pourrait considérer qu’il est impossible de parler de beauté dans une perspective qui se voudrait universelle.

Pourtant, au-delà des règles complexes telles que la psychologie et la culture qui régissent des critères en matière de séduction, beauté et choix du partenaire, il en existe une qui est universelle et qui touche toutes les espèces : les lois de prééminence sociale, qui valent pour toutes les sociétés, de celle des abeilles à celle des singes et passant bien sûr par les sociétés humaines. D’après cette loi, les individus qui ont du pouvoir et du prestige ont également plus de puissance de séduction et d’attraction sexuelle. Un phénomène qu’on aurait tôt fait de confondre avec celui de l’attrait pour la fortune, certainement parce que dans les sociétés humaines, argent et pouvoir semblent se confondre, mais il n’en est rien.

Dans Le principe de Lucifer, son redoutable essai sur la violence comme pilier des sociétés et de la marche de l’histoire, Howard Bloom titre un de ses chapitres : »Mieux vaut être pauvre et avoir du prestige qu’être riche et en disgrâce.« . Dans toutes les sociétés humaines ou animales, c’est la préséance sociale qui compte et qui permet à un individu d’accroître son réseau de relations, sa durée de vie, la diffusion de ses gènes. Les nombreux scandales sexuels éclaboussant les stars et surtout les hommes politiques dont le physique ingrat nous pousse souvent à nous demander ce qu’on a pu leur trouver en témoignent largement. »Le pouvoir exerce une véritable fascination, mot qui vient de « fascinus » et signifie « sexe dressé« , explique dans un article Christophe Deloire, co-auteur du livre Sexus Politicus, ajoutant qu' »il y a de vraies pulsions envers ces figures paternelles, ces hommes tout-puissants. »

Certes, quand on parle de la sexualité débridée d’une star et surtout d’un homme politique commettant un adultère, un crime ou un délit, on braque le projecteur sur l’homme de pouvoir, seul à intéresser la presse, le grand public, sa famille et ses adversaires politiques, qui tous le connaissent. Mais que dirait ces inconnues, femmes anonymes et insignifiantes qui lui ont cédé ? Qu’il est un homme de pouvoir et que c’est une fierté de pouvoir l’inscrire à son tableau de chasse ? Plus probablement, elles lui ont trouvé toutes les qualités, l’ont trouvé beau, séduisant, irrésistible, et ce même si elles se sont leurrées elles-mêmes et qu’elles ont été le jouet de forces et d’illusions plus grandes qu’elles-mêmes et leur rêve de bonheur.

Une illusion qui n’est pas proprement féminine. Dans les Trois mousquetaires, Alexandre Dumas décrit ainsi Anne d’Autriche, reine de France et mère de Louis XIV : »..elle se trouvait dans tout l’éclat de sa beauté. Sa démarche était celle d’une reine ou d’une déesse; ses yeux, qui jetaient des reflets d’émeraude, étaient parfaitement beaux, et tout à la fois pleins de douceur et de majesté. (…) Sa peau était citée pour sa douceur et son velouté, sa main et ses bras étaient d’une beauté surprenante, et tous les poètes du temps les chantaient comme incomparables. Enfin, ses cheveux (…)encadraient admirablement son visage, auquel le censeur le plus rigide n’eût pu souhaiter qu’un peu moins de rouge, et le statuaire le plus exigeant qu’un peu plus de finesse dans le nez. »

La description d’Anne d’Autriche s’avère bien moins idéalisée quand c’est une aristocrate – contemporaine de la reine et dont la description a servi de modèle à celle de Dumas, madame de Mottevile – qui la fait. Certes, elle lui trouve de la beauté, mais son nez est clairement décrit comme gros et son teint, qu’elle néglige, ne l’embellit pas. Malgré cela, elle lui reconnaît des qualités, mais pas au point de la comparer à une déesse; peut-être parce qu’en plus d’être une femme, comme la reine de France, il y a moins de distance sociale entre elle et sa contemporaine qu’entre l’écrivain roturier du XIX ème et la souveraine du XVII ème.

D’ailleurs, la bourgeoise madame Bonacieux ne peut soutenir la comparaison : « C’était une charmante femme de 25 à 26 ans, brune avec des yeux bleus, ayant un nez légèrement retroussé, des dents admirables, un teint marbré de rose et d’opale. Là cependant s’arrêtaient les signes qui pouvaient la faire confondre avec une grande dame. Les mains étaient blanches, mais sans finesse; les pieds n’annonçaient pas la femme de qualité. Heureusement, d’Artagnan n’en était pas encore à se préoccuper de ces détails. »

Car qui aurait l’idée d’aimer une insignifiante lingère plutôt qu’une aristocrate ou une femme de pouvoir? Pas d’Artagnan, séduit plus tard par Milady, aventurière et dangereuse femme de main de Richelieu. Qu’on se rassure ! Notre héros aimera de nouveau madame Bonacieux une fois que la mort, peu soucieuse de préséance sociale, se sera chargée de l’anoblir…

Labo de Cléopâtre : Le khôl de Cléopâtre

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Le mystère de la reine de Saba

La reine de Saba est le seul personnage féminin de la tradition hébraïque à posséder une influence dans toutes les religions monothéistes qui en dérivent, et même au-delà. La première question qu’on peut peut-être se poser à son propos est : était-elle belle ? L’histoire et les contes de fées sont unanimes : si un personnage est une reine, c’est qu’elle était belle. Un roi peut ne pas faire parler de sa beauté voire, il peut très bien avoir été laid, mais une reine ne le peut pas. Et si elle n’était pas belle, les règles de prééminence sociale et la tradition se chargeaient d’arranger ça. Donc, elle était forcément belle. La tradition d’ailleurs le dit : elle était belle malgré ses jambes poilues.

Les personnages de la Torah ou l’Ancien Testament sont des références pour les autres religions, et les figures de Salomon, David, Jacob, Abraham, etc. courent d’un récit à l’autre des traditions juives, chrétiennes et musulmanes. C’est logique quand on sait que le monothéisme des Hébreux a constitué une révolution politique et religieuse telle que la grande aventure des civilisations semble y être intrinsèquement liée – même si c’est faux – et aujourd’hui plus que jamais. Ces figures sont toujours celles d’hommes qui ont fait directement alliance avec Dieu. Seule la reine de Saba, libre, a trouvé le moyen d’être une femme de pouvoir, païenne, sans époux connu,  et de venir éprouver la sagesse de Salomon comme peuvent le faire les sages, toujours masculins, bien entendu.

Ce statut exceptionnel – à l’inverse de toutes les figures féminines de l’époque et même postérieures – joue en faveur de son existence réelle, tout comme cette précision qu’elle était chargée d’encens destiné au roi, dont l’arbre, rare, ne poussait pas partout. Mais à part ça ?

A part ça, la seule information commune à toutes les traditions est que la reine de Saba est venue rendre visite au roi Salomon. Mais que faire de cette païenne qui gouverne alors qu’elle est une femme, qui ne semble pas avoir de mari pour la dominer, qui possède des richesses et qui se permet de se faire juge de la sagesse du roi qui a fait alliance avec le dieu unique ? Toutes les autres informations différent au point que chacun possède en réalité sa reine de Saba.

  • La Torah en fait une simple souveraine en visite qui repart chez elle chargée de cadeaux, convaincue de la sagesse du grand roi d’Israël. La tradition hébraïque plus tardive la ridiculise en lui attribuant du poil aux jambes – façon peut-être la plus probable de mettre l’accent sur son caractère non civilisé – qui fera sa particularité autant que son étrangeté. Une relation entre Salomon et la reine n’est pas évoquée.
  • Dans la tradition chrétienne, la reine de Saba, figure elle-même inattendue de la sagesse, prophétise la venue du Christ.
  • Dans la tradition musulmane, Balqîs, la reine de Saba, se fait épiler avant d’intégrer  le harem de Salomon par amour pour lui et de sa propre volonté en se convertissant à la religion d’Allah.

Un seul récit prend en compte les aspects marginaux de la situation de la reine, femme dans un monde patriarcal : celui de la tradition éthiopienne. Pour les Ethiopiens, en effet, la reine de Saba a une grande importance, car c’est de ce pays, où pousse l’arbre à encens, que cette reine mythique semble venir, après avoir sûrement émigré du Yémen – pays dans lequel le souvenir de la reine est également important.

Dans l’histoire de Bilqîs, Maneka, comme on l’appelle en Ethiopie, Salomon tend un piège à la reine pour coucher avec elle alors qu’elle s’était refusée à lui. De leur union naît un fils qu’elle élève seule en Ethiopie et qui y diffuse la religion de son père, celle du dieu unique. Ce roi, c’est Ménélik I er, fils illégitime d’un roi promis à la plus grande gloire, au nom et aux actions immortels, et d’une reine au nom tout aussi immortel mais au statut aussi glorieux et sacrifié que celui de l’Ethiopie dont le nom est lui aussi connu dans la mythologie grecque, qui fut un lieu spirituel très important de toutes les religions et qui est pourtant désormais ignoré. Son étonnante population juive à la peau noire – les Béta Israël – s’est vue tardivement reconnaître sa judéité malgré son judaïsme archaïque mais incontestable dont les traditions, presque primitives, remontent à l’Ancien Testament. D’après la tradition éthiopienne, c’est par la reine de Saba qu’a été transmise la religion de Moïse.

Si la reine de Saba n’était pas Ethiopienne, il est pourtant troublant de voir le destin et le prestige de ce pays ressembler à celui d’une femme, fût-elle reine : il a beau être ancien, prestigieux, beau, important historiquement et spirituellement, il semble ne valoir que par sa dépendance à de plus puissants et il a beau déployer toutes ses qualités, il reste majoritairement méconnu.

Une situation qui ressemble en effet à celle de cette reine mythique dont on sait qu’elle était prestigieuse mais dont on ignore pourquoi sauf au fait qu’elle paraisse dans les textes religieux des grands monothéismes.

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(Photo à la Une : vitrail représentant la reine de Saba offrant des présents à Salomon. Sa couleur bleue la distingue des autres personnages. Au Moyen-Age, on la considérait déjà comme une femme noire. Musée de l’oeuvre Notre-Dame de Strasbourg. Photo de fin d’article : femmes juives originaires d’Ethiopie vivant en Israël. Ricki Rosen)

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