inégalités hommes et femmes

Aphrodite et la prison de la frivolité

Un passage de la mythologie raconte une anecdote à propos de la déesse de l’Amour et de la Beauté. Un jour, celle-ci essaya le travail et se mit à la tapisserie. Scandalisée, Athéna alla se plaindre à son père Zeus. Elle était la déesse associée aux travaux d’aiguille – travail malgré tout essentiellement féminin – et il n’était pas question qu’Aphrodite empiète sur son domaine. Zeus donna raison à Athéna, et on ne vit plus jamais Aphrodite faire quoi que ce soit de ses mains qui ressemblait à du travail.

Le récit mythologique répartissait donc ainsi les rôles, entre la femme qui est belle et sert à embellir le monde en obéissant strictement aux règles définissant sa place – « Souris sur les photos », « Tu es tellement plus belle quand tu souris »-, et celle qui fait, agit au risque de faire peur au monde, de la priver de sexualité et de risquer d’être considérée comme marginale dans la société.

En grandissant, quand apparaissent les caractères sexuels secondaires, ce choix se présente à toute jeune fille qu’on trouve assez désirable pour la pousser à la sexualité. Que sera-t-elle ? Belle, frivole, et agréable à fréquenter, ou studieuse, ambitieuse et donc non disposée pour l’homme qui pourrait la désirer ?

C’est l’histoire d’une jeune fille qui ne se trouvait pas très jolie et qui regardait avec envie et jalousie la plus jolie fille de sa classe après qui tous les garçons couraient. Elle ne voulait pas spécialement qu’on lui courre après, mais elle voulait juste parfois avoir l’impression d’exister dans une société où il y a le sexe fort et où sa façon de représenter le sexe faible ne correspond pas à l’image qu’on désire en avoir.

Dans son traité sur l’éducation, Rousseau dit en 1762 : « Toute l’éducation des femmes doit être relative aux hommes. Leur plaire, leur être utiles, se faire aimer et honorer d’eux, les élever jeunes, les soigner grands, les consoler, leur rendre la vie agréable et douce. »

Le doux contre le fort, le sexe fort, qui agit, le sexe faible – aussi appelé beau sexe, en référence à la beauté qu’on associe au féminin et à la force, qu’on associe au masculin – qui grandit à l’ombre des tentations qui la feraient passer du côté des femmes qu’on dit paradoxalement « libres », c’est-à-dire les prostituées, qui seules, avaient le droit d’avoir de l’argent bien à elles.

Si cette vision de la femme est très associée dans notre imaginaire aux religions monothéistes, les mythes grecs ne laissent pas de place au doute quant aux rôles bien définis des uns et des autres Olympiens selon leur sexe : ceux qui agissent et décident sont masculins (Zeus, Poséidon, Hadès, Hermès, Apollon…), sont féminins ceux qui subissent (Perséphone, Héra, Aphrodite) ou qui s’écartent du jeu matrimonial ou sexuel pour ne pas subir (Athéna, Artémis).

Le monde d’Aphrodite – plus qu’aucune autre – c’est effectivement l’empire statique de la frivolité. Tout comme les textes anciens nous décrivent longuement la déesse de la Beauté qui, éprise d’Anchise, met ses plus beaux vêtements et bijoux, pour aller à sa rencontre, le cinéma, les réseaux sociaux, les clips musicaux sont pleins d’images de femmes et filles qui, apprêtées, maquillées, sur-sexualisées et esthétisées, semblent prêtes à se perdre dans leur propre image d’elle-même et le désir qu’elles inspirent.

C’est l’histoire d’une fille qui fait de l’art avec ses mains et le diffuse sur les réseaux sociaux pour ne gagner qu’une dizaine de like quand une autre en gagne près de 200 avec juste une photo d’elle en décolleté ou en tenue sexy. A cette dernière – celle qui fait ce qu’on désire d’elle – la plus grande distribution de dopamine !

Cette façon de voir le monde entre masculin et féminin perdure partout dans le monde – et même chez ceux qui se croient assez intelligents pour y échapper – lui assurant une stabilité rassurante pour les uns plus que pour les autres, mais malgré tout plusieurs fois millénaire.

Tant que tu es jeune et belle, séduis ! Tiens le rôle qu’on donne à la femme par excellence, puisque tu es née femme ! « Quand vous serez bien vieille, Hélène, assise au coin du feu (…)Ronsard me célébrait du temps que j’étais belle… » Hélène a eu l’audace de ne pas faire ce que Ronsard attendait d’elle. Elle ne profitera pas du plaisir et des honneurs qui ne reviendraient de toute façon qu’à lui, de qui on admet la sexualité libre et la conquête, quand on la condamnerait chez elle.

Aux femmes le monde du maquillage, de la mode, de la beauté et de la frivolité ? En fait, non. Aux uns et aux autres le monde et la place que la société et les proches acceptent de leur céder et leur reconnaît, en fonction de leurs croyances, leur culture et leur ouverture d’esprit.

La mythologie raconte aussi qu’Héphaïstos avait décidé de piéger Aphrodite et son amant Arès pour exposer aux Olympiens leur culpabilité et l’adultère de la déesse. Un filet tomba donc sur eux quand ils étaient au lit et exposa aux autres dieux leur nudité. Une ruse qui ne profita pas à Héphaïstos car la plupart des dieux envièrent Arès et eurent une aventure avec Aphrodite, flattée et reconnaissante de leur admiration. La déesse eut ainsi des enfants avec chacun, lui assurant une descendance assurée et nombreuse dans le monde des dieux. Les déesses, qui avaient aussi été invitées au spectacle, refusèrent, par pudeur. Chastes déesses, sans descendance autre que leur nom immortel…

A se demander pourquoi, avec autant de succès dans le monde qui lui a toujours reconnu sa place de déesse dont la beauté suffit à justifier son existence et l’immortalité de son nom et son image, elle éprouva le désir de faire autre chose que paraître pour se mettre à travailler de ses mains…

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Quelle déesse êtes-vous ?

Non, ce n’est pas un titre destiné à flatter votre ego ou un énième test de la presse féminine.

L’importance des mythes dans la structure de notre personnalité comme construction à la fois individuelle et inconsciemment collective a été soulignée par les psychanalystes – au premier rang desquels Freud – et les philosophes, qui ont puisé des ressources pour révéler certains complexes, archétypes ou problèmes psychologiques – complexe d’Oedipe, d’Electre, syndrome de Cassandre, etc..-

Des problèmes de construction identitaire qui paraissent universels, tant on peut les généraliser, et qui pourtant s’avèrent en réalité civilisationnels. Si bien qu’au Japon, le complexe d’Oedipe n’existe pas et essayer de le traiter est inutile, mais qu’on y trouvera le complexe d’Amaterasu, leur déesse du soleil. Et pour cause..

Dans le Sciences et Avenir consacré il y a quelques années aux mythes, on apprenait que l’informatique, mise au service de l’anthropologie, avait révélé une trame commune à beaucoup d’entre eux, à partir d’un récit initial plus ancien que l’invention de l’écriture. De ce récit initial, des variantes découlaient au fil des grandes migrations humaines. Nos mythes sont ainsi notre mémoire collective en même temps que notre socle identitaire à  la fois commun et variant.

Une donnée que nous voulons oublier et dépasser dans une société moderne qui ne croit plus aux mythes. Pourtant, nous gardons la même structure que nous n’avons pas réussi à dépasser même en passant par le monothéisme. Logique quand on sait qu’en tant que récit, il est uniquement dévolu à une seule cause : la révélation et reconnaissance du Dieu unique par les prophètes, saints, et figures ancestrales.

Pourtant, comme l’Inde traditionnelle considère la période de vie sociale d’un homme en fonction des doshas ( terre – apprentissage – Feu – vie active – air – détachement et vie spirituelle ), l’Europe occidentale a pu avoir sa période de vie sociale féminine dominée par ses déesses emblématiques qui en sont les archétypes.

  • Artémis, l’enfance indomptable

Quand les jeunes filles grecques allaient se marier, elles sacrifiaient d’abord leurs jouets à Artémis en signe de renoncement à leur enfance, leur nature sauvage et leur virginité. Artémis n’était en effet pas qu’une déesse chasseresse : elle avait surtout fait le voeu de rester vierge, de vivre à l’écart, dans la forêt, entourée de jeunes filles comme elle. Artémis, c’est une sauvage, une fille indisciplinée qui a refusé le joug de la société et les lois sociales qui lui imposent de prendre sa place. Elle va rester éternellement et volontairement une jeune fille refusant de quitter son aire de jeux.

Mais si la jeune chasseresse reste indocile par nature divine, ses compagnes ne sont pas aussi bien protégées, notamment contre l’Amour et le désir des hommes qui représentent le plus grand danger et ce qui provoque le plus la colère de la soeur d’Apollon. Artémis, c’est donc la petite fille ou la jeune fille, non encore opprimée par les obligations sexuelles et sociales, celle qui, dans la cour de l’école ne fréquente pas les garçons, car de toute façon, elle ne les aime pas., et qui, lorsqu’elle rentre de l’école fait le récit, agacée, de toutes les bêtises dont ils sont capables.

  • Aphrodite, l’âge de la sexualité

Aphrodite était autant la déesse de  l’Amour, du désir, de la séduction, de la sexualité que de la prostitution. A partir du moment où on entre dans le domaine de la séduction et de l’attirance sexuelle, on est sous la domination d’Aphrodite. Dans le cadre normé de la vie d’une fille de citoyen, la sexualité féminine n’était concevable que dans le cadre du mariage. C’est pourquoi la déesse de l’Amour est également associée à ce rite de passage fondamental dans la vie d’une femme de bonne famille. Mais pour ses aspects amoureux et sexuels uniquement : « les travaux d’Aphrodite » comme disait Hésiode.

Sappho, bien connue pour ses poèmes d’amour lesbiens, était éducatrice pour jeunes filles de l’aristocratie, qu’elle préparait au mariage. Cette institution était sous le patronage d’Aphrodite, également déesse de prédilection de Sappho qui n’a malgré tout laissé aucun écrit sur la nature de l’enseignement qui s’y déroulait, mais qui était destiné à préparer les jeunes filles à leur future vie d’épouse. Aphrodite, c’est la femme dans tout son pouvoir de séduction.

  • Héra, la matrone dans un monde inégal

On a souvent moqué Héra pour sa jalousie. Elle est l’archétype de la femme mariée, mère de famille, qu’on dira respectée, qu’on envie pour sa situation élevée dans la société, mais qui va malgré tout souffrir des infidélités de son mari qui la ridiculisent et mettent l’accent sur sa perte de séduction. Une caricature, Héra ? Malheureusement, presque une obligation dans un monde de rivalité sexuelle et sociale où, même quand la femme est puissante, voire, la mère des dieux, elle ne peut, contrairement à son mari, jouir de la liberté de son corps, de ses activités, de sa libre circulation.

Finalement, ce qui lui est reconnu, c’est le droit d’être jalouse et mécontente. Et de fait, Zeus le lui reconnaît comme un droit.  Il ne frappe pas sa femme, ne la brutalise pas, lui reconnaît son rôle et tente de lui cacher ses amantes sans jamais tenter de la détrôner au profit de l’une d’entre elles. Coincée dans une vie qu’elle sait être aisée et opulente, le statut le plus élevé parmi celui des femmes, Héra est la femme qui a réussi dans le cadre normé de la société patriarcale, mais malheureuse des inégalités qu’elle doit subir pour y avoir droit.

Finalement, il n’existe d’archétype, de déesse ou femme mythique que dans le cadre d’une société qui les a fait apparaître par ses règles. Une fille trop jeune pour subir les lois sociales, qui découvre son pouvoir de séduction et la sexualité avant de subir des devoirs plus que des droits, voici l’histoire des femmes occidentales dans la norme.

Bien sûr, d’autres figures apparaîtront, que nous connaissons toujours : Athéna, l’intellectuelle ou femme de pouvoir qui ne veut pas se marier, seul moyen, selon elle, de pouvoir réaliser ses ambitions, Cérès, qui, mère célibataire, vit plus durement que si elle avait été entourée ou avait eu plus d’enfants, la disparition de sa fille unique, etc.

Dernier article du Labo : Le cérat

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Aphrodite a-t-elle des porcs à balancer ?

Mon petit blog qui réfléchit la beauté, la séduction et les rapports hommes-femmes pouvait-il faire l’impasse sur les mouvements de société ? D’une manière ou d’une autre, il ne s’est jamais privé, même basé sur la culture classique, de réfléchir sur les faits de société. Il n’est pas une seule histoire, un seul mouvement culturel ancien qui dure sans un message d’actualité.

Quand on regarde la déesse Aphrodite et ce qu’elle représente, personne ne ressent l’incongruité, l’exagération, la fausseté d’un personnage mais, sans croire forcément à la déesse, chacun au contraire, reconnaît la force et la pertinence de cet archétype dans sa propre culture. Notre attirance et notre déférence viennent de là, et il y a de l’Aphrodite en certaines d’entre nous plus qu’en certaines autres.

L’affaire Weinstein – qui a éclaté à l’instigation du fils de Woody Allen – scandalisé par son père qui avait trompé sa mère avec sa fille adoptive encore mineure – a éclairé plus que jamais la violence  sexuelle persistante entre hommes et femmes dans le monde apparent d’égalité de l’Etat de droits. Les chiffres officiels oscillant d’1 femme sur 2 à 1 sur 3 ayant subi des violences sexuelles raconte plus une histoire de droits bafoués que respectés.

Mais l’affaire Weinstein, c’est aussi la culture populaire, les films que vous connaissez depuis toujours, les actrices que vous avez aimées et le prix qu’elles ont payé pour avoir ce droit-là. De fait, c’est l’histoire de chaque femme, parce qu’on ne va pas vous faire croire que les inégalités hommes-femmes et les violences se sont mises à apparaître soudainement. Et pourtant, tout d’un coup, une prise de conscience qui éclate comme un coup de tonnerre déchaîne les angoisses d’une purge comme à l’époque de la Révolution culturelle, de part et d’autre des camps représentés. Car si Joey Star craint que cela dérive en purge d’après guerre, une mère de famille anglaise refuse qu’on enseigne à son enfant la Belle au bois dormant parce que le baiser n’est pas consenti.

La mythologie tout entière est pleine des viols des dieux sur les déesses, les nymphes et surtout les mortelles. Partout, les bâtards de Zeus, nommés des Héros, ont fondé de nouvelles dynasties sur le viol de leurs mères, Io, Europe, Sémélé, etc. On pourrait se dire qu’on ne connaissait pas d’autre méthode à l’époque…Pourtant, Homère raconte comment Héra a revêtu la ceinture d’Aphrodite et séduit Zeus pour l’éloigner du combat qui se jouait entre Troyens et Achéens. Le père des dieux leur fait apparaître alors un nid d’amour. Aphrodite, allant séduire Anchise dont elle est amoureuse, s’organise une belle nuit d’amour, tout comme Athéna l’offre à Ulysse et Pénéloppe en faisant prolonger la nuit lors du retour du héros après vingt ans d’absence.

Aphrodite, déesse de l’Amour et des rapports sexuels, a elle a aussi été outragée, et bien qu’on l’ait souvent représentée nue, l’a d’abord été dans des postures pudiques et a plutôt été connue habillée pour les Anciens. Déesse à la sexualité facile, elle n’en était pas pour autant une déesse objet mais était seule, parmi toutes les autres, à abandonner son corps au gré de sa passion et de ses inclinations. En somme, Aphrodite ressemble trait pour trait à la femme contemporaine car elle seule avait, par droit exclusif et divin, la liberté amoureuse et sexuelle.

Les violences sexuelles faites aux femmes s’inscrivent dans l’histoire de toutes les autres inégalités, celles faites aux enfants, de la loi du plus fort sur le plus faible et qu’on retrouve depuis la nuit des temps et à tous les stades de la société. Ce sont des violences qui fonctionnent aussi grâce à un réseau de complicités aux raisons variées : habitude, peur, loi du silence, intérêt quelconque et personnel à protéger le coupable, misogynie revancharde. Il n’est pas étonnant que ce soit un homme déjà traumatisé par une situation semblable dans son histoire personnelle qui ait fait éclater l’affaire plutôt qu’une femme qu’on se serait soudain mis à écouter.

Car quand on est un peu honnête : j’ai un porc à balancer, moi, ma mère, ma fille, des femmes dont j’ai entendu parler, parfois au sein de leur propre famille, plusieurs amies. Remontez les histoires de femmes que vous connaissez ; est-ce que vous n’arrivez pas à peu près au même nombre ? Et si on comptait les femmes, enlevées et violées dans la mythologie, combien en trouverait-on ?

Si un problème de société n’a pas changé depuis l’apparition de la littérature, il y a bientôt trois millénaires, c’est que les conditions de sa longévité sont dans la culture elle-même. Et c’est par la culture qu’il va falloir désormais les affronter et cesser de leur donner une place négligeable, un motif parmi tant d’autres car faisant partie de notre fond culturel. Certaines choses faisant partie de notre fond culturel font partie de notre passé : si on parvient à imposer les conditions de la laïcité au point que les enfants ne connaissent plus les noms des saints, des anges, les symboles chrétiens, comment ne pas être à même d’imposer les conditions du respect et de l’égalité dans les rapports entre les sexes ?

Ayant étudié la littérature, que dois-je vous dire de la place qu’y occupaient les femmes, à part celle que leur donnait la société ajoutée à celle que leur donnait l’écrivain qui, ayant le pouvoir des mots qui vont compter, a le pouvoir sur la mémoire d’une langue ? Ce mélange d’évolution lente et de hasard est la matière même de l’Histoire, avec sa grande hache. Une histoire à laquelle tout le monde a participé. On sort maintenant, après l’avoir interdit, une édition commentée de Mein Kampf pour que son poison ne se répande pas dans les consciences, par le biais d’un sage recul et de l’intervention de savants.

C’est Aphrodite qui vous le dit : Oui, la langue et la culture sont les reflets d’une histoire, d’une époque, les éradiquer, censurer ou travestir est ridicule, tyrannique et mensonger. Mais quand ça vous a arrangé, vous avez su faire des choix pour vous donner les moyens du changement. Un jour, vous devrez aussi vous pencher sur l’image que la culture a renvoyée de nous, les femmes, et devrez faire de ce problème une vraie discipline ou un vrai sujet de sciences humaines, si vous voulez avoir l’air d’instaurer l’égalité à laquelle vous semblez prétendre. Sinon, quelqu’un risque de vous en demander des comptes, et comme souvent quand il est un peu tard, ça ne se fera pas forcément de façon paisible et raisonnable pour tous.

Soyez sourde à toute récupération politique, si vous avez une histoire personnelle lourde que vous voulez partager pour vous enlever un fardeau et ne pas vous sentir seule, allez ici : Balance ton porc

Nouvel article Labo de Cléopâtre : Brûle-parfum de l’Antiquité

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Sexualité : représentation et inégalités

Il y a peu, la lecture d’un article en ligne des Inrockuptibles répondait à une question triviale qu’on a pourtant beaucoup entendu poser : « Pourquoi les hommes nus représentés sur les statues gréco-romaines ont-ils de si petits sexes ? » C’est peut-être d’autant plus sensible que les hommes représentés ont une musculature puissante et que les statues gréco-romaines restent inégalées dans leur perfection.

L’article expliquait que pour la civilisation gréco-romaine, un grand sexe était la marque d’un homme bestial, non civilisé et peu spirituel. Dans notre société, à l’inverse, la taille est une obsession ou un complexe contre lequel il faut toujours lutter. Et face aux représentations de la pornographie industrielle et comparées aux fantasmes occidentaux, les petites bites des oeuvres d’art antiques prêtent à sourire.

Pourtant, beaucoup de représentations artistiques gréco-romaines montrent facilement des hommes à sexes dressés et proéminents. Personnages ithyphalliques, amphores aux phallus dressés, représentations de faunes et de satyres, les images montrent des sexes propres à nous faire rougir comme nous le souhaitions.

Pourtant, c’est vrai que ce sont des images qui n’ont pas grand-chose à voir avec la dignité olympienne et les représentations de l’élite sociale. On ne trouvera pas de héros ou de dieu en érection ou en plein acte sexuel. C’est réservé à des divinités inférieures, liées à la Nature, au culte de la Fertilité, ces histoires où les Satyres passent leur temps à violer les Nymphes. Chez les Hommes, même chose : il nous reste de nombreuses représentations antiques de scènes pornographiques dans lesquelles peuvent se mêler fantasmes et violence et où la vulgarité prévaut.

Héritiers de cette culture, nous avons nous aussi une scission entre la vie sociale ordinaire où les représentations dignes et vertueuses sont la norme tandis que la représentation de la sexualité, violente, bestiale, et sur-fantasmée où l’autre doit être traité en objet pour mieux en jouir se sur-consomme en secret de façon massive et banalisée.

Dans l’Antiquité, justement, on distinguait, comme la religion l’a fait de façon beaucoup plus stricte, le sexe pour se reproduire et le sexe pour le plaisir. L’article citait même le cas d’un Romain condamné pour avoir trop aimé le corps de sa femme ! Faire l’amour à sa femme autrement que pour lui faire des enfants, précisait l’article, c’était la considérer comme une esclave. En soi, le sexe pour le plaisir était déjà considéré comme dégradant pour la femme libre, la citoyenne qui n’avait pas à subir la lubricité -considérée malgré tout comme naturelle – de son mari.

Le sexe pour le plaisir est donc déjà l’apanage de l’homme, la violence qu’il fait subir à la femme, raison pour laquelle il doit aller voir les prostituées qui, non libres, n’avaient pas à mériter le respect. A cette époque où il était courant de mourir en couches, éviter les rapports sexuels à répétition pouvait en effet augmenter l’espérance de vie.

Et les autres femmes, ne méritaient-elles pas de rester en vie ? A l’arrivée du Christianisme, religion d’esclaves, la question ne se pose plus. C’est d’autant plus vrai que les saints des premiers siècles étaient souvent mariés tout en vivant chastement une fois devenus chrétiens, les gens spirituels et tournés vers Dieu n’ayant pas à être préoccupés de sexualité.

Dans la spiritualité asiatique, c’est la même problématique : le sexe enchaîne à la terre, rabaisse et ne permet pas de s’élever. Dans le film indien Fire, qui traite de l’homosexualité féminine des épouses délaissées, une des femmes subit depuis 13 ans la chasteté égoïste d’un mari dont l’ambition est l’élévation spirituelle, avant de trouver l’amour auprès d’une autre épouse délaissée.

Car d’une culture à l’autre, c’est souvent la même histoire : les femmes subissent depuis des millénaires, des schémas culturels desquels elle est plutôt exclue et d’où forcément, elle a du mal à s’épanouir, demander, être exigeante et prendre place dans sa propre sexualité, au point qu’on considère que 40 ans est l’âge auquel une femme parvient enfin à l’épanouissement sexuel.

Un problème d’inégalité que les Occidentaux pensent parfois équilibrer avec des pratiques sexuelles issues du Tantrisme de la main gauche dans lesquelles l’homme donne du plaisir à la femme sans s’abandonner au sien pour devenir immortel. Dans la tradition des yogi, on estime en effet que l’émission du sperme rend mortel et conduit à la mort. Les femmes, bien entendu, sont encore et toujours absentes du véritable objectif convoité – l’immortalité – tout en en étant le moyen.

Avec de telles inégalités dans les manières de concevoir la relation à l’autre dans les différentes cultures, comment s’étonner que le chemin de l’épanouissement sexuel soit parfois si long pour une femme et doive souvent passer par l’avilissement ou au contraire une agressivité qui n’est pas plus souhaitable.

Tant qu’il s’agira toujours, dans la sexualité comme dans la relation, de prendre quelque chose à l’autre, il sera vain d’espérer l’égalité à une échelle plus large.

Nouvel article Labo de Cléopâtre : Phénix et parfums

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Les libertins et l’oubli

Le libertin d’aujourd’hui est celui qui a des « moeurs dissolues et très libres », nous dit le dictionnaire, et si on fait une demande aux moteurs de recherche, ils nous proposent volontiers des adresses de clubs échangistes.On se rappelle tous de la chanson de Milène Farmer, et plus encore du film de Laurent Boutonnat qui mettait en scène la chanson : «  Je suis libertine, je suis une catin. » Quelle excitation autour de ce concept de « libertin » et quelle masse de fantasmes ! Pourtant, les libertins ont une histoire passionnante souvent oubliée, qui a commencé par la sagesse avant de finir exclusivement dans les plus ennuyeux « lieux de plaisir ».

En effet, les libertins, ce sont d’abord des affranchis au sens d’esclaves qu’on a libérés. Au XVI ème siècle, en Occident, les découvertes de Copernic et Gallilée, entre autres et la redécouverte des auteurs grecs censurés par L’Eglise, au point d’avoir disparu de la culture européenne, constituent un électrochoc pour les penseurs qui ont alors rendez-vous avec un monde dans lequel la Terre est ronde, tourne sur elle-même, et où les Anciens ont théorisé sur la nécessité du bonheur individuel dans ce court laps de temps qu’est la vie. A côté d’un discours religieux qui impose la Terre plate du système antique de Ptolémée et où l’Homme doit chercher le Salut dans une vie considérée comme un enfer à subir avant la libération par la mort et l’attente du Jugement Dernier, quelle différence !

Les intellectuels qui militent pour une liberté de penser, de juger et de faire des choix en dehors de l’Eglise, on les appelle les Libertins. Ils continueront leur nécessaire action au XVII ème siècle, risquant autant leur vie et la condamnation de leurs écrits que les scientifiques de cette époque remettant en cause les Ecritures. En ce sens, ils sont les précurseurs des Lumières et ont trouvé leur inspiration notamment chez Epicure, qui nous conseille de jouir de la vie. Jouir de la vie, pour les adeptes de la réduction, cela veut dire jouir tout court. Là aussi, beaucoup oublient qu’Epicure a recommandé de jouir de la vie et des bonnes choses quand on en a (facile !), mais aussi des choses insipides, et même, s’il le faut, de notre propre dénuement !

On comprend volontiers que celui-là, beaucoup aient voulu l’oublier. Pourtant, profiter de la vie en toutes circonstances est le meilleur moyen de jouir pleinement !

En France, d’ailleurs, comme par un curieux hasard semblant associer les libertins à l’oubli et la confusion, le plus magnifique de nos libertins est un certain Cyrano de Bergerac, le Cyrano historique du XVII ème siècle qui, par confusion et oubli, se confond forcément avec le superbe Cyrano de fiction inventé par Edmond Rostand, et est de ce fait mal connu. Pourtant, ce personnage fantasque, esprit brillant et libre-penseur a créé,au XVII ème siècle, les premiers livres de science-fiction dans ses hilarants et réjouissants « Etats et empires de la Lune et du Soleil ». Le narrateur fait ainsi le premier voyage narratif dans l’espace pour y découvrir un monde idéal où les dogmes établis par l’Eglise sont tournés en ridicule et où règne le bon sens selon les libertins de son temps.

Le vrai Cyrano, par ailleurs, ne pouvait pas être amoureux de la belle Roxanne, car il était homosexuel. Peut-on faire plus libre-penseur, à l’époque ?

Au XVIII ème siècle, néanmoins, les romans libertins exposeront des personnages aux moeurs dissolues dans des histoires sexuelles grinçantes que le Don Juan de Molière a sans doute initiées. Le sens de libertin change alors et désigne ces jouisseurs sans moralité ni crainte de Dieu. Ces romans, apparus en même temps que le courant des Lumières, semblent un peu comme le chant du cygne d’une conception aristocratique du monde en pleine décadence, même si les marquis de Sade et autres Choderlos de Laclos – un mari parfait, contre toute attente – ne sont pas les seuls et que les libertins ne sont pas que des personnages de roman.

Le célèbre Casanova, aventurier et escroc qui se donnera aussi du « de » bien qu’issu d’un milieu de comédiens, multipliera les conquêtes qu’il dotera grassement avant de les abandonner quand elles sont de bonne société selon ses critères, qu’il séduira sans scrupule quand elles seront de basse extraction, les condamnant sans nul doute à la prostitution, comme cela se faisait à l’époque pour les filles dépucelées. Ses interminables et parfois indigestes Mémoires, plus grand témoignage de la vie au XVIII ème siècle en Europe, en exposeront le récit rétrospectif.

Le lien entre libertins, l’argent et la haute société est si établi que c’est Casanova qui a décidé Louis XV à doter la France d’une loterie nationale pour renflouer les caisses de l’Etat.

Encore actuellement, il y a un lien entre le libertinage, l’argent et l’oubli. Car même si les inégalités entre hommes et femmes ne sont plus aussi criantes qu’autrefois, à moins de le faire avec son égale, jouir de l’autre en libertin, c’est souvent le dominer, d’une manière ou d’une autre, et oublier l’amour, la réalité, les cruelles règles de société, la nécessité du respect mutuel et le souci de l’égalité aussi en termes d’équilibre psychologique. Choses dont ne se souciaient pas les Vicomte de Valmont, marquise de Merteuil, Casanova ou autre DSK.

Bref, entre les libertins d’autrefois et ceux d’aujourd’hui, la liberté est restée, mais la chose la plus importante – peut-être parce qu’elle ne semble plus nécessaire – est tombée dans l’oubli : la pensée.

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