rapports hommes-femmes

Hélène, une héroïne de l’âge de bronze

Il y a longtemps que je ne suis venue ici tant les activités autour du Labo de Cléopâtre me demandent de temps sur tout autre type de recherches, malheureusement. Pourtant – et j’espère que cela se reproduira – à la suite d’une relecture d’Homère pour une recherche, j’ai pu rencontrer de nouveau la figure d’Hélène avec un regard neuf et digne d’être partagé sur mon premier bébé Echodecythere.

À la base, ce blog se voulait une immersion dans ce qu’on a longtemps considéré comme l’aspect frivole de la culture féminine : la beauté. Mais dans chaque tradition, coutume qui existe et surtout, qui perdure si longtemps, il y a forcément des enjeux majeurs. Encore aujourd’hui, et bien que les choses avancent, on associe beaucoup la culture féminine à celle de la beauté, de la mode, du luxe, les parfums, le mannequinat, etc…

Il y a près de 3000 ans, à l’époque d’Homère, il en était déjà ainsi. Les dieux, en s’unissant avec des mortelles, fondaient des civilisations et grandes dynasties; les hommes épousaient honorablement les femmes quand elles étaient de leur tribu ou en les capturant comme butins de guerre quand elles étaient étrangères. La vie des femmes se partageait alors entre le gynécée où elles travaillaient la toile et le lit des guerriers où elles exerçaient les travaux d’Aphrodite..

Hélène ne fit pas exception : femme dans ce monde grec de l’âge de bronze, son premier bien est la beauté. Dans l’Iliade, on est clair : quand on capture les femmes, on ne prend que « celles qui sont bien faites ». Considérée comme la plus belle femme du monde, Hélène est enlevée par Thésée dès ses 12 ans. Puis reprise par ses frères, les Dioscures, mariée à Ménélas parmi une foule de prétendants, séduite par Pâris, fils de Priam, le roi de Troie, elle devient pendant 10 ans Hélène de Troie, cause de cette guerre mythique.

Hélène est donc la plus belle du monde. Dans notre monde où on n’a jamais autant vendu l’image de la femme et les moyens de parvenir à cet essentiel superficiel, c’est presque un minimum requis ! Sauf qu’à l’époque d’Homère, les moyens industriels et sophistiqués pour y parvenir n’existent pas. La beauté, pour les Grecs, et de façon essentielle, est rare et donc considérée comme la marque des dieux.

Or, le lien d’Hélène avec les dieux est un lien direct même s’il en est rarement question. Avant même d’en être consciente, Hélène est l’instrument d’Aphrodite dans un concours de beauté des déesses où règne déjà la corruption – alors que Zeus avait justement choisi Pâris pour arbitre de concours pour sa soit-disant impartialité. En garantissant à Pâris l’amour de la plus belle femme du monde, Aphrodite achète son vote et précipite le monde dans une guerre qui les fera entrer dans la légende et donnera ses racines à la culture européenne.

« Plus belle femme du monde », « blonde Hélène », on en oublierait facilement qu’avant d’être tout cela et la protégée d’Aphrodite dans le camp des Troyens, Hélène est avant tout fille de Zeus. Sa mère, Léda, est celle qu’on voit subir les assauts d’un cygne, dans les peintures évoquant ce mythe.

Dans l’Iliade, on peut voir à maintes reprises combien être le fils d’un dieu sur le champ de bataille ne compte pas pour rien. C’est le cas pour Achille, pour Enée et pour un tas d’autres moins célèbres mais dont Homère a conservé la mémoire dans son texte. Zeus lui-même se soucie de ses propres fils mortels ; de sa fille, par contre…

Le statut de la femme en Grèce ancienne était peu enviable, et même si on est une déesse ou presque une déesse. A aucun moment, Homère ne rend compte de l’attachement de Zeus pour sa fille. Alors, il est facile de ne voir dans ses dons que celui de la beauté – irrésistible marque des dieux.

Mais en réalité, bien que discrète, l’exception d’Hélène, la figure héroïque et d’exception qu’elle représente se voient à d’autres indices qui ne concernent pas les Mortels ordinaires :

– Elle use de plantes magiques – le mythique népenthès – pour faire oublier leur chagrin à ceux tombés dans la mélancolie à l’évocation des tragédies de la guerre de Troie. En faisant ça, elle intervient à la manière d’une sorcière bienveillante – ou d’un prévoyant psychiatre d’aujourd’hui vous prescrivant des somnifères pendant votre dépression pour ne pas aggraver votre chute…

– Elle prophétise, et d’une façon remarquable ! Au chant VI de l’Iliade, elle a cette phrase qui frappe comme un coup de tonnerre 3000 ans après : « Zeus nous a envoyé ces maux, afin que nous soyons célébrés à jamais par tous les hommes à venir. » Oui, oui, c’est réellement écrit et attribué à la belle Hélène ! Dans l’Odyssée également, sous l’impulsion des dieux, elle annonce à Télémaque qu’Ulysse va revenir dans Ithaque et tuer lés prétendants. Télémaque lui répond également cette chose surprenante : « Puisse Zeus le tonnant mari de Hèré le vouloir ainsi, et, désormais, je t’adresserai des prières comme à une déesse. »

De fait, effectivement, Hélène avait des temples réservés aux femmes où elle venaient demander la beauté pour leurs enfants. Il semblerait aussi que des tas d’articles de beauté anciens lui aient été consacrés ou aient porté son nom.

– Enfin, c’est un détail auquel on pense peu, mais les demi-dieux ont un statut à part dans une société encore très tribale où les lois ne sont que des ébauches maladroites calquées sur les faits de la mythologie. Dans ce contexte, on ne s’étonne pas outre mesure de l’impunité d’Achille qui massacre les Troyens sans souci de justice ni de pitié, après la mort de Patrocle – les Olympiens devant en personne le raisonner pour lui faire cesser ses nombreuses injustices et cruautés –

De la même façon, Hélène peut tromper son mari, provoquer la guerre de Troie puis revenir vivre auprès de son mari 10 ans après et être respectée de tous comme légitime et admirable reine de Sparte.

Un miracle digne d’une demi-déesse !

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Aphrodite et la prison de la frivolité

Un passage de la mythologie raconte une anecdote à propos de la déesse de l’Amour et de la Beauté. Un jour, celle-ci essaya le travail et se mit à la tapisserie. Scandalisée, Athéna alla se plaindre à son père Zeus. Elle était la déesse associée aux travaux d’aiguille – travail malgré tout essentiellement féminin – et il n’était pas question qu’Aphrodite empiète sur son domaine. Zeus donna raison à Athéna, et on ne vit plus jamais Aphrodite faire quoi que ce soit de ses mains qui ressemblait à du travail.

Le récit mythologique répartissait donc ainsi les rôles, entre la femme qui est belle et sert à embellir le monde en obéissant strictement aux règles définissant sa place – « Souris sur les photos », « Tu es tellement plus belle quand tu souris »-, et celle qui fait, agit au risque de faire peur au monde, de la priver de sexualité et de risquer d’être considérée comme marginale dans la société.

En grandissant, quand apparaissent les caractères sexuels secondaires, ce choix se présente à toute jeune fille qu’on trouve assez désirable pour la pousser à la sexualité. Que sera-t-elle ? Belle, frivole, et agréable à fréquenter, ou studieuse, ambitieuse et donc non disposée pour l’homme qui pourrait la désirer ?

C’est l’histoire d’une jeune fille qui ne se trouvait pas très jolie et qui regardait avec envie et jalousie la plus jolie fille de sa classe après qui tous les garçons couraient. Elle ne voulait pas spécialement qu’on lui courre après, mais elle voulait juste parfois avoir l’impression d’exister dans une société où il y a le sexe fort et où sa façon de représenter le sexe faible ne correspond pas à l’image qu’on désire en avoir.

Dans son traité sur l’éducation, Rousseau dit en 1762 : « Toute l’éducation des femmes doit être relative aux hommes. Leur plaire, leur être utiles, se faire aimer et honorer d’eux, les élever jeunes, les soigner grands, les consoler, leur rendre la vie agréable et douce. »

Le doux contre le fort, le sexe fort, qui agit, le sexe faible – aussi appelé beau sexe, en référence à la beauté qu’on associe au féminin et à la force, qu’on associe au masculin – qui grandit à l’ombre des tentations qui la feraient passer du côté des femmes qu’on dit paradoxalement « libres », c’est-à-dire les prostituées, qui seules, avaient le droit d’avoir de l’argent bien à elles.

Si cette vision de la femme est très associée dans notre imaginaire aux religions monothéistes, les mythes grecs ne laissent pas de place au doute quant aux rôles bien définis des uns et des autres Olympiens selon leur sexe : ceux qui agissent et décident sont masculins (Zeus, Poséidon, Hadès, Hermès, Apollon…), sont féminins ceux qui subissent (Perséphone, Héra, Aphrodite) ou qui s’écartent du jeu matrimonial ou sexuel pour ne pas subir (Athéna, Artémis).

Le monde d’Aphrodite – plus qu’aucune autre – c’est effectivement l’empire statique de la frivolité. Tout comme les textes anciens nous décrivent longuement la déesse de la Beauté qui, éprise d’Anchise, met ses plus beaux vêtements et bijoux, pour aller à sa rencontre, le cinéma, les réseaux sociaux, les clips musicaux sont pleins d’images de femmes et filles qui, apprêtées, maquillées, sur-sexualisées et esthétisées, semblent prêtes à se perdre dans leur propre image d’elle-même et le désir qu’elles inspirent.

C’est l’histoire d’une fille qui fait de l’art avec ses mains et le diffuse sur les réseaux sociaux pour ne gagner qu’une dizaine de like quand une autre en gagne près de 200 avec juste une photo d’elle en décolleté ou en tenue sexy. A cette dernière – celle qui fait ce qu’on désire d’elle – la plus grande distribution de dopamine !

Cette façon de voir le monde entre masculin et féminin perdure partout dans le monde – et même chez ceux qui se croient assez intelligents pour y échapper – lui assurant une stabilité rassurante pour les uns plus que pour les autres, mais malgré tout plusieurs fois millénaire.

Tant que tu es jeune et belle, séduis ! Tiens le rôle qu’on donne à la femme par excellence, puisque tu es née femme ! « Quand vous serez bien vieille, Hélène, assise au coin du feu (…)Ronsard me célébrait du temps que j’étais belle… » Hélène a eu l’audace de ne pas faire ce que Ronsard attendait d’elle. Elle ne profitera pas du plaisir et des honneurs qui ne reviendraient de toute façon qu’à lui, de qui on admet la sexualité libre et la conquête, quand on la condamnerait chez elle.

Aux femmes le monde du maquillage, de la mode, de la beauté et de la frivolité ? En fait, non. Aux uns et aux autres le monde et la place que la société et les proches acceptent de leur céder et leur reconnaît, en fonction de leurs croyances, leur culture et leur ouverture d’esprit.

La mythologie raconte aussi qu’Héphaïstos avait décidé de piéger Aphrodite et son amant Arès pour exposer aux Olympiens leur culpabilité et l’adultère de la déesse. Un filet tomba donc sur eux quand ils étaient au lit et exposa aux autres dieux leur nudité. Une ruse qui ne profita pas à Héphaïstos car la plupart des dieux envièrent Arès et eurent une aventure avec Aphrodite, flattée et reconnaissante de leur admiration. La déesse eut ainsi des enfants avec chacun, lui assurant une descendance assurée et nombreuse dans le monde des dieux. Les déesses, qui avaient aussi été invitées au spectacle, refusèrent, par pudeur. Chastes déesses, sans descendance autre que leur nom immortel…

A se demander pourquoi, avec autant de succès dans le monde qui lui a toujours reconnu sa place de déesse dont la beauté suffit à justifier son existence et l’immortalité de son nom et son image, elle éprouva le désir de faire autre chose que paraître pour se mettre à travailler de ses mains…

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Beauté : intentions, représentations, interprétations

La beauté est un enjeu de taille dans notre société car elle décide en premier lieu de qui mérite au premier coup d’oeil qu’on s’intéresse à sa personne entière, comme pour entrer en boîte de nuit on décide au visuel de votre entrée ou non dans l’établissement. Ce Graal donnant accès à une foule de possibilités amoureuses, professionnelles et sociales, il est non seulement un moteur de l’économie, mais aussi un booster de vie ou un destructeur. Sa force en fait donc à la fois une chose autant convoitée que redoutée, suscitant désirs, jalousie et haine, le pire et le meilleur des sentiments, en tout cas les plus puissants.

Les contes de fée ne s’y sont pas trompés, qui ont mis au coeur de leurs histoires des personnages féminins pour qui la beauté joue un rôle central. Blanche-Neige, que sa marâtre déteste et qui veut sa mort car elle est devenue plus belle qu’elle, Peau d’Ane, qui doit échapper à la concupiscence de son père qui a promis à sa femme mourante de ne se remarier qu’avec une femme plus qu’elle ne l’était et qui ne trouva que sa fille pour répondre à ce critère.

Cette nécessité de la beauté est à la fois intemporel et universel. Tous les contes et mythes du monde entier évoquent forcément une héroïne dont la principale qualité est une beauté qui se voit d’emblée ou qui se révèle après transformation, à la fin des épreuves. Une beauté de laquelle on prend soin malgré tout de ne rien nous dire. Tant mieux, d’ailleurs, car on aurait du mal à la reconnaître tant elle est toujours culturellement marquée, et de ce fait très relative, comme nous le montrent les coutumes et traditions esthétiques des différentes civilisations qui peuvent nous choquer quand on ne les comprend pas, autant qu’on peut les considérer quand on a appris à leur donner du prix.

Mais si tout le monde s’accorde sur l’importance et la nécessité de la beauté chez la femme, encore n’est-elle pas perçue de la même façon selon les rapports qu’on peut entretenir avec elle. Car le corps de la femme et sa sexualité restent des sujets problématiques dans nos sociétés, comme elles le sont depuis déjà des millénaires, depuis la crainte des abus sexuels, du déshonneur familial, du malheur personnel, et plus encore, de la descendance illégitime, en passant par la construction progressive d’une culture misogyne qui semble trouver ses arguments d’autorité dans la religion.

Une femme doit être belle et en même temps, on doit pouvoir savoir pourquoi et pour qui. Une femme doit se faire belle pour une soirée, pour un mariage, un événement, pour aller au travail, et encore plus pour séduire. Dans son milieu familial, dans un environnement où elle est connue et scrutée, il n’est pas rare qu’elle subisse des pressions psychologiques dès lors qu’un soin inattendu ou une élégance marquée ne risque de la faire remarquer plus que de coutume.

En regardant la video d’un rabbin, j’y ai appris que la beauté de la femme était dans ses cheveux, et c’est pourquoi elle refusait de les couper. Car couper ses cheveux, c’était retirer sa beauté. C’est pourquoi elle doit les cacher afin que cette beauté n’appartienne qu’à son mari. Et il en est ainsi pour toutes les religions où le corps des femmes est assez contrôlé pour qu’on veuille le cacher et en réserver l’exclusivité jusque dans sa façon d’apparaître.

Mais il n’est pas besoin de ce cas extrême. Comme dans l’oeil du jaloux, du soupçonneux, de l’âme inquiète toujours blessée, chaque soin que la femme sur laquelle il se croit des droits prend pour elle est un soin qu’elle prend dans une intention contre lui, pour le trahir, l’abandonner, ou le ridiculiser, toutes craintes qu’il porte en lui depuis très longtemps et qu’il plaque sur chaque femme qu’il aime. Elle se maquille ? C’est pour attirer l’attention. Elle choisit de beaux vêtements qui la mettent en valeur ? C’est pour plaire, forcément. Elle s’est payé une nouvelle coupe de cheveux ? Elle est amoureuse de quelqu’un d’autre, c’est sûr.

Rien que sous mes fenêtres, il y a encore quelques jours, deux voix : un garçon, une fille. Il est un peu plus de deux heures du matin et le garçon énervé crie : « Tu as vu comme tu es habillée ? Non mais tu as vu comment tu es habillée ? Si c’est comme ça, va avec quelqu’un d’autre. »A ce moment-là, c’est la canicule : tout le monde « s’habille comme ça », à peu de choses près. Mais bon, là, c’est le corps de la fille avec qui il sort, donc ce n’est pas pareil. Les autres hommes que lui vont la désirer. Il le sait bien d’ailleurs, puisqu’il doit certainement désirer les autres filles, celles qui sont habillées comme ça aussi.

Quant à savoir s’il accepte qu’elles soient habillées comme ça parce qu’elles ont chaud et que c’est leur droit ou parce qu’elles veulent allumer les hommes, c’est ce qui est difficile à savoir. Ce qui est certain, en revanche, c’est que si elle tient à ce garçon, sa liberté de s’habiller reculera dans la suite de leur relation.

Cette peur projetée sur l’autre n’est pas propre au regard affolé que l’homme porte sur la femme, tout regard inquiet et à l’estime de soi défaillante avec une tendance à l’insécurité peut en être porteur. Mais lorsque des préjugés, l’ignorance, la peur et les croyances s’acharnent sur un même sexe depuis des millénaires dans les cultures de la majorité des civilisations, il est beaucoup plus dur pour celui-ci d’y échapper et il en est,  de fait beaucoup plus massivement et impunément la cible.

Et pourtant…Une femme qui manque de coquetterie, on va dire qu’elle se laisse aller, qu’elle se néglige, alors qu’on va l’estimer radieuse sans forcément la désirer si elle prend soin d’elle. Si elle souffre de déprime ou de dépression, ce sera même l’indice grâce auquel son psy et son entourage reconnaîtront qu’elle va mieux, et que la période sombre est derrière elle. C’est pour éveiller les sentiments de plaisir et d’estime de soi qu’on propose depuis quelques temps déjà des séances de mise en beauté dans les hôpitaux pour les femmes atteintes de cancer, afin d’améliorer leur humeur par leur amour d’elle-même, et par là-même leur potentiel de guérison. On les maquille, et le visage triste s’illumine soudain de se reconnaître ou de se trouver belle.

La beauté est donc toujours dans l’oeil de celui qui la regarde, et son sens est bien différent selon qu’on la désire, qu’on en désespère ou qu’on la redoute.

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Qu’est-ce que la féminité ?

Une question bien essentielle dans le rapport de toutes celles qui sont nées femmes, – comme ceux qui pensent l’être malgré le choix de la nature – ou cherchent à définir ce qu’ils reconnaissent comme telles pour les aimer, les désirer ou tout autre sentiment dont ils sont porteurs à leur égard. En somme, dans un monde, une société sexuée, c’est une question qui va traverser chacun d’entre nous.

La féminité existe-t-elle, déjà ?

C’est un critère abstrait, à la construction muette et inconsciente, qui se devine au travers des affirmations qui ciblent son absence : « Elle, c’est un bonhomme ! », « Mais toi, je ne te considère pas comme une femme ! » ou même : « C’est un garçon manqué. »Pour autant, ceux qui jugent ainsi, et donc les paroles vont plus vite que la réflexion, sont-ils capables d’en donner une définition claire ? C’est loin d’être assuré !

D’après Georges Vigarello, la nécessité de définir la féminité et d’en accentuer l’altérité semble apparaître avec plus de dureté à la Renaissance, sous l’impulsion des religions. Globalement, c’est ce qui ressort d’ailleurs : la nécessité de bien séparer ce qui relève du masculin et du féminin est poussé jusqu’à l’absurde dans les sociétés humaines où on a besoin de contrôle. Dans la nature, le masculin et le féminin ne se vivent pas en dehors de la nécessité de la reproduction.

Dans la civilisation, la définition des sexes passe par l’oeil collectif qui décide plus ou moins volontairement d’une fourchette normative dépendante du niveau d’éducation moyen et de l’avancée des mentalités dans la population. Ce sont eux qui fixent un spectre plus ou moins élargi de tolérance à ce qui a tendance à vouloir sortir du cadre. Car à l’échelle individuelle comme à l’échelle collective, la féminité, c’est ce qu’on connaît, accepte et qu’on a intégré comme le féminin dans le cadre d’une société précise, et ce qu’on soit homme ou femme. Bien sûr, cette interrogation sera plus poussée chez la femme puisqu’elle devra vivre avec les enjeux que cela veut dire, affrontant ou exploitant la définition normée pour trouver sa place dans le monde, décidant soit de se conformer, de ne pas choisir, ou de lutter pour imposer un autre modèle dont elle se sent porteuse.

La féminité apparaît donc plutôt comme du féminin perçu en société dont une définition objective ne peut d’emblée exister – malgré l’expression réductrice »l’éternel féminin » – car elle est strictement subjective et soumise à la relativité. En ce sens, aucune définition tyrannique, décidant de ce qu’est, ce que doit être une femme ne doit jamais être prise pour une vérité. Et le mot féminité ne devrait ce concevoir qu’avec un déterminant possessif : »ma féminité », « sa féminité », « leur féminité ».

Une féminité personnelle, donc, qui se construit d’abord sans mots, sans définition, juste en réaction à l’image que nous en renvoient les premières femmes de notre environnement : les femmes de la famille, les voisines, toutes celles que l’on voit passer dans son cercle. Ce qui fait que l’on reconnaît comme un archétype comme représentant la féminité est de construction tellement ancienne et inconsciente qu’il est rare de pouvoir en retrouver l’origine. Logiquement, néanmoins, la figure maternelle est celle à laquelle on est le plus exposé dans la durée pour pouvoir la projeter en positif ou négatif dans une future construction sexuée de soi ou de l’image de l’autre.

Plus tard, la place des icônes joue également chez les jeunes femmes un rôle non négligeable dans l’invention de l’image physique de leur féminité. C’est ce qui va transformer une petite fille ordinaire en pin up, gothique, lolita, sosie de chanteuse de R’n’b jeune fille sage et bien coiffée ou n’importe quel autre modèle possible aperçu en société. Une phase exploratoire essentielle qui peut s’avérer très créative et décider parfois d’une image de soi pour la vie entière, comme on peut le voir au travers de vieilles dames qui continuent de s’habiller, se maquiller et s’épiler comme à l’époque de leur jeunesse, où se construisait leur image d’elle-même.

Mais en réalité, la construction de notre image de la féminité est tellement inconsciente – quand on n’est pas soumis à des lois religieuses qui les édicte, mettant l’accent à chaque instant la notion de différence – qu’on les perçoit surtout dans la confrontation avec la conception de la féminité des autres : port du voile, de la perruque des femmes religieuses juives et musulmanes, la jupe obligatoire dans ces communautés, le rapport à l’image du corps et ce qu’on peut en montrer quand on est une femme, la nature des occupations dites féminines et de ce qui paraît relever du masculin ou du féminin dans les croyances, préjugés, un imaginaire collectif ou un groupe social donné. D’autres éléments évidemment : la taille des cheveux, la coiffure, le maquillage, les vêtements, les bijoux, les attitudes générales, etc.. Une image qu’on peut aussi étendre aux autres cultures, avec l’hyper sexualisation slave, les cheveux extrêmement longs et les bijoux des Indiennes, etc. et qui nous confrontent à celle que nous renvoyons.

Car au final, c’est ça : le simple fait d’être une femme ou d’accepter l’autre comme une femme, cela seul contribue à notre image de la féminité. Plus nous en avons une vision élargie et plus celle-ci sera riche et éclatée en multiples facettes. A l’inverse, plus nous en avons une image étriquée et plus celle-ci sera pauvre et cloisonnée dans un espace restreint qui contribue à cibler les différences et faire perdurer des inégalités qui rassurent certains mais qui oppriment les autres.

La féminité, c’est toujours et jamais plus que ce que vous en faites, ce que nous en faisons.

Nouvel article Labo de Cléopâtre : Comment sentir un parfum antique ?

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Voie secrète et paradoxale du plaisir féminin

Dans un article de société du numéro de juin 2015,  » Sexe : sommes-nous plus libérées ? », le magazine Marie-Claire met en évidence le paradoxe qui existe entre des pratiques sexuelles de plus en plus décomplexées et une absence très marquée d’épanouissement personnel au sein de cette sexualité pour la plupart des femmes. D’après l’enquête, menée par des sociologues et autres spécialistes, la diffusion de plus en plus accessible du porno grâce à internet tient lieu d’éducation sexuelle à la place d’une information constructive et réaliste. Or, révèle l’article, le porno diffuse essentiellement des images de fantasmes masculins auxquels on sacrifie la femme, dont le plaisir, dans ces films, consiste à satisfaire l’homme.

C’est une vieille histoire, un vieux mythe inventé par les Grecs et les Romains et qui se diffuse toujours : le mythe de la virilité. Ce mythe est très simple. Et dans les relations sexuelles, il permet depuis l’Antiquité de dominer hommes et femmes, et a même le pouvoir de changer l’homosexualité en hétérosexualité grâce à cette formule magique : l’homme viril, c’est celui qui prend, pas celui qui est pris. Celui qui est pris, homme ou femme, est une femme ! Dans cette configuration, il n’y a de plaisir que pour une seule personne, celui qui prend plutôt que celui qui donne, celui qui, en dominateur, tyran et conquérant, le vole à l’autre.

A l’ère des discours sur l’égalité et la parité – qui ne sont bien souvent que des discours comme le traitement des femmes en politique le montre bien – comment ne pas être surpris par le maintien de ces comportements ? Mais surtout, comment s’étonner que les femmes prennent peu de plaisir dans leur sexualité à deux si ce qui paraît le représenter le supprime, le dégrade et le falsifie ?

En même temps que le Héros viril subtilise son propre plaisir qu’il vient voler sur le corps de l’autre, il dérobe également celui de l’autre, qu’il verrouille et détruit…Et effectivement, quelle femme n’a vécu ça au moins une fois ?

Pourtant, la lointaine littérature elle-même reconnaît le haut pouvoir orgasmique féminin. Dans la mythologie, le personnage de Tirésias, le devin, est devenu femme pendant plusieurs années pour avoir frappé deux serpents accouplés. Retrouvant les mêmes serpents, il les frappa de nouveau et redevint homme, ce qui faisait de lui le seul être à avoir vécu simultanément dans le corps d’un homme et d’une femme. Zeus et Héra se disputant pour savoir lequel de l’homme ou de la femme avait le plus de plaisir, ils décidèrent logiquement de consulter Tirésias :  » Tirésias répondit que de dix-neuf parties qui composaient le plaisir amoureux, la femme en éprouvait dix, et l’homme seulement neuf. » Appolodore, Bibliothèque. Livre III. Chez d’autres auteurs de cette époque, on lit la même histoire, les parties pouvant même aller de dix pour la femme à un pour l’homme.

Des fables, tout ça ! Bien sûr, mais seule la femme, effectivement, connaît de multiples orgasmes. De multiples orgasmes pour un être qui, semble-t-il, et peut-être culturellement autant que physiologiquement, le connaît en réalité si rarement…Etrange, non ? Ce pouvoir féminin, mis en scène au Moyen-Age, notamment dans la Farce du Cuvier, où une femme exige de son mari un minimum de 6 relations sexuelles par jour, est un tabou, une frayeur qu’on exhibe pour mieux le brider en en soulignant le caractère monstrueux, animal, diabolique même.

Car un être qui peut autant connaître le plaisir ne va-t-il pas tout faire pour l’éprouver, au risque de commettre l’adultère, déposséder les véritables héritiers de leurs droits en mettant à leur place des bâtards nés de son pêché, menaçant l’Eglise et la société tout entière ? Cette crainte prend corps dans la figure légendaire, paradoxale et jadis effrayante de la Papesse Jeanne qui aurait caché son sexe féminin pour accéder à la papauté et qui révéla son imposture en accouchant en public lors d’une messe à laquelle elle présidait. C’est ce personnage légendaire qu’on retrouve dans le jeu de tarot. Elle représente le désir de connaissance mais aussi le savoir caché, la puissance féminine secrète, cette puissance à laquelle a peut-être eu accès Tirésias.

Et pour trouver la voie de ce plaisir, comment faire ?

Comme Michelet disait qu’il avait les deux sexes de l’esprit, le plaisir, passant aussi beaucoup par l’esprit qui lui, n’a de sexe que si on y croit, est une sensation individuelle qui s’éprouve individuellement en le recherchant activement le plus souvent, qu’on soit homme ou femme. Et si plus de femmes parviennent à le trouver seule qu’elles ne l’ont trouvé à deux, il n’y a pas de mystère, c’est que rien ne les inhibait pour aller le chercher ! Quand l’homme trouve son plaisir dans le corps de l’autre, c’est qu’il va activement le trouver, il n’attend pas qu’on le lui donne ou le lui révèle. Mais évidemment, culturellement, il y a droit depuis longtemps ! Et bien, on ne vous l’a peut-être pas dit, et surtout, vous ne l’avez pas vu dans les films, mais pour la femme, c’est pareil ! Et s’il y a bien une égalité entre hommes et femmes, c’est bien sur ce point-là. Et ça n’a rien d’égoïste. L’homme sait s’occuper de son propre plaisir, il est temps que la femme s’autorise la même chose.

Le plaisir à deux consiste donc, et c’est peut-être cela qui est paradoxal, à être à la fois le voleur et le volé, l’homme viril qui prend son plaisir, selon le mythe de la virilité qui gouverne encore nos moeurs, et la femme passive qui permet à l’autre de prendre son plaisir, et ce quel que soit notre sexe, à l’image de ces mystérieuses divinités mi-homme mi-femme.

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