Il y a longtemps que je ne suis venue ici tant les activités autour du Labo de Cléopâtre me demandent de temps sur tout autre type de recherches, malheureusement. Pourtant – et j’espère que cela se reproduira – à la suite d’une relecture d’Homère pour une recherche, j’ai pu rencontrer de nouveau la figure d’Hélène avec un regard neuf et digne d’être partagé sur mon premier bébé Echodecythere.
À la base, ce blog se voulait une immersion dans ce qu’on a longtemps considéré comme l’aspect frivole de la culture féminine : la beauté. Mais dans chaque tradition, coutume qui existe et surtout, qui perdure si longtemps, il y a forcément des enjeux majeurs. Encore aujourd’hui, et bien que les choses avancent, on associe beaucoup la culture féminine à celle de la beauté, de la mode, du luxe, les parfums, le mannequinat, etc…
Il y a près de 3000 ans, à l’époque d’Homère, il en était déjà ainsi. Les dieux, en s’unissant avec des mortelles, fondaient des civilisations et grandes dynasties; les hommes épousaient honorablement les femmes quand elles étaient de leur tribu ou en les capturant comme butins de guerre quand elles étaient étrangères. La vie des femmes se partageait alors entre le gynécée où elles travaillaient la toile et le lit des guerriers où elles exerçaient les travaux d’Aphrodite..
Hélène ne fit pas exception : femme dans ce monde grec de l’âge de bronze, son premier bien est la beauté. Dans l’Iliade, on est clair : quand on capture les femmes, on ne prend que « celles qui sont bien faites ». Considérée comme la plus belle femme du monde, Hélène est enlevée par Thésée dès ses 12 ans. Puis reprise par ses frères, les Dioscures, mariée à Ménélas parmi une foule de prétendants, séduite par Pâris, fils de Priam, le roi de Troie, elle devient pendant 10 ans Hélène de Troie, cause de cette guerre mythique.
Hélène est donc la plus belle du monde. Dans notre monde où on n’a jamais autant vendu l’image de la femme et les moyens de parvenir à cet essentiel superficiel, c’est presque un minimum requis ! Sauf qu’à l’époque d’Homère, les moyens industriels et sophistiqués pour y parvenir n’existent pas. La beauté, pour les Grecs, et de façon essentielle, est rare et donc considérée comme la marque des dieux.
Or, le lien d’Hélène avec les dieux est un lien direct même s’il en est rarement question. Avant même d’en être consciente, Hélène est l’instrument d’Aphrodite dans un concours de beauté des déesses où règne déjà la corruption – alors que Zeus avait justement choisi Pâris pour arbitre de concours pour sa soit-disant impartialité. En garantissant à Pâris l’amour de la plus belle femme du monde, Aphrodite achète son vote et précipite le monde dans une guerre qui les fera entrer dans la légende et donnera ses racines à la culture européenne.
« Plus belle femme du monde », « blonde Hélène », on en oublierait facilement qu’avant d’être tout cela et la protégée d’Aphrodite dans le camp des Troyens, Hélène est avant tout fille de Zeus. Sa mère, Léda, est celle qu’on voit subir les assauts d’un cygne, dans les peintures évoquant ce mythe.
Dans l’Iliade, on peut voir à maintes reprises combien être le fils d’un dieu sur le champ de bataille ne compte pas pour rien. C’est le cas pour Achille, pour Enée et pour un tas d’autres moins célèbres mais dont Homère a conservé la mémoire dans son texte. Zeus lui-même se soucie de ses propres fils mortels ; de sa fille, par contre…
Le statut de la femme en Grèce ancienne était peu enviable, et même si on est une déesse ou presque une déesse. A aucun moment, Homère ne rend compte de l’attachement de Zeus pour sa fille. Alors, il est facile de ne voir dans ses dons que celui de la beauté – irrésistible marque des dieux.
Mais en réalité, bien que discrète, l’exception d’Hélène, la figure héroïque et d’exception qu’elle représente se voient à d’autres indices qui ne concernent pas les Mortels ordinaires :
– Elle use de plantes magiques – le mythique népenthès – pour faire oublier leur chagrin à ceux tombés dans la mélancolie à l’évocation des tragédies de la guerre de Troie. En faisant ça, elle intervient à la manière d’une sorcière bienveillante – ou d’un prévoyant psychiatre d’aujourd’hui vous prescrivant des somnifères pendant votre dépression pour ne pas aggraver votre chute…
– Elle prophétise, et d’une façon remarquable ! Au chant VI de l’Iliade, elle a cette phrase qui frappe comme un coup de tonnerre 3000 ans après : « Zeus nous a envoyé ces maux, afin que nous soyons célébrés à jamais par tous les hommes à venir. » Oui, oui, c’est réellement écrit et attribué à la belle Hélène ! Dans l’Odyssée également, sous l’impulsion des dieux, elle annonce à Télémaque qu’Ulysse va revenir dans Ithaque et tuer lés prétendants. Télémaque lui répond également cette chose surprenante : « Puisse Zeus le tonnant mari de Hèré le vouloir ainsi, et, désormais, je t’adresserai des prières comme à une déesse. »
De fait, effectivement, Hélène avait des temples réservés aux femmes où elle venaient demander la beauté pour leurs enfants. Il semblerait aussi que des tas d’articles de beauté anciens lui aient été consacrés ou aient porté son nom.
– Enfin, c’est un détail auquel on pense peu, mais les demi-dieux ont un statut à part dans une société encore très tribale où les lois ne sont que des ébauches maladroites calquées sur les faits de la mythologie. Dans ce contexte, on ne s’étonne pas outre mesure de l’impunité d’Achille qui massacre les Troyens sans souci de justice ni de pitié, après la mort de Patrocle – les Olympiens devant en personne le raisonner pour lui faire cesser ses nombreuses injustices et cruautés –
De la même façon, Hélène peut tromper son mari, provoquer la guerre de Troie puis revenir vivre auprès de son mari 10 ans après et être respectée de tous comme légitime et admirable reine de Sparte.
Un miracle digne d’une demi-déesse !
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