poésie ancienne

Reflet de Cythère (12)

Reflet de Cythère, c’est un texte, une poésie, un fragment qui permet de nous rapprocher de l’image que les Anciens se faisaient de leur déesse de l’Amour. J’écris les Anciens, mais en 5 ans de ce blog, j’ai aussi mis des modernes, des païens contemporains, tant il est vrai que les figures divines ne meurent pas.

Aujourd’hui, cité par Stobée dans son Florilège, c’est le grand Sophocle, auteur, au V ème siècle avant notre ère, des plus belles tragédies de l’Antiquité – dont Oedipe et Antigone, son incorruptible fille, qui va nous chanter la belle et terrible déesse de l’Amour. Un rôle qu’elle tient bien souvent chez les poètes et les philosophes, l’Amour étant vu comme une nécessité douloureuse apportant bien plus de malheur et de destruction que le bonheur qu’on vient y chercher.

Sophocle lui-même, au-delà des pièces à la perfection formelle que les Alexandrins ont bien voulu nous laisser intacts, fut un homme qui s’y brûla les ailes et dont la personnalité sensuelle s’est plutôt révélée dans les fragments conservés par d’autres auteurs.

Dans la Couronne et la Lyre, Marguerite Yourcenar précise même : « Vieillard, il se félicita d’être débarrassé du désir comme d’un tyran sauvage. » Une expression qui paraît n’avoir été que figures rhétoriques puisqu’il s’éprit dans cet âge de deux courtisanes, prouvant bien quà la fin, c’est toujours « Cypris » qui règne.

PUISSANCE DE L’AMOUR

« ..L’Amour, ô doux enfants, n’est pas rien que l’Amour.

On l’adore partout sous mille noms divers.

Il est la Mort, il est la Force impérissable.

Et la démence et le désir inguérissable.

Il est la Plainte. Il est activité et calme, 

Et violence..Et en tout lieu, dans l’univers, 

L’âme vivante et respirante le reçoit

Et se soumet, aussi bien le poisson qui erre

Dans l’océan, que le quadrupède sur terre; 

Pour les oiseaux et pour la bête carnassière, 

Pour l’homme, pour les dieux immortels, il est Loi.

Quel lutteur devant lui  n’a mordu la poussière, 

Fût-il divin ? S’il est permis, comme il se doit, 

De dire ce qu’il est, il dompte Zeus lui-même, 

Sans se servir du glaive. A chaque stratagème

De l’homme, à chaque plan des dieux, il fait échec, 

Et Cypris règne seule… »

Nouvel article Labo de Cléopâtre : Parfums antiques du Labo

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Reflet de Cythère (11)

Dans Reflet de Cythère, un poème, texte littéraire ou autre permet d’éclairer un peu un aspect de la déesse Aphrodite ou de son culte.

Aujourd’hui, c’est un petit bijou que je vous propose. Il nous vient de la poétesse grecque Nossis qui vivait au III ème siècle avant notre ère. Il ne reste d’elle qu’une dizaine d’épigrammes et rien de connu sur sa vie, pas même sur le lieu où elle vivait.

Mais le poème qui suit est si beau, si célèbre, et lui donna une telle réputation qu’on a pu dire d’elle que le dieu Amour fondait lui-même la cire pour ses tablettes ! A l’époque de Nossis, en effet, le stylet s’enfonçait dans la cire pour y graver la poésie qu’on recopiait plus tard, notamment sur papyrus. C’est grâce à ça qu’elle est ainsi parvenue jusqu’à nous.

Ici, la déesse de l’Amour paraît sous le nom de Cypris. On lui donnait ce nom parce qu’elle était censée être née à Chypre.

Eloge de l’amour

« La douceur de l’amour surpasse toutes choses,

Croyez-m’en, moi, Nossis. Le miel a moins de prix.

Celle qui n’a pas eu le baiser de Cypris

Ne sait pas distinguer quelles fleurs sont les roses. »

Anthologie Palatine. V, 170

Dernier article du Labo de Cléopâtre : Importance des matières premières

2300 ans de poèmes de femmes, de fleurs et de beauté

Femmes et fleurs sont rapprochées depuis longtemps dans la tradition poétique et littéraire en raison de leur beauté et du caractère éphémère de celles-ci. Il y a d’autres rapprochements entre elles dans la littérature ancienne, notamment à propos de la virginité. La libération du corps des femmes, longue à émerger, a malgré tout fini par avoir raison du mythe de la virginité, du moins dans la société occidentale. Ne reste alors plus que la vieillesse pour unir femmes et fleurs dans une même métaphore qui perdure.
Voici une généalogie – sommaire et donc incomplète malgré tout- de cette tradition très épicurienne et née en même temps que cette philosophie.
 » Si tu t’enorgueillis de ta beauté, considère avec quel éclat passager la rose fleurit. Elle se fane dans un instant, et soudain elle est confondue avec les choses les plus viles. Les fleurs et la beauté ont la même durée; le temps envieux les flétrit également. » Anthologie Théocrite, Bion, Moschus. III ème siècle av. J-C
– Ici le constat est sévère et cru : le vocabulaire péjoratif « enorgueillis », »les choses les plus viles », « flétrit ». Il y a autant de hargne que de poésie, les grecs anciens n’ayant jamais craint la brutalité. L’invitation épicurienne à jouir de la vie n’est pas présente et on sent quelque chose comme du ressentiment à l’égard d’une femme qui repousse un amant.

 » …Nous nous plaignons, nature, que la beauté des fleurs soit fugitive : les biens que tu nous montres, tu les ravis aussitôt. La durée d’un jour est la durée que vivent les roses : la puberté pour elle touche à la vieillesse qui les tue. Celle que l’étoile du matin a vue naître, à son retour le soir elle le voit flétrie. Mais tout est bien : car si elle doit périr en peu de jours, elle a des rejetons qui lui succèdent et prolongent sa vie. Jeune fille, cueille la rose, pendant que sa fleur est nouvelle et que nouvelle est ta jeunesse, et souviens-toi que ton âge est passager comme elle. » Ausone. IV après J-C.
– Ausone est un poète bordelais de langue latine aujourd’hui oublié. Ce morceau est extrait d’une poésie plus longue et plus naturaliste qui parle longuement de la rose. D’une manière générale, sa poésie est champêtre et s’intéresse donc beaucoup à la nature. L’invitation à « cueillir » est enfin présente : elle aura une longue lignée. Ici, et ce sera la seule fois dans l’histoire de ce motif littéraire, il y a un espoir dans la génération future :  » elle a des rejetons qui lui succèdent et prolongent sa vie ».

– Ce n’est pas ce motif qu’utiliseront ses imitateurs très connus de la Renaissance, Malherbe : «  Et rose elle a vécu ce que vivent les roses.. » qui exprimait le deuil d’une petite fille de 3 ans qui ne pouvait alors pas avoir eu de rejetons, et Ronsard, qui emploie ces vers et la métaphore de la rose flétrie pour inviter Cassandre à partager son amour avant qu’il ne soit trop tard :
« A Cassandre
Mignonne, allons voir si la rose
Qui ce matin avoit desclose
Sa robe de pourpre au Soleil,
A point perdu ceste vesprée
Les plis de sa robe pourprée,
Et son teint au vostre pareil.
Las ! voyez comme en peu d’espace,
Mignonne, elle a dessus la place
Las ! las ses beautez laissé cheoir !
Ô vrayment marastre Nature,
Puis qu’une telle fleur ne dure
Que du matin jusques au soir !
Donc, si vous me croyez, mignonne,
Tandis que vostre âge fleuronne
En sa plus verte nouveauté,
Cueillez, cueillez vostre jeunesse :
Comme à ceste fleur la vieillesse
Fera ternir vostre beauté. »
Ronsard 1545

– Enfin, Raymond Queneau, comme dans un de ces exercices de style, reprend le thème bien connu dans une chanson de 1947 pour Julienne Gréco, mêlant langage familier et descriptions peu flatteuses d’un siècle qui depuis peu manipule les images devenues fixes permettant d’avoir un recul et une image enfin précise du délabrement de la beauté féminine. L’invitation à cueillir les roses de la vie est la même que celle d’Ausone et de ceux qui le suivent, mais les Grecs anciens s’invitent dans cet hommage sous la forme de la brutalité du propos néanmoins réaliste.
« Si tu t’imagines
Si tu t’imagines
Fillette fillette
Si tu t’imagines
Xa va xa va xa
Va durer toujours
La saison des za
La saison des za
Saison des amours
Ce que tu te goures
Fillette fillette
Ce que tu te goures
Si tu crois petite
Si tu crois ah ah
Que ton teint de rose
Ta taille de guêpe
Tes mignons biceps
Tes ongles d’émail
Ta cuisse de nymphe
Et ton pied léger
Si tu crois xa va
Xa va xa va xa
Va durer toujours
Ce que tu te goures
Fillette fillette
Ce que tu te goures
Les beaux jours s’en vont
Les beaux jours de fête
Soleils et planètes
Tournent tous en rond
Mais toi ma petite
Tu marches tout droit
Vers sque tu vois pas
Très sournois s’approchent
La ride véloce
La pesante graisse
Le menton triplé
Le muscle avachi
Allons cueille cueille
Les roses les roses
Roses de la vie
Roses de la vie
Et que leurs pétales
Soient la mer étale
De tous les bonheurs
De tous les bonheurs
Allons cueille cueille
Si tu le fais pas
Ce que tu te goures
Fillette fillette
Ce que tu te goures »
Queneau.1947

Alors, à qui le tour ?