Mois: avril 2014

Un parfum d’Olympe

Le parfum, toujours abondamment utilisé dans nos sociétés, est d’un usage très ancien. A la base, il servait à honorer les dieux, ce qui se fait toujours au moyen des encens dans les églises. Les résines brûlées dégagent ce parfum qui monte alors vers Dieu ou les dieux. On en fait autant depuis toujours pour parfumer et assainir les chambres et les pièces, on use de pots-pourris, de coussins d’herbes sèches et odorantes, on met des parfums et huiles essentielles dans les produits pour le bain, les huiles, les savons, etc. Le parfum ne s’est jamais démodé et ne se démodera jamais.

Pourquoi cette importance donnée au parfum ?

D’abord par son agrément, facile à éprouver. Une bonne odeur crée une bonne atmosphère, c’est avant tout aussi simple et basique que cela. Ensuite, par l’importance que conserve pour nous l’odorat. Si d’autres sens se sont développés aux dépens de celui-ci pour que l’homme vive en société où évaluer le danger est devenu moins déterminant que de se servir de son intelligence – plus reliée à des sens tels que la vue et l’ouïe – l’odorat, mis en veilleuse, conserve un secret.

C’est un passage qui ouvre les portes souvent closes de la mémoire. Avec lui, aucun événement ne reste bloqué aux portes de l’inconscient. Une odeur nous reconnecte immédiatement avec le souvenir qui y est associé. C’est sur cette capacité exceptionnelle de l’odeur sur nous que toute La recherche du temps perdu de Marcel Proust est fondée, par le biais de la célèbre madeleine. Or, nous avons tous en nous des centaines et des milliers de madeleines oubliées dont l’odeur retrouvée par hasard peut ouvrir la porte aux centaines et milliers de souvenirs qui y sont associés.

Cette capacité extraordinaire est employée en cosmétique et dans les produits d’entretien pour nous inspirer par exemple l’impression de « sentir le propre ». « Si ça sent le propre, c’est que c’est propre », conclut le cerveau qui a emmagasiné cette donnée. Il en est ainsi de toutes les odeurs utilisées à certaines fins grâce à une culture commune qui permet que nous ayons presque tous la même idée de ce que sent le propre. Malgré cela, nous nous différencions tous par une culture très personnelle, et une différence de genre – les femmes étant plus sensibles à l’odorat que les hommes – c’est pourquoi ces tentatives n’ont qu’une portée relative. C’est moins vrai en ce qui concerne la nourriture, liée à quelque chose de moins culturel et plus instinctif. Les boulangeries diffusant les odeurs de croissants chauds voient ainsi leurs ventes exploser par rapport à celles qui n’en diffusent pas.

Le pouvoir de l’odeur est exceptionnel, à tel point que nous pouvons nous en servir pour reprogrammer les humeurs inscrites dans notre cerveau. Si une odeur est associée à quelque chose de positif pour nous, la sentir quand nous n’allons pas bien peut nous permettre de retrouver une humeur positive. Néanmoins, cela ne peut durer dans le temps : le cerveau peut finir par associer cet ancien parfum au mal-être qu’il est censé régler.

D’une manière générale, on voit donc que le parfum est utilisé pour entrer dans un état modifié de conscience ou bien faire entrer l’autre dans cet état. C’est le cas d’un parfum utilisé dans un but de séduction. Son pouvoir n’est pas tout à fait établi puisque le parfum choisi peut très bien ne pas atteindre son but, mais c’est pour l’attraction exceptionnelle qu’il exerce d’abord sur celui qui le choisit et pour son secret impénétrable qu’on perçoit sans le maîtriser, qu’on utilise à défaut de le posséder. Le parfum s’emploie avant tout pour ce qu’il peut ou pourrait faire plutôt que ce qu’il fait réellement. C’est la porte qui ouvre sur le souvenir autant que sur le rêve d’amour et de séduction infinis.

Dans l’Antiquité, on employait des senteurs uniques mais on en mettait des parfums différents pour chaque partie du corps, selon des correspondances qui y étaient magiquement ou rituellement associées. On préférait des senteurs exotiques, tout comme on le fait aujourd’hui. Par ce moyen, symboliquement, si les pieds restaient ancrés sur la terre ferme, l’esprit s’envolait vers les pays lointains ou les cieux, les dieux étant les destinataires originels du parfum.

Dans la séduction, l’être aimé, destinataire du parfum, devient un dieu. L’instant fugace épouse l’éternité grâce au parfum porté qui inscrira le souvenir de celui qui le porte dans l’odeur. Ce pouvoir s’exerce aussi dans l’autre sens. Une rencontre avec une odeur qui ne se fait pas ou qui se fait mal et la magie n’est pas au rendez-vous. Ainsi, même si le parfum de la rose est apprécié depuis des millénaires, si  la personne que vous voulez séduire l’a senti uniquement sur sa grand-mère, ce sont les qualités et les défauts de celle-ci que vous ferez resurgir aux yeux de sa mémoire. La rencontre avec vous ne se fera alors peut-être pas ou se fera plus tard, quand le souvenir de la grand-mère ne se superposera plus au vôtre.

Alors, peut-on atteindre l’universalité de la séduction via le parfum ?

Dans le roman de Patrick Süskind, Jean-Baptiste Grenouille mourait démembré par une foule rendue folle de désir par le parfum qu’il avait créé à partir de la peau des plus belles femmes rencontrées. D’après le roman, on était au XVIII ème siècle. Aujourd’hui, le parfum aux phéromones promet la même chose, à partir de la même base : la peau de jeunes gens. Le parfum est censé agir de la même façon et entraîner le désir de façon aussi irrépressible qu’instinctive. Le secret, l’essence du parfum dans un objectif de séduction universelle semble donc avoir été atteint.

Une des seules limites à son pouvoir est celle-ci : qui peut accepter de devoir sa séduction à un philtre d’amour qui ne durera que le temps d’un effluve ?

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Le mystère de la ceinture

Dans la mythologie, la ceinture est l’accessoire grâce auquel Aphrodite se rend irrésistible, un charme d’Amour divin auquel nul n’échappe. Mais si Zeus ne parvint pas à y échapper lors de la Guerre de Troie, quand Héra l’utilisa pour intervenir dans le conflit à l’insu de son mari, il réussissait malgré tout à résister à son pouvoir avec sa fille adoptive. Mais c’était au prix d’un très grand effort. Pour se venger de le faire vivre dans cette tension permanente, Zeus condamna Aphrodite à s’éprendre d’un mortel, Anchise.

Cette ceinture permit aussi à Aphrodite de manipuler le bel Adonis qu’elle aimait mais qu’elle devait partager avec Perséphone, la première parce qu’elle l’avait découvert, la seconde parce qu’elle l’avait caché et protégé. Dans la rivalité qui opposait les deux déesses, le tribunal des dieux avait tranché le conflit ainsi : le temps du bel Adonis devait être partagé en 3. Dans le premier, il vivrait avec Perséphone, dans le second, avec Aphrodite, le dernier, il le passerait seul. C’est le moins qu’il lui fallait pour se reposer un peu après tant de sollicitations amoureuses…

Mais la ceinture perturba ces règles : le temps qu’il devait passer seul, il le passa avec Aphrodite, et ce ne fut qu’à contrecoeur qu’il consacra le temps imparti à Perséphone, quand il le lui consacra.

Cette tricherie illustre parfaitement le pouvoir de la ceinture de la déesse de l’Amour et de la Beauté.

Comment la ceinture peut-elle être conçue comme un accessoire divin qui rend irrésistible ?

Voyons le vêtement grec antique, le péplos, comme on a pu le rencontrer sur les statues, les bas-reliefs et les poteries. Une longue masse de tissu qui drape le corps d’une seule pièce comme le fait toujours le sari, mais à partir des épaules et non de la taille. Enveloppant le corps, il drape, cachant la nudité et protégeant tout ce qui doit l’être. Mais cette pièce de tissu adopte son propre tombé, et des épaules jusqu’aux chevilles, la pièce de tissu n’a pas vraiment d’autre alternative que de former un large rectangle aux plis irréguliers dont ne doit saillir à peu près que la poitrine.

Les découvertes récentes visant à comprendre les mystères de la séduction révèlent que ce n’est pas la taille ou le poids qui importent dans l’estimation de la beauté d’un corps et son attraction, mais le rapport entre les seins, la taille et les hanches. Une taille fine et des hanches larges sont universellement reconnus comme des critères de beauté d’un corps jusqu’à un niveau si profond qu’il est inscrit au coeur de l’espèce toute entière. Car de toutes les femmes, celles qui possèdent ce corps sont celles qui seront les plus aptes à mettre au monde des enfants en bonne santé.

Ce critère-là, loin d’être basé sur l’esthétique propre à une civilisation, est répandu à l’échelle planétaire et conditionne même ceux qui ne veulent pas d’enfants ! Comment s’étonner de l’universalité d’une attirance sans lui donner un caractère divin, lorsqu’on ne fait que la constater sans la comprendre ?

Et la ceinture ?

La ceinture, qui était un accessoire du péplos et qui existe toujours, est ce qui va révéler la perfection d’une silhouette irrésistible. En ceignant la taille, la ceinture va accentuer la courbe des hanches qui reste ordinairement dissimulée sous le drapé des vêtements. La même femme, d’abord simplement drapée de ce rectangle ou de n’importe quel autre vêtement large, puis la taille sanglée de sa ceinture, passera facilement du statut d’ordinaire au statut de d’irrésistible, de divine, en révélant à tous ce dont l’homme a besoin pour s’enflammer, ce que l’espèce choisit en priorité pour se reproduire et se perpétuer.

Cette silhouette à la taille affinée et aux hanches révélées, est celle qui a le plus été choisie dans l’histoire de la mode, les corsets formant à leur manière une sorte de ceinture en comprimant l’abdomen et donnant alors plus d’amplitude aux hanches et aux seins.

Cette silhouette est aussi celle des pin up des années 40 à 50, Marylin en tête, restées inoubliables, toujours enviées et désirées.

Etrangement indémodables…

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Comment la Beauté est devenue une valeur négative

Bien que le marché de la Beauté soit un secteur qui ne connaisse pas la crise, il est communément admis que s’intéresser à tout ce qui relève de l’apparence est superficiel. En effet, dans la conscience collective, la coquetterie est toujours associée à l’égocentrisme et à l’ignorance induite par la trop grande préoccupation de soi qui empêche l’esprit de s’élever.

Ce paradoxe se trouve dans notre histoire, notre culture commune.

Dans le monde gréco-romain, la Beauté était une préoccupation constante. Les athlètes faisaient l’objet de cultes, pas seulement à cause de leur force physique mais aussi à cause de leur beauté. Aux abords des stades, on a ainsi trouvé maints graffitis évoquant la beauté des athlètes et l’amour qu’on leur portait. Les peintres de ces athlètes eux-mêmes, poussés peut-être par une forme de jalousie, se qualifiaient de beaux sur les poteries où leur nom restait aussi immortel que les corps nus qu’ils avaient peints. Les poètes également célébraient la Beauté des hommes et des femmes qu’ils aimaient, et l’Amour dont ils étaient la proie, sous l’impulsion d’Eros ou d’Aphrodite.

A cette époque, les athlètes concouraient nus, on massait leurs corps sublimes, on se pliait à la loi des dieux qui eux-mêmes se pliaient à la loi d’Aphrodite. On chantait la Beauté, l’Amour, le plaisir mais aussi le temps qui passe, qui ne laisse que cheveux blancs, corps décharnés et fatigués, Amour qui s’éloigne. Des préoccupations toujours actuelles et qui font de nous des consommateurs valorisés par la publicité mais malgré tout complexés et coupables, suspectés par ceux qui nous jugent, soit de superficialité soit de désir maladif de plaire.

Que s’est-il passé ?

Une révolution culturelle dont on ne mesure pas aujourd’hui l’importance tant elle date mais dont la littérature conserve les traces.

Depuis Homère et jusque vers le Vème siècle après JC, la poésie grecque est libre, volontiers érotique dans sa façon d’évoquer l’Amour et les plaisirs. Puis, le monde devenant progressivement chrétien, ces libertés commencent à être critiquées, puis condamnées. Palladas, poète qui assiste à la mort de la pensée païenne qu’il représente, témoigne dans ses vers de  ce changement de valeurs :

 » Sur un Eros de bronze devenu pöelle à frire

Un chaudronnier du bel Eros fit une pöelle : 

Soit ! Puisqu’Eros nous frit et qu’il fond notre moëlle. »

Traduction Marguerite Yourcenar dans La couronne et la Lyre. Poésie Gallimard

Plus tard, les poètes grecs devenus chrétiens, imiteront les Anciens avant de se taire, remplacés par les théologiens, toute autre littérature que religieuse disparaissant jusqu’aux environs du XIII ème siècle.

Chez les Grecs, on passait d’Artémis ( jeune vierge), à Aphrodite ( amoureuse qui découvre la sexualité ), puis seulement après cela à Héra ( femme mariée, matrone). La culture juive, dont la chrétienne est d’abord issue, fait passer la femme directement d’Artémis à Héra, et les seules femmes accomplies sont les mères, les femmes courageuses et surtout fidèles à leur communauté. La culture chrétienne y ajoutera les repenties et les saintes, excluant toute notion de beauté si ce n’est morale.

Dans le monde occidental, on est passé d’une vision positive – qui n’excluait néanmoins pas la violence – à une vision négative de la Beauté, valeur qu’on vend, ruine et exploite mais qu’on ne respecte pas parce qu’elle est accusée de rendre les hommes fous. Et on considère que celles qui s’en préoccupent sont des damnées, peu préoccupées de leur âme.

La Beauté est devenue une menace qu’il faut cacher ou détruire. A un moment de notre histoire, les procès de sorcellerie s’en chargeront.

Qu’en est-il de notre monde ?

Il est l’héritier de ce paradoxe. Les valeurs chrétiennes sont restées son socle idéologique car actives depuis 2000 ans. Mais en même temps, comme l’a montré Freud, les mythes antiques sont notre structure profonde, notre inconscient, la trame essentielle dont nous sommes faits. Et cette vérité n’a pas échappé à son neveu qui, grâce aux découvertes de Tonton, a élaboré l’étau qui nous maintiendra dans notre rôle de consommateur en exploitant les désirs de notre inconscient : le marketing.

Nous restons des êtres fondamentalement épris de Beauté, sinon, pourquoi aurions-nous besoin de mannequins, de belles personnes, de belles photos pour désirer un produit ?

Pour autant, la Beauté demeure une valeur plus essentielle que ce que la conscience collective accepte de lui reconnaître.

– La plupart des sociétés ont eu besoin d’une déesse pour la symboliser

– Elle est une préoccupation philosophique majeure depuis l’Antiquité

– Elle est au coeur du mystère insondable qu’est l’oeuvre d’art

– Elle conditionne la plupart des rapports sociaux de l’Amour à l’admiration en passant par le simple respect

– Elle génère richesse et emplois

– Elle favorise l’estime de soi…

La seule chose qu’on puisse reconnaître néanmoins, c’est qu’elle n’est pas, malgré la légende, à l’origine de la Guerre de Troie, qui était une vulgaire invasion dans un but économique. Mais sans l’évocation de la belle Hélène, ce raid trivial aurait-il pu se changer en épopée immortelle, première oeuvre littéraire de la culture occidentale ?

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Signifier et embellir par le vêtement

Le vêtement est le plus fascinant, le plus complexe, le plus complet des créateurs de beauté sociale. Obligatoire et nécessaire dans la majorité des sociétés, il répond à des impératifs fondamentaux constructeurs de civilisation. Il répond de ce fait à plusieurs objectifs depuis des millénaires : protéger contre le froid et couvrir la nudité.

D’après Freud, et selon toute vraisemblance, la civilisation n’a pu se créer qu’à partir d’une répression des pulsions et instincts sexuels des hommes qui, déviant les intérêts collectifs de l’activité sexuelle, les ont projetés ailleurs, dans les constructions intellectuelles et artistiques qui ont fondé la civilisation. Cacher la nudité par des vêtements en est le pilier fondamental.

Culturellement, cela peut se traduire chez les Grecs par l’éviction d’Eros et la victoire d’Aphrodite comme divinité de l’Amour.

Dans la mythologie, on raconte qu’Aphrodite fut habillée par les Nymphes dès sa sortie de l’eau. Bien que représentée nue dans l’inconscient collectif, Aphrodite est bien plus souvent une déesse habillée…

Le paradoxe de l’intégration du vêtement dans la société est qu’il est basé au départ sur une contrainte, celle de cacher la nudité. C’est de cette contrainte que va se créer une sorte de page blanche, un espace de liberté, ou hors nudité, on peut tout montrer. De ce fait, le vêtement peut et sait tout exprimer !

Il peut être politique avec des tee-shirt à messages, le choix exclusif de matériaux naturels, l’absence de fourrure, les vêtements indiens de coton filés à l’instigation de Ghandi à l’époque de sa lutte pour l’indépendance, les chemises unisexes à col Mao pour les chinois qui inscrivent l’individu dans le tout politique plutôt que dans le clivage des genres, aboli aussi par les vêtements.

Il peut exprimer un état d’être psychologique avec des vêtements noirs et dissimulant toutes formes pour les gens complexés ou déprimés, des vêtements inappropriés, usés, tachés et endommagés pour ceux qui cumulent mal-être psychologique et détresse sociale.

Il peut encore exprimer plein d’autres choses : l’appartenance sociale, religieuse, l’identification à un groupe, une idéologie, le souci de plaire, d’être à la mode, la volonté d’exciter, d’affoler, mais aussi la créativité, le souci d’étaler ses richesses, la fidélité à un créateur, à une marque, une maison de couture, à son identité nationale. On peut encore célébrer un événement grâce à des habits de fête, signifier son respect par des vêtements soignés, afficher son sérieux par des habits appropriés à l’entreprise, etc..

La société entière s’exprime sur cette page blanche qu’est le vêtement !

Et la Beauté, dans tout cela ?

S’habiller en beauté n’a que deux pré-requis. Le premier est que la Beauté s’exprime selon des critères de société qui l’ont définie, et il est donc impossible de la concevoir sans l’acceptation indirecte de ces canons, dussent-ils changer selon l’époque et le lieu. Le second, c’est que créer sa Beauté en vêtements n’est possible qu’en la construisant avec le corps qu’on a et non celui qu’on voudrait ou devrait avoir. S’habiller en respectant la Beauté, c’est s’habiller en respectant sa beauté, celle dont la déesse a fait don.

A  partir de là, les règles sont très simples. Quelles que soient les coupes, les matières, les couleurs, il s’agit de mettre en avant ce qu’on possède de « beau », c’est-à-dire conforme à l’idée que s’en fait la société, et flouter, cacher ou améliorer ce qu’on possède de moins beau, le tout sans souci de mode vestimentaire, de nom, de marque, de prix, sachant néanmoins que les tissus rigides redessinent les formes en leur donnant des frontières et limitant leurs débordements, les tissus légers épousent et soulignent des formes idéales.

Ces règles étant posées, il ne faut pas oublier que cette nouvelle création de son corps ne peut être harmonieuse que si formes et couleurs s’associent de façon agréable à l’oeil, c’est-à-dire avec art, et c’est certainement ce qui sera le plus dur.

En effet, motifs et couleurs sont désormais ce qui se démode le plus vite par l’usage rare qu’on fait de certains d’entre eux – pour une « saison » ou deux, pas plus – inscrivant irrémédiablement une date sur une pièce aimée. Associer des pièces unies, à une pièce à peu de motifs, une seule pièce extravagante contre toutes les autres ultra-classiques ou encore choisir des couleurs neutres, intemporelles, des formes simples, des lignes épurées augmenteront le potentiel de Beauté éternelle d’une tenue, mais cela se fera toujours aux détriments d’une certaine originalité.

Enfin, dernier point, peut-être le plus inattendu. Il n’est rien de plus authentiquement et mystérieusement féminin qu’une belle jupe ou une belle robe longue faite de tissus légers et souples qui se soulèvent et ondulent à chaque mouvement de la femme mais qui n’en dévoilent rien. Ainsi, il n’est pas rare de voir des hommes se retourner avec admiration devant un tel archétype de la Beauté féminine : une femme marchant avec une jupe longue faite de voiles qui s’envolent gracieusement.

Car nous aimons d’abord ce que nous projetons, et il n’est rien de plus beau qu’un corps qu’on rêve parfait tant qu’on ne l’a pas vu…hormis un corps imparfait mais enfin connu. Car c’est de cela qu’est fait l’amour : de rêveries, d’attente mêlée de respect et de désirs enfin comblés.

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L’aphrodite des poètes

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Comment les anciens grecs voyaient-ils leur déesse de l’Amour, et donc, par extension, de quelle image de l’Amour et de la Beauté notre culture occidentale a-t-elle hérité ?

Les poètes en ont laissé quelques images aussi éclairantes que mystérieuses, sublimes et immortelles.

Hésiode, le premier, nous parle de sa naissance du côté de Cythère, à partir de l’écume formée autour du membre viril d’Ouranos, le ciel. Elle gagna Chypre avant de sortir de la mer. Comme Athéna qui naquit tout armée de la tête de son père, Aphrodite naquit jeune fille et faisait croître l’herbe sous ses pieds en gagnant la terre.

«  Amour l’escorta et le beau Désir la suivit dès qu’elle fut née et alla rejoindre le peuple des dieux.

Depuis le début, parmi les dieux et les hommes, lui sont réservés comme un privilège, les babillages de jeune fille, les sourires, les tromperies, les délices du plaisir, la tendresse et la douceur.« 

Hésiode. La Théogonie. Traduction Claude Terreaux. Arléa.

Sappho la voit couverte de fleurs et ce qu’elle n’offre plus se retrouve dans la poésie qui lui est consacrée :.

«  Je tremble et la vieillesse couvre déjà ma peau.

L’amour s’envole à la poursuite des jeunes.

Prends ta lyre et chante-nous Aphrodite au sein couvert de violettes. »

Sappho. Le désir. Traduction Frédérique Vervliet. 1001 nuits.

Dans un registre plus philosophique et fondamental, Aphrodite est aussi au coeur de la manifestation de l’univers. Empédocle place en effet l’univers et sa manifestation sous la double impulsion de l’Amour, qui unit, et la haine qui désunit. Cette conception ressemble à celle des hindous qui pensent qu’attraction et répulsion sont à l’origine des multiples renaissances de l’Homme après sa mort, entraînant un nouveau cycle de vie terrestre et donc de souffrance. En Inde, et ailleurs dans le monde, cette conception motive la pratique des yogas, qui libèrent de ce cycle infernal.

 » Ainsi, commun à tous, mais s’amorçant sur des cercles contraires, 

Le même être tantôt se défait, tantôt croît, 

Gros ici de ce qu’il perd là; et tantôt frères, 

Les éléments qui ne sont qu’Un forment l’Unique, 

Sous l’effet de l’Amour, et tantôt sous le froid

Empire de la Haine, ils forment l’Innombrable. »

« …Amour, qu’on nomme aussi Aphrodite et Délice. »

« …C’est dans le corps mortel que le mieux s’aperçoit

L’impérissable effet de cette grande loi.

Tantôt l’Amour fleurit la chair et nous unit

A tout ce qui est beau; tantôt triste, terni, 

Luttant contre soi-même, errant sur les rivages

Extrêmes de la vie, en butte à de sauvages

Houles, le coeur se lasse, et nos corps, usés, meurent. »

De façon plus surprenante, c’est encore Aphrodite qui est à l’origine de la vue, selon la même loi :

« Aphrodite a uni sous son joug les 2 yeux, 

Infatigable paire; à eux deux, ils produisent

L’image unique. »

Empédocle. Traduit par Marguerite Yourcenar. La Couronne et la Lyre. Poésie Gallimard.

Pour finir – parce qu’il y en a encore bien d’autres ! -, cette qualité de la vue, de l’éveil de l’entendement, se retrouve aussi chez la poétesse Nossis, être un privilège d’Aphrodite.

Eloge de l’Amour

« La douceur de l’amour surpasse toutes choses, 

Croyez-m’en, moi, Nossis. Le miel a moins de prix.

Celle qui n’a pas eu le baiser de Cypris

Ne sait pas distinguer quelles fleurs sont les roses. »

Nossis. Traduit par Marguerite Yourcenar. La Couronne et la Lyre. Poésie Gallimard