Après avoir constitué les fondements de nos croyances et de notre culture, les divinités apparaissent désormais comme les premières tentatives d’explications scientifiques de phénomènes perçus comme supérieurs. La personnification de ces phénomènes en des divinités aux traits connus rassurait en unissant phénomènes et comportements incompréhensibles sous la volonté d’un seul qui leur donnait un sens et justifiait leur caractère parfois aussi irrépressible qu’apparemment dément.
Mais quand les dieux tombent et que cette vision du monde n’est plus autorisée ? Alors le langage rassemble les miettes, reconstitue ce dont il a besoin à un moment donné pour comprendre le monde et révèle, par l’usage, où sont allés se cacher les divinités. Evidemment, les dieux de l’amour et du désir sont les plus importants du domaine langagier parce qu’ils sont à la fois premiers dans les nécessités du vivant, des espèces, mais aussi, comme on le sait depuis plus d’un siècle, dans la construction de notre psyché.
En terme d’usage proprement dit, les mots semblent suivre la logique culturelle et historique dans l’ordre de préséance et d’association. En premier lieu, néanmoins, Aphrodite, Eros et Vénus gardent, dans le langage, le sens qu’ils ont toujours eu en qualifiant par des noms propres, des divinités de l’Antiquité avec toutes les connotations que cela implique.
Aphrodite a donné peu de mots : « aphrodisiaque », désignant à la fois un nom et un adjectif et signifiant « propre à exciter le désir sexuel ». Le mot apparaît au XVIII ème siècle, époque des romans libertins mais désigne plutôt des substances issues de la pharmacopée. Le mot associe donc cette force primordiale qu’est le désir, et son contrôle, sa récupération dans une visée personnelle par des moyens presque scientifiques. Dans son deuxième sens, « aphrodisiaque », utilisé exclusivement comme adjectif et depuis moins longtemps, désigne la nature du culte. On parle de culte aphrodisiaque comme de culte dionysiaque, mais bien sûr, uniquement dans le vocabulaire historique et archéologique.
Eros, beaucoup plus important dans le vocabulaire, a donné de nombreux mots associés soit au libertinage, apparu au XVIII ème siècle comme le mot « érotisme » et ses dérivés « érotique », « érotiquement » dans le sens que nous leur connaissons actuellement, soit au vocabulaire de la médecine, apparu aussi vers cette époque-là mais plus généralement au XIX ème et XX ème siècle avec la psychanalyse. C’est le cas de mots comme « érotisation », « érotiser », qui renvoient à des phénomènes psychiques, et « érotomane », »érotomanie », plus franchement dans la psychiatrie puisqu’ils évoquent une forme de paranoïa où la certitude délirante d’être aimé vire à l’obsession.
A la Renaissance, pourtant, l’adjectif « érotique » désignait simplement quelque chose qui parlait d’amour, ce qui n’était pas rien puisqu’en redécouvrant notre culture antique, nous nous réappropriions ce droit d’en parler d’abord en poésie comme le firent Ronsard, du Bellay, quelques italiens avant eux et quelques autres d’un peu partout après, puis en parler tout court.
Mais si Eros est si important dans l’histoire du vocabulaire, c’est peut-être aussi parce qu’il fut primordial dans la philosophie de Socrate, Platon et la pensée chrétienne après elles qui virent dans la beauté et l’amour le plus élevé dont il était le concept, le moyen de connaître Dieu, la vérité, et d’y avoir accès. Eros est donc une notion philosophique qui n’a cessé d’interroger, contrairement à l’Aphrodite d’Empédocle qui, redécouverte tardivement et de façon fragmentaire, n’a pas rayonné de façon claire et continue sur la pensée européenne. Ce sera néanmoins avec Freud qu’Eros, en tant que principe de vie, va prendre son sens psychique moderne et paradoxalement primordial puisque c’est déjà le sens qu’Hésiode lui donnait il y a presque 3000 ans dans sa Théogonie.
Vénus, quant à elle, peut-être parce qu’elle est romaine et que notre langue est à 80 % d’origine latine, a donné un vocabulaire beaucoup plus prosaïque et ancien que celui associé aux divinités grecques. En effet, quand Vénus ne désigne pas les belles femmes ou leurs représentations diverses dans la culture, elle est associée au vocabulaire plus sexuel, du « mont de Vénus » aux maladies « vénériennes », qualifiées ainsi depuis la fin du Moyen-Age.
Mais Vénus, dont les habitants imaginaires, les « vénusiens », parcourent notre espace langagier depuis les premières science-fiction du XVII ème siècle, c’est aussi la planète la plus belle et la plus brillante de notre espace étoilé. Les dieux, on se le rappelle, ont aussi été vus comme des phénomènes astraux. Enfin, « vendredi », « veneris dies », jour consacré depuis l’Antiquité à Vénus, l’est aussi de manière indirecte même chez ceux utilisant une autre mythologie pour leur calendrier. En effet, « friday », « freitag » dans les pays anglo-saxons, c’est le jour de Freya, déesse nordique de l’Amour et la guerre dont dérivent aussi certainement les termes « free », « frei », libre. Pour presque tout le monde, le vendredi annonce justement la fin de la semaine de travail et marque le début du week-end, période de repos et de liberté retrouvée.
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