Mythologie

Aphrodite et la prison de la frivolité

Un passage de la mythologie raconte une anecdote à propos de la déesse de l’Amour et de la Beauté. Un jour, celle-ci essaya le travail et se mit à la tapisserie. Scandalisée, Athéna alla se plaindre à son père Zeus. Elle était la déesse associée aux travaux d’aiguille – travail malgré tout essentiellement féminin – et il n’était pas question qu’Aphrodite empiète sur son domaine. Zeus donna raison à Athéna, et on ne vit plus jamais Aphrodite faire quoi que ce soit de ses mains qui ressemblait à du travail.

Le récit mythologique répartissait donc ainsi les rôles, entre la femme qui est belle et sert à embellir le monde en obéissant strictement aux règles définissant sa place – « Souris sur les photos », « Tu es tellement plus belle quand tu souris »-, et celle qui fait, agit au risque de faire peur au monde, de la priver de sexualité et de risquer d’être considérée comme marginale dans la société.

En grandissant, quand apparaissent les caractères sexuels secondaires, ce choix se présente à toute jeune fille qu’on trouve assez désirable pour la pousser à la sexualité. Que sera-t-elle ? Belle, frivole, et agréable à fréquenter, ou studieuse, ambitieuse et donc non disposée pour l’homme qui pourrait la désirer ?

C’est l’histoire d’une jeune fille qui ne se trouvait pas très jolie et qui regardait avec envie et jalousie la plus jolie fille de sa classe après qui tous les garçons couraient. Elle ne voulait pas spécialement qu’on lui courre après, mais elle voulait juste parfois avoir l’impression d’exister dans une société où il y a le sexe fort et où sa façon de représenter le sexe faible ne correspond pas à l’image qu’on désire en avoir.

Dans son traité sur l’éducation, Rousseau dit en 1762 : « Toute l’éducation des femmes doit être relative aux hommes. Leur plaire, leur être utiles, se faire aimer et honorer d’eux, les élever jeunes, les soigner grands, les consoler, leur rendre la vie agréable et douce. »

Le doux contre le fort, le sexe fort, qui agit, le sexe faible – aussi appelé beau sexe, en référence à la beauté qu’on associe au féminin et à la force, qu’on associe au masculin – qui grandit à l’ombre des tentations qui la feraient passer du côté des femmes qu’on dit paradoxalement « libres », c’est-à-dire les prostituées, qui seules, avaient le droit d’avoir de l’argent bien à elles.

Si cette vision de la femme est très associée dans notre imaginaire aux religions monothéistes, les mythes grecs ne laissent pas de place au doute quant aux rôles bien définis des uns et des autres Olympiens selon leur sexe : ceux qui agissent et décident sont masculins (Zeus, Poséidon, Hadès, Hermès, Apollon…), sont féminins ceux qui subissent (Perséphone, Héra, Aphrodite) ou qui s’écartent du jeu matrimonial ou sexuel pour ne pas subir (Athéna, Artémis).

Le monde d’Aphrodite – plus qu’aucune autre – c’est effectivement l’empire statique de la frivolité. Tout comme les textes anciens nous décrivent longuement la déesse de la Beauté qui, éprise d’Anchise, met ses plus beaux vêtements et bijoux, pour aller à sa rencontre, le cinéma, les réseaux sociaux, les clips musicaux sont pleins d’images de femmes et filles qui, apprêtées, maquillées, sur-sexualisées et esthétisées, semblent prêtes à se perdre dans leur propre image d’elle-même et le désir qu’elles inspirent.

C’est l’histoire d’une fille qui fait de l’art avec ses mains et le diffuse sur les réseaux sociaux pour ne gagner qu’une dizaine de like quand une autre en gagne près de 200 avec juste une photo d’elle en décolleté ou en tenue sexy. A cette dernière – celle qui fait ce qu’on désire d’elle – la plus grande distribution de dopamine !

Cette façon de voir le monde entre masculin et féminin perdure partout dans le monde – et même chez ceux qui se croient assez intelligents pour y échapper – lui assurant une stabilité rassurante pour les uns plus que pour les autres, mais malgré tout plusieurs fois millénaire.

Tant que tu es jeune et belle, séduis ! Tiens le rôle qu’on donne à la femme par excellence, puisque tu es née femme ! « Quand vous serez bien vieille, Hélène, assise au coin du feu (…)Ronsard me célébrait du temps que j’étais belle… » Hélène a eu l’audace de ne pas faire ce que Ronsard attendait d’elle. Elle ne profitera pas du plaisir et des honneurs qui ne reviendraient de toute façon qu’à lui, de qui on admet la sexualité libre et la conquête, quand on la condamnerait chez elle.

Aux femmes le monde du maquillage, de la mode, de la beauté et de la frivolité ? En fait, non. Aux uns et aux autres le monde et la place que la société et les proches acceptent de leur céder et leur reconnaît, en fonction de leurs croyances, leur culture et leur ouverture d’esprit.

La mythologie raconte aussi qu’Héphaïstos avait décidé de piéger Aphrodite et son amant Arès pour exposer aux Olympiens leur culpabilité et l’adultère de la déesse. Un filet tomba donc sur eux quand ils étaient au lit et exposa aux autres dieux leur nudité. Une ruse qui ne profita pas à Héphaïstos car la plupart des dieux envièrent Arès et eurent une aventure avec Aphrodite, flattée et reconnaissante de leur admiration. La déesse eut ainsi des enfants avec chacun, lui assurant une descendance assurée et nombreuse dans le monde des dieux. Les déesses, qui avaient aussi été invitées au spectacle, refusèrent, par pudeur. Chastes déesses, sans descendance autre que leur nom immortel…

A se demander pourquoi, avec autant de succès dans le monde qui lui a toujours reconnu sa place de déesse dont la beauté suffit à justifier son existence et l’immortalité de son nom et son image, elle éprouva le désir de faire autre chose que paraître pour se mettre à travailler de ses mains…

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Chypre, île d’Aphrodite

Avec l’évocation des poudres de Chypre, parfums anciens que je reconstitue dans la boutique du Labo de Cléopâtre, on peut dire que mes 2 blogs sont sous le règne de Chypre. Quand on parle d’Aphrodite, ceux qui connaissent la mythologie se souviennent qu’elle est née à Chypre, de l’émasculation d’Ouranos dont le membre rencontrait l’écume en tombant dans la mer, donnant naissance à la plus belle des déesses. Un récit mythique qu’on retrouve chez Hésiode, loin de toute évocation plus tardive d’une éventuelle filiation avec Zeus.

A Chypre, l’endroit exact de sa naissance est marqué par un rocher Petra tou Romiou, dit Rocher d’Aphrodite. Certains points de vue font d’ailleurs apparaître le rocher comme les organes génitaux coupés d’un géant.

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Dans l’Antiquité, puisque l’île était considérée comme le lieu de naissance d’Aphrodite, un grand sanctuaire lui était consacré – célèbre dans toute la région, notamment pour sa pratique de la prostitution sacrée – dont il ne reste que des ruines mais que chaque visiteur avec un rêve secret d’amour contribue à rendre encore vivant, et ce d’autant plus que d’anciennes coutumes restent vivaces. Des arbres à voeux ponctuent la route allant du rocher au sanctuaire d’Aphrodite, et une ancienne tradition recommande de plonger dans les eaux du rocher pour s’assurer de connaître un amour éternel.

Car en vérité, on ne plaisante pas avec la déesse de l’Amour et de la Beauté, et si on croit que son culte est tombé avec le triomphe du christianisme, c’est mal connaître le pouvoir d’une telle divinité et l’importance qu’elle peut avoir sur le destin des Hommes comme de tout ce qui est vivant. Pour preuve, les vestiges de l’île semblent démontrer qu’une déesse informe de la fertilité habitait déjà les lieux bien avant que l’époque classique fixe dans la statuaire la forme que nous lui connaissons bien et qui hante les musées.

Quand on regarde les commentaires de ceux qui suivirent la route d’Aphrodite, on voit de la déception : des paysages magnifiques, certes, mais finalement, rien d’inoubliable : une plage, un rocher, une baignade, une grotte, un jardin botanique plein d’espèces végétales en lien avec la mythologie, et le mythe d’Aphrodite en particulier; et quelques musées. Certes, pour un touriste habitué à voir des châteaux, des attractions, des spectacles et consommer de la culture comme on le fait des autres types de produits, un lieu dit sacré et mythologique – pour lequel on a dû faire des heures de randonnée sous un soleil de plomb – n’a pas grand-chose d’excitant.

Les montagnes, de l’Olympe à l’Himalaya, abruptes terres où vivent les dieux, nous sont bien connues à présent, malgré le danger qu’elles représentent encore, et chaque nouvelle ascension en diminue un peu le prestige et la dangerosité inscrits dans la mémoire collective de l’humanité. Les menhirs et autres mégalithes qu’on prenait autrefois pour des autels de géants ou des portes du monde des fées ont repris leur dimension humaine en même temps que progressaient les découvertes scientifiques et la reconstitution de plus en plus cohérente de l’histoire de la Terre.

Et pourtant, nous sommes les héritiers de ces homo sapiens, les hommes de sagesse qui se racontaient des histoires pour se créer une culture, des représentations communes, des attachements qui feront qu’on sera fiers d’être nés, attachés à une terre ou même tout simplement d’y avoir posé les pieds.

Mais le destin de Chypre est aussi dans sa partition : une partie nord de l’île étant occupée par l’armée turque, rappelant qu’aux temps des Troyens et des Achéens, la déesse savait provoquer les conflits pour la beauté et pour un territoire :

« Je chanterai Kythérée née de Kypros et qui fait de doux présents aux mortels. Son visage charmant sourit toujours, et elle porte la fleur aimable de la jeunesse. Saut, Déesse qui commandes à Salamis bien bâtie, et à Kypros entière. » Hymne homérique à Aphrodite. Traduction Lecomte de Lisle.

Enfin, Aphrodite, c’est aussi la déesse des parfums, ce qu’on sait peut-être moins, et Chypre est décrite comme une île odorante déjà par les auteurs de l’Antiquité, ce que va confirmer l’histoire des parfums qui la désigne comme une île des parfumeurs, entre Orient et Occident, grâce à la présence des plantes à parfum : ciste, myrte, mousse de chêne, roses, iris, origan. L’eau de Chypre, qui donnera ensuite la poudre de Chypre, puis les parfums chyprés, achevèrent d’associer la déesse, son île et les parfums.

Vous aimez Aphrodite et ne savez pas quoi faire pour vous rapprocher d’elle ? Renseignez-vous peut-être sur Chypre, l’antique déesse de l’Amour y a même sa route culturelle : La route culturelle d’Aphrodite

Nouvel article Labo de Cléopâtre : Poudres de Chypre

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Reflet de Cythère (12)

Reflet de Cythère, c’est un texte, une poésie, un fragment qui permet de nous rapprocher de l’image que les Anciens se faisaient de leur déesse de l’Amour. J’écris les Anciens, mais en 5 ans de ce blog, j’ai aussi mis des modernes, des païens contemporains, tant il est vrai que les figures divines ne meurent pas.

Aujourd’hui, cité par Stobée dans son Florilège, c’est le grand Sophocle, auteur, au V ème siècle avant notre ère, des plus belles tragédies de l’Antiquité – dont Oedipe et Antigone, son incorruptible fille, qui va nous chanter la belle et terrible déesse de l’Amour. Un rôle qu’elle tient bien souvent chez les poètes et les philosophes, l’Amour étant vu comme une nécessité douloureuse apportant bien plus de malheur et de destruction que le bonheur qu’on vient y chercher.

Sophocle lui-même, au-delà des pièces à la perfection formelle que les Alexandrins ont bien voulu nous laisser intacts, fut un homme qui s’y brûla les ailes et dont la personnalité sensuelle s’est plutôt révélée dans les fragments conservés par d’autres auteurs.

Dans la Couronne et la Lyre, Marguerite Yourcenar précise même : « Vieillard, il se félicita d’être débarrassé du désir comme d’un tyran sauvage. » Une expression qui paraît n’avoir été que figures rhétoriques puisqu’il s’éprit dans cet âge de deux courtisanes, prouvant bien quà la fin, c’est toujours « Cypris » qui règne.

PUISSANCE DE L’AMOUR

« ..L’Amour, ô doux enfants, n’est pas rien que l’Amour.

On l’adore partout sous mille noms divers.

Il est la Mort, il est la Force impérissable.

Et la démence et le désir inguérissable.

Il est la Plainte. Il est activité et calme, 

Et violence..Et en tout lieu, dans l’univers, 

L’âme vivante et respirante le reçoit

Et se soumet, aussi bien le poisson qui erre

Dans l’océan, que le quadrupède sur terre; 

Pour les oiseaux et pour la bête carnassière, 

Pour l’homme, pour les dieux immortels, il est Loi.

Quel lutteur devant lui  n’a mordu la poussière, 

Fût-il divin ? S’il est permis, comme il se doit, 

De dire ce qu’il est, il dompte Zeus lui-même, 

Sans se servir du glaive. A chaque stratagème

De l’homme, à chaque plan des dieux, il fait échec, 

Et Cypris règne seule… »

Nouvel article Labo de Cléopâtre : Parfums antiques du Labo

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Aphrodite a-t-elle des porcs à balancer ?

Mon petit blog qui réfléchit la beauté, la séduction et les rapports hommes-femmes pouvait-il faire l’impasse sur les mouvements de société ? D’une manière ou d’une autre, il ne s’est jamais privé, même basé sur la culture classique, de réfléchir sur les faits de société. Il n’est pas une seule histoire, un seul mouvement culturel ancien qui dure sans un message d’actualité.

Quand on regarde la déesse Aphrodite et ce qu’elle représente, personne ne ressent l’incongruité, l’exagération, la fausseté d’un personnage mais, sans croire forcément à la déesse, chacun au contraire, reconnaît la force et la pertinence de cet archétype dans sa propre culture. Notre attirance et notre déférence viennent de là, et il y a de l’Aphrodite en certaines d’entre nous plus qu’en certaines autres.

L’affaire Weinstein – qui a éclaté à l’instigation du fils de Woody Allen – scandalisé par son père qui avait trompé sa mère avec sa fille adoptive encore mineure – a éclairé plus que jamais la violence  sexuelle persistante entre hommes et femmes dans le monde apparent d’égalité de l’Etat de droits. Les chiffres officiels oscillant d’1 femme sur 2 à 1 sur 3 ayant subi des violences sexuelles raconte plus une histoire de droits bafoués que respectés.

Mais l’affaire Weinstein, c’est aussi la culture populaire, les films que vous connaissez depuis toujours, les actrices que vous avez aimées et le prix qu’elles ont payé pour avoir ce droit-là. De fait, c’est l’histoire de chaque femme, parce qu’on ne va pas vous faire croire que les inégalités hommes-femmes et les violences se sont mises à apparaître soudainement. Et pourtant, tout d’un coup, une prise de conscience qui éclate comme un coup de tonnerre déchaîne les angoisses d’une purge comme à l’époque de la Révolution culturelle, de part et d’autre des camps représentés. Car si Joey Star craint que cela dérive en purge d’après guerre, une mère de famille anglaise refuse qu’on enseigne à son enfant la Belle au bois dormant parce que le baiser n’est pas consenti.

La mythologie tout entière est pleine des viols des dieux sur les déesses, les nymphes et surtout les mortelles. Partout, les bâtards de Zeus, nommés des Héros, ont fondé de nouvelles dynasties sur le viol de leurs mères, Io, Europe, Sémélé, etc. On pourrait se dire qu’on ne connaissait pas d’autre méthode à l’époque…Pourtant, Homère raconte comment Héra a revêtu la ceinture d’Aphrodite et séduit Zeus pour l’éloigner du combat qui se jouait entre Troyens et Achéens. Le père des dieux leur fait apparaître alors un nid d’amour. Aphrodite, allant séduire Anchise dont elle est amoureuse, s’organise une belle nuit d’amour, tout comme Athéna l’offre à Ulysse et Pénéloppe en faisant prolonger la nuit lors du retour du héros après vingt ans d’absence.

Aphrodite, déesse de l’Amour et des rapports sexuels, a elle a aussi été outragée, et bien qu’on l’ait souvent représentée nue, l’a d’abord été dans des postures pudiques et a plutôt été connue habillée pour les Anciens. Déesse à la sexualité facile, elle n’en était pas pour autant une déesse objet mais était seule, parmi toutes les autres, à abandonner son corps au gré de sa passion et de ses inclinations. En somme, Aphrodite ressemble trait pour trait à la femme contemporaine car elle seule avait, par droit exclusif et divin, la liberté amoureuse et sexuelle.

Les violences sexuelles faites aux femmes s’inscrivent dans l’histoire de toutes les autres inégalités, celles faites aux enfants, de la loi du plus fort sur le plus faible et qu’on retrouve depuis la nuit des temps et à tous les stades de la société. Ce sont des violences qui fonctionnent aussi grâce à un réseau de complicités aux raisons variées : habitude, peur, loi du silence, intérêt quelconque et personnel à protéger le coupable, misogynie revancharde. Il n’est pas étonnant que ce soit un homme déjà traumatisé par une situation semblable dans son histoire personnelle qui ait fait éclater l’affaire plutôt qu’une femme qu’on se serait soudain mis à écouter.

Car quand on est un peu honnête : j’ai un porc à balancer, moi, ma mère, ma fille, des femmes dont j’ai entendu parler, parfois au sein de leur propre famille, plusieurs amies. Remontez les histoires de femmes que vous connaissez ; est-ce que vous n’arrivez pas à peu près au même nombre ? Et si on comptait les femmes, enlevées et violées dans la mythologie, combien en trouverait-on ?

Si un problème de société n’a pas changé depuis l’apparition de la littérature, il y a bientôt trois millénaires, c’est que les conditions de sa longévité sont dans la culture elle-même. Et c’est par la culture qu’il va falloir désormais les affronter et cesser de leur donner une place négligeable, un motif parmi tant d’autres car faisant partie de notre fond culturel. Certaines choses faisant partie de notre fond culturel font partie de notre passé : si on parvient à imposer les conditions de la laïcité au point que les enfants ne connaissent plus les noms des saints, des anges, les symboles chrétiens, comment ne pas être à même d’imposer les conditions du respect et de l’égalité dans les rapports entre les sexes ?

Ayant étudié la littérature, que dois-je vous dire de la place qu’y occupaient les femmes, à part celle que leur donnait la société ajoutée à celle que leur donnait l’écrivain qui, ayant le pouvoir des mots qui vont compter, a le pouvoir sur la mémoire d’une langue ? Ce mélange d’évolution lente et de hasard est la matière même de l’Histoire, avec sa grande hache. Une histoire à laquelle tout le monde a participé. On sort maintenant, après l’avoir interdit, une édition commentée de Mein Kampf pour que son poison ne se répande pas dans les consciences, par le biais d’un sage recul et de l’intervention de savants.

C’est Aphrodite qui vous le dit : Oui, la langue et la culture sont les reflets d’une histoire, d’une époque, les éradiquer, censurer ou travestir est ridicule, tyrannique et mensonger. Mais quand ça vous a arrangé, vous avez su faire des choix pour vous donner les moyens du changement. Un jour, vous devrez aussi vous pencher sur l’image que la culture a renvoyée de nous, les femmes, et devrez faire de ce problème une vraie discipline ou un vrai sujet de sciences humaines, si vous voulez avoir l’air d’instaurer l’égalité à laquelle vous semblez prétendre. Sinon, quelqu’un risque de vous en demander des comptes, et comme souvent quand il est un peu tard, ça ne se fera pas forcément de façon paisible et raisonnable pour tous.

Soyez sourde à toute récupération politique, si vous avez une histoire personnelle lourde que vous voulez partager pour vous enlever un fardeau et ne pas vous sentir seule, allez ici : Balance ton porc

Nouvel article Labo de Cléopâtre : Brûle-parfum de l’Antiquité

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L’importance cachée d’Aphrodite

Qui a lu quelques mythes mettant en scène la déesse de l’Amour et de la Beauté peut s’étonner d’un tel titre. En effet, dans beaucoup d’histoires, Aphrodite est loin d’avoir le beau rôle, passant pour une déesse superficielle, vaniteuse, colérique, aussi oisive qu’impudique et débauchée. Cette image de la déesse est étrangement conforme à l’opinion que se faisaient de la femme les prédicateurs chrétiens qui craignaient sa superficialité, sa beauté autant que sa débauche, sa paresse et ses caprices.

Une coïncidence ? Sûrement pas. Les recherches en psychologie ont pu démontrer que si nos émotions sont universelles, notre façon de nous représenter les archétypes et de construire notre psychisme sont relatifs à notre culture, laquelle a commencé avec les mythes. Si bien que par exemple, là où en Occident on reconnaît le complexe d’Œdipe comme une phase de la construction de l’individu, le Japon, qui ne s’y retrouve pas, connaît un complexe d’Ajaze où le fantasme du meurtre du père et la culpabilité que cela génère sont remplacés par le désir de la mère de tuer son enfant et se résout par le pardon mutuel. Une histoire racontée dans leur mythologie.

D’autre part, les multiples variantes des mythes, qui peuvent être contradictoires, témoignent des changements de mentalité dans une société ou une plus grande perception des phénomènes psychiques ou sociaux mis en scène dans les histoires vécues par les dieux. Ainsi, dans la co-existence de deux Aphrodite, l’une issue de l’émasculation d’Ouranos et l’autre, plus tardive, née de Zeus et de Dioné, se remarque le passage d’une conception matriarcale, indépendante, de la déesse née de personne, à celle d’une conception patriarcale où la déesse devient un des multiples rejetons de Zeus à qui elle doit le jour et donc obéissance. Il arrive la même chose au dieu Amour, Eros, qui passa d’un dieu primordial arrivé à l’aube des temps, bien avant les Olympiens, à un petit dieu ailé, fils obéissant d’Aphrodite, comme si on avait eu besoin de limiter, contrôler l’Amour et le Désir dans une société plus civilisée.

A l’origine, pourtant, Aphrodite possède des points communs avec Ishtar, grande divinité assyro-babylonienne de l’Amour et de la Guerre dont la puissance est immense par rapport à tout ce qu’on accordera de pouvoirs à une déesse, voire à un dieu. Bien plus ancienne que la religion des Olympiens, la religion des assyro-babyloniens est liée aux débuts de l’Antiquité, période où on découvrit l’écriture, et où se passait l’épopée de Gilgamesh, premier héros civilisateur. A l’époque, l’amour, le désir, la fécondité sont considérés comme des forces premières, pourvoyeuses de vie, puissances auxquelles il faut se soumettre et non qu’on doit soumettre. Le roi lui-même est présenté comme fils de la déesse, preuve de sa puissance dans la société, et elle n’a rien à envier aux dieux masculins de qui elle est, au minimum, l’égale.

C’est de cette déesse-là que l’Aphrodite ouranienne est issue, même de façon lointaine. Puissante, elle est maîtresse de la vie et créatrice de destins au même titre que les Parques par le désir qu’elle fait naître chez les hommes comme chez les dieux, ainsi que tous les animaux sur terre ou sur mer, les poussant dans des directions imprévues, leur faisant créer des familles, des lignées, des alliances inattendues avec toutes les conséquences bonnes ou mauvaises que cela suppose.

On en a en effet maints exemples dans la mythologie, de l’amour qu’elle fit éprouver à Pasiphaé pour le taureau sacré du roi Minos naquit le Minotaure, d’après certaines versions, à celui de Zeus ou d’autres dieux pour des mortelles et des nymphes, créant ainsi des lignées de héros, mais aussi de nouvelles plantes, fleuves, etc. De l’amour d’Hélène pour Pâris survint la Guerre de Troie et le désir qu’elle fit naître chez Zeus pour sa femme fut favorable à l’intervention des autres dieux dans le conflit quand le père des dieux avait juré de leur neutralité. Sans parler de tous les autres, les anonymes nés de l’union d’un homme et d’une femme, d’un mâle et d’une femelle et ceux qui s’unissent sans être de même sexe.

Il exista même une philosophie qui reconnaissait à Aphrodite le premier rôle divin comme maîtresse du vivant, faisant d’elle une divinité supérieure à tous les Olympiens. Zeus lui-même redoutait sa capacité à le faire s’éprendre des unes et des autres. Mais gagnés par la culture du dénigrement qui se fit progressivement, nous peinons souvent à entrevoir toute l’étendue du pouvoir que les Anciens eux-mêmes lui reconnaissaient.

( Photo à la Une : médaillon d’argent représentant Aphrodite datant du III ap. J-C issu des ateliers de toreutique de Tarente conservé au British Museum )

Nouvel article : recette de beauté de Cléopâtre : le chou séché

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Fruits d’Aphrodite

Dans la mythologie, il existe deux fruits d’amour bien connus associés à des déesses de l’Amour, ce sont la grenade et la pomme, toutes deux consacrées à Ishtar d’abord, grande déesse babylonienne, et à Aphrodite ensuite, sa version hellénisée. Dans les rituels de magie anciens destinés à provoquer l’amour, on retrouve Ishtar associée à la grenade ou la pomme.

La grenade, en effet, avec ses multiples grains rouges, charnus, pleins de jus, symbolise à merveille la fécondité. La couleur rouge de son jus rappelle le sang dont le corps est constitué, qui coule quand la femme est prête à engendrer, qui coule encore quand elle connaît son premier acte sexuel. Ses grains, quant à eux, foisonnant et se dispersant quand on ouvre le fruit, semblent révéler le mystère de vie auquel les Anciens ont eu accès intuitivement par ce symbole : le multiple dont toute unité est faite dans le vivant. Les biologistes l’appellent la division cellulaire.

Ishtar, Tanit, Aphrodite, déesses de l’Amour et de la fécondité et donc de la vie ont toutes été associées à la grenade aussi fortement que Perséphone, femme d’Hadès et déesse des Enfers comme il en était le dieu. Lorsqu’elle fut enlevée par celui-ci et que la dépression de Cérès, sa mère, aurait pu lui valoir sa libération, elle mange 7 grains de grenade qui lui valent d’être associée pour toujours au Royaume des Morts, nous rappelant ainsi que la loi du multiple et donc de la vie est aussi ce qui nous enchaîne à notre destin de Mortels. L’amour, la sexualité, la multiplicité au coeur de l’unité, la fécondité, la vie, la nourriture, toutes ces promesses caractéristiques des lois d’Aphrodite sont autant de promesses de lien futur avec le royaume de l’Hadès où tout ce qui a vécu un jour se retrouvera pour l’éternité.

La grenade est ainsi un fruit initiatique qui, par sa construction surprenante et unique délivre aux Mortels les secrets de leur destinée entre l’amour et la sexualité qui les a fait naître et la mort potentielle contenue dans le vivant. Mais c’est aussi un fruit qui raconte une histoire spirituelle où chaque grain représente les choix multiples s’offrant à chacun pour devenir soi-même, mais aussi le multiple nécessaire pour faire un monde – la grenade représentant aussi bien le multiple au sein d’un seul être vivant que la Terre, constituée de multiples êtres vivants.

Bien que particulière et unique, la grenade a souvent été confondue avec la pomme, l’une pouvant se substituer à l’autre dans les rituels de magie d’amour ou sur les représentations divines. Il faut dire que pour les Anciens, la pomme pouvait signifier beaucoup de fruits, comme c’était le cas dans l’Antiquité avec beaucoup de végétaux, voire d’animaux. Cette latitude devait bien arranger les populations d’Europe du Nord qui ont hérité de la culture méditerranéenne mais pas de son agriculture, son climat étant trop froid. La grenade, incapable de pousser sur ces terres inhospitalières, cède le pas symbolique et culturel à la pomme.

Ainsi, qu’elle prenne appui sur les anciens symboles païens ou qu’elle soit christianisée, la magie d’amour utilise très souvent une pomme à envoûter et à faire croquer à l’être aimé comme ça se faisait déjà dans l’Antiquité. Disney a su le mettre en scène de façon saisissante dans son adaptation de Blanche-Neige des frères Grimm où une fois encore, désir, amour et mort se mêlent au moyen d’une pomme, charnelle, attirante mais ensorcelée, offerte cette fois à l’être détesté, mais procédant selon la même logique que dans les sorts d’amour les plus traditionnels.

Ces symboles de désir, de vie, de mort, communs à la grenade et à la pomme, s’ajoutent à celui, puissant, de la tentation, qu’on retrouve dans le Jugement de Pâris où pour gagner la pomme d’or offerte par la déesse de la discorde « à la plus belle », Athéna, Héra et surtout Aphrodite, sèment le trouble et embrasent l’histoire, offrant à l’Europe son premier récit, sa tragédie fondatrice. La déesse de l’Amour, gagnant le prix de beauté, en paiera le prix en provoquant l’amour et le désir d’un homme et d’une femme, et finalement avec la Guerre de Troie, la mort de presque tous ceux entraînés dans ce conflit.

Enfin, dans l’imaginaire collectif, la pomme, c’est surtout la pomme d’Adam et Eve, représentant pour tous l’acte sexuel sans qu’aucune fois la Genèse n’ait mentionné ni le fruit ni la sexualité, parlant juste du fruit d’un arbre présent au Paradis dont la consommation entraînait la fin de l’innocence par la compréhension de notions de Bien et de Mal et donc la honte de leur propre nudité. Mais comment envisager la sexualité d’Adam et Eve comme un mal quand Dieu exige lui-même de se créatures de « croître et multiplier » après les avoir créés « mâles et femelles » ? Et que viennent faire la pomme et la sexualité absents du texte mais évidents pour tous ?

Entraînés certainement par leur connaissance des symboles du fruit d’Aphrodite qui pouvait si bien perdre les hommes comme les femmes, les peuples récemment christianisés n’ont certainement pas eu de mal à retrouver dans cette nouvelle histoire étrangère à leur culture des liens à tisser avec leur culture ancienne où il y avait des mythes dans lesquels une pomme entraînait hommes et femmes dans une danse de l’Amour, du désir et du malheur irrémédiable.

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Reflet de Cnide

Il existe plusieurs statues d’Aphrodite réalisées en Grèce ancienne. Elles font la fierté des musées et des villes qui les possèdent car elles éblouissent par leur beauté, une beauté qui illustre une certaine idée de l’oeuvre d’art, de ce qu’on attend de la perfection esthétique. Cette beauté sert également au prestige national : l’Italie, la France et d’autres pays possèdent chacun une statue des plus remarquables de la déesse qui les honore et dont le prestige rejaillit un peu sur eux.

Mais autrefois ?

Dans l’Antiquité, déjà, l’Aphrodite de Cnide, sculptée par Praxitèle, était célèbre pour sa beauté comme pour sa nudité. On venait la voir de loin et elle faisait le prestige et la fierté de la ville. Mais ce n’est pas dans un musée, au milieu d’autres oeuvres représentant elles aussi l’art qu’on pouvait l’admirer. C’était dans un temple, dans son temple, parce qu’elle représentait non la beauté de l’art mais l’incarnation de la Beauté même, de la Séduction et de l’Amour vus comme des absolus. Comme telle, elle était une divinité entourée des symboles qui, à l’époque, donnaient une idée profonde et spirituelle de son empire, de ce qu’on pouvait considérer venir de son royaume ou émaner de son essence divine.

Pour l’occasion, Reflet de Cythère devient Reflet de Cnide et vous invite dans le jardin du temple de l’Aphrodite de Cnide immortalisé par la plume de Lucien de Samosate, pour découvrir comment les Anciens concevaient un jardin à la gloire de la divinité régnant sur l’Amour et la Beauté.

« la cour était loin d’être revêtue de dalles en pierres polies, ce qui l’eût vouée à l’infécondité, mais comme il est naturel dans un temple d’Aphrodite, tout n’était que riches cultures fruitières. Les arbres au dense feuillage s’élevaient déjà fort haut et enfermaient l’espace alentour. Surpassant les autres essences, dans une débauche de baies, croissait, près de sa reine, le myrte luxuriant, et avec lui chaque espèce d’arbres qui avait reçu le don de la beauté. En dépit de leur âge avancé, ces derniers n’étaient pas flétris et desséchés, mais toujours dans la fleur de la jeunesse, ils arboraient des rameaux encore verts et tout gonflés de sève. Quelques arbres qui ne portaient que leur beauté en guise de fruits se mêlaient à cet ensemble : cyprès et platanes se dressaient au plus haut des airs et, parmi eux, Daphné ( le laurier ), la fugitive contemptrice d’Aphrodite, qui échappa jadis à la déesse. Autour de chaque tronc qu’il tenait enlacé serpentait le lierre, cet ami de l’amour. Des vignes pleines d’entrelacs étaient chargés de lourdes grappes. Aphrodite, en effet, a plus de volupté lorsque Dionysos l’accompagne et nous devons conjuguer les plaisirs que l’un et l’autre nous procurent : séparés, ils flattent moins nos sens. Dans les endroits où l’ombre était plus épaisse, des couches plaisantes s’offraient à ceux qui désiraient y festoyer. Les honnêtes gens de la cité venaient rarement ici, tandis que le peuple de la ville s’y portait en foule les jours de fête, sans doute pour y rendre d’intimes hommages à Aphrodite. »

Lucien de Samosate, Les Amours, traduit par Pierre Maréchaux

Aucun jardin n’a été, n’est ni ne sera conçu au hasard. Ici aussi, on voit bien que les espèces sont choisies selon des lois aphrodisiennes : la beauté, la fécondité et la jeunesse éternelle puisque les végétaux choisis sont à la fois d’un « âge avancé » et « dans la fleur de la jeunesse ». Des caractéristiques qu’ils ont en commun avec la déesse. On choisit aussi les espèces en fonction de leur consécration à la déesse, comme le myrte, mais aussi de la mythologie. Daphné fait ainsi référence à une nymphe aimée d’Apollon et changée en laurier, plante normalement consacrée au dieu. Mais ici, elle est comme un témoignage du triomphe de la déesse sur celle qui avait voulu échapper à son pouvoir et qui en est désormais un ornement. On choisit également les espèces en fonction de leur comportement : le lierre s’attache fortement à ce qu’il enserre, comme l’amour nous attache à ceux que nous aimons. Enfin, on peut les choisir en fonction des réalités sociales dans lesquelles prend place l’amour, comme c’est le cas pour la vigne. En effet, en Grèce ancienne, c’est lors des banquets où le vin – consacré à Dionysos – coulait à flot que les courtisanes – consacrées à Aphrodite – exerçaient leurs talents.

Et comble de luxe aphrodisien, des petites zones d’ombre préparent au visiteur des couches agréables pour sacrifier à la déesse de la manière qu’elle leur a inspirée, en permettant qu’ils s’embrassent ou fassent l’amour, ces « intimes hommages », en toute tranquillité.

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Miss France, la déesse vierge et la Madone

En ce mois de décembre, comme chaque année depuis 1920, a eu lieu l’élection de Miss France, rendue plus populaire encore par l’arrivée de la télévision dans les foyers. Dans ce célèbre concours de beauté national – qui existe aussi à l’échelle internationale -, ce sont les téléspectateurs qui élisent leur miss préférée.

Dans son livre, L’histoire de la beauté, Georges Vigarello explique le lien qui existe entre l’élévation du niveau de vie, l’essor de l’industrie de la mode, de l’image, de la publicité et des critères de beauté de plus en plus élevés. Ce sont ces valeurs qui mènent aux premiers concours de beauté au début du XX ème siècle.

Néanmoins, si les concours de beauté s’expriment avec des moyens contemporains – grand gala, retransmission télévisuelle avec tous les moyens techniques que cela demande, sponsors et accessoires de beauté à la mode – les valeurs qu’il transmet, très anciennes, nous ramènent à des temps presque mythologiques où une dame, une déesse, une sainte, étaient le symbole d’un pays, d’une région, d’une ville  grâce à diverses qualités au premier rang desquelles figurait obligatoirement la beauté.

Tout au long de l’émission, en effet, on est déconnecté du réel, on est en pleine mythologie que les candidates expriment souvent de cette manière naïve : « Miss France, c’est le rêve. ». On ne peut pas mieux définir la situation. Dans un décor plein de strass, de lumières, de représentations idéalisées grâce aux magnifiques robes hautement symboliques évoquant l’enfance et surtout les contes de fées, de belles jeunes filles toujours souriantes et aux cheveux toujours longs s’exhibent et se dévoilent suffisamment pour éblouir mais jamais vraiment assez pour exciter, et ce malgré le très attendu passage des maillots de bain.

Et le rêve n’est pas fini. Car malgré les apparences qui semblent élever ces filles au rang de personnes réelles, les mises en scène dans lesquelles on les voit représentées n’ont rien d’ordinaire, qu’on les voie seules en maillot baignant – comme des nymphes et des déesses vierges – dans de magnifiques cascades et autres milieux évoquant la nature, ou en groupe pratiquant des activités étonnantes pour de jeunes citoyennes faisant des études et se préparant à exercer un métier comme le tressage de couronnes de fleurs, la découverte des senteurs, l’apprentissage de la danse.

Ces activités, ce sont celles qu’on retrouve dans la littérature antique mettant en scène des groupes de jeunes filles allant cueillir des fleurs comme dans le mythe de Perséphone ou tous ceux se soldant par l’enlèvement de l’une d’elles par un dieu. On peut évoquer également des groupes de déesses vierges comme les Muses s’adonnant à des activités artistiques, mais aussi les Olympiennes donnant un spectacle d’art quelconque.

L’élection de Miss France, c’est la mise en scène d’un cercle de vierges comme celui qu’éduquait la poétesse Sappho en vue de leur mariage dans le milieu aristocratique. Et bien que ça paraisse étrange de le demander dans nos sociétés contemporaines, l’idéal à atteindre est bien d’être représenté par un être quasi-surnaturel, une sainte aux aspirations élevées puisqu’il faut défendre des causes et donc incarner, comme le dit bien l’association de bonnes oeuvres qu’elles ont créée « les bonnes fées« .

Et surtout, il faut se rapprocher le plus possible de la vierge. Le règlement précise ainsi que pour devenir Miss France, il faut être une jeune femme de 18 à 24 ans, posséder un casier judiciaire vierge, ne pas être mariée, divorcée, veuve et ne pas avoir d’enfant. Il ne faut pas non plus avoir posé partiellement ou totalement dénudée.

Bien entendu, on ne peut demander à une jeune fille à partir de 18 ans de ne pas avoir de vie sexuelle alors que la loi lui en a donné le droit à 15 ans, mais les apparences doivent rester sauves pour qu’elle ait le droit d’incarner pendant l’espace d’un an la Madone de la Nation, une icône à la virginité étrangement aussi ambiguë que celle de la mère du Christ. Ce n’est qu’à cette condition qu’elle gagnera le droit de porter, comme elle, la couronne et l’écharpe qui a la particularité de former le même genre de boucle que celle qu’on voit se former sur le manteau des statues de Vierges sur les cathédrales.

On comprend alors mieux pourquoi la fondatrice du concours tient autant à la réputation et la moralité de ses protégées. Car toute femme doit et peut être une citoyenne. Mais contre toute attente et malgré un règlement apparemment établi au XX ème siècle, être la Madone de la Nation, sa déesse tutélaire, c’est obéir à des règles vieilles d’il y a plusieurs millénaires. Des règles strictes mais nécessaires, dont le non-respect ferait forcément chuter l’événement et la candidate consacrée dans l’ordinaire, dans le profane où la femme, au lieu d’être une déesse, ne serait que le deuxième être sexué de son espèce, une créature incapable d’inspirer, comme elle sut le faire autrefois, des Phidias, Homère, et tous ceux qui l’ont si divinement représentée et célébrée.

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Mythe d’un secret de beauté ancien : la rose

On trouve au livre XII des histoires diverses d’Elien, historien romain de langue grecque des II ème et III ème siècles après J-C, l’histoire curieuse d’une certaine Aspasie, dont la destinée est marquée par la faveur d’Aphrodite tout au long de sa vie. Le début de la vie de cette Aspasie est pourtant marqué du sceau de la laideur avant que la petite fille se transforme en la plus belle de toutes grâce à un remède spécial :

« Aspasie de Phocée était la fille d’Hermotine : sa naissance coûte la vie à sa mère. (…) Dans son enfance, il lui survint sous le menton, une tumeur qui la défigurait : le père et la fille furent également affligés de cet accident. Hermotine la fit voir à un médecin, qui promit de la guérir moyennant trois statères : « Je ne les ai pas », lui dit Hermotine. »Et moi, je n’ai point de remède à vous donner. »

Aspasie, justement attristée par cette réponse, sortit en pleurant : un miroir qu’elle avait sur les genoux, et dans lequel elle ne cessait de se regarder augmentait encore son affliction. Dans cet état, elle ne put souper. Cependant, un sommeil favorable s’empara de ses sens; elle vit, en songe, s’approcher d’elle une colombe qui, prenant tout à coup la figure d’une femme, lui tint ce discours : »Prenez courage; laissez là médecins et remèdes; mettez en poudre quelques roses sèches d’une des couronnes consacrées à Aphrodite, et appliquez-les sur votre mal. »

A peine Aspasie eut entendu ce conseil, qu’elle se hâta de le suivre, et sa tumeur disparut. Ainsi, par la faveur de la plus belle des déesses, elle redevint la plus belle des filles de son âge; et dans son siècle, il n’y eut point de beauté qu’on pût comparer à la sienne : elle était formée de l’assemblages de toutes les grâces. »

Elien. Histoires diverses. Livre XII. I.

La colombe était un oiseau consacré à Aphrodite. Bien que cela paraisse étrange, c’était l’animal qui conduisait son char. L’arrivée de la colombe annonce celle de la déesse de l’Amour. Aujourd’hui, messagère de la paix ou symbole plus ambigu annonçant la grossesse de Marie, l’oiseau conserve les symboles associés à la déesse de l’Amour : la douceur, la fragilité, l’amour, et même la sexualité trouble.

La rose était une fleur consacrée à Aphrodite, mais dans l’Antiquité, elle était d’une taille bien inférieure à celle des nouvelles variétés hybrides et souvent magnifiques, qu’on dénombre par centaines, variant en couleurs et parfums presque à l’infini. Car considérée depuis toujours comme la plus belle et la plus odorante, elle a fait l’objet de toutes les exploitations, améliorations, expérimentations possibles jusqu’à ce qu’on puisse la rendre aujourd’hui éternelle, comme on le voudrait de l’Amour et de la Beauté.

Des roses, oui, mais pas n’importe lesquelles : celles offertes en couronne à Aphrodite lors de son culte. On a dit bien souvent que rien ne ressemble plus à la religion de l’Antiquité gréco-romaine que celle pratiquée par les hindous qui, elle, n’a quasiment pas changé depuis cette époque. Dans l’hindouisme, la statue n’est pas le dieu, mais le dieu vient habiter sa statue : c’est donc personnellement que la divinité reçoit les offrandes qui lui sont faites. Parmi celles-ci, des fleurs, de l’encens, des lumières et de la nourriture. Après avoir reposé le temps de la cérémonie sur l’autel où elle a été offerte, l’offrande, chargée de la bénédiction du dieu, se partage.

Dans l’histoire d’Elien, la couronne de roses, chargée du pouvoir de la déesse de l’Amour et de Beauté, peut agir sur la peau de la petite fille au moyen d’un cataplasme. Cette histoire est postérieure à  l’époque mythologique où les dieux intervenaient directement car c’est de façon indirecte et liée au culte que la déesse manifeste son pouvoir.

Des histoires ! Encore et toujours des histoires !

Mais oui ! Et de belles, en plus !

Rose de Damas, rose de mai, rose de Turquie, de Syrie, etc..Au-delà des jardins qu’elle embellit, il n’est pas de fleur plus réputée dans les soins de beauté pour sa douceur et son parfum, en externe, et même en interne ! Des sirops, confitures aux pétales, thés, lotions du Maroc, poudres ayurvédiques indiennes en passant par les masques, crèmes et les huiles essentielles, il n’est pas un cosmétique contemporain ou traditionnel qui puisse nous attirer plus que ceux qui sont faits à base de rose.

C’est comme si, sans jamais l’avoir appris, une part de nous se rappelait de la promesse faite par Aphrodite à la petite Aspasie d’en faire, grâce à sa fleur consacrée, la plus grande des beautés de son siècle…

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La femme, civilisatrice par l’Amour

Bien que son rôle ait été minoré – notamment par ce mythe de l’Ancien Testament où, créée pour seconder l’homme, elle sort de sa côte – la femme joue dans d’autres mythes le rôle de civilisatrice, de celle qui va discipliner l’homme et le rendre apte à vivre en société.

Dans l’épopée de Gilgamesh, c’est Enkidu qui connaîtra cette transformation. Homme sauvage envoyé pour combattre Gilgamesh, il deviendra son fidèle allié après avoir aimé, désiré et s’être uni à Shamat, une courtisane sacrée envoyée pour le rendre à son humanité. Enkidu, qui jusque là vivait avec les bêtes, les voit se détourner de lui après son initiation amoureuse et sexuelle en même temps qu’il se voit doté de l’intelligence. Il n’a plus qu’à suivre Shamat, qui lui ouvre les portes de la civilisation, de la ville d’Uruk et l’introduit à son destin d’être humain. C’est ainsi qu’il découvre l’amitié en la personne de Gilgamesh. Il est alors prêt à entrer dans l’histoire en tant que héros de la première épopée connue de l’humanité.

D’autres récits anciens évoquent cette dualité en l’homme entre son origine sauvage et la civilisation qu’il a créée et établie. C’est le cas des romans du Moyen-Age où les personnages passent souvent un moment de leur histoire à vivre dans la forêt, qui, à cette époque, était un lieu hostile et craint car considéré comme le lieu des bêtes sauvages et des démons. Un lieu qui s’opposait effectivement à la civilisation.

L’idée est loin d’être fausse puisque l’abattage des arbres qui couvraient normalement l’Europe, permit le développement de l’agriculture et l’édification de nouvelles villes prospères. Cela se passait justement à l’époque des récits arthuriens. Dans ces récits, comme dans Yvain, le chevalier au lion, la folie sauvage du héros prend fin grâce à l’intervention d’une femme. Le chevalier, auparavant nu et fou, se comportant comme une bête et ayant perdu l’usage du langage, reprend alors ses vêtements et s’apprête à retrouver sa place dans la civilisation.

Ce schéma, bien connu des récits d’amour courtois, répondait à une réalité de la société féodale. En effet, une certaine tolérance du seigneur envers ses jeunes vassaux courtisant sa femme avait cours pour maintenir un certain ordre dans le système féodal. Ceux-ci étaient de jeunes célibataires, cadets de familles nobles dont ils n’hériteraient pas car seul l’aîné le pouvait, obligés de courir les aventures pour se distinguer et trouver leur place. Leur agressivité et leur culture guerrière menaçait sans cesse l’ordre social et notamment la paix des paysans dont ils séduisaient et abandonnaient les filles, pillaient les maigres ressources. Les laisser aimer leur Dame de loin permettait de les brider grâce à leur amour pour elle et leur volonté de lui plaire.

Ce thème de la femme civilisatrice est universel et concerne même les dieux.

il en est ainsi de Shiva, dieu solitaire, sauvage et inquiétant, vêtu de peaux de bêtes, accompagné d’une armée de morts et de fantômes. Cet aspect hideux rebuta son futur beau-père qui le rejeta. Sâti, celle qui devait devenir son épouse, se jeta alors dans le feu, rendant Shiva inconsolable. Retourné à la solitude de ses montagnes, sa mission en tant que dieu n’était plus assurée. Par sa grande détermination, la force de son amour et son ascétisme, Parvati – qui était la réincarnation de Sâti – parvint à ouvrir son coeur, le rendit apte à l’amour et ouvert à ses nouveaux devoirs de mari, de père. Il redevint membre éminent de la triade divine hindoue, bien qu’il soit en réalité le premier d’entre tous, comme sa nature sauvage le dit bien. Mais c’est une nature qu’il a perdue. Les représentations modernes de Shiva le montrent désormais en méditation pacifique plutôt qu’en chef des armées de morts. On raconte même que pour son mariage, Shiva fit un effort et s’habilla magnifiquement, comme un être civilisé.

Pour les hindous, qui y voient souvent plus clair que nous, le féminin est principe actif sans lequel le masculin, principe passif, ne peut agir. C’est bien la femme qui fait agir, bouger, changer l’homme.

Des histoires tout ça, comme d’habitude !

Et bien non. L’image collective de ce rôle civilisateur que la femme joue pour l’homme se retrouve dans l’expression : « passer la corde au cou » qui exprime non que l’homme est prêt à se pendre car il vient de se mettre en couple, mais que de bête sauvage, il est devenu un animal domestiqué, bon pour le travail, que la femme tient par la bride pour le diriger.

Et de fait, dans les grandes histoires d’amour qui commencent, il n’est pas rare d’apprendre que le fiancé ou le futur conjoint n’a jamais été aussi discipliné, sérieux et fiable qu’il l’est depuis qu’il a rencontré celle qu’il aime. Et c’est souvent sa mère, peut-être par solidarité féminine, qui raconte à sa belle-fille combien avant elle, son fils a pu être aux limites du présentable, du vivable, désordonné, ignorant convenances, équilibre et hygiène de vie élémentaires.

Ca ne vous rappelle rien ? Je suis sûre que cette histoire vous rappelle quelque chose.

Alors, c’est vrai, l’histoire officielle ne met pas vraiment l’accent sur le rôle civilisateur de la femme dans l’histoire de l’humanité, mais il est désormais avéré que dans les premiers temps, par une répartition logique des tâches, l’homme allait chasser, la femme, à l’origine de l’artisanat, réalisait les objets du quotidien. Nul doute également qu’elle soit à l’initiative des premiers gestes de civilisation puisqu’elle passait le plus clair de son temps au campement.

Et tandis qu’il chassait pour que le monde puisse manger et survivre, première condition de l’existence, elle concevait peut-être un objet pour que la viande ne traîne pas par terre, commençant doucement leur ascension vers l’idée de civilisation.

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