Mois: septembre 2018

La sexualité des dieux

Dans la vie des espèces, la sexualité tient une place essentielle puisqu’elle assure la reproduction et la pérennité de chacune d’entre elles tout en les améliorant. Les mythologies, dont on sait aujourd’hui qu’elles remontent au Néolithique, l’âge des premières migrations, vont elles aussi donner de la place à la sexualité, notamment celle des dieux et des héros dans l’histoire de la construction identitaire des blocs se reconnaissant une origine commune.

Mais justement, quelle sexualité, et quelle place tient-elle d’une culture à l’autre ?

Les premiers mythes connus, comme les mésopotamiens – avec le couple Ishtar et Dumuzi, et l’épopée de Gilgamesh – s’avèrent particulièrement décomplexés. Mais plus on entre dans la civilisation, moins c’est le cas. Dans la culture grecque, tout le monde connaît les histoires d’amour de Zeus pour des nymphes ou des reines qui donneront ensuite naissance à des lignées de héros qui feront l’identité, le prestige et la légitimité des différentes cités. Parfois, c’est aussi l’histoire d’amour contrariée d’un dieu courant après une nymphe changée au dernier moment en un végétal, devenant à jamais inaccessible.

Chez les dieux grecs, toute la sexualité semble se vivre dans la dualité, mais non dans l’harmonie. Comme on l’a justement fait remarquer, ce sont essentiellement des histoires de rapts et de viols qui sont relatées, ou d’adultères du Père des dieux, de jalousies de son épouse, mais rarement de leur sexualité, sauf dans le cas d’une manipulation. Les dieux sont volages, les déesses beaucoup moins – hormis Aphrodite, dont c’est la nature et à qui ça ne pourrait pas être reproché puisque c’est l’essence même de sa fonction divine.

De la même manière, le récit sexuel sera dans l’ellipse; il ne nous sera jamais raconté. C’est un acte dont on nous dit qu’il a eu lieu, qui a eu des conséquences, qui a pu s’obtenir par ruse, on peut nous raconter la séduction qui y a conduit, mais jamais l’acte. Dans les mythes grecs, la sexualité est un moyen, jamais une fin, laissant deviner, déjà, malgré l’idée répandue qu’elle nous vient du christianisme, un jugement de valeur négatif posé sur l’acte en lui-même. Un jugement de valeur que l’on comprend être à l’origine des sexes masculins de petite taille dont on s’étonne toujours sur les statues antiques, tandis qu’affreux et vieux satyres ont des phallus remarquables.

Dans la culture gréco-romaine, en effet, il y a dualité : le monde paysan, agricole de la fertilité où le phallus pourra être représenté – même dans l’exagération – dans les fêtes de la fertilité, car les Hommes dépendent de la Terre, et de la fécondité des espèces dont il se nourrit comme de la leur. Pourtant, dans l’échelle des valeurs, divinités champêtres et agricoles ne feront pas l’essence de notre mythologie, qui sera olympienne, et leur sexualité décomplexée et débridée est condamnée, marginalisée au profit d’une certaine idée de la civilisation, laquelle, analysait Freud, se serait construite en réprimant les pulsions sexuelles. Les petits phallus des dieux et héros symbolisent cette maîtrise de ces pulsions.

En Inde, en revanche, la dualité est une valeur qu’on redoute. S’il n’y a que deux choix possibles, on aboutit forcément à de l’intolérance. Malgré les contradictions dans sa propre société, dans la mythologie indienne, la sexualité n’est pas représentée dans une systématique violence ni même comme un moyen vers une fin. Parfois, elle sert même la plus haute finalité comme la connaissance du divin. Globalement, pourtant, le tabou est le même que chez les Grecs : les dieux ne semblent pas pouvoir avoir d’enfants issus de leurs relations sexuelles entre eux. Il faut toujours qu’ils aient fait naître leurs enfants autrement que dans les 9 mois de grossesse, l’accouchement, la douleur et le sang, qui semblent les vrais interdits mythologiques de la sexualité divine.

Pour autant, la sexualité décomplexée, assumée, le phallus en érection, triomphant et au coeur d’histoires mythologiques, est portée en Inde par un dieu majeur, le plus vieux, et peut-être le plus important : Shiva. De fait, bien que souvent spiritualisé dans l’interprétation pour ne pas prêter à confusion auprès des Occidentaux, le linga, le sexe dressé de Shiva, est le symbole le plus simple, le plus abstrait et donc le plus divin pour représenter ce grand dieu. La nuit de la pleine lune de Kârttika (octobre-novembre) est consacrée à l’adoration de Shiva sous forme de linga de feu, qui fait référence à une histoire dans laquelle Shiva apparut dans une colonne de feu dont ni Vishnou, ni Brâhma, autres dieux de la principale trinité divine hindoue, ne parviennent à atteindre l’un, le début, l’autre, la fin.

Cette colonne de feu, c’est le linga de Shiva, son phallus dont l’infini l’établit comme dieu supérieur aux 2 autres. Dans les temples, on arrose une représentation du linga, pour éteindre l’ardeur de Shiva qui menacerait sinon, de détruire l’univers. Cette représentation du linga, normale et millénaire, parcourt toute la société, se célèbre sous forme naturelle, artistique, rituelle, tandis que d’autres histoires de l’hindouïsme parlent du coït du dieu et de sa femme Parvâti, qui dura 1000 ans. La représentation du linga est d’ailleurs contenue dans le yoni, la vulve de la déesse, et tous deux forment l’aspect duel de la nature entre polarité féminine et masculine sans quoi rien n’existe, à la manière du yin et du yang.

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