symbolisme

Le fil de l’amour et du destin

Dans la tradition japonaise, une ancienne légende dit qu’un fil rouge unirait chaque personne à l’amour de sa vie. Les êtres unis par ce fil, pour autant invisible, sont destinés tôt ou tard, à se rencontrer au cours de leur vie. Cette ancienne croyance, très romantique, est rendue très vivace par la culture populaire contemporaine tels que les dramas, les mangas et autres programmes destinés à la jeunesse, dont les préoccupations oscillent entre l’incertitude quant à son avenir amoureux et ses rêves normaux du grand amour.

Le fil est rouge comme le sang, l’amour, le feu, la couleur du mariage en Asie. En Occident, on passe l’alliance à l’annulaire dont l’artère est reliée au coeur. Oui, on parle bien d’alliance, du verbe lier, tout comme le fil rouge unit une personne à son grand amour. D’une culture à une autre, la différence est-elle si grande ?

Pour unir les êtres, on n’a pas trouvé meilleure métaphore que celle des liens, les fils nés du travail du textile. Et on a souvent tendance à oublier combien l’homme a pu, à travers ses propres découvertes ou ses propres inventions, accéder à des compréhensions, expressions, représentations plus fines de ce qu’il vivait, faisait, éprouvait ou même comprenait du monde.

Le travail du textile, le simple fait de transformer de la fibre chaotique en une unité pouvant déboucher sur une magnifique pièce de tissu a été pour les Hommes une source d’admiration, d’imagination, et de réflexion métaphorique.

Les liens entre les gens, « les liens sacrés du mariage », tout cela renvoie aux cordes, aux fils, ce qui va nouer. Les gens qui s’aiment sont liés – tout comme les gens d’une même famille -. Pour attirer quelqu’un, et particulièrement dans la magie amoureuse, on utilise le lien, le noeud. Lien de ruban, lien de cheveu, fil pour unir symboliquement une personne à celle qui la désire ardemment et qui fait le rituel pour cette raison.

« Le premier vendredi de lune, achetez sans marchander ruban rouge de 1/2 aune au nom de la personne aimée. Faites un noeud en lacs d’amour et ne le serrez pas, mais dites Pater jusqu’à li tentatiorem, remplacez seb libera nos a malo par lude aludei ludeo, et serrez en même temps le noeud. Augmenter d’un Pater chaque jour jusqu’à 9, faisant chaque fois un noeud. Mettez le ruban au bras gauche contre la chair. Touchez la personne. »

Papus. Traité méthodique de magie pratique

Le fil, le lien, le noeud ne sont pas que gage de l’union mais aussi de l’efficacité. Ce qui fonctionne dans la magie amoureuse est censé fonctionner également dans la magie de vengeance où nouer l’aiguillette, qui se fait également à base de lien, de noeud, empêche à un mariage d’être consommé, une union de se faire, un projet d’aboutir, etc. Le noeud, le lien, le geste réalisé réellement pour s’incarner symboliquement dans le réel, vaut alors pour signe du destin.

Et pour cause : dans le fil, le fil de la conversation, le fil de la vie, le fil du destin, on voit bien le lien entre la maîtrise du textile et l’idée de cohérence. Tout comme les pelotes anarchiques de fibres deviennent fils puis vêtements une fois entrecroisés, atteignant leur pleine beauté et leur pleine utilité, la série apparemment incohérente de petits événements qui font l’histoire d’un individu peuvent, si on les fait s’entrecroiser et se correspondre, sembler avoir du sens sous l’image de la destinée, qui passe aussi, bien évidemment, par la relation amoureuse.

D’ailleurs, est-ce vraiment un hasard si Pénélope promet de se marier avec l’un des prétendants à la fin d’une tapisserie qu’elle fait chaque jour pour mieux défaire chaque nuit afin de ne pas avoir à lier son destin à celui d’un autre qu’Ulysse ?

Ce faisant, un peu comme son mari qui décide d’assumer sa destinée humaine, Pénélope s’affranchit de son destin en remplaçant symboliquement l’action des Moires, déesses de la mythologie qui normalement y président : Clothos en tisse le fil, Lachésis le déroule et Atropos le coupe. Pénélope, tout en feignant l’obéissance dans un travail typiquement féminin, n’est-elle pas en train de décider – en frondeuse contre les déesses qui doivent y présider et qu’elle remplace – de son propre destin ?

D’ailleurs, avez-vous remarqué comme étrangement, c’est préférablement sur des tapisseries que se sont racontées les premières histoires en images ? Tapisserie de Bayeux, tapisseries de la Dame à la Licorne – où semble se mêler amour et histoire aristocratique et symbolique – autres tapisseries symboliques et surtout narratives, au musée de Cluny, au musée du Sacre, à Reims, voire, dans la mythologie, évocation des scènes représentées par Athéna et Arachné lors de leur combat de tapisserie, etc.., tout ce qui semble vouloir raconter une histoire et des liens semble avoir voulu le faire avec des fils.

Hasard, vous croyez ? IMG_3075

Nouvel article Labo de Cléopâtre : Déodorants de l’Antiquité

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Epilation et symbolisme

Parmi les soins esthétiques associés à la femme, l’épilation occupe incontestablement la première place, surtout en terme d’érotisme. Première cause des rendez-vous chez l’esthéticienne, sujet trivial mais courant des conversations féminines décomplexées, sujet toujours actualisé des magazines et des blogs beauté, l’épilation trouve le moyen d’être une pratique à la fois plusieurs fois millénaires et suffisamment d’actualité pour continuer d’être soumise à la mode.

Pour autant, c’est une des seules pratiques esthétiques vécue comme une aliénation par les femmes au point que certaines stars entrent en résistance contre elle en exhibant une aisselle poilue, c’est-à-dire telle qu’elle devrait être en réalité.

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Il est vrai que depuis l’histoire de la reine de Saba et de ses jambes polues épilées avant d’entrer au harem de Salomon, l’épilation a, dans la culture, tout du symbole de l’aliénation féminine. Pourtant, elle n’a pas toujours été associée au féminin puisque les premiers à l’avoir pratiquée étaient les prêtres égyptiens de l’Antiquité pour qui les poils, considérés comme des sécrétions – comme l’explique Plutarque dans son traité d’Isis et Osiris – étaient jugés impurs. La famille du pharaon, censée descendre des dieux, était soumise elle aussi aux mêmes contingences; or, les élites constituent toujours des modèles.

En Grèce ancienne, l’épilation était pratiquée pour renforcer le fossé idéologique qui existait entre le masculin et le féminin, déjà sensible dans les droits, les modes de vie, la liberté sexuelle, et qu’on marquait aussi dans la chair avec la pilosité, si l’âge ne s’en chargeait. Pierre Brûlé l’explique dans son étude Les sens du poil : à l’homme la virilité, la force, le sombre, et donc le poil; à la femme, au pré-pubère, la chair tendre, le clair, le lisse, le mou.

Dans les monothéismes, le poil n’est pas censé être proscrit car il est un don de Dieu. Les barbes fournies des religieux de toutes confessions attestent de cette fierté de porter le signe d’élection du Créateur. Mais tout n’est pas aussi simple : porter ses poils diffère d’une communauté à l’autre de façon à pouvoir se distinguer les uns des autres et reconnaître son clan. La barbe des musulmans se porte ainsi au sacrifice de leur moustache , qui pourrait les faire confondre avec d’autres porteurs de barbes déjà existants des autres religions.

Et la femme, dans tout ça ?

Ses poils aussi doivent être logiquement la marque de l’élection de Dieu. C’est vrai qu’il n’existe pas d’interdit sur ses poils : elle n’a ni le devoir de les garder, ni le devoir de les retirer. Dans ce cas, pourquoi la pression pour que le corps de la femme soit épilé perdure-t-elle ? implicitement, les religions le justifient ainsi : l’élu de Dieu, c’est l’homme car c’est lui qui a été créé par Dieu. La femme, sortie de sa côte, en est un sous-produit assujetti à lui. Alors, si l’homme veut que la femme soit épilée parce que son corps lui semble plus désirable ainsi, cela sera, puisqu’elle a été créée à partir de lui et pour lui, d’après le texte.

Si les poils des hommes apparaissent donc comme leur fierté, la preuve de leur création par Dieu, l’épilation apparaît donc aux femmes comme leur assujettissement aux règles voulues par l’homme, et ce d’autant plus sûrement que dans l’Antiquité, même au-delà des sexes, seul le citoyen – et donc adulte – de sexe masculin, pouvait exhiber ses cheveux librement et ses poils. Tous les autres, femmes, esclaves, étaient soumis dans leur apparence par le sacrifice de leur pilosité rendue aussi absente que celle des enfants, des mineurs auxquels on les rapprochait symboliquement  autant que leur situation les rapprochait légalement.

L’épilation est également vécue comme une aliénation par la souffrance qu’elle inflige à celle qui la pratique, la souffrance s’apparentant souvent symboliquement à une punition. Si aujourd’hui les techniques d’épilation ne consistent plus, au prix de souffrances terribles, à brûler directement le poil de différentes manières – comme on voit Eros le faire à la lampe à huile dans la photo à la Une – il n’en reste pas moins que la pratique consiste toujours en une véritable agression pour la peau. Or, c’est une torture à laquelle la femme ne peut souvent pas échapper si elle veut vivre une vie sexuelle, l’image de son corps érotisé se représentant imberbe depuis des millénaires – même s’il y eut des périodes d’éclipse. La soumission de la femme à cette convention augmente d’ailleurs l’érotisme par le fait qu’elle ne peut exprimer plus clairement son envie de plaire et donc son désir.

Comment échapper à cette aliénation, alors ?

Comme on échappe à toutes les autres : soit en la repoussant fermement, par choix, soit en l’épousant complètement, en la faisant sienne. Vous aurez en effet beaucoup de mal à imposer à la société ces poils qui nous rapprochent naturellement de l’individu masculin de même espèce, même si nous savons tous qu’il en est pourtant ainsi. Le mieux à faire est peut-être d’apprendre à aimer cet état de fait en voyant dans cet héritage celui de la reine de Saba, la relique plusieurs fois millénaire d’une culture féminine que nous ne devons pas que subir, mais que nous devons d’abord choisir et construire.

Alors, certes, à l’heure des luttes pour l’égalité dont les frontières ont bien du mal à se définir, cette inégalité-là paraît bien archaïque. Mais Mao et les autres le savent bien, même s’ils le refusent : tout n’est pas politique, et surtout pas la séduction, l’amour et le désir.

( Photo centrale : Marina Razumovskaya sur le site www. lexpress.fr)

Le labo de Cléopâtre : Découvrir les encens de l’Antiquité

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Les fêtes du phallus

Au nombre d’articles qui lui sont consacrés sur le net, on voit que la fête japonaise du phallus, le Kanamara Matsuri, qui a lieu en avril à Kawasaki,  suscite la curiosité et les fantasmes de tous. Un phénomène curieux qui vaut à ce festival autant de touristes que de gens concernés parmi ses célébrants qui suivent le cortège de 3 immenses phallus promenés religieusement. Le plus célèbre, le plus filmé et photographié est rose et est porté par des hommes travestis en femmes. On vend des tas d’objets en forme de phallus, on prend des poses suggestives et la fête est le prétexte à la collecte de fond dans la lutte contre le sida; une fonction contemporaine bien trouvée pour ce temple fréquenté au XVII ème siècle par les prostituées venues prier au temple shintô pour ne pas attraper de MST.

Globalement, c’est malgré tout la fertilité sous toutes ses formes qui est demandée, que cela concerne la famille, les enfants ou la réussite. Des thématiques logiques pour ce début de printemps qui semble annoncer, avec le retour du soleil et de la végétation le meilleur pour le reste de l’année.

Et qu’y voit-on quand on est un touriste étranger ?

Comme à chaque fois qu’on regarde quelque chose qui nous est extérieur, c’est d’abord ce que nous sommes capables de voir que nous voyons.

  • De fait, dans les vidéo circulant sur Youtube, on montre des phallus géants et des lolitas mangeant des sucettes en forme de phallus ou enfourchant un sexe de bronze long de plusieurs mètres si le film est tourné par un otaku dont l’imaginaire est nourri de mangas plus ou moins pornos.
  • Les pros de l’information, pragmatiques, mettent en avant la lutte contre le sida qui sera plus compréhensible par le plus grand nombre et qui permettra de faire accepter l’étrangeté du festival.
  • Ceux qui sont sensibles à l’aspect culturel et cultuel mettent en avant l’aspect religieux de la manifestation en montrant les prêtres shintô, les costumes traditionnels et les voeux laissés au temple, se concentrant sur le facteur humain et universel; des aspects à la spiritualité bien plus présente et ancienne que ce qui apparaît de prime abord.

En effet, non seulement les fêtes du phallus ont toujours existé et remontent à bien plus longtemps qu’aux près de 40 du Kanamara Matsuri, mais de plus, elles ont fait partie de nos traditions européennes. Et cette fête japonaise qui paraît si étrange, érotique, exotique et fascinante aux Occidentaux venus de loin pour y assister, est en réalité très proche de ce qui se passait à Athènes lors des fêtes du dieu Dionysos où on promenait en procession une représentation du phallus. Là aussi, dans le cortège, des hommes travestis faisaient partie de la fête.

Mais le symbole du phallus dépassait largement le cadre du culte à Dionysos pour concerner plusieurs autres dieux de l’Antiquité, notamment ceux de l’Amour, du Désir et de la Fertilité, comme Aphrodite ou Cérès, ou des dieux plus rustiques tel Priape, fils d’Aphrodite qu’on représentait avec une érection permanente comme les satyres – autres divinités champêtres – ou même le dieu Shiva, dont on vénère toujours en Inde, le phallus et le coït avec son épouse. Décomplexé, le symbole du phallus était partout. C’était un symbole joyeux qui portait bonheur.

Tout cela eut lieu il y a bien longtemps, avant que l’ère chrétienne ne condamne toutes ces manifestations…

Pourtant, à Tyrnavos, en Grèce, le carnaval le plus célèbre du pays – mais dont la réputation n’a pas vraiment dépassé ses frontières – le « bourani », s’inspire des anciennes fêtes à la fois religieuses et grivoises de l’Antiquité, particulièrement celle des dionysies rustiques où on promenait une représentation du phallus en procession et où on cuisait pour l’occasion une sorte de bouillie. Fête rebelle et païenne qui s’intercale désormais dans le calendrier religieux orthodoxe – puisqu’elle a lieu le premier lundi de carême -, ce rituel a dû lutter contre la politique qui voulait l’interdire au XX ème siècle et contre la religion, qui lui est toujours hostile pour son caractère obscène.

Pourtant, le carnaval de Tyrnavos continue de célébrer le phallus sous sa forme gigantesque – et comme dans le festival japonais, sous forme de petits objets qu’on vend -. Avec ce symbole phallique, c’est la joie de vivre et de retrouver là encore l’espoir qui renaît avec le printemps que l’on fête. Alors, certes, la « burani », avec sa soupe aux herbes, son ambiance rurale, ses danses traditionnelles et sa musique balkanique a moins de quoi faire rêver les Occidentaux que la propreté, la perfection formelle et le chic urbain et rassurant que représentent les Japonais,  mais elle célèbre toujours ce qu’inspire le retour du printemps : l’espoir, le désir, le réveil de la nature, la montée de toutes les sèves, et la sexualité, au coeur de toutes les vies humaines.

Burani, Tyrvanos 2012.Video Burani, Tyrnavos.

Plus sur ce sujet : Du culte du phallus chez les Grecs

(Image à la Une : http://www.prothema.gr)

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L’imaginaire des aphrodisiaques

Les substances aphrodisiaques, censées provoquer le désir, sont recherchées depuis toujours, l’envie d’une sexualité optimale faisant partie des ambitions ordinaires de l’être humain, voire de l’ensemble du vivant. Or, si cette ambition naturelle est assurée facilement par le désir qui nous pousse vers l’autre, ce désir, rendu parfois défaillant par des circonstances souvent vécues comme mystérieuses, se révèle surtout incontrôlable. Ce faisant, il peut être source d’angoisse. C’est particulièrement vrai pour les hommes qui, à la fois ne peuvent dissimuler leur absence de désir et à la fois doivent culturellement, ne jamais en manquer.

Cette peur universelle qui suscite l’offre et la demande, est au coeur du marché des aphrodisiaques dont la variété et les catégories de produits proposés révèlent une histoire ancienne ainsi que la nature complexe et mobile du désir humain. Car contrairement à celui des animaux, il a aussi ses racines dans la culture, les phénomènes intellectuels et la conscience de la mort. De fait, s’il est vrai que certaines substances fonctionnent physiologiquement et donc mécaniquement sur le désir, la plupart, plus culturelles et plus proches du psychisme où le désir prend de plus en plus racine au fil des expériences et du temps, fonctionnent par effet placebo. Aimer, désirer, c’est d’abord être soutenu par la foi et la confiance.

De ce fait, l’imaginaire des aphrodisiaques est riche et peut agir de différentes manières :

  • Par suggestion visuelle au travers des formes phalliques utilisées depuis toujours dans des représentations pour des rituels de fécondité, des pierres dressées sur lesquelles les femmes se frottaient pour tomber enceinte au gisant de Victor Noir du Père Lachaise noirci à l’entre-jambe à force de frottements et qu’on dut même entourer de barrières pour assurer sa préservation.Dans ces cas-là, le pouvoir passe par le toucher. Dans les substances aphrodisiaques, il passe par le fait d’ingérer un aliment évocateur de forme ou connoté comme le bien nommé bois bandé dont on convoite certainement les qualités de longueur et de dureté, les cornes ou les pénis d’animaux ou les huîtres et les coquillages, les testicules du taureau tué lors de la corrida, en Espagne, mais aussi les racines aux formes évocatrices comme la dangereuse mandragore ou le gingembre.
  • Par analogie symbolique, avec ce gingembre qui est une de ces substances qui « fait dresser le yang », comme a pu le définir un asiatique. Les produits aphrodisiaques naturels sont en effet culturellement marqués et appartiennent à un domaine de croyances ou de représentations, mais ils correspondent aussi à une logique universelle. Ainsi, ceux qu’on estime aphrodisiaques sont sont souvent considérées comme échauffants, de cette chaleur qu’on attribue également à l’amour, au désir, qui en effet, élèvent la température du corps et rendent indifférent à la température extérieure. Le vocabulaire en témoigne à travers des expressions populaires comme : « brûler de désir« , « avoir le feu au cul« , »être chaud« , « faire monter la température« , etc. De fait, gingembre, piment, poivre, clou de girofle et beaucoup d’autres épices qui piquent la langue sont considérées comme des aphrodisiaques au point d’être interdits aux religieux et d’inquiéter les gens prudes.
  • Par logique morbide. C’est peut-être le point le plus obscur du désir mais il est désormais incontesté qu’Eros, principe de vie, est indissociable de Thanatos, principe de mort et que la conscience de la mort peut pousser à l’instinct de reproduction. Chez nombre d’animaux, d’ailleurs, désir et reproduction sont souvent liés à la mort. C’est le cas du rut violent des cerfs, des kangourous, de la dévoration de la mante religieuse mâle par la femelle au cours du coït, ou la mort massive des saumons remontant le cours des rivières au péril de leur vie pour leur ultime voyage de reproduction. Ainsi, bien que conscients de la dangerosité de la mandragore comme des cantharides, aphrodisiaques réputés dont la consommation peut être mortelle, les hommes n’ont pourtant jamais vraiment cessé d’en consommer, sans doute à cause de cette croyance qui veut que tout ce qui ne nous tue pas nous rende plus fort. Comme les pèlerins du Moyen-Age venus dans un lieu dangereux comme le Mont Saint-Michel environné de sables mouvants se sentaient plus vivants et favorisés par Dieu s’ils survivaient aux dangers, ceux qui prennent le risque de consommer un aphrodisiaque toxique n’espèrent-ils pas ce surcroît de vie sexuelle offert à celui qui croyant mourir, se voit sauf et donc infiniment, intensément en vie ? Quand on sait que le fugu, le célèbre poisson-globe très toxique dont les japonais raffolent et que seul un spécialiste peut cuisiner est considéré comme un aphrodisiaque, il n’est pas difficile de le penser.

 

Loin d’un levier morbide et suicidaire pour stimuler ta libido, je te souhaite, cher lecteur, chère lectrice, de forts élans de vie au rang desquels l’amour et la sensualité pour soutenir tes pas vers la beauté de l’existence.

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Fruits d’Aphrodite

Dans la mythologie, il existe deux fruits d’amour bien connus associés à des déesses de l’Amour, ce sont la grenade et la pomme, toutes deux consacrées à Ishtar d’abord, grande déesse babylonienne, et à Aphrodite ensuite, sa version hellénisée. Dans les rituels de magie anciens destinés à provoquer l’amour, on retrouve Ishtar associée à la grenade ou la pomme.

La grenade, en effet, avec ses multiples grains rouges, charnus, pleins de jus, symbolise à merveille la fécondité. La couleur rouge de son jus rappelle le sang dont le corps est constitué, qui coule quand la femme est prête à engendrer, qui coule encore quand elle connaît son premier acte sexuel. Ses grains, quant à eux, foisonnant et se dispersant quand on ouvre le fruit, semblent révéler le mystère de vie auquel les Anciens ont eu accès intuitivement par ce symbole : le multiple dont toute unité est faite dans le vivant. Les biologistes l’appellent la division cellulaire.

Ishtar, Tanit, Aphrodite, déesses de l’Amour et de la fécondité et donc de la vie ont toutes été associées à la grenade aussi fortement que Perséphone, femme d’Hadès et déesse des Enfers comme il en était le dieu. Lorsqu’elle fut enlevée par celui-ci et que la dépression de Cérès, sa mère, aurait pu lui valoir sa libération, elle mange 7 grains de grenade qui lui valent d’être associée pour toujours au Royaume des Morts, nous rappelant ainsi que la loi du multiple et donc de la vie est aussi ce qui nous enchaîne à notre destin de Mortels. L’amour, la sexualité, la multiplicité au coeur de l’unité, la fécondité, la vie, la nourriture, toutes ces promesses caractéristiques des lois d’Aphrodite sont autant de promesses de lien futur avec le royaume de l’Hadès où tout ce qui a vécu un jour se retrouvera pour l’éternité.

La grenade est ainsi un fruit initiatique qui, par sa construction surprenante et unique délivre aux Mortels les secrets de leur destinée entre l’amour et la sexualité qui les a fait naître et la mort potentielle contenue dans le vivant. Mais c’est aussi un fruit qui raconte une histoire spirituelle où chaque grain représente les choix multiples s’offrant à chacun pour devenir soi-même, mais aussi le multiple nécessaire pour faire un monde – la grenade représentant aussi bien le multiple au sein d’un seul être vivant que la Terre, constituée de multiples êtres vivants.

Bien que particulière et unique, la grenade a souvent été confondue avec la pomme, l’une pouvant se substituer à l’autre dans les rituels de magie d’amour ou sur les représentations divines. Il faut dire que pour les Anciens, la pomme pouvait signifier beaucoup de fruits, comme c’était le cas dans l’Antiquité avec beaucoup de végétaux, voire d’animaux. Cette latitude devait bien arranger les populations d’Europe du Nord qui ont hérité de la culture méditerranéenne mais pas de son agriculture, son climat étant trop froid. La grenade, incapable de pousser sur ces terres inhospitalières, cède le pas symbolique et culturel à la pomme.

Ainsi, qu’elle prenne appui sur les anciens symboles païens ou qu’elle soit christianisée, la magie d’amour utilise très souvent une pomme à envoûter et à faire croquer à l’être aimé comme ça se faisait déjà dans l’Antiquité. Disney a su le mettre en scène de façon saisissante dans son adaptation de Blanche-Neige des frères Grimm où une fois encore, désir, amour et mort se mêlent au moyen d’une pomme, charnelle, attirante mais ensorcelée, offerte cette fois à l’être détesté, mais procédant selon la même logique que dans les sorts d’amour les plus traditionnels.

Ces symboles de désir, de vie, de mort, communs à la grenade et à la pomme, s’ajoutent à celui, puissant, de la tentation, qu’on retrouve dans le Jugement de Pâris où pour gagner la pomme d’or offerte par la déesse de la discorde « à la plus belle », Athéna, Héra et surtout Aphrodite, sèment le trouble et embrasent l’histoire, offrant à l’Europe son premier récit, sa tragédie fondatrice. La déesse de l’Amour, gagnant le prix de beauté, en paiera le prix en provoquant l’amour et le désir d’un homme et d’une femme, et finalement avec la Guerre de Troie, la mort de presque tous ceux entraînés dans ce conflit.

Enfin, dans l’imaginaire collectif, la pomme, c’est surtout la pomme d’Adam et Eve, représentant pour tous l’acte sexuel sans qu’aucune fois la Genèse n’ait mentionné ni le fruit ni la sexualité, parlant juste du fruit d’un arbre présent au Paradis dont la consommation entraînait la fin de l’innocence par la compréhension de notions de Bien et de Mal et donc la honte de leur propre nudité. Mais comment envisager la sexualité d’Adam et Eve comme un mal quand Dieu exige lui-même de se créatures de « croître et multiplier » après les avoir créés « mâles et femelles » ? Et que viennent faire la pomme et la sexualité absents du texte mais évidents pour tous ?

Entraînés certainement par leur connaissance des symboles du fruit d’Aphrodite qui pouvait si bien perdre les hommes comme les femmes, les peuples récemment christianisés n’ont certainement pas eu de mal à retrouver dans cette nouvelle histoire étrangère à leur culture des liens à tisser avec leur culture ancienne où il y avait des mythes dans lesquels une pomme entraînait hommes et femmes dans une danse de l’Amour, du désir et du malheur irrémédiable.

Labo de Cléopâtre : Poudres indiennes : un cosmétique antique et moderne

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Mythe d’un secret de beauté ancien : la rose

On trouve au livre XII des histoires diverses d’Elien, historien romain de langue grecque des II ème et III ème siècles après J-C, l’histoire curieuse d’une certaine Aspasie, dont la destinée est marquée par la faveur d’Aphrodite tout au long de sa vie. Le début de la vie de cette Aspasie est pourtant marqué du sceau de la laideur avant que la petite fille se transforme en la plus belle de toutes grâce à un remède spécial :

« Aspasie de Phocée était la fille d’Hermotine : sa naissance coûte la vie à sa mère. (…) Dans son enfance, il lui survint sous le menton, une tumeur qui la défigurait : le père et la fille furent également affligés de cet accident. Hermotine la fit voir à un médecin, qui promit de la guérir moyennant trois statères : « Je ne les ai pas », lui dit Hermotine. »Et moi, je n’ai point de remède à vous donner. »

Aspasie, justement attristée par cette réponse, sortit en pleurant : un miroir qu’elle avait sur les genoux, et dans lequel elle ne cessait de se regarder augmentait encore son affliction. Dans cet état, elle ne put souper. Cependant, un sommeil favorable s’empara de ses sens; elle vit, en songe, s’approcher d’elle une colombe qui, prenant tout à coup la figure d’une femme, lui tint ce discours : »Prenez courage; laissez là médecins et remèdes; mettez en poudre quelques roses sèches d’une des couronnes consacrées à Aphrodite, et appliquez-les sur votre mal. »

A peine Aspasie eut entendu ce conseil, qu’elle se hâta de le suivre, et sa tumeur disparut. Ainsi, par la faveur de la plus belle des déesses, elle redevint la plus belle des filles de son âge; et dans son siècle, il n’y eut point de beauté qu’on pût comparer à la sienne : elle était formée de l’assemblages de toutes les grâces. »

Elien. Histoires diverses. Livre XII. I.

La colombe était un oiseau consacré à Aphrodite. Bien que cela paraisse étrange, c’était l’animal qui conduisait son char. L’arrivée de la colombe annonce celle de la déesse de l’Amour. Aujourd’hui, messagère de la paix ou symbole plus ambigu annonçant la grossesse de Marie, l’oiseau conserve les symboles associés à la déesse de l’Amour : la douceur, la fragilité, l’amour, et même la sexualité trouble.

La rose était une fleur consacrée à Aphrodite, mais dans l’Antiquité, elle était d’une taille bien inférieure à celle des nouvelles variétés hybrides et souvent magnifiques, qu’on dénombre par centaines, variant en couleurs et parfums presque à l’infini. Car considérée depuis toujours comme la plus belle et la plus odorante, elle a fait l’objet de toutes les exploitations, améliorations, expérimentations possibles jusqu’à ce qu’on puisse la rendre aujourd’hui éternelle, comme on le voudrait de l’Amour et de la Beauté.

Des roses, oui, mais pas n’importe lesquelles : celles offertes en couronne à Aphrodite lors de son culte. On a dit bien souvent que rien ne ressemble plus à la religion de l’Antiquité gréco-romaine que celle pratiquée par les hindous qui, elle, n’a quasiment pas changé depuis cette époque. Dans l’hindouisme, la statue n’est pas le dieu, mais le dieu vient habiter sa statue : c’est donc personnellement que la divinité reçoit les offrandes qui lui sont faites. Parmi celles-ci, des fleurs, de l’encens, des lumières et de la nourriture. Après avoir reposé le temps de la cérémonie sur l’autel où elle a été offerte, l’offrande, chargée de la bénédiction du dieu, se partage.

Dans l’histoire d’Elien, la couronne de roses, chargée du pouvoir de la déesse de l’Amour et de Beauté, peut agir sur la peau de la petite fille au moyen d’un cataplasme. Cette histoire est postérieure à  l’époque mythologique où les dieux intervenaient directement car c’est de façon indirecte et liée au culte que la déesse manifeste son pouvoir.

Des histoires ! Encore et toujours des histoires !

Mais oui ! Et de belles, en plus !

Rose de Damas, rose de mai, rose de Turquie, de Syrie, etc..Au-delà des jardins qu’elle embellit, il n’est pas de fleur plus réputée dans les soins de beauté pour sa douceur et son parfum, en externe, et même en interne ! Des sirops, confitures aux pétales, thés, lotions du Maroc, poudres ayurvédiques indiennes en passant par les masques, crèmes et les huiles essentielles, il n’est pas un cosmétique contemporain ou traditionnel qui puisse nous attirer plus que ceux qui sont faits à base de rose.

C’est comme si, sans jamais l’avoir appris, une part de nous se rappelait de la promesse faite par Aphrodite à la petite Aspasie d’en faire, grâce à sa fleur consacrée, la plus grande des beautés de son siècle…

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Choisir les couleurs de ses vêtements selon leurs symboles

Dans ses divers ouvrages, Michel Pastoureau, historien spécialisé dans les couleurs, nous fait découvrir que les goûts que nous pensons avoir en matière de couleurs sont en réalité les restes d’un patrimoine culturel et idéologique, une histoire oubliée transmise néanmoins par l’éducation. Il nous apprend donc l’histoire et la symbolique de chaque couleur, dont la plus grande partie réside dans celle des conditions de teinture du vêtement.

C’est sur la base de cette connaissance et de cette culture commune que nous pouvons ensuite choisir la couleur de nos vêtements en fonction de l’image que nous voulons véhiculer et l’effet que nous voulons produire sur l’autre, sachant néanmoins que l’usage de la couleur lui-même est connoté. En effet, les classes sociales les plus hautes n’utilisent généralement pas de couleurs vives mais la palette des bleus, bruns, noirs, beiges, gris. Dans les classes populaires, en revanche, la couleur se rencontre plus facilement, ce qui a tendance à se généraliser avec la mondialisation des idées et des cultures. Par ailleurs, chez les classes populaires, mettre de la couleur, c’est afficher sa bonne humeur et donc sa bonne santé.

Dans « Le petit livre des couleurs », condensé passionnant de ses ouvrages consacrés souvent à une seule couleur, Michel Pastoureau nous apprend d’abord que les couleurs ont des symboles ambivalents développés au cours de leur histoire, même si certaines peuvent être complètement positives ou négatives. Certaines également ont connu un renversement de valeur.

Voici ce qu’il a découvert sur les couleurs, à quoi j’ai ajouté certaines explications et des applications pratiques pour que vous puissiez vous en servir au quotidien :

  • Le blanc

Couleur positive, on y associe les valeurs de pureté, d’innocence mais aussi de propreté – le linge blanc donne l’impression de netteté – de sagesse, aussi. C’est une couleur à porter dans toutes les occasions sérieuses, professionnelles ou officielles.

  • Le noir

Associé depuis la Renaissance aux élites sociales et religieuses, il véhicule les mêmes valeurs de sérieux que le blanc, mais il possède une certaine ambivalence puisque c’est aussi une couleur de marginaux affichant leur contestation – métalleux, goths, punks, personnes en souffrance psychique ou sociale. Paradoxalement, il reste malgré tout la couleur du chic et de l’élégance. On peut donc le mettre partout, à l’autre de comprendre pourquoi et comment vous le faites.

  • Le gris

Associé désormais à la tristesse – comme un jour de pluie, sans doute – c’est encore une couleur ambivalente puisqu’elle garde les valeurs positives de sagesse et d’intelligence associées aux cheveux gris et qu’on retrouve dans l’idée de matière grise. On affiche donc son sérieux avec du gris autant peut-être que son caractère un peu terne.

  • Le bleu

D’après les découvertes de Michel Pastoureau, c’est la couleur préférée des Occidentaux aux valeurs positives incontestées depuis le Moyen-Age. On peut le porter partout et en toutes circonstances.

  • Le rouge

Autre couleur ambivalente, les valeurs qu’il véhicule sont aussi antagonistes que violentes : vie, mort, passion, sexe, violence, danger, hypomanie…Le rouge ne laisse personne indifférent ! En petites touches, il peut signifier la motivation, un caractère passionné, ce qui peut être un atout en entreprise ou en amour. Mais mieux vaut le réserver en total look pour une personne envers qui on éprouve véritablement la passion…

  • Le rose

C’est un rouge atténué, la couleur de la tendresse, du bonheur, voire de la mièvrerie. On la réserve aux femmes pour lesquelles uniquement il est bien connoté, même s’il va mieux à celles qui assument leur côté femme-enfant.

  • Le vert

Son histoire est ambivalente et il continue de signifier le sort, le hasard du trèfle à 4 feuilles sur les tapis de jeux et dans les lieux où se disputent des matchs. Peu à peu, pourtant, il se veut plus rassurant, devenant un symbole de la nature, de l’écologie. Peu porté, pourtant, il semble garder son symbolisme aléatoire : soit celui qui vous regarde l’aime, soit il ne l’aime pas. Réservez-le pour des moments où vous ne craignez pas le jugement.

  • Le jaune

Il est mal aimé en Occident car il a toujours été historiquement associé à la trahison, aux condamnés, aux réprouvés. A force de le voir sous représenté, nous y sommes devenus hostiles sans raison autre qu’éducative. Si vous l’aimez, portez-le uniquement pour vous-mêmes, sinon, vous en entendrez parler !

  • Le orange

Peu apprécié, on lui associe malgré tout l’énergie. Il ne faut pas en abuser.

  • Le violet

Couleur assez artificielle, il n’a jamais vraiment su trouver sa place, hormis dans la spiritualité. En petites touches, pourquoi pas ? ( J’écris ça pour ne pas mentir sur son opinion car pour ma part, j’adore cette couleur !)

  • Le brun

Ce fut longtemps une couleur de moines, associée à la pauvreté et à l’humilité. Parfait si vous voulez rassurer une future belle-mère ou un établissement religieux.

Mon conseil personnel néanmoins, c’est de faire éclater les couleurs de la vie, car s’il y a bien une chose que m’ont fait comprendre les Indiens, c’est que les couleurs, c’est la Beauté et c’est la vie !

https://www.youtube.com/watch?v=MlOrkja2Z54

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Maquillage des yeux : mythe et symboles

Le maquillage des yeux remonte à l’Egypte antique, comme nous le savons, et comme les images d’Epinal nous en ont laissé des souvenirs de regards masculins et féminins cerclés de khôl sur les statues et bas-reliefs. Alors que le maquillage revêt d’habitude un aspect superficiel et trivial en Occident, relevant de la séduction facile voire de l’amusement, on s’étonne qu’archéologues et historiens aient donné tant d’importance à la conception des fards et à la manière dont ils se portaient dans l’Egypte ancienne.

En réalité, si les fards les intéressent tant, c’est que leur fabrication relève des premiers processus de chimie et de pharmacologie : des poudres minérales pour la couleur, des graisses pour l’adhésion à la peau, des produits actifs dont la toxicité même oeuvre paradoxalement à l’aspect médicinal et protecteur dont on avait bien besoin pour lutter contre les maladies de l’oeil, fréquentes dans la vallée du Nil.

Les égyptologues du site du CNRS l’assurent dans leur dossier sur le langage des fards en Egypte antique : retrouver des statues aux yeux pleins et cerclés de khôl dans une tombe sème le trouble car les personnages semblent vivants, et surtout, paraissent vous regarder. De fait, le maquillage noir à base de minerai de plomb, remplaçant le fard vert à base de malachite, est estimé rendre les yeux parlants et expressifs. D’autres couleurs aux symboliques différentes existèrent mais à la base, il y avait d’abord, par principe, le maquillage des yeux, inventé il y a quatre millénaires.

A la base de l’acte de se maquiller, il y a un dieu, Horus. Lors d’un combat contre son oncle Seth, il perd son oeil gauche qui s’avère être la lune, tandis que son oeil droit constitue le soleil. Pour rétablir l’équilibre cosmique menacé par la perte de l’oeil et la disparition de la lune, Horus a recours aux fards. Acte cosmogonique et créateur, le maquillage rend à Horus sa beauté et à l’univers, la lune et ses phases désormais intermittentes. En se maquillant, hommes et femmes de l’Egypte ancienne imitaient l’acte bénéfique du dieu qui se guérissait en même temps qu’il recréait l’harmonie du monde.

Pour les hommes et femmes de ce pays, de la même manière, le maquillage avait pour fonction le soin, la médecine, mais aussi la beauté, la vie et le sacré. Le fard lui-même était une émanation d’un dieu différent selon sa couleur, d’Horus pour le vert, de Ra pour le noir. Les papyrus médicaux confirment la multiplication des fonctions associées au maquillage en Egypte ancienne :

« Viens malachite ! Viens malachite ! Viens, la verte ! Viens, écoulement de l’oeil d’Horus ! Viens, rejet de l’oeil d’Atoum ! Viens, sécrétion sortie d’Osiris ! Viens à lui ( le malade ) et chasse pour lui les sérosités, le pus, le sang, la faiblesse de la vue. »

( Ebers 385 traduit par Bardinet, cités sur le site du CNRS et celui des anciens élèves et diplômés de Polytechnique )

De toutes ces croyances, en réalité, que reste-t-il aujourd’hui dans le maquillage des yeux et dans notre rapport symbolique au regard ?

Horus, est un dieu faucon. La vue des rapaces est exceptionnelle, comme l’est celle de la plupart des prédateurs. L’oeil d’Horus, celui qui a été arraché, constitue toujours un porte-bonheur, ce qui éloigne le mauvais oeil, justement. Oeil gauche représentant la lune, il est fardé de cette sorte de maquillage caractéristique qu’on retrouve dans l’art égyptien antique et dont la symbolique perdure et protège celui qui le porte.

Dans d’autres civilisations également, les symboles de protection peuvent être des visages de démons qui nous regardent mais aussi avoir toutes les caractéristiques de l’oeil, comme le miroir Pa Kua des Chinois qu’on installe à l’extérieur de sa porte d’entrée pour protéger la maison des mauvais esprits. Ce miroir a la particularité d’être convexe et de refléter ce qui passe devant lui. Beaucoup de croyances autour de la protection des maisons font appel aux miroirs pour leur pouvoir de réflexion, leur capacité à agir comme des yeux sur d’autres yeux. Les yeux, centres de l’observation, sont à l’avant-poste de l’intelligence qui s’éveillera après avoir reçu les informations issues de cette observation.

Mais les yeux, c’est aussi le siège de la vie, toujours en lien avec l’intelligence. Fermer les yeux du mort est un acte rassurant qui permet de symboliser le décès, comme si le cadavre gardant les yeux ouverts ne pouvait être complètement mort et donc toujours conscient, intelligent, apte à porter le « mauvais oeil », ce regard chargé de haine silencieuse suffisant, paraît-il, à nuire à ceux qui en sont l’objet.

Dans le maquillage du regard, il y a un peu de tout cela à la fois : un geste de construction de sa propre beauté, de sa propre harmonie, de son appartenance au monde, d’expressivité du regard accédant au langage, de mise en valeur symbolique et expressive de son intelligence, de sa conscience.

Cela rappelle ce passage de Devdas, apparemment énigmatique, où une femme conseille à Chandramukhi, courtisane, de mettre du khôl pour se protéger du mauvais oeil, à quoi Devdas, jeune homme naïf découvrant la prostitution, fait remarquer que d’autres femmes se servent de ce même khôl pour attirer le regard. Chandramukhi lui répond : « En évoquant le regard, vous avez ravi mon coeur. Je vous prenais pour une statue, et je découvre que vous avez un coeur. » Chandra, bizarrement, signifie la lune…

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Couleurs des sentiments et symbolisme

Dans toutes les cultures du monde, les couleurs symbolisent des sentiments et des valeurs qui donnent un  surplus de sens au monde que l’on perçoit par les yeux. Ce surplus constitue l’essence de ce qui fait les oeuvres d’art picturales où le choix des couleurs et leur place dans l’espace sont des éléments fondamentaux choisis par l’artiste pour délivrer son message ou créer de la beauté.

Ces valeurs se retrouvent dans les oeuvres d’art mais aussi dans nos vies quotidiennes où chaque couleur, si elle n’est porteuse d’un sens absolu, est au moins porteuse d’une émotion dont le sens n’est pas forcément universel et est également choisie selon une émotion, celle-là forcément personnelle.

En Occident, les différentes nuances des sentiments amoureux s’expriment dans la gamme des rouges, du plus intense au plus léger, qu’on appelle le rose.

– Le sentiment exprimé par le rouge, c’est d’abord physiologiquement l’émotion brute et soudaine : on rougit de honte ou de plaisir par exemple. Ensuite, plus symboliquement, c’est la passion qu’il exprime, l’amour teinté de sexualité et de dangerosité. Dans sa version musicale ou littéraire, l’histoire de Carmen est universellement connue comme le  mythe moderne de la femme libre, insoumise, inspirant la passion jusqu’à la mort des deux amants. Dans la nouvelle de Mérimée, le lien entre les sentiments qu’inspire la belle gitane et sa dangerosité s’expriment au premier regard, dans la couleur de ses vêtements : « Elle avait un jupon rouge fort court qui laissait voir des bas de soie blancs avec plus d’un trou, et des souliers mignons de maroquin rouge attachés avec des rubans couleur de feu.« Cette rencontre s’est faite un vendredi, jour de Vénus évidemment…

L’héroïne porte ainsi fièrement la couleur du sang, celui qu’elle fera couler, que ce soit celui de son précédent mari, le sien ou celui de son amant. Mais le rouge évoque aussi le sang spécifiquement féminin des menstrues qui effraie l’homme depuis la nuit des temps, sang frappé d’interdit dans la plupart des religions et auquel on associe superstitions, malédictions et sorcellerie puisqu’il sert également à fabriquer philtres d’amour et autres potions. La conjonction du rouge, du féminin et du vendredi, l’allusion à Vénus , évoquent d’ailleurs la magie d’amour qui nécessite tous ces éléments.

Du sang qui s’écoule uniquement du sexe féminin, on n’a alors pas de mal à associer sa couleur à la sexualité spécifiquement féminine et plus particulièrement libre et stérile. En effet, au XIX ème siècle, la sexualité de bonnes moeurs est conçue dans le mariage, dans le but de donner des fruits. La seule sexualité valorisée est celle de la femme mariée devenant rapidement mère. Carmen, femme licencieuse, scandaleuse et sans moralité a une sexualité hors mariage chrétien, qui ne la rend jamais mère et qui l’associe implicitement au démon, dont la couleur est également le rouge et qui, dans les traités de démonologie, était censé imposer des relations sexuelles dégradantes mais stériles aux sorciers et sorcières qui se vouaient à lui.

En effet, bien que cela ne soit pas son métier, Carmen utilise la sexualité et son corps lorsqu’elle en a besoin. Se dessine alors un autre rouge, celui des prostituées des temps les plus reculés jusqu’à une époque moderne où c’était encore la couleur qui les distinguait jusqu’à ce que des couturiers l’anoblissent et le rendent blanchi aux femmes, des plus célèbres aux plus ordinaires, à travers le cosmétique le plus populaire et le plus médiatique de l’esthétique féminine : le rouge à lèvres.

Le rouge, enfin réhabilité, devient alors celui de la beauté. Néanmoins, quelque chose de son essence scandaleuse reste puisque le rouge est une couleur finalement délaissée par les plus discrètes et qui sert toujours, à travers les roses, à exprimer l’amour passionné.

– Le sentiment exprimé par le rose, en revanche, comme en peinture, voit la passion dangereuse du rouge neutralisée par la pureté, la puissance virginale du blanc. Ainsi, le rose exprime beaucoup plus la tendresse, les sentiments romantiques exclusivement féminins mais excluant la sexualité au moins comme valeur de premier plan. Le rose étant en effet culturellement la couleur des petites filles, des guimauves et de la barbapapa, beaucoup associent au rose des valeurs mièvres où s’expriment les bons sentiments jusqu’à la niaiserie. Une vision qui pourrait se retrouver dans une expression telle que « voir la vie en rose » qui exprime bien cette façon de vouloir voir le monde avec des yeux d’enfant naïve, uniquement concentrée sur son plaisir et ses jeux, incapable de voir la laideur du monde qu’on appelle aussi réalité.

C’est un peu ce qu’on retrouve dans l’habillement kawaï des sweet lolitas du Japon où le rose domine et où les filles imposent au monde leurs valeurs romantiques et tendres. Dans leur univers, l’amour est un doux rêve où les femmes savent parfois retrouver leur nature de petite fille égoïste et heureuse. Une valeur confirmée dans les hôpitaux psychiatriques où le rose a démontré sa capacité à apaiser les humeurs et à faire ressentir le bonheur même à ceux qui l’avaient oublié.

On résume : vous voulez allumer, réchauffer l’atmosphère, le voir s’enflammer ? Portez du rouge. Si du rouge dans une chambre n’incite pas à dormir en échauffant l’esprit et en l’énervant plutôt que l’apaisant, un petit rappel de rouge invite néanmoins la sexualité dans votre chambre.

Vous voulez calmer ses ardeurs, imposer vos valeurs tendres, romantiques en entendant les faire respecter, vous faire respecter, vous et vos rêves de princesse ? Portez du rose et voyez si la vie se transforme à la faveur de votre rêve coloré.

Cet article est la propriété du site Echodecythere. Il est interdit par le code de la propriété intellectuelle de le reproduire sans l’autorisation de son auteur.

Chair et symbolisme

Il est des mots, comme ça, qu’on emploie depuis toujours mais dont on ne connaît pas la signification exacte tant elle est recouverte par un emploi à sens presque unique et obsessionnel. Le mot chair fait partie de ceux-là. Dans le dictionnaire, la chair est définie comme le tissu conjonctif du corps que recouvre la peau. Autrement dit, la zone qui va du squelette à la peau tout en les excluant, c’est la chair. C’est une chose que nous comprenons tout à fait lorsque nous mangeons de la viande, de la chair, en bon carnivore – littéralement, mangeur de chair.

En revanche, lorsqu’il s’agit du corps humain, les choses deviennent plus floues parce que culturellement, dans un monde qui fut très chrétien, le sens moral a pris le pas sur le sens premier et la signification du mot chair, connoté négativement, désigne surtout ce qui est bas, vil, faillible et médiocre dans le vivant. Dans une société héritière du christianisme, la chair est le plus souvent associée à  la sexualité : « plaisir charnel » : au péché « le péché de la chair », et la pulsion irrésistible et condamnable : « la chair est faible ». Le tissu conjonctif comprenant muscles, vaisseaux, veines, artères, nerfs, tendons, organes, etc. et associé à de multiples fonctions allant du maintien de la vie aux diverses actions les plus complexes et variées concernant le miracle et la mécanique du vivant se trouve ainsi réduit par le langage aux actions les plus viles au premier rang desquelles la sexualité la plus dévoyée, celle qui se perd entre la volonté de plaisir et la pulsion incontrôlable.

Son étymologie déjà, impose au mot sa bassesse, car chair vient de « cadere », tomber, que l’on perçoit plus clairement dans le verbe choir auquel le mot chair ressemble tant.

Derrière cette chute se devine toute une idéologie que possèdent la plupart des religions qui opposent l’esprit, pur, spirituel et apte à rejoindre les sphères du Salut, et la chair, vivante, et donc entraînée par les plaisirs mais soumise à la souffrance, et finalement mortelle, si mortelle et si basse qu’elle finira en terre. Dans cette configuration, l’Homme est comme un moyen terme entre le plus haut et infaillible, Dieu, désigné souvent comme le Ciel, et le plus bas et faillible, l’animal, attaché à la Terre. Pris entre l’étau de ses contradictions, son esprit qui, rendu pur, peut le faire devenir semblable à Dieu, et sa chair qui l’entraîne vers le bas, l’Homme a toute une vie d’actions pour révéler dans quel plateau, pur ou impur, de la balance il va pencher.

Mais la chute, c’est aussi celle d’Adam et Eve, déchus – encore un dérivé du verbe choir – du Paradis, tombés du Ciel à la Terre pour avoir découvert leur nudité après avoir croqué la pomme de l’arbre de connaissance du Bien et du Mal. Dans le judaïsme, Dieu donne un ordre à Adam et Eve qui, ne le respectant pas, sont punis tandis que lui-même jamais ne déchoit. Dans le christianisme, en revanche, Dieu accepte de déchoir, de s’incarner, autrement dit, d’être dans une chair, pour vivre une vie d’homme par amour pour le genre humain.

Cette sensualité du christianisme, sa relation particulière à la chair se manifeste pour le croyant dans l’Eucharistie, consommation symbolique de la chair et du sang de Dieu incarné ainsi que dans le culte des reliques dont, outre des squelettes et des bouts d’os, on peut exposer à l’adoration des fidèles des momies entières dont les chairs, si elles n’ont pas pourri, sont néanmoins mortes. C’est paradoxalement avec la partie charnelle des saints que peut s’établir une connexion spirituelle qui élève l’âme.

Ce rapport ambigu à la chair, entre lieu de l’incarnation de Dieu en une figure historique nommée Jésus pour les chrétiens d’une part, et lieu de tous les péchés d’autre part, est peut-être ce qui entraîne la culture occidentale sur la voie de l’obsession maladroite pour le corps et la sexualité en même temps que leur condamnation inconsciente et donc la souffrance irrémédiable provoquée par cette contradiction qui le pousse justement à avilir tout ce qui est sexuel quand il faudrait au contraire l’embellir et l’élever.

Car dans les traditions hindoues et bouddhistes, si la chair, vile et mortelle, s’oppose également à l’esprit, de nature divine, la solution à ce dilemme se trouve dans l’intégration plutôt que dans la dissociation ou le déni. L’Homme étant corps et esprit, il est possible de se purifier, rejoindre Dieu et dépasser son état mortel et charnel par les disciplines corporelles telles que le Hâtha Yoga ou, à l’extrême et dans un cadre strict, ritualiste et rigoureux, le Tantrisme de la main gauche consistant à manger de la chair, boire de l’alcool et à pratiquer la sexualité là où les autres pratiques ascétiques l’interdisent. La voie privilégiée de ce dernier Salut étant justement la femme et son corps, manifestation de la Grande Déesse, pure énergie dont procède le monde.

Entre temps, en Occident, la religion étant devenue la consommation, on vend des cours de soi-disant Tantrisme, qui bien sûr et heureusement n’en est pas, à des couples blasés en mal d’exotisme sexuel, et pour comble d’absurdité, quand les magazines ont envie de voir augmenter leurs ventes, ils annoncent un article sur le sujet, débarrassé de toute considération spirituelle qui n’intéressent personne, avec parfois, ce slogan évocateur : « Tantrisme, croquez la pomme ! ».

L’élévation spirituelle par la chair, ce n’est pas pour tout de suite, apparemment…

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