Le massage est une pratique médicinale très ancienne développée dans beaucoup de civilisations selon leurs propres conceptions culturelles, leur histoire et les fonctions qu’elles lui ont assignées. En Inde, par exemple, le massage est au coeur des pratiques de la médecine traditionnelle, l’Ayurvéda. En Corée et ailleurs en Asie, le massage est si courant qu’il est d’ailleurs une pratique d’enfant aimant à l’égard de ses parents. Au Maghreb, et un peu partout dans le monde musulman, il est au coeur des pratiques hygiéniques développées avec art dans le hammam. En Occident, par contre, son statut est beaucoup plus ambivalent.
Son histoire connue remonte à la Grèce antique où il faisait partie des techniques de soins prodigués notamment aux athlètes. Il a également été exercé par de prestigieux médecins sur des empereurs romains atteints de diverses maladies, comme l’était Jules César, par exemple. Mais comme aujourd’hui où de nombreux salons de « massages » dissimulent en réalité des lieux de prostitution, la pratique du massage à Rome fut rapidement dévoyée et son usage interdit dès que le Christianisme gagna l’Empire.
Devenue suspecte, la pratique dut attendre longtemps avant de refaire son apparition. Mais le massage n’est pas le réel problème, et notre connaissance en histoire de l’hygiène en Occident nous rappelle que pendant de longs siècles, se laver même était devenu presque impossible, comme nous le démontre le bain annuel de Louis XIV dont nous avons tous entendu parler. Le problème du massage en Occident est en réalité celui du corps, très déconsidéré dans les cultures judéo-chrétiennes. L’omniprésence des appareils électriques dans les cabinets de kinésithérapeutes qui, autrefois, y allaient de leurs propres mains et qui maintenant laissent faire le courant, confirment ce rapport gênant au corps qui a finalement été évacué autant que possible de la majorité des pratiques médicales.
Parallèlement pourtant, sous l’impulsion très contemporaine du « bien-être » comme valeur positive, des offres de massages de détente – interdits désormais sous cette appellation réservée au domaine médical, contre celle de modelage, à la pratique pourtant identique – inondent le marché sous des formes toujours nouvelles, exotiques, faussement anciennes ou réinventées pour créer une offre aussi diversifiée que dans un supermarché : massages ayurvédiques, thaïlandais, suédois, shiatsu, aux pierres chaudes, à la bougie, etc..
Dans ce méandre d’offres compliquées entre prostitution, pratiques médicinales mésestimées de bien-être dont les symboles multipliés, et un peu superficiels – bougies, musique de relaxation aux synthétiseurs – dérangent parfois plus qu’ils ne détendent, la vérité sur le massage se perd dans les emplois artificiels ou dévoyés qu’on en a fait.
Pourtant, le massage est une pratique qui agit à des niveaux si profonds sur la beauté qu’on a peine à le réaliser pleinement. Sur le muscle endolori, par exemple, il est désormais établi scientifiquement par le chercheur en neuro-métabolisme, Mark Tarnopolsky, que le massage n’agit pas superficiellement mais au contraire profondément sur les gênes musculaires de façon à créer un effet anti-inflammatoire. Plus qu’un léger bien-être provoqué par un agréable pétrissage, la pression se transforme en information biologique qui va activer des gênes aux effets réparateurs.
De même, cette pression exercée sur le corps a un impact sur notre façon de nous sentir être au monde. Etre massé, c’est être comme le petit enfant pour qui la caresse ou le soin de la mère est une forme d’amour, d’acceptation complète de sa personne. C’est pourquoi le massage a le pouvoir de dissiper la dépression, le dégoût de soi, le déni de son propre corps au profit de son acceptation, d’une bienveillance rarement éprouvée à son endroit, et de la conscience de sa beauté profonde, essentielle, loin de tous les canons esthétiques en vigueur.
Car mieux encore que la nourriture, l’accueil sincère par le corps social signe, comme peut le faire toute forme d’amour, le droit à sa santé mentale, sa reconnaissance et au prolongement de sa vie, comme le dit Bloom dans son célèbre Principe de Lucifer : » s’embrasser régulièrement fournit de l’oxygène supplémentaire et stimule la production d’anticorps. La proximité des autres peut guérir. » Cette proximité se fait de façon directe par le massage, directe et rapidement active sur de nombreux troubles mentaux. En médecine indienne traditionnelle, schizophrénie et dépression se soignent d’ailleurs par le massage.
Et cela vaut aussi pour l’auto-massage qui a l’art de nous entraîner au-delà des jugements sévères que nous nous adressons lorsque nous comparons notre enveloppe malheureuse avec celles de beautés inatteignables, pour nous faire découvrir malgré nos conditionnements les vraies limites de notre corps et de notre beauté dans son essence.
Enfin, le masseur d’Himmler, Felix Kersten, savait si bien faire disparaître la douleur de son patient, qu’il a permis de sauver 100 000 vies dont celles de 60 000 juifs, de 1941 à 1945. Certes, ce fut la crainte de ne plus bénéficier de ses soins qui poussa Himmler à se laisser de plus en plus manipuler par les chantages de ce philanthrope qui échangeait des soins contre la vie d’être humains et qui est encore trop peu connu du grand public, mais on ne peut s’empêcher de se dire qu’il y a peut-être aussi un peu de ce pouvoir qu’a le massage de nous révéler notre beauté intérieure et notre lien profond avec le corps social, et finalement avec l’humanité tout entière…
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