beauté et arts visuels

Exposition Eloge de la Beauté

Dans l’article précédent, vous avez découvert le parfum antique reconstitué que j’étais allée découvrir au musée archéologique d’Athènes. Ce parfum était présenté dans le cadre d’une exposition thématique sur la beauté qui comprenait beaucoup d’objets, mais aussi beaucoup de gens devant les vitrines.

De par mon activité, bien évidemment, j’ai plus été portée à photographier les pixies – boîtes à cosmétiques – et autres flacons de parfum remarquables rencontrés lors de l’exposition, et ce d’autant plus volontiers que je n’attendais qu’une chose : sentir le liquide rose dans le ballon – raison pour laquelle j’étais venue. Cadrer correctement une photo quand il y a beaucoup de gens autour de vous qui s’agite et s’excite, c’est vraiment difficile.

Car la beauté reste un thème universel et teinté de soufre. Dans la salle d’exposition, il y a plus de monde que dans les autres pièces du musée. Alors, oui, on a choisi des pièces d’exception, et par rapport aux flacons existant déjà et étant proposés à l’étage, ici, sont présentés préférablement ceux avec des matériaux remarquables ou des scènes de toilette et d’esthétique – comme des sortes de mises en abîmes, de petits miroirs sur le passé – tel ce petit miroir ouvert sur les genoux de cette minuscule et remarquable Aphrodite.

Aphrodite, c’est elle qu’on est venu voir, et c’est surtout elle qu’on trouve représentée, en petit ou en grand, sur les abalastres, les statues, elle qui domine l’exposition et les commentaires du guide grec, qui, en anglais, raconte que la beauté est ce que tout le monde désire, recherche, et que les femmes cherchent toutes à séduire et c’est normal, etc..Mais bien sûr, il y a des Françaises dans cette expositions qui commentent dans leur langue : »C’est un peu caricatural… »Moi aussi, je suis Française. Mais j’ai créé ce blog et même si j’aimerais qu’elle ait raison…

Ce guide, lui, il est Grec. Comment ça se passe, d’ailleurs, la beauté, en Grèce ?

Les femmes y conservent quelque chose d’ultra-féminin dans la manière d’être sages. Les cheveux y sont toujours longs et détachés, les coupes de cheveux et les coiffures jamais folles, artifices laissés plutôt aux hommes. Globalement, le maquillage y est discret et les bijoux plutôt absents, hormis souvent un piercing de nez pour les plus jeunes, préférablement un anneau. Le sourcil, lui, est bien travaillé – mais c’est devenu une constante un peu partout depuis ces dernières années, sans doute venue des pays arabes.

Parallèlement, on rencontre un autre type de jeunes femmes plus sexuellement agressives, courant dans les Balkans et les pays slaves, chez qui décoloration, maquillage et sur-valorisation annoncent la couleur. A la limite, même, dans cette sur-fémininisation, il y a quelque chose d’un peu viril, du point de vue grec ancien : le côté actif de la féminité. Une féminité sur-jouée, sur-travailée dans un but précis, a forcément quelque chose de prospectif, d’agressif, propre à ce que le Méditérranéen attribue à la virilité.

Alors, ce guide, un peu caricatural ?

Des femmes qui peuvent se permettre un laisser-aller androgyne à la limite physique de la masculinité et qu’on pourrait qualifier d’absence de recherche minimale de beauté, je n’en ai pas rencontré, même pas chez les femmes âgées. Je pense donc que cet homme sait de quoi il parle et que d’une culture à l’autre, nous pouvons prendre certaines choses pour superficielles. Mais si elles n’étaient pas si structurelles, elles ne modèleraient certainement pas silencieusement mais si complètement une société.

Nouvel article Labo de Cléopâtre : Flacons du musée archéologique d’Athènes

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Beauté et image

Envahissante au point de devenir une véritable dictature, l’estimation de la beauté, ancrée dans les sociétés humaines depuis fort longtemps nous semblerait presque naturelle. De fait, elle l’est un peu. Pour améliorer l’espèce, les animaux cherchent un partenaire pour se reproduire, sont attirés par le plus beau, celui qui a donc à la fois la santé et la force. Car la base de la beauté, à l’origine, c’est la santé, qui induit de la vigueur aux membres, un poids équilibré, la symétrie liée à la jeunesse procréatrice, des yeux vifs, des dents saines et des cheveux brillants et forts. On a envie d’ajouter : »et tout le reste est littérature ».

Car c’est vrai. Le monde de la beauté reposant sur des concepts est un pur produit né du langage, des conceptions liées à la culture et qui peuvent tout à fait se faire en dépit du bon sens qu’on prête au contraire à la nature. En témoigne cet étrange goût du XIX ème siècle pour les femmes atteintes de « chlorose », maigres et anémiées, s’évanouissant souvent mais aussi rongées par la tuberculose. Ce sont les héroïnes d’Edgar Allan Poe, de Nerval, Chateaubriand, Lamartine, Baudelaire, etc., pour qui l’amour et la beauté  prennent le masque de la mort à une époque où la médecine, à la fois savante et paradoxalement impuissante, comprenait précisément les mécanismes de la plupart des maladies sans parvenir à les éradiquer.

Dans Ligeia, une des Histoires extraordinaires où la première épouse décédée du narrateur possède et anéantit la seconde, Poe écrit : »Il n’y a pas de beauté exquise, dit Lord Verulan, parlant avec justesse de toutes les formes et de tous les genres de beauté, sans une certaine étrangeté dans les proportions.« . Une définition que partageait Baudelaire mais que ne pouvaient goûter les sculpteurs de la période classique.

Et pourtant, dans l’un et l’autre cas, on reste frappé par ce constat : quels qu’aient été les idéaux esthétiques d’une époque, ils n’ont jamais pu se représenter autrement et traverser le temps que dans des images fixes, qu’elles aient été mentales reposant sur l’imagination personnelle comme dans une description, ou physiques comme dans les arts visuels consacrant les Vénus de l’époque classique, des Joconde, Marylin Monroe, Amber Heard ou même Kim Kardashian. Ils sont pourtant sans mouvements, ces photographies prises au bon moment, ces peintures figeant les regards dont on dit pourtant qu’ils vous suivent partout, ces marbres qui ont traversé les millénaires pour nous faire entrevoir quelques principes esthétiques auxquels on s’est appliqué à donner une sorte de dynamisme qui ne peut être que feinte.

Et même lorsqu’une forme de mouvement a malgré tout été captée, comme le cinéma a immortalisé l’image mobile d’une actrice au temps de sa beauté, ce sont toujours les mêmes mouvements qui se jouent; mouvements et gestes que reprennent les fans qui les connaissent par coeur et qui les répètent dans l’adoration sans jamais parvenir à ressusciter la beauté unique de l’instant, de l’actrice, de la scène, de tout ce que nous pouvons croire y prendre comme modèle quand l’image que nous voyons coïncide si parfaitement avec l’image mentale idéale que nous portons en nous.

A l’époque où William Curtis photographiait les derniers amérindiens vivant en tribus, ceux-ci pensaient que l’image qu’on prenait d’eux allait leur voler leur âme. Près de deux siècles plus tard, on comprend que c’est l’inverse : la photo, l’image, l’oeuvre d’art quelconque ont saisi non la beauté d’une personne – qui est l’ensemble de ses mouvements, de sa vie, de son caractère, son humeur, ses émotions, etc.- mais la beauté conjuguée d’un instant figé et choisi, d’une capacité momentanée de l’artiste à la restituer, de la réussite du cliché et de l’acceptation passagère d’un public. Un équilibre fragile, en vérité : l’individu en mouvement aurait très bien pu être laid ou rendu méconnaissable par l’image qui fait la décomposition de ce mouvement, le public aurait pu ne pas s’y reconnaître, etc.

Pourtant, rien n’a plus de pouvoir que l’image pour définir nos conceptions pourtant illusoires de la beauté, certainement parce que notre cerveau fonctionne par images fixes, concepts immobiles, catégorisations stables à l’origine des processus cognitifs qui nous permettent d’appréhender le monde.C’est d’ailleurs pourquoi nous pouvons sans problèmes vénérer des idoles vivantes, mortes ou juste symboliques pour peu que nous ayons photos, statues et images pour support de notre adoration. Mais à l’inverse, un animal n’y est pas sensible, n’y voyant qu’un objet inanimé auquel il ne peut donner du sens. Et même lorsqu’il lui arrive de réagir au mouvement de la télévision, il s’en détourne bien vite car son instinct ne lui fait pas perdre de vue que seul le mouvement fluide, varié et imprévisible est la marque du vivant, qui seul l’intéresse.

Et c’est à cette frontière-là que se situe la limite entre aimer la beauté, être obsédé par sa représentation et vivre l’amour qui, lui, nécessite le vivant, bien plus complexe, et sur lequel plaquer des idéaux figés peut aussi bien s’avérer créatif que destructeur.

Nouvel article : khôl antique aux pétales de rose

 

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