Mois: mars 2016

La Beauté, créatrice de destin

Si la beauté a beaucoup préoccupé les Grecs tout comme notre société contemporaine axée sur la consommation et le buzz, elle a aussi toujours joué un rôle important dans toutes les relations, qu’elles soient humaines ou animales. En effet, la beauté joue plusieurs rôles au sein des organisations sociales. Chez les animaux, elle permet le choix d’un partenaire en meilleure santé et donc aux gènes plus favorables pour la survie de l’espèce. Chez l’homme, bien que cette fonction de la beauté ait aussi cours, d’autres critères plus complexes vont déterminer un choix duquel la beauté peut parfois être absente au profit d’autres qualités.

Pourtant, dans une société où la beauté a été recherchée depuis toujours, elle est un enjeu social aussi insignifiant que paradoxalement primordial dans certains cas, et c’est ce qui la caractérise depuis longtemps. Elle est insignifiante car ce n’est pas elle qui établit les règles de société basées sur l’éducation, le statut social ou la richesse. Elle est pourtant importante car elle est un des attributs de l’éducation caractérisée par la connaissance des belles lettres, des beaux arts, du goût, du beau, valeurs que se doivent de connaître et posséder toutes personnes pouvant prétendre à un statut social élevé. Car c’est une autre loi sociale obligatoire quand on est riche que de démontrer son pouvoir sous forme d’objets de luxe, d’oeuvres d’art, d’une union avec quelqu’un de particulièrement beau.

Impossible en effet pour un homme puissant de se montrer au bras de ce que la presse pourrait appeler un laideron s’il veut rester crédible ! A partir d’un certain niveau de vie et d’une certaine exposition publique, ce dont un individu s’entoure doit être un prolongement dans le monde de sa représentation, de ce qu’il symbolise pour la société. Bien entendu, culturellement c’est beaucoup plus vrai pour un homme que pour une femme, mais à prestige équivalent, la tendance pourrait bien finir par toucher tout le monde pour peu que les femmes accèdent à des carrières et des niveaux d’image tels que ceux de Madonna qui met un point d’honneur à sortir avec des hommes de vingt à trente ans plus jeunes qu’elle.

Hormis cette exception et d’autres aussi rares, le phénomène est plutôt masculin, et on ne compte plus les belles jeunes femmes mariées à des acteurs ou autres personnages publics ou riches particulièrement âgés. Dans un monde d’inégalités encore flagrantes entre hommes et femmes, l’union stable avec un homme qui gagne très bien sa vie entre autres qualités a toujours de bonnes chances de se faire sur un critère minoré mais incontournable du destin : la beauté.

Bien entendu, les femmes avec un haut statut social trouvent facilement à se marier dans leur classe d’origine grâce à leurs atouts comme la fortune, des relations, de la famille haut placée et tout le prestige nécessaire au niveau de vie de sa classe sociale, mais la littérature, l’histoire et encore l’actualité nous ont donné mille preuves que les belles femmes sans fortune ou sans statut particulier pouvaient faire un bond social extraordinaire rien que par leur beauté. Aspasie, l’hétaïre qui devint la compagne de Périclès, Théodora, danseuse, prostituée, fille d’un montreur d’ours devenue impératrice de l’Empire byzantin, Jeanne-Antoinette Poisson, bourgeoise devenue la marquise de Pompadour, Nadine Lhopitalier, actrice de seconds rôles légers et dévêtus, devenue la baronne de Rotschild.

Les exemples ne manquent pas pour démontrer que la beauté peut offrir un destin exceptionnel à celles qui n’avaient ni la richesse ni le statut social. Ces histoires, suffisamment nombreuses pour qu’on croie à leur possibilité dans les destinées individuelles, sont celles répétées à l’infini dans la littérature amoureuse féminine dont l’ouvrage le plus célèbre, Orgueil et préjugés, n’en finit pas de se décliner en de multiples adaptations démontrant à la fois l’aspect indémodable et monomaniaque du rêve qu’il contient. Et à l’ère où les femmes sont libres et travaillent, la beauté peut également offrir carrière et fortune dans le métier d’actrice et plus récemment, depuis qu’on le valorise, celui de mannequin.

Sauf que, pour ces exemples nombreux mais proportionnellement rares par rapport au nombre de femmes qu’on a pu un jour dire belles, de plus nombreux, tus dans la honte, sont des destins où la beauté exploitée n’est que le tremplin vers des rêves de réussite transformés en cauchemar social dans des carrières de prostituées, actrices porno, mannequins sans succès qui s’exposent et s’épuisent dans jamais se faire remarquer avant l’âge fatidique, actrices belles mais transparentes et donc sous-payées. Celles-là, qui se taisent par honte de leur déchéance, les auteurs les ont appelées de multiples noms littéraires qui font par contre le succès des écrivains : Nana, Mademoiselle Cléopâtre, Manon Lescaut, Marguerite Gautier…

D’autres ont évoqué des personnes réelles autrefois riches parce qu’elles étaient belles, avant de tomber en disgrâce. Elles ont croisé la route des poètes à toutes époques, les anciens grecs, Baudelaire, Dumas fils, à qui Marie Duplessis a inspiré Marguerite Gautier qui lui offrit le succès de sa Dame aux camélias.

Les dons d’Aphrodite sont nombreux et peuvent offrir parfois un destin exceptionnel. Mais la déesse est capricieuse, et à l’image de la roue de la fortune, ce qu’elle a donné peut aussi bien se retourner contre celle qui en a bénéficié que cesser d’exercer son pouvoir dans un sens favorable. Si tu as bénéficié d’un ou plusieurs de ses dons, soucie-toi de bien les placer et de tirer ta valeur d’autres qualités pour quand sa faveur aura cessé.

Si vous l’avez manqué, le dernier article du Labo de Cléopâtre

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Pommes magiques d’amour et de haine

Comme les deux versants d’Aphrodite révèlent une déesse amoureuse autant que vengeresse, la magie traditionnelle et occidentale utilisant la pomme peut aussi bien être bénéfique que nuisible, gardant malgré tout toujours un lien avec le domaine d’Aphrodite.

La magie utilisant les pommes est très ancienne puisqu’elle se faisait déjà à Babylone quand elles étaient des fruits consacrés à Ishtar. L’utilisation d’un fruit ou d’autres éléments trouvables facilement dans son environnement est la marque d’une magie très primitive puisqu’elle est simple; la discipline, en effet, s’est complexifiée avec le temps. Ou tout à l’inverse, ça peut être la marque d’une magie très contemporaine employant des éléments faciles d’accès devenus indispensables à un monde de plus en plus urbanisé et complexe dans lequel trouver du temps pour un rituel peut devenir un défi, une nécessité de plus dans un agenda surchargé.

Heureusement, les rituels anciens avec des pommes, savent être simples, surtout ceux qui concernent la divination amoureuse :

  • Pour savoir si on est aimé d’une personne

« Prendre une pomme, la couper en 2 avec un couteau bien aiguisé; si l’on peut faire cela sans couper un pépin, le désir de ton coeur sera accompli, mais si tu coupes par hasard un pépin, tu n’auras pas gagné l’amour de la personne. »

  • Pour rêver à l’homme que tu dois épouser

« Mets-toi à la fenêtre la veille de la Saint-André et prends une pomme de la fenêtre sans remercier la personne qui te l’offrira. Coupe le fruit en deux; manges-en la moitié avant minuit et la moitié après minuit; dors ensuite; tu verras dans le sommeil ton futur mari. »

Alexandre Legran : Les vrais secrets de la magie noire.

Les rituels destinés à provoquer l’amour, plus difficiles et plus longs à réaliser, ont gagné en complexité depuis l’époque babylonienne, nécessitant des étapes précises comme le jour de Vénus, et d’autres éléments personnels et intimes comme du sang, des cheveux, une intention claire et écrite, les noms des protagonistes, témoin cette recette issue du Petit Albert :

  • La pomme d’amour

« Vous irez un vendredi matin avant le soleil levé dans un verger fruitier et cueillerez sur un arbre la plus belle pomme que vous pourrez. Puis vous écrirez avec votre sang sur un petit morceau de papier blanc votre nom et surnom et, en une autre ligne suivante, le nom et le surnom de la personne dont vous voulez être aimé et vous tâcherez d’avoir trois de ses cheveux, que vous joindrez avec trois des vôtres, qui vous serviront à lier le petit billet que vous aurez écrit avec un autre, sur lequel il n’y aura que le mot Scheva, aussi écrit de votre sang, puis vous fendrez la pomme en deux, vous en ôterez les pépins et, en leur place, vous y mettrez vos billets liés par les cheveux et, avec deux petites brochettes pointues de branches de myrte vert, vous rejoindrez proprement les deux moitiés  de pomme et la ferez bien sécher au four, en sorte qu’elle devienne dure et sans humidité, comme les pommes sèches de carême. Vous l’envelopperez ensuite dans des feuilles de laurier et tâcherez de la mettre sous le chevet du lit où couche la personne aimée, sans qu’elle s’en aperçoive et, peu de temps après, elle vous donnera des marques de son amour. »

Mais le plus étonnant des rites de magie avec des pommes est celui de la « pomme endormante », révélé par Giambatista Porta qui, fasciné par le merveilleux, voulut faire de la magie naturelle une discipline savante. Dans son livre De la magie naturelle de 1538, il révèle comment créer une pomme empoisonnée pour endormir celui qui la sentira.

Pour faire une pomme endormante

« Et est constituée en cette manière. On prend du jus de pavot, de mandragore, de jus de ciguë, de semence de jusquiame, et de lie de vin, et ajoute-t-on du musc (…). Cela fait, formez-en des pelotes, ou globes aussi grosses comme on les pourrait empoigner avec le poing, car en flairant souventes fois cette pomme, ou l’allumant elle provoquera le sommeil. »

Bien qu’il ne s’agisse probablement ici que de sentir un produit ayant la forme pratique et symbolique d’une pomme faite avec des produits soporifiques, narcotiques et toxiques, on y reconnaît des poisons naturels employés depuis l’Antiquité associés au parfum irrésistible et animal connu pour ses vertus aphrodisiaques : le musc. Ce procédé de pomme empoisonnée en même temps que particulièrement irrésistible – puisque des 3 objets proposés par la sorcière, la pomme est le seul auquel elle ne peut pas résister – se retrouve dans le conte de Blanche-Neige, mis pas écrit par les frères Grimm mais forcément plus ancien. Or, si nous savons que les contes ont une dimension symbolique, il est également avéré qu’ils décrivent des situations ayant réellement existé afin d’informer et instruire ceux qui les entendaient. Ces récits constituaient autant un enseignement qu’un moyen de protection contre les menaces de tous types – le loup, la marâtre, par exemple – et d’autres sentiments conduisant un individu à l’échec comme l’impatience et découragement, puisqu’à la fin les contes, finissent bien.

Etrangement, dans l’histoire de Blanche-Neige comme dans le rite de « la pomme endormante », on peut revenir du sommeil provoqué par la pomme empoisonnée. Dans le texte de Grimm, le morceau de pomme coincé dans la gorge de la belle endormie est expulsé quand le prince qui la portait bute sur une racine. Chez Disney, le baiser du prince réveille la princesse. Dans le cas d’un sommeil provoqué par « la pomme endormante », du sel dissous dans du vinaigre suffit à réveiller l’empoisonné à condition d’en frotter le nez, les tempes et ..les « génitoires », autrement appelées les testicules ! Dans tous les cas, on peut dire que le réveil est provoqué par un « échauffement » selon le sens qu’il prenait autrefois; un choc physique direct dans le cas de la racine sur laquelle on bute, hormonal dans le cas d’un baiser ou d’un attouchement des « génitoires ».

Finalement, avec les pommes, quelles qu’elles soient, tout semble vouloir tourner autour de la sexualité, même quand on ne le dirait pas.

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Fruits d’Aphrodite

Dans la mythologie, il existe deux fruits d’amour bien connus associés à des déesses de l’Amour, ce sont la grenade et la pomme, toutes deux consacrées à Ishtar d’abord, grande déesse babylonienne, et à Aphrodite ensuite, sa version hellénisée. Dans les rituels de magie anciens destinés à provoquer l’amour, on retrouve Ishtar associée à la grenade ou la pomme.

La grenade, en effet, avec ses multiples grains rouges, charnus, pleins de jus, symbolise à merveille la fécondité. La couleur rouge de son jus rappelle le sang dont le corps est constitué, qui coule quand la femme est prête à engendrer, qui coule encore quand elle connaît son premier acte sexuel. Ses grains, quant à eux, foisonnant et se dispersant quand on ouvre le fruit, semblent révéler le mystère de vie auquel les Anciens ont eu accès intuitivement par ce symbole : le multiple dont toute unité est faite dans le vivant. Les biologistes l’appellent la division cellulaire.

Ishtar, Tanit, Aphrodite, déesses de l’Amour et de la fécondité et donc de la vie ont toutes été associées à la grenade aussi fortement que Perséphone, femme d’Hadès et déesse des Enfers comme il en était le dieu. Lorsqu’elle fut enlevée par celui-ci et que la dépression de Cérès, sa mère, aurait pu lui valoir sa libération, elle mange 7 grains de grenade qui lui valent d’être associée pour toujours au Royaume des Morts, nous rappelant ainsi que la loi du multiple et donc de la vie est aussi ce qui nous enchaîne à notre destin de Mortels. L’amour, la sexualité, la multiplicité au coeur de l’unité, la fécondité, la vie, la nourriture, toutes ces promesses caractéristiques des lois d’Aphrodite sont autant de promesses de lien futur avec le royaume de l’Hadès où tout ce qui a vécu un jour se retrouvera pour l’éternité.

La grenade est ainsi un fruit initiatique qui, par sa construction surprenante et unique délivre aux Mortels les secrets de leur destinée entre l’amour et la sexualité qui les a fait naître et la mort potentielle contenue dans le vivant. Mais c’est aussi un fruit qui raconte une histoire spirituelle où chaque grain représente les choix multiples s’offrant à chacun pour devenir soi-même, mais aussi le multiple nécessaire pour faire un monde – la grenade représentant aussi bien le multiple au sein d’un seul être vivant que la Terre, constituée de multiples êtres vivants.

Bien que particulière et unique, la grenade a souvent été confondue avec la pomme, l’une pouvant se substituer à l’autre dans les rituels de magie d’amour ou sur les représentations divines. Il faut dire que pour les Anciens, la pomme pouvait signifier beaucoup de fruits, comme c’était le cas dans l’Antiquité avec beaucoup de végétaux, voire d’animaux. Cette latitude devait bien arranger les populations d’Europe du Nord qui ont hérité de la culture méditerranéenne mais pas de son agriculture, son climat étant trop froid. La grenade, incapable de pousser sur ces terres inhospitalières, cède le pas symbolique et culturel à la pomme.

Ainsi, qu’elle prenne appui sur les anciens symboles païens ou qu’elle soit christianisée, la magie d’amour utilise très souvent une pomme à envoûter et à faire croquer à l’être aimé comme ça se faisait déjà dans l’Antiquité. Disney a su le mettre en scène de façon saisissante dans son adaptation de Blanche-Neige des frères Grimm où une fois encore, désir, amour et mort se mêlent au moyen d’une pomme, charnelle, attirante mais ensorcelée, offerte cette fois à l’être détesté, mais procédant selon la même logique que dans les sorts d’amour les plus traditionnels.

Ces symboles de désir, de vie, de mort, communs à la grenade et à la pomme, s’ajoutent à celui, puissant, de la tentation, qu’on retrouve dans le Jugement de Pâris où pour gagner la pomme d’or offerte par la déesse de la discorde « à la plus belle », Athéna, Héra et surtout Aphrodite, sèment le trouble et embrasent l’histoire, offrant à l’Europe son premier récit, sa tragédie fondatrice. La déesse de l’Amour, gagnant le prix de beauté, en paiera le prix en provoquant l’amour et le désir d’un homme et d’une femme, et finalement avec la Guerre de Troie, la mort de presque tous ceux entraînés dans ce conflit.

Enfin, dans l’imaginaire collectif, la pomme, c’est surtout la pomme d’Adam et Eve, représentant pour tous l’acte sexuel sans qu’aucune fois la Genèse n’ait mentionné ni le fruit ni la sexualité, parlant juste du fruit d’un arbre présent au Paradis dont la consommation entraînait la fin de l’innocence par la compréhension de notions de Bien et de Mal et donc la honte de leur propre nudité. Mais comment envisager la sexualité d’Adam et Eve comme un mal quand Dieu exige lui-même de se créatures de « croître et multiplier » après les avoir créés « mâles et femelles » ? Et que viennent faire la pomme et la sexualité absents du texte mais évidents pour tous ?

Entraînés certainement par leur connaissance des symboles du fruit d’Aphrodite qui pouvait si bien perdre les hommes comme les femmes, les peuples récemment christianisés n’ont certainement pas eu de mal à retrouver dans cette nouvelle histoire étrangère à leur culture des liens à tisser avec leur culture ancienne où il y avait des mythes dans lesquels une pomme entraînait hommes et femmes dans une danse de l’Amour, du désir et du malheur irrémédiable.

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