histoire des mentalités

L’image du couple au sommet de l’Etat

L’élection d’un nouveau président est le moment de multiples attentes sur les plans politique, économique, social, international et bien d’autres encore. Dans le cadre de la démocratie, il y a la fois la nécessité d’avoir un chef et la responsabilité de le choisir. La nécessité de ce choix nous fait osciller entre le soulagement de la liberté et la gêne de la responsabilité. Souvent, à titre privé, des électeurs peuvent dire au cours du mandat décevant d’un président pour lequel ils ont voté : « Je m’en veux d’avoir voté pour lui. », « Quand je pense que je lui ai donné ma voix ! ».

En démocratie, le citoyen se sent donc responsable du choix de son chef – et donc de ses erreurs – et n’a aucun mal à projeter ses valeurs sur la personne présidentielle, et ce de plus en plus. Et si nos grands-parents se souviennent d’une époque où on considérait que la vie privée du chef d’Etat ne regardait que lui et n’avait pas à être divulguée dans la presse, force est de constater que c’est désormais une époque révolue.

Beaucoup disent que la cause est à chercher dans un certain voyeurisme propagé par la vulgarité des médias qui orientent l’intérêt du grand public vers l’aspect « people » des hommes politiques les plus puissants. Mais d’une manière générale, on le doit probablement plus à une exigence plus grande dans les mentalités. On le voit aujourd’hui avec la première mesure prise par le gouvernement portant sur la moralisation de la vie politique.

Certes, les mesures portent sur les questions financières, mais force est de constater que cette volonté du citoyen d’avoir un chef de l’Etat exemplaire concerne de plus en plus  d’aspects de sa personnalité. Quand l’électeur d’un pays libre choisit un chef, au minimum, il doit avoir les mêmes valeurs, mais dans l’idéal, il doit être meilleur que lui. Et si les citoyens d’autrefois, majoritairement catholiques, donnaient de la valeur à l’absolution par la confession de ses péchés à à un prêtre, dans un pays aux mentalités déchristianisées et ultra-connecté, la responsabilité personnelle est totale et est un soin de chaque instant.

Dans ce monde basculant au gré de cette modernité, un président qui se veut lui-même exemplaire et qui trompe sa compagne déguisé en livreur de pizzas, ça ne passe plus. Et quand sa compagne trahie en fait un livre plutôt que de s’enfermer dans le silence moins digne que déprimé – adopté il y a encore peu de temps par les épouses présidentielles – le public lui donne raison en achetant son livre à plus d’un million d’exemplaires quand experts et journalistes condamnent.

Le temps des compagnes de chefs d’Etat devant ronger leur frein en silence pendant que leur président de mari offre des « bâtards à la République » n’est plus celui que les citoyens cautionnent. Et Valérie Trierweiler, reconnue dans Barbès, fut elle-même surprise quand des femmes, se reconnaissant sans doute en elle, l’accueillirent avec joie là où, à une autre époque, on l’aurait peut-être regardée avec pitié.

Car ce que les chefs d’Etat de ces époques n’ont peut-être pas mesuré, c’est que dans l’image de leur couple, le public voit le modèle des relations entre hommes et femmes à l’image d’un pays tout entier. Et ces relations tendent de plus en plus vers l’égalité. A une époque ou presque plus personne ne croit sincèrement à une vie meilleure après la mort, où tout le monde est devenu conscient du rôle fondamental de l’amour et de l’harmonie dans la santé mentale de chacun, la construction du bonheur individuel est devenue un enjeu aussi important que la réussite professionnelle.

Par ailleurs, l’explosion d’intérêt pour le développement personnel témoigne d’une conscience rapide – et donc un peu anarchique parfois – de la réalité des interactions positives ou négatives entre nos actes et notre destinée, nos conceptions sur le monde et notre façon de les rendre effectives, notre façon de nous comporter avec notre partenaire et l’impact sur son épanouissement. Bref, dans ce contexte d’émergence depuis pas beaucoup plus de 10 ans, de la psychologie positive, notre capacité à aimer est devenue un des critères d’évaluation de notre personnalité morale.

La monarchie anglaise ne le sait que trop bien depuis que le peuple ne lui a pas pardonné le sacrifice de la princesse Diana à ses intérêts dynastiques. Car quand le peuple défend sa « princesse des coeurs », il dit aussi au pouvoir en place : »Vous êtes censés nous représenter, mais vous êtes en retard. Nous ne voulons plus que les rapports entre hommes et femmes soient aussi déséquilibrés que ceux-là. On couple doit être fondé sur l’amour » Et la monarchie obéit. Par Kate et William, elle montre qu’elle a bien retenu la leçon et redore du même coup son blason.

Et pour la toute première fois, en France, le nouveau chef d’Etat est en avance sur son peuple qui, sur les réseaux sociaux et ailleurs, se moque du couple inégal qu’il forme avec sa femme plus âgée que lui, comme au Moyen-Age le charivari – joyeux concert de casseroles – accueillait des mariés d’un genre qu’on trouvait trop atypique.

Ce parti-pris surprenant et assumé impose l’image d’une façon de vivre et d’aimer au-delà des apparences et en accord avec ses convictions profondes – ce qui doit être le droit et l’idéal personnels des individus – et ce malgré les obstacles et la réprobation de toute une société. Et il faut du courage, de la détermination et de l’amour infini pour être le beau-père d’enfants qui ont presque son âge et le mari d’une femme qui doit presque avoir celui de sa mère. Et avec cela, il faut tenir, aimer quand même et l’imposer au monde dans la durée.

De cela, même la déesse de l’Amour s’en étonne !

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Modèles cinématographiques et beauté

Si la beauté physique concerne l’ensemble de la personne, l’aptitude humaine à créer des catégories, y trouver des repères de compréhension, de nomination mais aussi de limites isole pourtant depuis longtemps la beauté du corps et la beauté du visage en établissant de plus entre eux des jugements de valeur.

Pendant longtemps, et surtout avant le XX ème siècle, où les femmes commencent à montrer leur corps, la beauté du visage est naturellement primordiale dans une construction de sa propre image d’où est souvent exclue une grande partie du corps, qu’on dissimule longtemps du cou jusqu’aux chevilles. Notre conscience de l’esthétique s’en souvient inconsciemment et ne peut y échapper lorsqu’on s’étonne devant les dieux et athlètes nus de l’Antiquité et les peintures des grandes maîtresses royales, vite rhabillées néanmoins. Le corps nu du XIX ème siècle, triste, parfois décharné et qu’on expose pourtant beaucoup, est le corps de la prostituée, de la cocotte, de la dévoyée, jamais celui de la dame digne et vertueuse. Comme aujourd’hui au Moyen-Orient, c’est celui de l’Européenne qui pratique, à moitié nue, la danse orientale, s’agite en petite tenue et a une sexualité facile et déshumanisée dans les films indiens.

La beauté digne, la beauté évidente, ordinaire et sur laquelle des jugements s’exercent, c’est celle du visage. Le reste, mal connu et tabou, s’arrêtant à la taille, aux épaules et au décolleté, ne connut que tardivement de sévères critères pour être déclaré beau.

Et pourtant…

Certes, les visages des grandes dames peints sur les portraits peuvent rayonner de beauté pendant que le reste est noyé sous les crinolines, les romanciers peuvent s’attarder sur la description du visage d’un de leurs personnages féminins, il n’en reste pas moins que les critères de beauté du corps et du visage suivent un même destin, celui de l’image et de la conscience de celle-ci.

Au XIX ème siècle, avant l’apparition de la photographie et surtout du cinéma, la mode existe et possède une influence, mais il n’existe rien de précis pour définir ou imposer un canon de beauté, un critère strict d’élection. Dès que la photographie accouche du cinéma, diffusant largement une image exportable, la mode peut exercer sur la femme son influence au-delà de celle des vêtements et de la coiffure, sur la posture du corps, le rythme, la démarche et dans ce qui n’était encore pratiqué auparavant que par les actrices de théâtre, la  construction méticuleuse du visage, notamment par le maquillage.

En se montrant, le corps se banalise. Les premiers critères de beauté apparaissent, et avec eux, les métiers qui permettent de s’y soumettre. La haute-couture explose, le maquillage atteint toutes les couches de la population, le corps se montre en maillot à la plage et les premiers concours de beauté apparaissent. A l’époque, on est au début du XX ème siècle; le cinéma muet vient presque de naître et de tendre, mieux que n’importe quel média ne l’avait fait auparavant, un miroir normatif mais surtout presque exclusif de ce que doit être la beauté.

Si les portraits élitistes des grands peintres et des photographes ne diffusaient pas d’image figée de la beauté féminine, l’alliance de la technologie et de la diffusion de masse entame beaucoup plus la diversité et le naturel dans la façon d’apparaître des femmes par une seule proposition fantasmée qui n’était souvent, au départ qu’une contrainte technique. C’est par exemple le cas du maquillage, destiné à renforcer l’expression des yeux – qu’on voyait mal sur une image en noir et blanc peu nuancés – et dont on devait surtout accentuer l’expressivité avec un média qui n’était pas encore parlant et où l’image devait donc seule faire passer le sens.

Héritiers de cette culture centenaire, il n’est pas rare que nous cédions au désir de copier un modèle de cinéma dans une façon de s’habiller, de bouger, de se maquiller, considérant qu’elle incarne la beauté et toutes les qualités qu’on ne croit pas posséder et qu’on voudrait acquérir en lui ressemblant. Ce désir peut nous conditionner au point de stéréotyper nos gestes, nos mouvements du corps et notre façon de parler dans une imitation stérile qui manque son but, nous faisant ressembler à quelqu’un de caricatural et non à la beauté qui nous a inspirés.

Et si vous allez vous promener du côté de la Tour Eiffel, vous serez surpris de voir toutes ces jeunes filles en fleur,  perchées sur des talons et posant comme des stars dans des attitudes qu’elles ont vues sur des actrices ou des mannequins, exhibant fièrement sur leur corps le nom des marques des couturiers français dont elles rêvent peut-être d’être une des égéries qu’on voit dans les spots publicitaires pleins de paillettes et de corps longilignes marchant au ralenti dans un décor de rêve qu’on devine être un Paris plus fantasmé que réel.

( Photo à la Une : Paris Hilton en version Marylin pour la sortie de son parfum.)

Le labo de Cléopâtre : Etuis à khôl de l’Antiquité

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L’enjeu des soins de beauté

 

Les soins de beauté existent depuis les débuts de l’humanité, depuis sans doute qu’un premier individu s’est enduit d’ocre et, ayant ainsi modifié son apparence, son statut ou la réaction de ses congénères à son endroit se sont transformés, démontrant que changer, améliorer son physique par divers soins a une importance. Parce que c’est indéniable, même si les effets des soins esthétiques sont difficilement mesurables, leur pratique, considérée comme utile depuis toujours, n’a jamais cessé.

Dès l’Antiquité pourtant s’opère une échelle morale les distinguant : les soins destinés à modifier son apparence en vue de son embellissement – les soins de maquillage, notamment – que les médecins dédaignent, et les soins destinés à entretenir, dont les médecins les plus célèbres immortalisent les recettes.

L’avènement du christianisme et la diffusion de ses idées fait éclater ces distinctions elles-mêmes, car pour le christianisme, l’individu est scindé et le corps est son ennemi. Mortel, faillible, il nous attire vers la Terre, le péché, les vils désirs, la vanité. Et surtout, le corps s’oppose à l’âme qui, elle, a le pouvoir de rejoindre Dieu et devenir immortelle. En sur-valorisant l’âme, on dévalue le corps. Les austérités des lois monastiques et autres auto-flagellations pour expier ou prouver sa dévotion, les scènes de torture des saints abondamment décrites dans les hagiographies et érigées en exemple achèvent de nous démontrer que seuls les êtres dédaignant le corps sont parfaitement purs.

Les pratiques esthétiques reculent, chaque être susceptible de s’y adonner se voyant immédiatement soupçonné de vanité, coquetterie voire pire. Une idée qui se prolonge au-delà du Moyen-Age, de la religion et continue de perturber les liens familiaux.

Pourtant, parallèlement, la découverte des raffinements de l’Orient lors des Croisades marque les esprits et change progressivement le regard et les pratiques de société. L’Europe redécouvre les parfums, et avec eux une certaine conception de l’hygiène et de la beauté en général. La pression de l’Eglise ne parviendra à endiguer le mouvement, et avec l’exemple d’Agnès Sorel, première maîtresse royale de l’histoire de France, les fards font scandale autant qu’ils fascinent. Depuis, ils n’ont pas cessé de progresser malgré quelques éclipses idéologiques dues au conceptions politiques, comme lorsque le rouge passe de la couleur des fards des aristocrates au rouge populaire des sans-culottes.

Idéologiquement, c’est vrai, améliorer son apparence de façon visible, c’est manifester son influence sociale ou politique, ou au moins y prétendre. Ce n’est d’ailleurs pas pour rien que des personnages publics, hommes et femmes politiques sont de plus en plus nombreux à pratiquer la chirurgie esthétique ou au minimum des soins coûteux pour séduire et rester plus longtemps dans la course, et que plus les classes sociales sont élevées et plus les soins sont visibles.

De leur côté, les pratiques esthétiques visant les soins tels que l’envisageait l’Antiquité ont pris une dimension de plus avec l’avancée de toutes les sciences et les technologies. Car entre les moyens pour réparer la peau ou améliorer ses tissus, et une connaissance très pointue des divers processus du vieillissement, diverses inflammations et traumatismes, rêver la perfection et tendre vers elle devient de plus en plus réalisable. Et de plus en plus obligatoire. Car dans nos sociétés, à l’inverse de ce qui se passait au Moyen-Age, mieux vaut viser le corps dans lequel on s’incarne que l’âme dont on doute qu’elle nous offrira le Ciel où on pense qu’y volent plus d’avions que ne s’y rencontre Dieu.

Finalement, dans l’utilisation des soins de beauté, le véritable enjeu est notre façon d’être au monde et surtout de rêver. Mais aussi de s’aimer, de vouloir influencer le monde, d’être conforme, d’accéder aux premières places voire d’obtenir la première place. Car user de cosmétiques et autres soins, c’est encore et toujours viser la Beauté dont les effets ne sont pas entièrement mesurables, dont la formule mathématique n’a jamais été établie et dont l’idée s’incarne le mieux sous forme de déesse éternelle, intemporelle, insaisissable et dont le mystère reste entier. Tout comme s’avère incertaine l’efficacité des actions et des soins de beauté destinés pourtant à nous embellir.

Néanmoins, la caractéristique humaine étant de toujours tendre vers un idéal nourri de rêves qui paraissent impossibles avant de devenir une réalité, il ne faut pas s’étonner de voir cette pratique avoir non seulement toujours existé mais de plus, perdurer. Car user de soins de beauté, c’est déjà rêver l’humanité en mieux et concourir à sa transformation universelle par autant de petits actes personnels qui affirment : « J’y crois et je le veux. »

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Seins et Renaissance : le retour de Vénus

Dans une anatomie comme dans la société, les seins font office de précurseurs, voire de révolutionnaires à l’avant-garde de la sexualité d’une femme comme des changements de mentalités.

C’est visible à la Renaissance où la femme prend de la valeur, où « le deuxième sexe se transforme en beau sexe », selon l’expression de Georges Vigarello. La femme, admirable et majoritairement représentée n’est plus la Vierge Marie mais Vénus, l’Aphrodite des Romains. La femme, devenue belle et digne d’être admirée pour ça, devient une déesse. Elle est alors chantée notamment par les poètes de la Pléiade, ceux-là même dont on nous a appris tant de poèmes épicuriens sur l’amour et le temps qui passe et dont on nous a tu les poèmes érotiques aux propos de nature à incendier l’âme des lycées qui les ont vus au programme sans en avoir trop su grand-chose.

Car à cette époque, dans les poèmes, on parle autant d’amour que de sexe, et chez Marot comme chez Du Bellay, c’est surtout de « tétin » qu’il est question. D’ailleurs, Guy Bechtel le confirme dans son essai Les quatre femmes de Dieu : « Le 16 ème siècle avait vu quelques excès dans le déshabillage mammaire. » On parlait de seins parce qu’on les voyait, et on les voyait parce qu’on les montrait. En bref, les seins devinrent presque une obsession, offrant une première idée moderne d’un érotisme qui commençait par le haut.

Pourquoi par le haut ? Justement parce que malgré l’influence renaissante des idées de l’Antiquité sur la beauté, le siècle reste pénétré de christianisme et spiritualise ainsi la silhouette : réside en haut ce qui relève du divin et en bas ce qui est bassement terrestre. Dans ce découpage idéologique, les seins, appartenant à la partie haute du corps féminin, sont jugés dignes d’être admirés.

Pourtant, aux siècles précédents, ils n’étaient pas moins jugés dignes d’intérêt. La peinture religieuse du Moyen-Age n’a pas manqué de représenter des Vierges à l’enfant, poitrine nue et allaitante devant laquelle on était en admiration. Mais pour la première fois depuis l’Antiquité, les peintres représentent le sein féminin pour lui-même, sans qu’ils se sentent obligés de s’appuyer sur la religion et sur la figure mariale en particulier. Et pour cause, les seins qu’ils montrent, ce sont ceux de la femme désirable, de celle qu’on pourrait aimer, voire qu’on aime déjà.

Ainsi, à la fin du XV ème, Agnès Sorel, maîtresse de Louis VII et première maîtresse officielle de l’histoire de France, apparaît sur les tableaux de Jean Fouquet avec un sein dénudé dans une représentation de Vierge à l’enfant mais aussi dans un simple portrait, dans l’esprit du Quattrocento.

A sa suite, des tableaux de François Clouet à ceux de l’école de Fontainebleau, des portraits de femmes aux seins dénudés se multiplient. Mais le plus étonnant, c’est qu’y sont représentées des maîtresses royales, des femmes dont les monarques se sont épris d’abord pour leur beauté. De Diane de Poitiers, favorite d’Henri II à Gabrielle d’Estrées, aimée d’Henri IV, les maîtresses aimées s’exposent et dévoilent leur poitrine sans pudeur dans un monde chrétien et pudibond.

Contre les valeurs chrétiennes justement, dans la scène du tableau de François Clouet de la dame au bain et que le tableau de l’école de Fontainbleau reprendra avec Gabrielle d’Estrées, se lit l’aveu des changements de fonctions attribuées aux seins. La belle femme, aimée du monarque expose sa poitrine au regard pour le plus grand plaisir de son royal amant qui l’aime, la désire, la possède et l’expose avec fierté aux yeux de tous, tandis qu’au second plan, la nourrice expose aussi son sein pour allaiter l’enfant illégitime né de leurs amours. Car les grandes dames ne se chargent pas de l’allaitement qui les rabaisserait au rang de bête. C’est donc toujours une nourrice qui s’en charge.

Si ce n’est pas la première fois que les seins d’une favorite royale sont exposés uniquement pour l’agrément, pour le plaisir de la vue, l’opposition entre la fonction nutritive reléguée au second plan et la fonction érotique et sensuelle au premier plan témoigne d’une société qui vient de changer de valeurs et qui fait passer la beauté devant les fonctions reproductives auxquelles l’Eglise voulait limiter les relations entre hommes et femmes.

C’est le triomphe de la femme par le moyen de sa beauté qui caractérise le début de la modernité. C’est paradoxalement à la fois son émancipation possible et son aliénation certaine. C’est aussi un paradoxe dont nous sommes les héritiers et dont nous ne sommes pas complètement sortis.

Et tout ça avec juste une paire de seins !

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Comment la Beauté est devenue une valeur négative

Bien que le marché de la Beauté soit un secteur qui ne connaisse pas la crise, il est communément admis que s’intéresser à tout ce qui relève de l’apparence est superficiel. En effet, dans la conscience collective, la coquetterie est toujours associée à l’égocentrisme et à l’ignorance induite par la trop grande préoccupation de soi qui empêche l’esprit de s’élever.

Ce paradoxe se trouve dans notre histoire, notre culture commune.

Dans le monde gréco-romain, la Beauté était une préoccupation constante. Les athlètes faisaient l’objet de cultes, pas seulement à cause de leur force physique mais aussi à cause de leur beauté. Aux abords des stades, on a ainsi trouvé maints graffitis évoquant la beauté des athlètes et l’amour qu’on leur portait. Les peintres de ces athlètes eux-mêmes, poussés peut-être par une forme de jalousie, se qualifiaient de beaux sur les poteries où leur nom restait aussi immortel que les corps nus qu’ils avaient peints. Les poètes également célébraient la Beauté des hommes et des femmes qu’ils aimaient, et l’Amour dont ils étaient la proie, sous l’impulsion d’Eros ou d’Aphrodite.

A cette époque, les athlètes concouraient nus, on massait leurs corps sublimes, on se pliait à la loi des dieux qui eux-mêmes se pliaient à la loi d’Aphrodite. On chantait la Beauté, l’Amour, le plaisir mais aussi le temps qui passe, qui ne laisse que cheveux blancs, corps décharnés et fatigués, Amour qui s’éloigne. Des préoccupations toujours actuelles et qui font de nous des consommateurs valorisés par la publicité mais malgré tout complexés et coupables, suspectés par ceux qui nous jugent, soit de superficialité soit de désir maladif de plaire.

Que s’est-il passé ?

Une révolution culturelle dont on ne mesure pas aujourd’hui l’importance tant elle date mais dont la littérature conserve les traces.

Depuis Homère et jusque vers le Vème siècle après JC, la poésie grecque est libre, volontiers érotique dans sa façon d’évoquer l’Amour et les plaisirs. Puis, le monde devenant progressivement chrétien, ces libertés commencent à être critiquées, puis condamnées. Palladas, poète qui assiste à la mort de la pensée païenne qu’il représente, témoigne dans ses vers de  ce changement de valeurs :

 » Sur un Eros de bronze devenu pöelle à frire

Un chaudronnier du bel Eros fit une pöelle : 

Soit ! Puisqu’Eros nous frit et qu’il fond notre moëlle. »

Traduction Marguerite Yourcenar dans La couronne et la Lyre. Poésie Gallimard

Plus tard, les poètes grecs devenus chrétiens, imiteront les Anciens avant de se taire, remplacés par les théologiens, toute autre littérature que religieuse disparaissant jusqu’aux environs du XIII ème siècle.

Chez les Grecs, on passait d’Artémis ( jeune vierge), à Aphrodite ( amoureuse qui découvre la sexualité ), puis seulement après cela à Héra ( femme mariée, matrone). La culture juive, dont la chrétienne est d’abord issue, fait passer la femme directement d’Artémis à Héra, et les seules femmes accomplies sont les mères, les femmes courageuses et surtout fidèles à leur communauté. La culture chrétienne y ajoutera les repenties et les saintes, excluant toute notion de beauté si ce n’est morale.

Dans le monde occidental, on est passé d’une vision positive – qui n’excluait néanmoins pas la violence – à une vision négative de la Beauté, valeur qu’on vend, ruine et exploite mais qu’on ne respecte pas parce qu’elle est accusée de rendre les hommes fous. Et on considère que celles qui s’en préoccupent sont des damnées, peu préoccupées de leur âme.

La Beauté est devenue une menace qu’il faut cacher ou détruire. A un moment de notre histoire, les procès de sorcellerie s’en chargeront.

Qu’en est-il de notre monde ?

Il est l’héritier de ce paradoxe. Les valeurs chrétiennes sont restées son socle idéologique car actives depuis 2000 ans. Mais en même temps, comme l’a montré Freud, les mythes antiques sont notre structure profonde, notre inconscient, la trame essentielle dont nous sommes faits. Et cette vérité n’a pas échappé à son neveu qui, grâce aux découvertes de Tonton, a élaboré l’étau qui nous maintiendra dans notre rôle de consommateur en exploitant les désirs de notre inconscient : le marketing.

Nous restons des êtres fondamentalement épris de Beauté, sinon, pourquoi aurions-nous besoin de mannequins, de belles personnes, de belles photos pour désirer un produit ?

Pour autant, la Beauté demeure une valeur plus essentielle que ce que la conscience collective accepte de lui reconnaître.

– La plupart des sociétés ont eu besoin d’une déesse pour la symboliser

– Elle est une préoccupation philosophique majeure depuis l’Antiquité

– Elle est au coeur du mystère insondable qu’est l’oeuvre d’art

– Elle conditionne la plupart des rapports sociaux de l’Amour à l’admiration en passant par le simple respect

– Elle génère richesse et emplois

– Elle favorise l’estime de soi…

La seule chose qu’on puisse reconnaître néanmoins, c’est qu’elle n’est pas, malgré la légende, à l’origine de la Guerre de Troie, qui était une vulgaire invasion dans un but économique. Mais sans l’évocation de la belle Hélène, ce raid trivial aurait-il pu se changer en épopée immortelle, première oeuvre littéraire de la culture occidentale ?

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