idéal

Miss France, la déesse vierge et la Madone

En ce mois de décembre, comme chaque année depuis 1920, a eu lieu l’élection de Miss France, rendue plus populaire encore par l’arrivée de la télévision dans les foyers. Dans ce célèbre concours de beauté national – qui existe aussi à l’échelle internationale -, ce sont les téléspectateurs qui élisent leur miss préférée.

Dans son livre, L’histoire de la beauté, Georges Vigarello explique le lien qui existe entre l’élévation du niveau de vie, l’essor de l’industrie de la mode, de l’image, de la publicité et des critères de beauté de plus en plus élevés. Ce sont ces valeurs qui mènent aux premiers concours de beauté au début du XX ème siècle.

Néanmoins, si les concours de beauté s’expriment avec des moyens contemporains – grand gala, retransmission télévisuelle avec tous les moyens techniques que cela demande, sponsors et accessoires de beauté à la mode – les valeurs qu’il transmet, très anciennes, nous ramènent à des temps presque mythologiques où une dame, une déesse, une sainte, étaient le symbole d’un pays, d’une région, d’une ville  grâce à diverses qualités au premier rang desquelles figurait obligatoirement la beauté.

Tout au long de l’émission, en effet, on est déconnecté du réel, on est en pleine mythologie que les candidates expriment souvent de cette manière naïve : « Miss France, c’est le rêve. ». On ne peut pas mieux définir la situation. Dans un décor plein de strass, de lumières, de représentations idéalisées grâce aux magnifiques robes hautement symboliques évoquant l’enfance et surtout les contes de fées, de belles jeunes filles toujours souriantes et aux cheveux toujours longs s’exhibent et se dévoilent suffisamment pour éblouir mais jamais vraiment assez pour exciter, et ce malgré le très attendu passage des maillots de bain.

Et le rêve n’est pas fini. Car malgré les apparences qui semblent élever ces filles au rang de personnes réelles, les mises en scène dans lesquelles on les voit représentées n’ont rien d’ordinaire, qu’on les voie seules en maillot baignant – comme des nymphes et des déesses vierges – dans de magnifiques cascades et autres milieux évoquant la nature, ou en groupe pratiquant des activités étonnantes pour de jeunes citoyennes faisant des études et se préparant à exercer un métier comme le tressage de couronnes de fleurs, la découverte des senteurs, l’apprentissage de la danse.

Ces activités, ce sont celles qu’on retrouve dans la littérature antique mettant en scène des groupes de jeunes filles allant cueillir des fleurs comme dans le mythe de Perséphone ou tous ceux se soldant par l’enlèvement de l’une d’elles par un dieu. On peut évoquer également des groupes de déesses vierges comme les Muses s’adonnant à des activités artistiques, mais aussi les Olympiennes donnant un spectacle d’art quelconque.

L’élection de Miss France, c’est la mise en scène d’un cercle de vierges comme celui qu’éduquait la poétesse Sappho en vue de leur mariage dans le milieu aristocratique. Et bien que ça paraisse étrange de le demander dans nos sociétés contemporaines, l’idéal à atteindre est bien d’être représenté par un être quasi-surnaturel, une sainte aux aspirations élevées puisqu’il faut défendre des causes et donc incarner, comme le dit bien l’association de bonnes oeuvres qu’elles ont créée « les bonnes fées« .

Et surtout, il faut se rapprocher le plus possible de la vierge. Le règlement précise ainsi que pour devenir Miss France, il faut être une jeune femme de 18 à 24 ans, posséder un casier judiciaire vierge, ne pas être mariée, divorcée, veuve et ne pas avoir d’enfant. Il ne faut pas non plus avoir posé partiellement ou totalement dénudée.

Bien entendu, on ne peut demander à une jeune fille à partir de 18 ans de ne pas avoir de vie sexuelle alors que la loi lui en a donné le droit à 15 ans, mais les apparences doivent rester sauves pour qu’elle ait le droit d’incarner pendant l’espace d’un an la Madone de la Nation, une icône à la virginité étrangement aussi ambiguë que celle de la mère du Christ. Ce n’est qu’à cette condition qu’elle gagnera le droit de porter, comme elle, la couronne et l’écharpe qui a la particularité de former le même genre de boucle que celle qu’on voit se former sur le manteau des statues de Vierges sur les cathédrales.

On comprend alors mieux pourquoi la fondatrice du concours tient autant à la réputation et la moralité de ses protégées. Car toute femme doit et peut être une citoyenne. Mais contre toute attente et malgré un règlement apparemment établi au XX ème siècle, être la Madone de la Nation, sa déesse tutélaire, c’est obéir à des règles vieilles d’il y a plusieurs millénaires. Des règles strictes mais nécessaires, dont le non-respect ferait forcément chuter l’événement et la candidate consacrée dans l’ordinaire, dans le profane où la femme, au lieu d’être une déesse, ne serait que le deuxième être sexué de son espèce, une créature incapable d’inspirer, comme elle sut le faire autrefois, des Phidias, Homère, et tous ceux qui l’ont si divinement représentée et célébrée.

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L’enjeu des soins de beauté

 

Les soins de beauté existent depuis les débuts de l’humanité, depuis sans doute qu’un premier individu s’est enduit d’ocre et, ayant ainsi modifié son apparence, son statut ou la réaction de ses congénères à son endroit se sont transformés, démontrant que changer, améliorer son physique par divers soins a une importance. Parce que c’est indéniable, même si les effets des soins esthétiques sont difficilement mesurables, leur pratique, considérée comme utile depuis toujours, n’a jamais cessé.

Dès l’Antiquité pourtant s’opère une échelle morale les distinguant : les soins destinés à modifier son apparence en vue de son embellissement – les soins de maquillage, notamment – que les médecins dédaignent, et les soins destinés à entretenir, dont les médecins les plus célèbres immortalisent les recettes.

L’avènement du christianisme et la diffusion de ses idées fait éclater ces distinctions elles-mêmes, car pour le christianisme, l’individu est scindé et le corps est son ennemi. Mortel, faillible, il nous attire vers la Terre, le péché, les vils désirs, la vanité. Et surtout, le corps s’oppose à l’âme qui, elle, a le pouvoir de rejoindre Dieu et devenir immortelle. En sur-valorisant l’âme, on dévalue le corps. Les austérités des lois monastiques et autres auto-flagellations pour expier ou prouver sa dévotion, les scènes de torture des saints abondamment décrites dans les hagiographies et érigées en exemple achèvent de nous démontrer que seuls les êtres dédaignant le corps sont parfaitement purs.

Les pratiques esthétiques reculent, chaque être susceptible de s’y adonner se voyant immédiatement soupçonné de vanité, coquetterie voire pire. Une idée qui se prolonge au-delà du Moyen-Age, de la religion et continue de perturber les liens familiaux.

Pourtant, parallèlement, la découverte des raffinements de l’Orient lors des Croisades marque les esprits et change progressivement le regard et les pratiques de société. L’Europe redécouvre les parfums, et avec eux une certaine conception de l’hygiène et de la beauté en général. La pression de l’Eglise ne parviendra à endiguer le mouvement, et avec l’exemple d’Agnès Sorel, première maîtresse royale de l’histoire de France, les fards font scandale autant qu’ils fascinent. Depuis, ils n’ont pas cessé de progresser malgré quelques éclipses idéologiques dues au conceptions politiques, comme lorsque le rouge passe de la couleur des fards des aristocrates au rouge populaire des sans-culottes.

Idéologiquement, c’est vrai, améliorer son apparence de façon visible, c’est manifester son influence sociale ou politique, ou au moins y prétendre. Ce n’est d’ailleurs pas pour rien que des personnages publics, hommes et femmes politiques sont de plus en plus nombreux à pratiquer la chirurgie esthétique ou au minimum des soins coûteux pour séduire et rester plus longtemps dans la course, et que plus les classes sociales sont élevées et plus les soins sont visibles.

De leur côté, les pratiques esthétiques visant les soins tels que l’envisageait l’Antiquité ont pris une dimension de plus avec l’avancée de toutes les sciences et les technologies. Car entre les moyens pour réparer la peau ou améliorer ses tissus, et une connaissance très pointue des divers processus du vieillissement, diverses inflammations et traumatismes, rêver la perfection et tendre vers elle devient de plus en plus réalisable. Et de plus en plus obligatoire. Car dans nos sociétés, à l’inverse de ce qui se passait au Moyen-Age, mieux vaut viser le corps dans lequel on s’incarne que l’âme dont on doute qu’elle nous offrira le Ciel où on pense qu’y volent plus d’avions que ne s’y rencontre Dieu.

Finalement, dans l’utilisation des soins de beauté, le véritable enjeu est notre façon d’être au monde et surtout de rêver. Mais aussi de s’aimer, de vouloir influencer le monde, d’être conforme, d’accéder aux premières places voire d’obtenir la première place. Car user de cosmétiques et autres soins, c’est encore et toujours viser la Beauté dont les effets ne sont pas entièrement mesurables, dont la formule mathématique n’a jamais été établie et dont l’idée s’incarne le mieux sous forme de déesse éternelle, intemporelle, insaisissable et dont le mystère reste entier. Tout comme s’avère incertaine l’efficacité des actions et des soins de beauté destinés pourtant à nous embellir.

Néanmoins, la caractéristique humaine étant de toujours tendre vers un idéal nourri de rêves qui paraissent impossibles avant de devenir une réalité, il ne faut pas s’étonner de voir cette pratique avoir non seulement toujours existé mais de plus, perdurer. Car user de soins de beauté, c’est déjà rêver l’humanité en mieux et concourir à sa transformation universelle par autant de petits actes personnels qui affirment : « J’y crois et je le veux. »

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Pourquoi cherche-t-on à s’embellir ?

Nous ne sommes pas tous et toutes à égalité devant les pratiques esthétiques. Certains y sont très sensibles et d’autres pas du tout, certains peuvent avoir conscience des causes profondes qui leur donnent envie de se rendre plus beaux et d’autres l’ignorent totalement. Pour les hommes et les femmes, les problèmes ne sont pas les mêmes, et aujourd’hui, il ne sera question que de l’embellissement au féminin.

La pratique n’est pas taboue, elle est même extrêmement répandue mais il plane toujours sur elle une forme de culpabilité gênante et sourde qui nous vient du regard inquiet des parents sur le corps des jeunes filles devenant femmes et surtout de notre sévère culture du Livre qu’interroge toujours plus la rencontre avec quelque femme voilée : la mauvaise conscience féminine de vouloir plaire…

Mais qui sait à qui on veut plaire et pourquoi on veut plaire ?

Pour certaines, c’est avant tout à soi-même. En visitant la plupart des blogs de mode et de beauté où les filles jouent les mannequins, on ne voit que des personnes qui testent, s’amusent de vêtements, coiffures, maquillages et explorent par ce biais, tout en partageant leurs découvertes avec les copines, les différents styles possibles qui sont autant de créations de soi-même.

 » Tu te fais belle donc tu cherches à séduire. », disent les jaloux, les possessifs, les insécures et les soit-disant religieux.

Que voit-on dans les choses, les actes, les gens hormis les choses que l’on redoute ou que l’on désire ? Car peurs et désirs, constituant des obsessions, ont ce pouvoir d’envahir tout l’espace de la conscience. Comment alors ne pas les projeter sur le monde entier et surtout sur le corps et l’esprit de la femme ?

Pour autant, on peut effectivement vouloir s’embellir pour séduire, bien entendu, et c’est normal. Mais on peut aussi vouloir s’embellir pour sacraliser le jour – se faire belle lors d’un mariage, une fête, etc -, pour donner une bonne image de soi en entreprise, d’un produit qu’on crée ou représente. On peut aussi vouloir s’embellir parce qu’on sait le faire : les esthéticiennes, maquilleuses, stylistes, coiffeuses, etc. sont souvent soignées comme personne parce qu’elles en ont le savoir-faire devenu comme une seconde nature. On peut aussi vouloir s’embellir pour corriger un défaut qui a pris une place énorme dans la vie de celle qu’il empoisonne, qui le grossit mais qui ne peut s’en empêcher et qui en souffre. Maquiller, masquer une brûlure, une cicatrice, porter une perruque ou un foulard plutôt qu’un crâne rasé, ce sont des formes d’embellissement.

Or, dans les cultures religieuses hébraïques et musulmanes, porter foulard ou perruque pour une femme est symbole de vertu puisqu’elle cache ses cheveux. Mais si les cheveux de la femme n’ont rien d’attrayant et ne font rien pour sa beauté, n’est-ce pas un embellissement que de les couvrir ? Le prêt-à-juger, dans son absolu, peine à toucher du doigt la vérité, plus souvent multiple qu’unique…

Hormis pour tous ces cas particuliers, pourquoi veut-on s’embellir ?

On veut s’embellir parce que nous vivons en société, parce que la société décide de ce qui est beau ou non, de qui est beau ou non, parce que pour vivre en société, il faut être adapté, intégré, parce que vieillir est mal vu, parce que grossir est mal vu, s’habiller comme si ou comme ça est mal vu, bref, parce qu’il y a toujours quelqu’un pour regarder et juger comme un dictateur, sans s’occuper de finesse et d’objectivité ni accepter la liberté de l’autre. Une liberté qu’on peut considérer comme relative parce qu’elle est toujours conditionnée par un contexte social, mais c’est quand même un sentiment de liberté.

Et fondamentalement, pourquoi a-t-on toujours cherché à s’embellir ?

S’embellir, c’est tenter d’échapper aux contingences de ce que la nature nous impose pour nous créer un physique idéal, proche autrefois de ce que l’art avait fait naître dans les statues des déesses ou des photos retouchées des actrices et des mannequins d’aujourd’hui posant dans des tenues parfaites, sur lesquelles les hommes fantasment et que les femmes tentent d’imiter, faisant grimper les ventes de soutien-gorges push up et les crèmes décolorantes.

Oui, parce que s’embellir, c’est surtout ça : sauter très haut pour toucher Dieu et les étoiles et retomber très bas au sous-sol d’un centre commercial…

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