Egypte antique

Beauté et résistance

Beaucoup d’analyses et de critiques existent expliquant l’aliénation de la beauté, le caractère obligatoire de celle-ci pour paraître à l’écran, dans les magazines de mode, dans la séduction amoureuse elle-même. On ne peut pas en effet contester cet aspect inégalitaire qui s’est encore accru en même temps qu’a explosé l’art de l’image comme moyen d’expression ou de pression dans les médias. C’est pourtant loin d’être le seul dans l’histoire humaine, qui oscille souvent entre volonté d’égalité et désir d’élitisme, et dont les religions sont les manifestations principales et constantes à l’échelle de l’humanité.

Pour autant, il serait réducteur de n’y voir que ça. Dans une époque où on ne laissait pas la parole aux femmes et où des siècles de convention culturelle leur attribuait la beauté et la séduction jusqu’à la nuisance, c’était leur seul atout en même temps que leur prison. Or, dans chaque analyse humaine, tout n’est qu’affaire d’interprétation et tout peut toujours s’argumenter de la manière qu’on veut ou qu’on peut.

Dans la réalité des faits, la beauté est une possibilité du vivant. Et tout ce qui offre une possibilité au vivant va s’incarner de manière très créative et de toutes les façons possibles en fonction des libertés. A l’échelle du vivant, le meilleur exemple est la fleur, dont les multiplicités de formes, couleurs, senteurs, sont autant de moyens pour attirer l’insecte pollinisateur. Une technique qui a réussi au-delà de sa cible puisqu’elle est parvenue à séduire également l’espèce apte à développer ses capacités de longévité, de résistance aux maladies et de diversité qu’elle n’aurait sans elle jamais atteint : l’espèce jardinière, appelée humaine.

A l’échelle des sociétés humaines, c’est le même mécanisme : la beauté se développe en fonction de l’histoire, la géographie, l’inventivité, le développement des sciences et des techniques, la culture et la religion, le tout avec des particularités inattendues qui vont par exemple faire disparaître le péplos mais conserver le sari 5000 ans après.

La beauté est une manière de conjurer le sort de la médiocrité du réel lorsqu’elle consiste en un embellissement de soi, de sa maison, de son jardin, de sa vie, de son langage. C’est une forme d’élévation dans le refus de la nature aliénante qui nous a défavorisée ou qui se rappelle à nous par celle du temps qui passe et de la gravité. Tout effort contre une paupière, un sein tombants, un oeil trop petit, une couleur de cheveu terne ou blanchi, tout combat contre une ride est un acte de résistance contre la fatalité, le destin et la mort qui sont le propre de ce qui est mortel et la quête du genre humain depuis qu’il est en mesure d’y réfléchir.

Dans les procédés de momification de l’Ancienne Egypte, on a beaucoup insisté sur les techniques chirurgicales et les connaissances en chimie permettant la conservation du corps par son assèchement après en avoir retiré les organes. En revanche, on a peut-être moins insisté sur le fait que toutes ces techniques pour conserver l’intégrité du corps afin de se donner l’illusion de l’immortalité passaient par la beauté : beauté du corps qui reste intact, de l’or, des bijoux, des ornements, des vêtements, mais aussi des peintures, des couleurs, des dorures.

Lutter contre la laideur, en Egypte ancienne, c’était déjà lutter contre la mort. Ramsès avait les cheveux teints au henné plutôt que blancs. Et dans leur mythologie, Horus retrouvait la beauté de son oeil perdu en se maquillant, rendant au ciel la lune qui venait de disparaître, lune dont chacun admire instinctivement la beauté qu’on attribue rarement au soleil, impossible à regarder pleinement par la brûlure qu’il inflige aux yeux.

Dans la nature, la diversité des formes, couleurs, senteurs va faire l’attrait pour les fleurs; dans les sociétés humaines, des milliers de paramètres vont permettre de créer de la beauté plus seulement pour perpétuer la vie mais aussi pour transmettre de l’art, de la culture, des idéaux, des manières d’être plus libres, plus heureux, de rêver à rendre le monde meilleur.

Oui, quitte à être prisonnier de ce leurre, comme lorsque vous passez trente ans de votre vie à être malheureuse de ne pas ressembler naturellement à un mannequin qui ne peut être que retouché par photoshop et dont vous ne pouvez voir les douleurs que lui ont coûtées cette séance de 2 heures sur des talons de 15 centimètres.

Car au bout des années, et on le voit sur la plupart des silhouettes, la beauté qu’il faut travailler pour en obtenir quelque chose, c’est parfois tellement d’efforts pour peu de résultats que la vraie résistance, c’est finalement de parvenir à imposer au monde ses propres critères, sa propre beauté.

Nouvel article Labo de Cleopâtre : Les senteurs de la terre

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Maquillage des yeux : mythe et symboles

Le maquillage des yeux remonte à l’Egypte antique, comme nous le savons, et comme les images d’Epinal nous en ont laissé des souvenirs de regards masculins et féminins cerclés de khôl sur les statues et bas-reliefs. Alors que le maquillage revêt d’habitude un aspect superficiel et trivial en Occident, relevant de la séduction facile voire de l’amusement, on s’étonne qu’archéologues et historiens aient donné tant d’importance à la conception des fards et à la manière dont ils se portaient dans l’Egypte ancienne.

En réalité, si les fards les intéressent tant, c’est que leur fabrication relève des premiers processus de chimie et de pharmacologie : des poudres minérales pour la couleur, des graisses pour l’adhésion à la peau, des produits actifs dont la toxicité même oeuvre paradoxalement à l’aspect médicinal et protecteur dont on avait bien besoin pour lutter contre les maladies de l’oeil, fréquentes dans la vallée du Nil.

Les égyptologues du site du CNRS l’assurent dans leur dossier sur le langage des fards en Egypte antique : retrouver des statues aux yeux pleins et cerclés de khôl dans une tombe sème le trouble car les personnages semblent vivants, et surtout, paraissent vous regarder. De fait, le maquillage noir à base de minerai de plomb, remplaçant le fard vert à base de malachite, est estimé rendre les yeux parlants et expressifs. D’autres couleurs aux symboliques différentes existèrent mais à la base, il y avait d’abord, par principe, le maquillage des yeux, inventé il y a quatre millénaires.

A la base de l’acte de se maquiller, il y a un dieu, Horus. Lors d’un combat contre son oncle Seth, il perd son oeil gauche qui s’avère être la lune, tandis que son oeil droit constitue le soleil. Pour rétablir l’équilibre cosmique menacé par la perte de l’oeil et la disparition de la lune, Horus a recours aux fards. Acte cosmogonique et créateur, le maquillage rend à Horus sa beauté et à l’univers, la lune et ses phases désormais intermittentes. En se maquillant, hommes et femmes de l’Egypte ancienne imitaient l’acte bénéfique du dieu qui se guérissait en même temps qu’il recréait l’harmonie du monde.

Pour les hommes et femmes de ce pays, de la même manière, le maquillage avait pour fonction le soin, la médecine, mais aussi la beauté, la vie et le sacré. Le fard lui-même était une émanation d’un dieu différent selon sa couleur, d’Horus pour le vert, de Ra pour le noir. Les papyrus médicaux confirment la multiplication des fonctions associées au maquillage en Egypte ancienne :

« Viens malachite ! Viens malachite ! Viens, la verte ! Viens, écoulement de l’oeil d’Horus ! Viens, rejet de l’oeil d’Atoum ! Viens, sécrétion sortie d’Osiris ! Viens à lui ( le malade ) et chasse pour lui les sérosités, le pus, le sang, la faiblesse de la vue. »

( Ebers 385 traduit par Bardinet, cités sur le site du CNRS et celui des anciens élèves et diplômés de Polytechnique )

De toutes ces croyances, en réalité, que reste-t-il aujourd’hui dans le maquillage des yeux et dans notre rapport symbolique au regard ?

Horus, est un dieu faucon. La vue des rapaces est exceptionnelle, comme l’est celle de la plupart des prédateurs. L’oeil d’Horus, celui qui a été arraché, constitue toujours un porte-bonheur, ce qui éloigne le mauvais oeil, justement. Oeil gauche représentant la lune, il est fardé de cette sorte de maquillage caractéristique qu’on retrouve dans l’art égyptien antique et dont la symbolique perdure et protège celui qui le porte.

Dans d’autres civilisations également, les symboles de protection peuvent être des visages de démons qui nous regardent mais aussi avoir toutes les caractéristiques de l’oeil, comme le miroir Pa Kua des Chinois qu’on installe à l’extérieur de sa porte d’entrée pour protéger la maison des mauvais esprits. Ce miroir a la particularité d’être convexe et de refléter ce qui passe devant lui. Beaucoup de croyances autour de la protection des maisons font appel aux miroirs pour leur pouvoir de réflexion, leur capacité à agir comme des yeux sur d’autres yeux. Les yeux, centres de l’observation, sont à l’avant-poste de l’intelligence qui s’éveillera après avoir reçu les informations issues de cette observation.

Mais les yeux, c’est aussi le siège de la vie, toujours en lien avec l’intelligence. Fermer les yeux du mort est un acte rassurant qui permet de symboliser le décès, comme si le cadavre gardant les yeux ouverts ne pouvait être complètement mort et donc toujours conscient, intelligent, apte à porter le « mauvais oeil », ce regard chargé de haine silencieuse suffisant, paraît-il, à nuire à ceux qui en sont l’objet.

Dans le maquillage du regard, il y a un peu de tout cela à la fois : un geste de construction de sa propre beauté, de sa propre harmonie, de son appartenance au monde, d’expressivité du regard accédant au langage, de mise en valeur symbolique et expressive de son intelligence, de sa conscience.

Cela rappelle ce passage de Devdas, apparemment énigmatique, où une femme conseille à Chandramukhi, courtisane, de mettre du khôl pour se protéger du mauvais oeil, à quoi Devdas, jeune homme naïf découvrant la prostitution, fait remarquer que d’autres femmes se servent de ce même khôl pour attirer le regard. Chandramukhi lui répond : « En évoquant le regard, vous avez ravi mon coeur. Je vous prenais pour une statue, et je découvre que vous avez un coeur. » Chandra, bizarrement, signifie la lune…

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En quoi consistait la séduction de Cléopâtre ?

Reine déjà mythique de son vivant, aucune ne fascine autant que Cléopâtre VII dont le rôle n’aurait pas été si important si elle n’avait vécu à un moment critique de l’histoire, entre l’instauration de l’empire romain et la chute de l’Egypte ptolémaïque, qui eurent lieu à sa mort.

Les textes qui parlent de Cléopâtre émanent tous d’historiens romains, pas forcément objectifs, pas forcément ses contemporains, et dont la rigueur scientifique peut être contestée puisque dans l’Antiquité, collecter des histoires pouvait sembler suffisant. Néanmoins, si plusieurs historiens et auteurs romains se sont donnés autant de peine à parler d’elle, surtout en mal, c’est qu’effectivement, elle avait marqué les esprits comme aucune femme ne l’avait fait auparavant. Et de fait, elle avait séduit César et Marc-Antoine et leur avait donné des enfants.

D’après ce que nous ont laissé les historiens romains, comment y est-elle parvenue ?

– Par sa beauté ?

Seules les monnaies offrent un profil réaliste, d’autant plus qu’elles sont les seules représentations à avoir été faites de son vivant. Oui, son nez est grand, non, elle ne paraîtrait pas belle aujourd’hui, mais que sait-on des critères de beauté de l’époque ? Beaucoup d’historiens parlent de sa beauté légendaire bien que Plutarque nuance le propos : «  Sa beauté, considérée en elle-même, n’était pas si considérable qu’elle ravit d’étonnement et d’admiration« . Plusieurs choses entrent en ligne de compte dans l’estimation de sa beauté dont son caractère et, circonstance non négligeable, son statut royal qui lui offre la meilleure alimentation, les meilleurs soins de santé, les plus beaux vêtements et soins cosmétiques du monde antique, auxquels les autres femmes n’avaient pas accès.

Par contraste, déjà, la différence devait être remarquable !

– Par son pouvoir

C’est une donnée que beaucoup oublient : le pouvoir a quelque chose d’attrayant, voire d’érotique. On s’étonne toujours de voir des chefs d’état laids comme des crapauds séduire tant de femmes. Pourtant, il est dans l’instinct des créatures sociables et qui vivent en groupe de vouloir se rapprocher du plus fort. Cléopâtre était une reine, et de surcroît avait non seulement le pouvoir mais aussi l’étoffe d’un chef d’état, n’hésitant pas à faire assassiner ceux qui l’entravaient, dont son frère et mari, séduisant le colonisateur romain dans le but de voir l’Egypte jouir d’un statut privilégié et plus durable dans l’Empire romain que sa propre existence grâce à l’héritier qu’elle lui aurait donné. Un projet que l’assassinat de César déjoua.

Une reine d’un tel niveau d’intelligence politique devait forcément fasciner les romains qui avaient réduit leurs femmes au rôle de génitrices !

– Par son pouvoir de la mise en scène

Dans la vie de César, Plutarque rapporte que Cléopâtre répondit à une de ses convocations enveloppée dans un sac à matelas pour entrer incognito dans le palais. L’historien prétend que c’est ainsi qu’elle le séduisit. Pour Marc-Antoine, elle apparut sur un navire d’apparat aux voiles pourpres, voguant au son des flûtes, des lyres et des chalumeaux. Couchée sous un pavillon brodé d’or, de l’encens brûlait. L’invitant à souper, des flambeaux attachés au sol ou à la muraille dessinaient des formes géométriques magnifiques et brillantes dans l’obscurité de la nuit. Ce spectacle fut pour lui impressionnant et inoubliable.

Avec l’électricité, Madonna et Beyoncé bénéficient de meilleurs moyens techniques mais utilisent toujours les mêmes vieux trucs à l’efficacité incontestée !

– Par une culture remarquable

Plutarque rapporte que Cléopâtre était polyglote, parlant la langue  » des Ethiopiens, des Troglodytes, des Hébreux, des Arabes, des Syriens, des Mèdes, des Parthes« , et d’autres encore, ajoute-t-il. Elle a reçu la bibliothèque de Pergame donnée par Marc-Antoine et qui était constituée de 200 000 volumes. Jadis comme de nos jours, les bibliothèques ne sont pas de nature à intéresser tout le monde. Des livres de cosmétiques et de magie sont même censés avoir été écrits par elle. C’est certainement sur cette base que Plutarque peut dire que sa conversation et » son commerce », c’est-à-dire, sa fréquentation, étaient ce qui la rendait irrésistible.

Car si c’est facile d’être ébloui quelques minutes par une belle femme, c’est encore plus facile d’être ébloui durablement par une femme brillante.

– Un don pour la psychologie

De Plutarque à Pline l’Ancien en passant par Suétone, maintes anecdotes relatées par eux démontrent que la reine était une personne comprenant fort bien ce que désiraient les uns et les autres et savait au moins s’y adapter, au plus les contenter. D’après Plutarque, Antoine ayant parlé comme un soldat, elle lui avait répondu de même, avec la même brutalité. Mais surtout, elle l’accompagnait dans ses parties de chasse, exercices militaires, elle jouait et buvait avec lui, et même, l’accompagnait dans ses plaisanteries, s’habillant en servante quand lui-même s’habillait en valet. Par ailleurs, tant dans la vie de César que de Marc-Antoine, on peut lire que ces 2 hommes aimaient le luxe à des niveaux scandaleux.

Est-ce pour cela que Cléopâtre les régalait de dîners somptueux dont un en particulier au cours duquel, nous rapporte Pline l’Ancien, la reine avala une perle valant une fortune après l’avoir en partie dissoute dans du vinaigre, pour montrer à Marc-Antoine qu’on pouvait encore augmenter la magnificence de ses repas ?

La question reste posée parce que les vraies motivations de Cléopâtre restent un mystère, mais chacun de ses agissements est un petit indice de ses intentions et plus encore de ses capacités.

En résumé, vous voulez obtenir le pouvoir de séduction de la reine Cléopâtre ?

Une seule voie s’impose : d’une manière ou d’une autre, soyez exceptionnelle par des qualités qui vous mettent à la fois en dessous des autres ( elle était femme dans un monde d’hommes ), à égalité avec les autres ( elle était chef d’état et active politiquement au milieu d’hommes qui avaient le même rôle politique à Rome ) et malgré cela bien au-dessus des autres ( elle était une femme brillante et cultivée face à des soldats ).

Mais ne me demandez pas comment on arrive à un tel équilibre…

– Les citations ou affirmations de Plutarque proviennent soit de sa Vie de Marc-Antoine ( références les plus nombreuses ) soit de sa Vie de César.
– La référence à Pline l’Ancien provient de son Histoire naturelle.

En savoir plus sur Cléopâtre, c’est possible aussi sur le blog consacré à ses cosmétiques : Le labo de Cléopâtre. Pour la version de son cosmétique, vous le trouverez sur ma boutique Etsy consacrée aux parfums de l’Antiquité.

Cet article est la propriété du site Echodecythere. Il est interdit par le code de la propriété intellectuelle de le reproduire sans l’autorisation de son auteur.