Au nombre d’articles qui lui sont consacrés sur le net, on voit que la fête japonaise du phallus, le Kanamara Matsuri, qui a lieu en avril à Kawasaki, suscite la curiosité et les fantasmes de tous. Un phénomène curieux qui vaut à ce festival autant de touristes que de gens concernés parmi ses célébrants qui suivent le cortège de 3 immenses phallus promenés religieusement. Le plus célèbre, le plus filmé et photographié est rose et est porté par des hommes travestis en femmes. On vend des tas d’objets en forme de phallus, on prend des poses suggestives et la fête est le prétexte à la collecte de fond dans la lutte contre le sida; une fonction contemporaine bien trouvée pour ce temple fréquenté au XVII ème siècle par les prostituées venues prier au temple shintô pour ne pas attraper de MST.
Globalement, c’est malgré tout la fertilité sous toutes ses formes qui est demandée, que cela concerne la famille, les enfants ou la réussite. Des thématiques logiques pour ce début de printemps qui semble annoncer, avec le retour du soleil et de la végétation le meilleur pour le reste de l’année.
Et qu’y voit-on quand on est un touriste étranger ?
Comme à chaque fois qu’on regarde quelque chose qui nous est extérieur, c’est d’abord ce que nous sommes capables de voir que nous voyons.
- De fait, dans les vidéo circulant sur Youtube, on montre des phallus géants et des lolitas mangeant des sucettes en forme de phallus ou enfourchant un sexe de bronze long de plusieurs mètres si le film est tourné par un otaku dont l’imaginaire est nourri de mangas plus ou moins pornos.
- Les pros de l’information, pragmatiques, mettent en avant la lutte contre le sida qui sera plus compréhensible par le plus grand nombre et qui permettra de faire accepter l’étrangeté du festival.
- Ceux qui sont sensibles à l’aspect culturel et cultuel mettent en avant l’aspect religieux de la manifestation en montrant les prêtres shintô, les costumes traditionnels et les voeux laissés au temple, se concentrant sur le facteur humain et universel; des aspects à la spiritualité bien plus présente et ancienne que ce qui apparaît de prime abord.
En effet, non seulement les fêtes du phallus ont toujours existé et remontent à bien plus longtemps qu’aux près de 40 du Kanamara Matsuri, mais de plus, elles ont fait partie de nos traditions européennes. Et cette fête japonaise qui paraît si étrange, érotique, exotique et fascinante aux Occidentaux venus de loin pour y assister, est en réalité très proche de ce qui se passait à Athènes lors des fêtes du dieu Dionysos où on promenait en procession une représentation du phallus. Là aussi, dans le cortège, des hommes travestis faisaient partie de la fête.
Mais le symbole du phallus dépassait largement le cadre du culte à Dionysos pour concerner plusieurs autres dieux de l’Antiquité, notamment ceux de l’Amour, du Désir et de la Fertilité, comme Aphrodite ou Cérès, ou des dieux plus rustiques tel Priape, fils d’Aphrodite qu’on représentait avec une érection permanente comme les satyres – autres divinités champêtres – ou même le dieu Shiva, dont on vénère toujours en Inde, le phallus et le coït avec son épouse. Décomplexé, le symbole du phallus était partout. C’était un symbole joyeux qui portait bonheur.
Tout cela eut lieu il y a bien longtemps, avant que l’ère chrétienne ne condamne toutes ces manifestations…
Pourtant, à Tyrnavos, en Grèce, le carnaval le plus célèbre du pays – mais dont la réputation n’a pas vraiment dépassé ses frontières – le « bourani », s’inspire des anciennes fêtes à la fois religieuses et grivoises de l’Antiquité, particulièrement celle des dionysies rustiques où on promenait une représentation du phallus en procession et où on cuisait pour l’occasion une sorte de bouillie. Fête rebelle et païenne qui s’intercale désormais dans le calendrier religieux orthodoxe – puisqu’elle a lieu le premier lundi de carême -, ce rituel a dû lutter contre la politique qui voulait l’interdire au XX ème siècle et contre la religion, qui lui est toujours hostile pour son caractère obscène.
Pourtant, le carnaval de Tyrnavos continue de célébrer le phallus sous sa forme gigantesque – et comme dans le festival japonais, sous forme de petits objets qu’on vend -. Avec ce symbole phallique, c’est la joie de vivre et de retrouver là encore l’espoir qui renaît avec le printemps que l’on fête. Alors, certes, la « burani », avec sa soupe aux herbes, son ambiance rurale, ses danses traditionnelles et sa musique balkanique a moins de quoi faire rêver les Occidentaux que la propreté, la perfection formelle et le chic urbain et rassurant que représentent les Japonais, mais elle célèbre toujours ce qu’inspire le retour du printemps : l’espoir, le désir, le réveil de la nature, la montée de toutes les sèves, et la sexualité, au coeur de toutes les vies humaines.
Burani, Tyrvanos 2012.Video Burani, Tyrnavos.
Plus sur ce sujet : Du culte du phallus chez les Grecs
(Image à la Une : http://www.prothema.gr)
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