Mois: août 2016

La colline des deux amants : toponymie amoureuse

La grande Histoire, « avec sa grande hache », comme disait Perec, marque et construit les territoires, donnant des frontières, des noms, un cachet à des endroits où eurent lieu des batailles, où se dressaient des châteaux, des tours, prisons dont on conserve la mémoire directement ou indirectement. Mais il y a aussi le folklore, la petite histoire, celle imprécise, qui se nourrit d’anecdotes, de rumeurs, de superstitions, d’explications hasardeuses au moyen de légendes obscures. Elle aussi imprègne les lieux du monde entier, des fleuves de la mythologie qui étaient des dieux aux montagnes dans lesquelles les Immortels vivaient mais aussi les villes, les villages et même les mers.

Près de la ville de Pîtres, dans le département de l’Eure, en Normandie, c’est une histoire d’amour malheureuse et légendaire qui donne son nom à une colline d’environ 100 mètres: la colline des deux amants. La légende raconte en effet qu’un tyran, roi de Pîtres avait une fille qui s’était éprise d’un chevalier à qui il ne voulait pas la marier. Il donne alors comme condition au mariage que l’amant gravisse la colline d’une seule traite en portant celle qu’il aime sur ses épaules. Il est à deux doigts de réussir quand son pied chancelle. Il tombe, et quand la jeune fille tente de le relever, constatant qu’il est mort, elle se jette du haut de la colline avec son amant. Le roi fit alors construire une chapelle funéraire  qui devint un monastère : le prieuré des deux amants.

De quand date cette histoire ? Comme pour toutes les légendes, tout cela est bien mystérieux et imprécis. Mais quelque part entre le XII ème et le XIII ème siècle, Marie de France, la première des écrivaines de langue française – et sa première fabuliste bien avant La Fontaine – donne une version romantique et courtoise de cette histoire. Elle lui donne néanmoins un sens plus dramatique et propre à l’amour courtois dans l’égalité des sentiments, l’intensité amoureuse et le tragique.

Ainsi, sous sa plume, le père est avant tout un veuf éploré que sa fille console un peu de la perte de son épouse chérie. Son égoïsme le pousse à la garder pour lui seul, mais à l’âge où une jeune fille peut enfin se marier, on reproche au père son attitude. Pour donner l’impression de céder et de penser aux intérêts de sa fille, il accepte de la donner à qui parviendra à gravir la colline en la portant dans ses bras. Quelques uns parviennent à mi-pente, mais tous les prétendants échouant, on renonce finalement à demander sa main.

Un jeune homme s’éprend pourtant de la fille du roi, et craignant l’épreuve de la colline, lui demande de s’enfuir avec lui. La jeune fille refuse : cela tuera son père de chagrin, explique-t-elle. Elle envoie plutôt son amoureux à Salerne, ville réputée au Moyen-Age pour sa légendaire école de médecine qui ne se laissait pas influencer par les préjugés de race ou de sexe pourtant courants à l’époque. Pour preuve, c’est une femme médecin, tante de la jeune qui doit l’aider par sa science. Ainsi, quand il montera la colline – épreuve pour laquelle la jeune fille a fait un jeûne pour être plus facile à porter – un breuvage efficace que cette grande dame lui a concocté lui rendra sa vigueur aussi fatigué soit-il. Mais au moment de subir l’épreuve, il refuse de se servir du philtre quand il en a besoin pour ne devoir sa force qu’à son amour.Son obstination le tue, et quand son amante porte le breuvage à ses lèvres, il est déjà trop tard.

Comme savent le faire les amants à cette époque-là, et comme Iseult avant elle, la jeune fille rend l’âme par la simple tristesse de voir son ami mourir. Fou de douleur, le roi les laisse là 3 jours avant de les enterrer au sommet de la colline à laquelle leur histoire malheureuse a donné son nom. Finalement, il aura tout perdu.

La légende reste vivante dans la région de Pîtres et la colline est un lieu de randonnée et de promenade prisé, et peut-être aussi, un lieu inspirant pour ceux qui s’aiment ou que les lieux romantiques font rêver…

L’histoire ? Elle est ici :

Marie de France : lai des deux amants

Labo de Cléopâtre : le khôl : mythe et réalité

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Bollywood : des histoires d’amour pour changer la société

En France, et plus généralement en Europe, on apprécie peu le cinéma indien taxé de superficialité et auquel on reproche son goût pour les vêtements colorés, le chant et la danse. Un comble dans les pays où le sérieux protestant a imposé les couleurs sombres et la retenue dans ses actions comme valeur sociale ! Pourtant, dans le reste du monde et surtout dans son pays – où le cinéma national peut se vanter d’une fréquentation de 100 % là où ailleurs, une fréquentation de 25 % est considérée comme une véritable réussite – le cinéma indien séduit malgré des films durant parfois près, voire plus de 3 heures.

Même s’il a fini par se mettre aux films comiques et aux films d’action, c’est malgré tout par ses films d’amour que Bollywood a fait sa révolution. Et dans un pays où les mariages sont encore souvent arrangés, et où une union contre la volonté parentale dégénère encore parfois en « crime d’honneur », la révolution opérée par le cinéma concerne pourtant le droit des jeunes gens à faire un mariage d’amour.

Le premier à faire la révolution fut un film de 1995, Dilwale Dulhania Le Jayenge – l’amant emportera la mariée -, qui connut un tel succès qu’il est diffusé depuis maintenant plus de 20 ans en Inde. Dans ce film, Simran, une jeune fille d’origine indienne mais vivant en Angleterre accepte d’épouser celui que lui a choisi son père, un homme d’autant plus attaché à ses traditions indiennes qu’il a quitté le pays d’origine. Mais avant de se marier, la jeune fille veut voyager en Europe. C’est une fille sérieuse et une bonne élève : ses parents acceptent.

Au cours de ce voyage, elle rencontre Raj, un autre étudiant d’origine indienne que le hasard rapproche d’elle. Alors qu’ils ne se croyaient qu’amis, leur séparation et l’annonce du prochain mariage de la jeune fille les éclairent sur leurs sentiments : ces deux-là s’aiment. Mais l’engagement est pris et, tout en rêvant de Raj, elle part en Inde rejoindre son promis, le fils indigne d’un ami de son père. Obstiné et encouragé par son père, Raj décide aussi de s’envoler pour l’Inde avec l’idée de ramener celle qu’il aime. Parvenant à se faire inviter incognito à la noce, il se rapproche de sa bien-aimée. Quand la mère découvre la vérité, elle les pousse à s’enfuir en leur offrant ses bijoux pour qu’ils aient de l’argent. Mais Raj ne l’entend pas ainsi : c’est avec la bénédiction du père de la mariée qu’il épousera celle qu’il aime !

Un parti pris surprenant qui a changé la société. Car les films indiens ont souvent abordé avec tact ces questions de la conciliation des valeurs anciennes avec les nouvelles, surtout quand il s’agissait de mariages. Ainsi, les questions abordées dans les films indiens sont très variées, et c’est d’autant plus vrai que le mariage, souvent envisagé comme dénouement d’une intrigue qui s’y opposait, intervient parfois en début de film, suscitant alors d’autres interrogations comme :

  • Comment faire pour vivre sereinement quand on est marié avec quelqu’un dont la famille ne voulait pas ?
  • Une fois qu’on a fait un mariage d’amour, pourquoi cet amour ne suffit-il pas à faire tenir un couple quand les difficultés surviennent ?
  • Comment accepter de décevoir ceux à qui on doit tout en épousant la personne dont on est amoureux ?
  • Comment faire pour vivre avec quelqu’un qu’on aime, qui nous aime, quand tout nous sépare néanmoins ?
  • Quand on sait qu’on va bientôt mourir et qu’on tombe amoureux, doit-on vivre cet amour pour les derniers instants qui nous restent ou se sacrifier pour ne pas créer très prochainement une veuve et donc entraîner des souffrances qui n’existeraient pas sans cette union?
  • Quand la personne qu’on aime souffre d’une maladie qui la met, elle et les siens en danger, faut-il la confier à une institution ou respecter son engament de veiller sur elle et de l’aimer quoi qu’il arrive ?

Toutes ces questions, et bien d’autres, dont certaines avec des problématiques qui ne concernent que la société indienne comme le mariage arrangé ou l’expression des sentiments chez la femme – bridée depuis longtemps -, les Indiens les ont posées dans leur cinéma. Depuis, les mariages d’amour sont devenus courants dans les villes, cédant la place à un désir de cinéma plus engagé sur les questions sexuelles, qui demeurent un tabou et un problème.

A l’inverse, étant revenus de la révolution sexuelle des années 60 à 70 qui nous a laissé un héritage mitigé, nous pouvons regretter parfois que nos histoires se doivent de finir par « ils finirent ensemble » et non « ils eurent des problèmes comme beaucoup d’autres couples et les résolurent ensemble, unis par leur amour qui devint plus solide au fil des épreuves ». Juste pour voir si le cinéma indien qui a, en Inde, la possibilité de changer la loi des mariages arrangés en mariage d’amour n’aurait pas la possibilité, en Europe, de changer le nombre d’un mariage sur 2 en divorce en un taux un peu plus bas, en nous poussant à nous rapprocher et à réfléchir. Car au risque d’en surprendre certains, les questions et sujets qu’on aborde et auxquels on réfléchit ont toujours un peu plus de chances de se régler.

Allez, on peut toujours rêver…

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Deux mille ans d’histoires d’amour

A parcourir l’histoire de la littérature et l’histoire des mentalités, on voit que ce que nos contemporains appellent l’amour, ce qu’hommes et femmes recherchent dans une union réside dans une forme de complémentarité teintée d’idéalisme où les sentiments triomphent de toutes les différences et de tous les obstacles. Une histoire d’amour qui nous fait rêver, c’est le parcours amoureux de deux êtres qu’aucune différence sociale, raciale, religieuse ne peut fragiliser. C’est une conception en réalité très moderne qui semble suivre l’idéal philosophique des Lumières proposant l’égalité entre les hommes – même s’il oublie largement les femmes-.

Pourtant, le rêve d’égalité, d’amour partagé et de respect au sein d’un couple d’amoureux apparut très tôt dans l’histoire de la littérature.

Certes, on ne trouve pas d’amour qui puisse nous faire rêver dans les épopées dont les personnages sont pris dans des histoires qui les dépassent, néanmoins, l’aspect absolu, hors conventions et tout puissant de l’amour est connu et évoqué dans les caractéristiques d’Aphrodite et d’Eros. La capacité de l’Amour à nous  rendre complet est sensible dans la conception d’Aristophane rapportée par Platon qui veut qu’homme et femme soient les deux moitiés d’un même être qui cherchent à se réunir. Dans de petits récits plus tardifs, néanmoins, se profilent des histoires d’amour absolu : celle de Psyché et du dieu Eros ou de Pyrame et Thisbé qui deviendront célèbres à la Renaissance sous les noms de Roméo et Juliette, ou encore celle de Daphnis et Chloé, deux bergers orphelins en réalité de haute naissance qui inspireront les amours de bergers et bergères des romans pastoraux de l’époque classique et qui resteront en vogue suffisamment longtemps pour donner à Marie-Antoinette envie de jouer à la bergère plus d’un millénaire après. Rêver d’amour sincère et idéal, on le voit, toucha toute femme.

Car le mariage, dans toutes classes sociales, a d’abord été une question intéressant clans et familles voulant accroître domaines ou prestige avant d’être l’union de deux êtres qui s’aiment et s’unissent pour leur bonheur individuel et mutuel, préoccupations qui n’émergeront que plus tard. C’est sur cette faille, ce manque à combler dans la réalisation personnelle du bonheur et donc d’un des sens de la vie humaine que va s’élaborer la littérature amoureuse.

Quand les arts et la culture émergent de leur longue éclipse depuis la fin de l’Antiquité, on est déjà à l’époque des cathédrales. Sous l’inspiration de Marie de France, Chrétien de Troyes met en romans avec la matière de Bretagne ce que les troubadours d’Aliénor d’Aquitaine ont créé dans leurs chansons sous le nom de « fine amor » et que nous connaissons mieux sous celui d’Amour courtois. Guenièvre et Lancelot, Tristan et Iseult nous évoquent effectivement les premiers amants à l’amour éternel mais aussi adultères. L’époque était pourtant très chrétienne.  Néanmoins, dans ces romans, les amants, investis de valeur spirituelle, étaient protégés par Dieu. Dans le système féodal lui-même, pour mettre de l’ordre parmi les chevaliers, tous célibataires, le seigneur permettait une sorte d’amour platonique et très contrôlé entre sa dame et ses vassaux, ce qui maintenait la cohésion sociale de façon plus émotionnelle, voire légèrement érotique.

A la Renaissance, l’amour revient en France sous forme de poésie imitée des Italiens que leur Antiquité retrouvée inspirait depuis déjà un siècle. Les poètes de la Pléiade chantent l’amour en même temps qu’apparaissent à la cour les grandes maîtresses royales. Au XVII ème siècle, les romans pastoraux de bergers et bergères qui s’aiment innocemment reviennent avec notamment Honoré d’Urfé, entre autres. Le siècle des Précieuses verra l’amour triompher et des femmes modestes devenir les grands amours voire les épouses des souverains, comme madame de Maintenon dont Louis XIV s’éprit sur ce constat : »Comme elle sait bien aimer, et il y aurait du plaisir à être aimé d’elle. »

Le XVIII ème siècle, que les liens avec le Nouveau Monde avait éclairé sur les inégalités, commence à faire discrètement exploser les frontières sociales s’opposant à l’amour, comme on le voit dans les pièces de Marivaux ou les romans de Jane Austen. Au XIX ème siècle, les amours absolues mais contrariées hantent la poésie et les romans des auteurs romantiques où les femmes aimées n’en finissent pas de mourir ou d’être inaccessibles, nous faisant revenir aux « amours de loin » de nos troubadours, comme si le véritable amour, toujours fantasmé, ne pouvait être que celui qu’on ne peut pas vivre.

Devenue entre temps un genre à part entière destiné principalement aux femmes, la littérature amoureuse nous pousse à nous interroger toujours plus entre les vides qu’elle comble et les rêves d’impossible qu’elle suscite dans un monde devenu accessible et consommable et où le bonheur, toujours un rêve plus loin, semble parfois se dérober.

Labo de Cléopâtre : Analyse du khôl égyptien

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Reflet de Cythère (8)

Dans Reflet de Cythère, un texte ancien nous éclaire sur le culte d’Aphrodite ou sur ses caractéristiques ou la manière qu’on avait de la concevoir.

L’épigramme qui suit est signée Asclépiade de Samos dont il ne reste pratiquement rien et dont nous ne savons pas grand-chose non plus sauf qu’il vécut au III ème siècle av. J-C et écrivit de la poésie érotique. Les épigrammes étaient à l’origine de courtes poésies gravées sur des monuments funéraires ou de commémoration devenues au IV ème siècle un genre poétique à part entière destiné à parler de certains sujets.

Le poème qui suit, très imagé, marque l’esprit durablement une fois qu’on le connaît car on a rarement parlé aussi bien d’amour, mais surtout de sexe sans pour autant l’évoquer directement. Ainsi, à la question : « Qu’est-ce que faire l’amour pour deux êtres qui s’aiment ? », Asclépiade de Samos répond naturellement : »s’offrir mutuellement en offrande à la grande Aphrodite, sous son nom de Cypris ou Cythérée, peu importe. ».

Le corps de l’être aimé qui donne et reçoit le plaisir est l’offrande.

Comment le dire de façon plus belle ?

 

La cachette des amants

« Douce en un chaud midi une boisson de neige,

Doux au printemps les vents légers, les flots cléments,

Lorsque l’hiver enfin a levé son long siège.

Mais plus doux le manteau qui couvre deux amants,

Couchés sur le sol tiède, également épris,

Et se donnant l’un l’autre en offrande à Cypris. »

Anthologie Palatine. V. 169

Traduction Marguerite Yourcenar dans La couronne et la lyre. Poésie Gallimard

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