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Beauté, relativité et temporalité

Dans ce qu’on appelle Beauté, il n’y a jamais d’absolu, jamais de fixité et ce qu’une époque a pu adorer, a pu trouver beau et désirable, une autre époque le trouvera méprisable et se demandera comment on a pu qualifier cela de beau. Pas seulement une époque mais aussi une culture tout entière. C’est vrai d’un point de vue esthétique : les tableaux adorés à une certaine époque peuvent être aujourd’hui complètement méprisés, oubliés, et de tous les ouvrages écrits qui parfois furent des révolutions pour leur époque, la plupart paraissent aujourd’hui vieillis, et personne ne les lit plus hormis les spécialistes. Et ce jusqu’à ce que quelqu’un d’influent les remette à la mode, les fasse redécouvrir…ou pas.

Lorsque nous regardons les vieux portraits des reines et princesses engoncées dans leur corset, cachées dans leurs froufrous, dénaturées par leurs perruques, on a bien du mal à s’imaginer ce que leurs contemporains pouvaient trouver de beau en elles.

C’est que nous rêvons la Beauté sous forme d’absolu en oubliant qu’elle n’est que la manifestation d’un temps et d’un moment, et avant tout l’objet d’un jugement. Il n’y a pas de beauté s’il n’y a pas d’oeil pour la voir ni de juge pour déterminer selon des critères très relatifs si c’en est ou ça n’en est  pas. En somme, dans chaque estimation de la Beauté, il y a une grande part de leurre, de mythologie et de conditionnement car étant intégrés à notre époque, nous ne pouvons qu’en subir les valeurs et donc involontairement, se les voir imposer plutôt que les accepter consciemment.

Nos critères esthétiques sont d’ailleurs également relatifs à notre désir d’intégration sociale par conformisme ou au contraire notre désir d’émancipation par l’exploration de voies différentes. Et effectivement, une personne en mal de reconnaissance sociale fera les choix de tout le monde et valorisera ce que la société valorise en termes d’art ou de beauté physique tandis que la personne en phase avec son identité et son individualité saura voir la beauté en dehors de tout conditionnement, là où tout le monde ne la verra pas mais où elle se niche peut-être malgré tout.

Cela veut-il dire que cette personne autonome est capable de voir la beauté de Marie-Antoinette ou d’autres souveraines telles qu’elles parurent à leur époque, à travers leurs portraits ? Même avec une formation d’historien ou d’historien de l’art, c’est une chose rigoureusement impossible. Appréhender la beauté d’une princesse ou d’une reine d’autrefois de la même manière que le faisaient ses contemporains ne peut s’esquisser qu’à partir de ce que nous ressentons devant une photo de Kate Middleton, par exemple.

Car la Beauté est une relativité de relativité et s’établit selon des critères restreints à partir desquels elle est envisageable. Si nous prenons pour base ces souveraines ou princesses auxquelles l’imaginaire a toujours donné à priori une forme de beauté de convention, on peut déjà poser un cadre théorique et plausible qui fait pencher le jugement de beauté beaucoup plus du côté de critères sociaux stricts que de critères philosophiques et éthérés. Ainsi, la beauté va se trouver plus facilement du côté de l’élite sociale qui comprend aussi les signes extérieurs tels que la minceur, les vêtements de luxe et les soins esthétiques spécialisés et difficilement accessibles, une histoire glamour qui fasse rêver, dans lequel le peuple puisse se reconnaître, des actions remarquables augmentant le capital sympathie de la personne ainsi jugée et avant tout une adéquation entre ce que nous attendons d’elle et la façon dont elle y répond. Kate Middleton en tailleurs élégants et Béyoncé en body, c’est la beauté. Mais l’inverse ne marcherait pas. Et Marlène Dietrich en bombe sexuelle d’aujourd’hui, ça ne paraît pas vraiment concevable à tout le monde.

Ainsi la Beauté, même si elle se rêve éternelle comme les philosophes la projettent et comme chacun se projette bien malgré lui, elle n’est que l’affaire d’une circonstance, d’une histoire, d’une émotion et donc d’un moment seulement. C’est ce qui fait que les vêtements, les coiffures, les silhouettes, attitudes, oeuvres et gens se démodent. Ce qui est démodé est ce dont nous nous sommes désengagés.

Oui, car la Beauté, c’est aussi une forme d’engagement, un pacte invisible entre la personne qui voit et la personne vue. Et l’oeil, le public, ce qui juge la Beauté, cruels, entendent la revoir telle qu’ils l’ont conçue à partir du moment où ils ne s’en sont pas désengagés. Mais gare à ceux qui trahissent ce pacte sans même le savoir, et ceux qui incarnent la Beauté reconnue n’ont pas intérêt à y faillir ! Ce sont les réseaux sociaux qui rendent le mieux compte de ces phénomènes : le scandale et les insultes qui ont explosé à partir de photos jugées imparfaites de Renée Zellweger, Uma Thurman et Angelina Jolie montrent à quel point la beauté, aussi désirable puisse-t-elle paraître, s’avère en réalité l’aliénante prison du relatif érigé en absolu.

Marlène Dietrich, qui était peut-être plus lucide que belle, l’avait bien compris puisqu’elle vécut sa vieillesse cloîtrée, refusant de montrer à chacun son délabrement physique pour que ne soient conservées d’elle que des images de sa beauté projetée de façon absolue. D’ailleurs, quelles beautés deviennent des icônes incontestées hormis celles fauchées en pleine gloire, avant tout démystifiant vieillissement et donc tout désengagement?

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Fleurs et Beauté

Dans l’Antiquité, Aphrodite était aussi la déesse des fleurs et des parfums. C’est que de tous temps, on a associé les fleurs à la Beauté. Entre les deux, en effet, les liens symboliques sont étroits et nombreux.

La fleur symbolise d’abord l’élan vital du désir, de la sexualité. Recevoir des fleurs et les voir depuis la plus tendre enfance nous font oublier qu’elles sont avant tout les organes de reproduction des plantes et que pour appeler l’insecte pollinisateur, la diversité de leurs beautés comme les odeurs et les couleurs, sont autant de stratégies qui peuvent rappeler celles des êtres humains dans la séduction. De fait, le bouquet de fleurs est le cadeau initial de toute séduction, celui qui doit attendrir le coeur.

D’autre part, la fleur est associée depuis longtemps à la femme qui lui est comparée depuis l’Antiquité au travers de poèmes qui rapprochent l’une et l’autre à  la fois pour leur beauté, leur fragilité et leur caducité, appelé vieillissement chez les humains. Dans la poésie de Ronsard, la plus connue en France pour la poésie amoureuse comparant femmes et fleurs, ce genre de rapprochement sert ses intérêts hédonistes. En montrant à la femme aimée qu’elle sera bientôt  » fanée » comme la rose qui lui ressemble tant, il espère la pousser à partager avec lui l’amour dont elle ne pourra profiter plus tard, dût-il être un vieillard et elle une adolescente :

 » Puisqu’une telle fleur ne dure

Que du matin jusques au soir ! (…)

Cueillez, cueillez votre jeunesse :

Comme à cette fleur la vieillesse

Fera ternir votre beauté. »

Le langage imagé mais couramment employé fait d’ailleurs le rapprochement entre la femme et le végétal mais uniquement à partir de la puberté, âge de la femme où elle peut être enfin  » consommable » et où elle est une jeune fille en fleur, dont on sent le parfum et on admire la beauté mais dont on ne touche pas le fruit, encore défendu peut-être. Bien plus tard, elle finit par être qualifiée de  » femme mûre », adjectif employé principalement pour les fruits, la fleur étant le premier état de ce qui deviendra un fruit.

Mais la particularité d’une fleur peut aussi résider dans son odeur, et là aussi, il y aura une association symbolique entre la jeune fille et la fleur au parfum léger de fleurs délicates, et la femme mûre, amante expérimentée au parfum entêtant d’une fleur exotique, puissante et vénéneuse, sans parler d’autres entre-deux tout à fait possibles et à quoi semble faire écho la diversité des fleurs en général. Cette diversité des fleurs elle-même rappelle les variétés de femmes, de rencontres et de choses à vivre avec elles en amour.

A une époque plus pudibonde, les fleurs ont également pu servir à exprimer une grande variété de sentiments dans ce qu’on a appelé le langage des fleurs dont il reste aujourd’hui principalement le code couleur des roses : blanc pour l’amour chaste, rose pour l’amour jeune ou naissant, rouge pour l’amour passion et jaune pour l’amour teinté de jalousie.

Les fleurs, c’est également ce qu’on offre lors des fêtes. Là aussi, c’est leur beauté et leur diversité qui permettent d’égayer l’instant de couleurs, formes et senteurs. Mais c’est aussi le caractère caduc de la beauté des fleurs qui s’accorde bien avec les fêtes ponctuelles et les rites de passage. En effet, quelques jours plus tard, les fleurs sont fanées comme l’instant de liesse est passé et que le quotidien a repris le dessus. La beauté des fleurs, c’est comme la beauté des vies humaines dans l’aspect physique des hommes et des femmes comme dans les beaux instants qu’ils peuvent vivre : elles sont uniquement de passage. C’est pourquoi on préfère honorer les morts de fleurs plus résistantes comme les chrysanthèmes qui expriment l’attachement durable, voire éternel comme Hugo dans Demain, dès l’aube, qui choisit une fleur vivace pour orner la tombe de sa fille :

 » Et quand j’arriverai, je mettrai sur ta tombe

Un bouquet de houx vert et de bruyère en fleur. »

Enfin, dans une chambre d’hôpital, triste et blanche, à l’espace restreint et que seule anime parfois une télé, le bouquet de fleurs – évoquant la forme ronde de la Terre dans un cercle, seule forme géométrique parfaite produite par la Nature et conçue par l’Homme également dans une belle réconciliation – égayera d’un sourire le visage d’un malade en lui rappelant que le monde existe et que, bien que ce soit facile de l’oublier quand on est enfermé, la vie est belle dans sa diversité.

Si la fleur nous rappelle souvent par sa fragilité que nous allons mourir, elle nous promet aussi que nous allons, auparavant, connaître la grande diversité des joies de l’Amour et de la Beauté.

Comment s’étonner alors qu’Aphrodite en soit la déesse ?

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