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Critères de beauté en poésie : les blasons

Au XVI ème siècle, la beauté féminine triomphe comme jamais car en effet, le Moyen-Age l’évoquait peu, et l’Antiquité semblait s’intéresser autant, sinon plus, à la beauté masculine. La femme devient objet d’admiration – et le mot objet est ici tout approprié – figeant sa forme dans des représentations, certes plus variées qu’autrefois, mais malgré tout rigides. Pourtant, les critères esthétiques, loin d’être vécus comme aliénants, inspirent toute la poésie de la Renaissance en prenant la forme de poèmes et de jeux littéraires appelés blasons dans lesquels seule une partie de la femme est célébrée.

Bien qu’il soit très connu, pour continuer sur le thème du sein à la Renaissance, et aussi parce qu’il est bon de se rappeler qu’avant d’avoir été mise en boîte par des académies, la littérature a d’abord été le lieu de l’expression du désir et de la frivolité un peu vulgaire – bref, de la vraie vie ! -, c’est le blason du Beau tétin de Clément Marot, datant de 1535, qui a été choisi.

Le Beau Tetin

Tetin refaict, plus blanc qu’un oeuf,
Tetin de satin blanc tout neuf,
Tetin qui fait honte à la rose,
Tetin plus beau que nulle chose ;
Tetin dur, non pas Tetin, voyre,
Mais petite boule d’Ivoire,
Au milieu duquel est assise
Une fraize ou une cerise,
Que nul ne voit, ne touche aussi,
Mais je gaige qu’il est ainsi.
Tetin donc au petit bout rouge
Tetin quijamais ne se bouge,
Soit pour venir, soit pour aller,
Soit pour courir, soit pour baller.
Tetin gauche, tetin mignon,
Tousjours loing de son compaignon,
Tetin qui porte temoignaige
Du demourant du personnage.
Quand on te voit il vient à mainctz
Une envie dedans les mains
De te taster, de te tenir ;
Mais il se faut bien contenir
D’en approcher, bon gré ma vie,
Car il viendroit une aultre envie.
O tetin ni grand ni petit,
Tetin meur, tetin d’appetit,
Tetin qui nuict et jour criez
Mariez moy tost, mariez !
Tetin qui t’enfles, et repoulses
Ton gorgerin de deux bons poulses,
A bon droict heureux on dira
Celluy qui de laict t’emplira,
Faisant d’un tetin de pucelle
Tetin de femme entière et belle.

La même année, l’auteur s’est ensuite amusé à écrire le contre-blason de son Beau tétin, celui du laid tétin, qui n’est pas moins connu. Ici, c’est tout le manichéisme d’une société qui a su concevoir, sans autre alternative, Dieu d’un côté et le Diable de l’autre. En somme, tout ce qui n’est pas Dieu est Diable.

Et sur la beauté, quelles conséquences ?

A la Renaissance, la belle femme est célébrée, oeuvre angélique et divine. Mais malheur à celle qui est laide !

L’épanouissement intellectuel, culturel et artistique de cette époque masque bien, à cause de notre pensée manichéenne, justement, que ce n’est pas le Moyen-Age qui a vraiment brûlé les sorcières, mais bien la Renaissance, et que contre l’avis de Michelet, c’était surtout la vieille femme, la femme âgée d’où toute beauté est partie et à qui Dieu semble avoir retiré sa grâce qui était persécutée.

Les entendez-vous, ces menaces discrètes : « Cueillez, cueillez votre jeunesse ! », « Comme à cette fleur la vieillesse, fera ternir votre beauté » et « Quand vous serez bien vieille, Hélène…Ronsard me célébrait, du temps que j’étais belle » ?

Du Laid Tétin

Tetin, qui n’as rien, que la peau,
Tetin flac, tetin de drapeau,
Grand’ Tetine, longue Tetasse,
Tetin, doy-je dire bezasse ?
Tetin au grand vilain bout noir,
Comme celuy d’un entonnoir,
Tetin, qui brimballe à tous coups
Sans estre esbranlé, ne secoux,
Bien se peult vanter, qui te taste
D’avoir mys la main à la paste.

Tetin grillé, Tetin pendant,
Tetin flestry, Tetin rendant
Vilaine bourbe au lieu de laict,
Le Diable te feit bien si laid :
Tetin pour trippe reputé,
Tetin, ce cuydé-je, emprunté,
Ou desrobé en quelcque sorte
De quelque vieille Chievre morte.

Tetin propre pour en Enfer
Nourrir l’enfant de Lucifer :
Tetin boyau long d’une gaule,
Tetasse à jeter sur l’epaule
Pour faire (tout bien compassé)
Ung chapperon du temps passé ;
Quand on te voyt, il vient à maints
Une envye dedans les mains
De te prendre avec des gants doubles
Pour en donner cinq ou six couples
De soufflets sur le nez de celle
Qui te cache sous son aisselle.
Va, grand vilain Tetin puant,
Tu fourniroys bien en suant
De civettes et de parfums
Pour faire cent mille deffunctz.
Tetin de laydeur despiteuse,
Tetin, dont Nature est honteuse,
Tetin des vilains le plus brave,
Tetin, dont le bout tousjours bave,
Tetin faict de poix et de glus :
Bren ma plume, n’en parlez plus,
Laissez-le là, veintre sainct George,
Vous me feriez rendre ma gorge.

Dans cette image de sein de vieille femme, les voyez-vous, ces métaphores démoniaques et caractéristiques de tout ce que pense une société de ses femmes âgées : « le Diable te fait bien si laid », «  »tétin propre pour en Enfer, Nourrir l’enfant de Lucifer. »?

N’oublions jamais qu’il n’y a pas de critères de beauté qui s’établisse sans les critères opposés, ceux de la laideur.

N’oublions pas non plus que plus les critères définissant la beauté sont précis, plus celle-ci est rare, et plus la laideur devient répandue.

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Cosmétiques et sorcellerie

Depuis le début de la civilisation, l’emploi de produits de beauté a toujours été préférablement dévolu aux femmes : à elles les poudres, les fards, les produits améliorant la souplesse, l’apparence de la peau, la couleur des cheveux. Egyptiennes, Grecques et Romaines sont connues dans l’Antiquité pour avoir utilisé les fards, et les musées conservent d’antiques fioles de khôl ou de mélangeurs de fards retrouvés dans des tombes de femmes.

Cette quasi-exclusivité d’un emploi de cosmétiques au féminin fait également partie de ce qui a semblé creuser l’écart culturel entre hommes et femmes. Platon, déjà, reprochait aux femmes leur usage des cosmétiques jugés hypocrites, pernicieux, étant donné qu’à cause d’eux, on ne sait pas véritablement à qui on a à faire. C’est également un de ces arguments qui justifie pour Socrate, la supériorité des amours entre hommes.

Pourtant, dans un monde où la femme n’a pas de libertés, dépend d’un père puis d’un mari, ne peut sortir seule, ne peut étudier ni travailler, quel recours peut-elle avoir d’autre que la séduction ?

Depuis, culturellement, et malgré les nombreux changements intervenus dans la société et les droits qui leur ont été accordés, la séduction est du côté des femmes. Et pour que cette séduction ait plus de chances d’être durable, l’emploi de cosmétiques est judicieux. Judicieux mais ambivalent. De fait, même aujourd’hui, l’emploi des cosmétiques par les femmes fait toujours l’objet de méfiance souvent au sein même du couple ou des familles, même si cette méfiance s’avère plus marquée pour le maquillage dont les conséquences sont plus visibles.

Les raisons de cette méfiance, souvent inconscientes, peuvent avoir des origines très anciennes dans notre histoire culturelle et parfois très surprenantes :

– L’emploi des crèmes, fards et autres cosmétiques nécessitent des produits qui paraissent étranges, inconnus pour celui qui ignore tout de leur usage. L’ensemble de ces cosmétiques, conservés dans des flacons et pots sous forme de lotions, crèmes, pommades aux différentes textures, couleurs et parfums évoquent les substances employées par les sorcières dans l’imaginaire collectif. L’impression est renforcée par le fait que si l’homme n’y comprend rien, la femme semble en maîtriser tous les secrets sans être forcément passée par une formation pour cela. Cela donne alors le sentiment que la femme possède une science mystérieuse et se dessine alors inconsciemment la figure ancienne de la magicienne. Sans compter qu’autrefois, les cosmétiques employaient des substances toxiques aux effets très nocifs, comme le plomb de la céruse, qui, sous forme de poudre, blanchissait la peau en même temps qu’elle la détruisait et atteignait les organes. Le doute quant à l’innocuité des substances employées continue d’ailleurs toujours de planer sur les produits cosmétiques.

– Comme les arts magiques, la préparation qui permet de changer une femme ordinaire en une star de cinéma se fait dans le plus grand secret que semblent vouloir percer tous ceux qui consultent les photos des stars avec et sans maquillage. Chacun des gestes de la femme, entre le moment où elle s’apprête à se faire belle et le moment où elle se dévoile semble relever du mystère de Mélusine que son mari ne devait pas voir le samedi, jour où elle retrouvait sa queue de serpent. Chaque femme qui s’enferme pour se faire belle a quelque chose de la fée qui déploie son art secret d’enchanteresse. Et la transformation physique intervenue, d’autant plus discrète qu’elle a été tenue secrète, apparaît comme sans cause, relevant du mystère ou d’un sort.

– Bien avant ça, cependant, aux yeux de beaucoup de religieux de toutes confessions, la femme qui emploie des cosmétiques a quelque chose de démoniaque en ce qu’elle ne se satisfait pas de l’apparence que Dieu lui a donnée en tentant de l’améliorer. Son acte, par le simple fait de mettre des crèmes et du maquillage pour être plus belle, fut et peut encore être interprété comme un acte de rébellion envers les choix de Dieu qui l’ont faite comme elle est. Qui n’a d’ailleurs jamais vu de femmes de milieu très religieux aller au-delà du refus de maquillage et s’abstenir même des simples soins élémentaires de la peau ?

– Enfin, celle qui emploie des cosmétiques en vue d’améliorer son apparence risque de le faire dans le but de séduire. Or, la séduction a longtemps été considérée comme une caractéristique du Diable dans le but de détourner de Dieu. Et de fait, dans la séduction comme dans la beauté féminine, ce qui est suspect est la cause qu’on lui attribue. Pour les théologiens d’autrefois, le fait que la femme soit plus belle que l’homme n’est pas due à la nature ou à la volonté de Dieu mais à sa volonté de nuire. «  Qu’est-ce que la femme ? C’est un lacet formé avec un artifice admirable pour prendre les hommes; un piège toujours tendu, une Circé qui ne s’occupe qu’à préparer divers poisons.« , dit l’abbé Drouet de Maupertuis, à la suite de Saint Diacre.

Si, en plus, au lieu d’être passive, c’est elle-même qui organise sa séduction au moyen de poudres, crèmes, fards et lotions, comment ne pas voir en elle, chez ceux qui la craignent ou la méconnaissent, l’ombre de ce qu’elle fut pendant si longtemps à leurs yeux : la sorcière, maîtresse de sa beauté et donc de son destin ?

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