Mois: décembre 2016

Modèles cinématographiques et beauté

Si la beauté physique concerne l’ensemble de la personne, l’aptitude humaine à créer des catégories, y trouver des repères de compréhension, de nomination mais aussi de limites isole pourtant depuis longtemps la beauté du corps et la beauté du visage en établissant de plus entre eux des jugements de valeur.

Pendant longtemps, et surtout avant le XX ème siècle, où les femmes commencent à montrer leur corps, la beauté du visage est naturellement primordiale dans une construction de sa propre image d’où est souvent exclue une grande partie du corps, qu’on dissimule longtemps du cou jusqu’aux chevilles. Notre conscience de l’esthétique s’en souvient inconsciemment et ne peut y échapper lorsqu’on s’étonne devant les dieux et athlètes nus de l’Antiquité et les peintures des grandes maîtresses royales, vite rhabillées néanmoins. Le corps nu du XIX ème siècle, triste, parfois décharné et qu’on expose pourtant beaucoup, est le corps de la prostituée, de la cocotte, de la dévoyée, jamais celui de la dame digne et vertueuse. Comme aujourd’hui au Moyen-Orient, c’est celui de l’Européenne qui pratique, à moitié nue, la danse orientale, s’agite en petite tenue et a une sexualité facile et déshumanisée dans les films indiens.

La beauté digne, la beauté évidente, ordinaire et sur laquelle des jugements s’exercent, c’est celle du visage. Le reste, mal connu et tabou, s’arrêtant à la taille, aux épaules et au décolleté, ne connut que tardivement de sévères critères pour être déclaré beau.

Et pourtant…

Certes, les visages des grandes dames peints sur les portraits peuvent rayonner de beauté pendant que le reste est noyé sous les crinolines, les romanciers peuvent s’attarder sur la description du visage d’un de leurs personnages féminins, il n’en reste pas moins que les critères de beauté du corps et du visage suivent un même destin, celui de l’image et de la conscience de celle-ci.

Au XIX ème siècle, avant l’apparition de la photographie et surtout du cinéma, la mode existe et possède une influence, mais il n’existe rien de précis pour définir ou imposer un canon de beauté, un critère strict d’élection. Dès que la photographie accouche du cinéma, diffusant largement une image exportable, la mode peut exercer sur la femme son influence au-delà de celle des vêtements et de la coiffure, sur la posture du corps, le rythme, la démarche et dans ce qui n’était encore pratiqué auparavant que par les actrices de théâtre, la  construction méticuleuse du visage, notamment par le maquillage.

En se montrant, le corps se banalise. Les premiers critères de beauté apparaissent, et avec eux, les métiers qui permettent de s’y soumettre. La haute-couture explose, le maquillage atteint toutes les couches de la population, le corps se montre en maillot à la plage et les premiers concours de beauté apparaissent. A l’époque, on est au début du XX ème siècle; le cinéma muet vient presque de naître et de tendre, mieux que n’importe quel média ne l’avait fait auparavant, un miroir normatif mais surtout presque exclusif de ce que doit être la beauté.

Si les portraits élitistes des grands peintres et des photographes ne diffusaient pas d’image figée de la beauté féminine, l’alliance de la technologie et de la diffusion de masse entame beaucoup plus la diversité et le naturel dans la façon d’apparaître des femmes par une seule proposition fantasmée qui n’était souvent, au départ qu’une contrainte technique. C’est par exemple le cas du maquillage, destiné à renforcer l’expression des yeux – qu’on voyait mal sur une image en noir et blanc peu nuancés – et dont on devait surtout accentuer l’expressivité avec un média qui n’était pas encore parlant et où l’image devait donc seule faire passer le sens.

Héritiers de cette culture centenaire, il n’est pas rare que nous cédions au désir de copier un modèle de cinéma dans une façon de s’habiller, de bouger, de se maquiller, considérant qu’elle incarne la beauté et toutes les qualités qu’on ne croit pas posséder et qu’on voudrait acquérir en lui ressemblant. Ce désir peut nous conditionner au point de stéréotyper nos gestes, nos mouvements du corps et notre façon de parler dans une imitation stérile qui manque son but, nous faisant ressembler à quelqu’un de caricatural et non à la beauté qui nous a inspirés.

Et si vous allez vous promener du côté de la Tour Eiffel, vous serez surpris de voir toutes ces jeunes filles en fleur,  perchées sur des talons et posant comme des stars dans des attitudes qu’elles ont vues sur des actrices ou des mannequins, exhibant fièrement sur leur corps le nom des marques des couturiers français dont elles rêvent peut-être d’être une des égéries qu’on voit dans les spots publicitaires pleins de paillettes et de corps longilignes marchant au ralenti dans un décor de rêve qu’on devine être un Paris plus fantasmé que réel.

( Photo à la Une : Paris Hilton en version Marylin pour la sortie de son parfum.)

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Philosophie d’Aphrodite

Dans une culture, tout ce qui concerne les grands sujets théologiques ou mythologiques est toujours complexe, si ce n’est contradictoire. On pourrait chercher des points communs, des unités dans les récits, les représentations, les façons de parler d’une chose ou d’une autre, il ne s’en trouverait jamais de manière absolue.

Aujourd’hui, on opposerait sûrement l’Amour à la Haine, et on le faisait déjà autrefois, mais il se trouva pourtant des représentations d’Aphrodite guerrière comme il nous reste des statues d’Aphrodite pudique, ce que nous associons pourtant mal à une déesse des prostituées, par exemple. Mais il est bien d’autres contradictions concernant la déesse de l’Amour et de la Beauté, non seulement à propos des récits qui parlent d’elle, mais aussi sur le genre d’idées qu’elle inspirait et qu’elle inspire parfois encore.

Dans les mythes, la déesse de l’Amour et de la Beauté apparaît surtout comme une belle semeuse de trouble qui a couché avec la plupart des dieux, a provoqué la guerre de Troie et puni quelques Mortels pour leur insoumission, voire sacrifié certains d’entre eux pour sa vengeance personnelle. Ce qui la distingue est sa beauté, sa douceur et son sourire qui sont les qualificatifs qui s’attachent à son nom. La tradition littéraire en lien avec l’épopée et la tragédie en fait plutôt une déesse superficielle, proche de ces Vénus de la Renaissance, belle et charmante, sans aspérité autre que quelques colères vite oubliées. Sa nature douce la pousse aux intrigues amoureuses et aux actions inconsidérées, proches de celles qu’on attribua de tout temps au féminin, laissant sous ce prétexte toute sa vie la femme sous tutelle masculine.

Pour les poètes, en revanche, Aphrodite, plus essentielle, est la déesse qui impose sa loi à tous : »Aphrodite est cruelle en nous forçant d’aimer« , dit Sappho. Sophocle lui-même lui a consacré un poème, « la puissance de l’Amour », traduit par Marguerite Yourcenar, où il évoque sa capacité à soumettre tout le vivant :

« …Et en tout lieu, dans l’univers,

L’âme vivante et respirante le reçoit

Et se soumet, aussi bien le poisson qui erre

Dans l’océan, que le quadrupède sur terre;

Pour les oiseaux et pour la bête carnassière,

Pour l’homme, pour les dieux immortels, il est Loi… »

Le poème conclut par cette phrase évoquant presque un monothéisme aphrodisien : « Et Cypris règne seule.« . Cypris, déesse de Chypre, un des noms de la grande Aphrodite.

Ce point de vue n’est pas que poétique, et avant le triomphe de la pensée platonicienne, celle d’Empédocle, philosophe brillant, d’une élégance insolente, empruntait aux Upanishad – l’ensemble de textes philosophiques de la religion hindoue – le concept de cycle perpétuel de l’univers sous les effets de l’attirance et de la répulsion qui en forment les mouvements apparents. Apparents, car pour les Upanishad comme pour Empédocle, tout est Un, et la matière qui se reforme, le corps qui naît après la mort d’un autre, tout est fait des mêmes éléments de l’univers.

Si dans les Upanishad le système philosophique va plus loin, spéculant à partir de cette logique sur la fin du cycle des renaissances et le retour possible à son unité originelle par une ascèse appelée yoga, les fragments conservés d’Empédocle n’ont pas l’air d’aller plus loin que d’expliquer l’univers, de constituer une cosmologie.

Et Aphrodite, dans tout ça ?

Au coeur du système d’Empédocle, la déesse joue un rôle majeur « en nous forçant d’aimer », comme disait Sappho. En tant qu’être unique, nous venons de l’union d’un homme et d’une femme, du multiple, donc. En aimant à notre tour, nous perpétuons le cycle. Pour la pensée asiatique d’origine hindoue, la vie contient en elle la mort et la mort contient la vie dans le cycle de morts et de renaissances incessantes. Dans ce système, le désir agit comme un aimant, nous entraînant dans une série d’actions qui nous enchaînent au karma, tout comme peut le faire conjointement et de façon inverse la répulsion.

Pour Empédocle, c’est l’Amour et la Haine qui nous font agir; et l’Amour, il le nomme Aphrodite : « Amour, qu’on nomme aussi Aphrodite et Délice. »

« L’un devient multiple, et le multiple, motion incessante, redevient l’Un. (…)Les éléments qui ne sont qu’Un forment l’Unique, sous l’effet de l’Amour, et tantôt sous le froid empire de la Haine, ils forment l’Innombrable. »

Cette qualité d’Aphrodite de réunir le multiple en l’Un permet d’autres raisonnements inattendus chez Empédocle : « Aphrodite a uni sous son joug les 2 yeux, Infatigable paire; à eux deux, ils produisent l’image unique« , répondant ainsi à la question que devaient se poser les Anciens : « Comment deux yeux parviennent-ils à ne former qu’une seule image ? »

Enfin, Empédocle, un de ces nombreux philosophes végétariens de l’Antiquité inspirés par l’Inde, semblait dire que les premiers sacrifices, destinés justement à la déesse de l’Amour, se faisaient sans faire couler le sang, insinuant sans doute que les sacrifices venus après et destinés aux autres dieux constituaient une cruauté autant qu’une régression.

La souffrance de l’animal n’a donc pas été qu’un souci contemporain.

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