amour

Aphrodite au Labo de Cléopâtre

Aphrodite a toujours été la souveraine de ce blog qui m’a conduit plus loin que je n’aurais pu l’espérer. Elle est ma source d’inspiration de longue date et semble avoir guidé tous mes pas. Dans la boutique du Labo de Cléopâtre, elle est évidemment très présente à travers ses parfums historiques et ses plantes consacrées.

Elle a encore accompagné la publication de mon livre Fabriquez vos soins naturels de l’Antiquité, grâce au porte-encens Aphrodite au coquillage que j’ai entièrement réalisé sur base d’éléments entièrement naturels – la petite statue exceptée. Une figure qui est devenue mascotte de mon travail par le choix qu’en a fait Céline Morange, directrice de la publication et photographe chez Améthyste.

Néanmoins, la déesse était déjà mon guide, et pensant à ceux et celles qui, comme moi, la portent dans leur cœur tout en ne trouvant pas assez d’objets évoquant son culte et l’ancienne religion, j’avais décidé de créer quelques objets artisanaux.

Il n’y en a pas des tonnes, ce sont souvent des exemplaires uniques, mais vous trouvez sur la boutique du Labo de Cléopâtre quelques pièces dans la lignée d’Echodecythere et mon amour premier pour la belle Cythérée. Parfois, plus que discrets, ils ne se remarquent pas..Et parfois, l’hommage est très clair.

J’ignore si ça a du sens pour vous, mais quand j’ai appris qu’Aphrodite était aussi la déesse des parfums, le lien du blog Echodecythere au projet Labo de Cléopâtre m’a semblé un petit clin d’œil divin. On n’est pas obligé d’y croire, ni même aux anciens dieux, mais pour moi, les choses sont différentes…

N’y a-t-il que des roses dans les produits consacrés à Aphrodite ? Non, mais vous ne ferez jamais une faute à son égard en lui en offrant, car il y en a malgré tout souvent. Est-ce à dire que c’était aussi simple que la symbolique associée à la magie d’amour d’aujourd’hui ? Et bien, là encore, non.

Le culte à Aphrodite, c’était une culture riche, totale, de dévotion mais qui prenait racine dans son lieu d’apparition : les symboles marins lui sont associés, mais aussi les colombes de son char – d’où peut-être plus tard la colombe comme symbole de la paix.

Enfin, Aphrodite, ce sont les coquillages, les bijoux, les parfums de toutes sortes, la séduction, la nudité, mais aussi la gentillesse et le sourire.

Aimez-la follement et aimez follement, c’est encore le meilleur que je peux vous souhaiter dans cette période de fous !

D’autres encens consacrés totalement ou partiellement à Aphrodite se cachent encore dans la boutique du Labo de Cléopâtre. N’hésitez pas à la visiter si vous en êtes curieux. https://www.etsy.com/fr/shop/Lelabodecleopatre?ref=seller-platform-mcnav

https://www.etsy.com/fr/listing/1009021463/porte-encens-temple-grec?ref=shop_home_active_16&frs=1
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Chypre, île d’Aphrodite

Avec l’évocation des poudres de Chypre, parfums anciens que je reconstitue dans la boutique du Labo de Cléopâtre, on peut dire que mes 2 blogs sont sous le règne de Chypre. Quand on parle d’Aphrodite, ceux qui connaissent la mythologie se souviennent qu’elle est née à Chypre, de l’émasculation d’Ouranos dont le membre rencontrait l’écume en tombant dans la mer, donnant naissance à la plus belle des déesses. Un récit mythique qu’on retrouve chez Hésiode, loin de toute évocation plus tardive d’une éventuelle filiation avec Zeus.

A Chypre, l’endroit exact de sa naissance est marqué par un rocher Petra tou Romiou, dit Rocher d’Aphrodite. Certains points de vue font d’ailleurs apparaître le rocher comme les organes génitaux coupés d’un géant.

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Dans l’Antiquité, puisque l’île était considérée comme le lieu de naissance d’Aphrodite, un grand sanctuaire lui était consacré – célèbre dans toute la région, notamment pour sa pratique de la prostitution sacrée – dont il ne reste que des ruines mais que chaque visiteur avec un rêve secret d’amour contribue à rendre encore vivant, et ce d’autant plus que d’anciennes coutumes restent vivaces. Des arbres à voeux ponctuent la route allant du rocher au sanctuaire d’Aphrodite, et une ancienne tradition recommande de plonger dans les eaux du rocher pour s’assurer de connaître un amour éternel.

Car en vérité, on ne plaisante pas avec la déesse de l’Amour et de la Beauté, et si on croit que son culte est tombé avec le triomphe du christianisme, c’est mal connaître le pouvoir d’une telle divinité et l’importance qu’elle peut avoir sur le destin des Hommes comme de tout ce qui est vivant. Pour preuve, les vestiges de l’île semblent démontrer qu’une déesse informe de la fertilité habitait déjà les lieux bien avant que l’époque classique fixe dans la statuaire la forme que nous lui connaissons bien et qui hante les musées.

Quand on regarde les commentaires de ceux qui suivirent la route d’Aphrodite, on voit de la déception : des paysages magnifiques, certes, mais finalement, rien d’inoubliable : une plage, un rocher, une baignade, une grotte, un jardin botanique plein d’espèces végétales en lien avec la mythologie, et le mythe d’Aphrodite en particulier; et quelques musées. Certes, pour un touriste habitué à voir des châteaux, des attractions, des spectacles et consommer de la culture comme on le fait des autres types de produits, un lieu dit sacré et mythologique – pour lequel on a dû faire des heures de randonnée sous un soleil de plomb – n’a pas grand-chose d’excitant.

Les montagnes, de l’Olympe à l’Himalaya, abruptes terres où vivent les dieux, nous sont bien connues à présent, malgré le danger qu’elles représentent encore, et chaque nouvelle ascension en diminue un peu le prestige et la dangerosité inscrits dans la mémoire collective de l’humanité. Les menhirs et autres mégalithes qu’on prenait autrefois pour des autels de géants ou des portes du monde des fées ont repris leur dimension humaine en même temps que progressaient les découvertes scientifiques et la reconstitution de plus en plus cohérente de l’histoire de la Terre.

Et pourtant, nous sommes les héritiers de ces homo sapiens, les hommes de sagesse qui se racontaient des histoires pour se créer une culture, des représentations communes, des attachements qui feront qu’on sera fiers d’être nés, attachés à une terre ou même tout simplement d’y avoir posé les pieds.

Mais le destin de Chypre est aussi dans sa partition : une partie nord de l’île étant occupée par l’armée turque, rappelant qu’aux temps des Troyens et des Achéens, la déesse savait provoquer les conflits pour la beauté et pour un territoire :

« Je chanterai Kythérée née de Kypros et qui fait de doux présents aux mortels. Son visage charmant sourit toujours, et elle porte la fleur aimable de la jeunesse. Saut, Déesse qui commandes à Salamis bien bâtie, et à Kypros entière. » Hymne homérique à Aphrodite. Traduction Lecomte de Lisle.

Enfin, Aphrodite, c’est aussi la déesse des parfums, ce qu’on sait peut-être moins, et Chypre est décrite comme une île odorante déjà par les auteurs de l’Antiquité, ce que va confirmer l’histoire des parfums qui la désigne comme une île des parfumeurs, entre Orient et Occident, grâce à la présence des plantes à parfum : ciste, myrte, mousse de chêne, roses, iris, origan. L’eau de Chypre, qui donnera ensuite la poudre de Chypre, puis les parfums chyprés, achevèrent d’associer la déesse, son île et les parfums.

Vous aimez Aphrodite et ne savez pas quoi faire pour vous rapprocher d’elle ? Renseignez-vous peut-être sur Chypre, l’antique déesse de l’Amour y a même sa route culturelle : La route culturelle d’Aphrodite

Nouvel article Labo de Cléopâtre : Poudres de Chypre

Cet article est la propriété du site Echodecythere. Il est interdit par le code de la propriété intellectuelle de le reproduire sans l’autorisation de son auteur.

 

Danse et séduction

Un article a déjà été consacré à la danse sur Echodecythere, quand j’ai évoqué les particularités du sambar et du lembeul, des danses africaines de séduction mettant en avant les fesses, dans un monde polygame hyper-concurrentiel dans lequel les hommes aiment les formes.

Pourtant, sans parvenir à ces extrêmes d’érotisme et de suggestion, on constate qu’il y a malgré tout souvent un lien entre danse et séduction, et ce de façon universelle. Il faut dire qu’il y a une certaine similitude entre la danse – mouvements du corps pour exprimer le rythme, la musique, en dehors de toute autre finalité – et la poésie ou le chant, où les paroles ne sont créées que dans le but de transmettre une émotion en échappant à ses fonctions de communication habituelle.

Dans un monde où l’Homme utilise depuis toujours le langage, le mouvement et les sons dans le contexte de la nécessité – communication, échange d’informations, action sur le réel, lutte pour sa survie – chant et danse sont apparus dans les premiers temps comme des grâces spéciales, des instants hors du temps qui reliaient les Hommes au divin, les instruments de la nécessité ayant été transcendés pour faire du Beau, de l’unique, du magique.

Musique, danse et chant ont d’ailleurs été d’abord consacrés aux dieux ou au lien avec l’Invisible, comme ils continuent de l’être dans les sociétés traditionnelles. Chants, musiques et danses des pow wow, des transes gnawa pour se purifier des djinns, Bharata Natyam indien – qui rejoue les mythes, la geste des dieux et leurs amours à travers la danse sacrée – danses guerrières africaines ou arabes, transes soufies, tous témoignent de pratiques hors du temps au moyen de médias communs – la voix et le corps – qu’on a purifiés de leur usage rituel pour leur faire toucher les cieux.

Le mot chant lui-même conserve dans son étymologie, le souvenir de la magie à laquelle il est lié à l’origine puisqu’il dérive du mot « carmina » – le charme dans le sens de sort, d’ensorcellement.

Par la même logique, la danse offre ce moment intemporel où le corps, libéré des contraintes ordinaires, épouse la musique pour trouver sa propre expression offerte au regard de l’autre. Dans tous les arts, bien sûr, il y a une dimension d’échange avec l’autre. L’art est fait pour être vu, entendu, il est une offrande au monde. Mais pour celui qui danse sans contrainte, c’est d’abord l’expression d’une liberté incontrôlable, comme dans l’épidémie dansante de Strasbourg en 1518.

La danse, révélatrice d’un potentiel de grâce, de corps libéré de ses contingences sociales pour épouser le rythme de la musique et trouver celui de son propre abandon, a forcément quelque chose de  dangereusement sensuel, particulièrement dans les sociétés où on veut contrôler les corps. Cette liberté instinctive, ce naturel dans le fait de d’épouser le rythme de la musique se retrouve rarement dans une existence humaine, sauf dans la relation sexuelle, où le corps doit caler son rythme sur celui de l’autre, sur son propre désir, mais ni sur son travail ni sur ses devoirs ordinaires.

Dès lors, comment s’étonner de ces passions nées pour des danseuses, nombreuses dans l’histoire et la littérature, de ces interdictions dans le monde musulman de la danse orientale en public pour une femme à moins d’être étrangère, de la réduction de la danse indienne à de la prostitution par les Anglais qui les colonisaient, etc ?…Que dire de ces scènes d’amour, de coups de foudre qui commencent par un bal, comme dans la Princesse de Clèves, Roméo et Juliette, le Tombeau hindou, West Side Story et jusque dans leurs parodies malheureuses comme Madame Bovary qui se termine sur un banal adultère, l’endettement et le suicide…Louis XIV lui-même exerçait ses talents de danseur pour séduire et captiver une cour de nobles à laquelle il voulait retirer le pouvoir de décider et d’agir.

Dans la Bagavadh Gita, Krishna prévient : »De la contemplation de l’objet des sens naît l’attachement. » Un phénomène bien plus trouble quand cet objet des sens est le corps d’un autre, de cet autre qui révèle, en même temps que sa liberté de mouvements désaliénés du quotidien, du banal, de l’insignifiance, la beauté de son rythme, son rapport à son propre corps, et une idée de ce qu’il promet, tout d’un coup dévoilés.

Faire tomber un homme amoureux en dansant ? La marque du destin pour Nandini, déjà amoureuse de Sameer, un élève de son père, dans le film indien Hum Dil De Chuke Sanam..

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Reflet de Cythère (12)

Reflet de Cythère, c’est un texte, une poésie, un fragment qui permet de nous rapprocher de l’image que les Anciens se faisaient de leur déesse de l’Amour. J’écris les Anciens, mais en 5 ans de ce blog, j’ai aussi mis des modernes, des païens contemporains, tant il est vrai que les figures divines ne meurent pas.

Aujourd’hui, cité par Stobée dans son Florilège, c’est le grand Sophocle, auteur, au V ème siècle avant notre ère, des plus belles tragédies de l’Antiquité – dont Oedipe et Antigone, son incorruptible fille, qui va nous chanter la belle et terrible déesse de l’Amour. Un rôle qu’elle tient bien souvent chez les poètes et les philosophes, l’Amour étant vu comme une nécessité douloureuse apportant bien plus de malheur et de destruction que le bonheur qu’on vient y chercher.

Sophocle lui-même, au-delà des pièces à la perfection formelle que les Alexandrins ont bien voulu nous laisser intacts, fut un homme qui s’y brûla les ailes et dont la personnalité sensuelle s’est plutôt révélée dans les fragments conservés par d’autres auteurs.

Dans la Couronne et la Lyre, Marguerite Yourcenar précise même : « Vieillard, il se félicita d’être débarrassé du désir comme d’un tyran sauvage. » Une expression qui paraît n’avoir été que figures rhétoriques puisqu’il s’éprit dans cet âge de deux courtisanes, prouvant bien quà la fin, c’est toujours « Cypris » qui règne.

PUISSANCE DE L’AMOUR

« ..L’Amour, ô doux enfants, n’est pas rien que l’Amour.

On l’adore partout sous mille noms divers.

Il est la Mort, il est la Force impérissable.

Et la démence et le désir inguérissable.

Il est la Plainte. Il est activité et calme, 

Et violence..Et en tout lieu, dans l’univers, 

L’âme vivante et respirante le reçoit

Et se soumet, aussi bien le poisson qui erre

Dans l’océan, que le quadrupède sur terre; 

Pour les oiseaux et pour la bête carnassière, 

Pour l’homme, pour les dieux immortels, il est Loi.

Quel lutteur devant lui  n’a mordu la poussière, 

Fût-il divin ? S’il est permis, comme il se doit, 

De dire ce qu’il est, il dompte Zeus lui-même, 

Sans se servir du glaive. A chaque stratagème

De l’homme, à chaque plan des dieux, il fait échec, 

Et Cypris règne seule… »

Nouvel article Labo de Cléopâtre : Parfums antiques du Labo

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Le fil de l’amour et du destin

Dans la tradition japonaise, une ancienne légende dit qu’un fil rouge unirait chaque personne à l’amour de sa vie. Les êtres unis par ce fil, pour autant invisible, sont destinés tôt ou tard, à se rencontrer au cours de leur vie. Cette ancienne croyance, très romantique, est rendue très vivace par la culture populaire contemporaine tels que les dramas, les mangas et autres programmes destinés à la jeunesse, dont les préoccupations oscillent entre l’incertitude quant à son avenir amoureux et ses rêves normaux du grand amour.

Le fil est rouge comme le sang, l’amour, le feu, la couleur du mariage en Asie. En Occident, on passe l’alliance à l’annulaire dont l’artère est reliée au coeur. Oui, on parle bien d’alliance, du verbe lier, tout comme le fil rouge unit une personne à son grand amour. D’une culture à une autre, la différence est-elle si grande ?

Pour unir les êtres, on n’a pas trouvé meilleure métaphore que celle des liens, les fils nés du travail du textile. Et on a souvent tendance à oublier combien l’homme a pu, à travers ses propres découvertes ou ses propres inventions, accéder à des compréhensions, expressions, représentations plus fines de ce qu’il vivait, faisait, éprouvait ou même comprenait du monde.

Le travail du textile, le simple fait de transformer de la fibre chaotique en une unité pouvant déboucher sur une magnifique pièce de tissu a été pour les Hommes une source d’admiration, d’imagination, et de réflexion métaphorique.

Les liens entre les gens, « les liens sacrés du mariage », tout cela renvoie aux cordes, aux fils, ce qui va nouer. Les gens qui s’aiment sont liés – tout comme les gens d’une même famille -. Pour attirer quelqu’un, et particulièrement dans la magie amoureuse, on utilise le lien, le noeud. Lien de ruban, lien de cheveu, fil pour unir symboliquement une personne à celle qui la désire ardemment et qui fait le rituel pour cette raison.

« Le premier vendredi de lune, achetez sans marchander ruban rouge de 1/2 aune au nom de la personne aimée. Faites un noeud en lacs d’amour et ne le serrez pas, mais dites Pater jusqu’à li tentatiorem, remplacez seb libera nos a malo par lude aludei ludeo, et serrez en même temps le noeud. Augmenter d’un Pater chaque jour jusqu’à 9, faisant chaque fois un noeud. Mettez le ruban au bras gauche contre la chair. Touchez la personne. »

Papus. Traité méthodique de magie pratique

Le fil, le lien, le noeud ne sont pas que gage de l’union mais aussi de l’efficacité. Ce qui fonctionne dans la magie amoureuse est censé fonctionner également dans la magie de vengeance où nouer l’aiguillette, qui se fait également à base de lien, de noeud, empêche à un mariage d’être consommé, une union de se faire, un projet d’aboutir, etc. Le noeud, le lien, le geste réalisé réellement pour s’incarner symboliquement dans le réel, vaut alors pour signe du destin.

Et pour cause : dans le fil, le fil de la conversation, le fil de la vie, le fil du destin, on voit bien le lien entre la maîtrise du textile et l’idée de cohérence. Tout comme les pelotes anarchiques de fibres deviennent fils puis vêtements une fois entrecroisés, atteignant leur pleine beauté et leur pleine utilité, la série apparemment incohérente de petits événements qui font l’histoire d’un individu peuvent, si on les fait s’entrecroiser et se correspondre, sembler avoir du sens sous l’image de la destinée, qui passe aussi, bien évidemment, par la relation amoureuse.

D’ailleurs, est-ce vraiment un hasard si Pénélope promet de se marier avec l’un des prétendants à la fin d’une tapisserie qu’elle fait chaque jour pour mieux défaire chaque nuit afin de ne pas avoir à lier son destin à celui d’un autre qu’Ulysse ?

Ce faisant, un peu comme son mari qui décide d’assumer sa destinée humaine, Pénélope s’affranchit de son destin en remplaçant symboliquement l’action des Moires, déesses de la mythologie qui normalement y président : Clothos en tisse le fil, Lachésis le déroule et Atropos le coupe. Pénélope, tout en feignant l’obéissance dans un travail typiquement féminin, n’est-elle pas en train de décider – en frondeuse contre les déesses qui doivent y présider et qu’elle remplace – de son propre destin ?

D’ailleurs, avez-vous remarqué comme étrangement, c’est préférablement sur des tapisseries que se sont racontées les premières histoires en images ? Tapisserie de Bayeux, tapisseries de la Dame à la Licorne – où semble se mêler amour et histoire aristocratique et symbolique – autres tapisseries symboliques et surtout narratives, au musée de Cluny, au musée du Sacre, à Reims, voire, dans la mythologie, évocation des scènes représentées par Athéna et Arachné lors de leur combat de tapisserie, etc.., tout ce qui semble vouloir raconter une histoire et des liens semble avoir voulu le faire avec des fils.

Hasard, vous croyez ? IMG_3075

Nouvel article Labo de Cléopâtre : Déodorants de l’Antiquité

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Puissance d’illusion de l’Amour

La poésie antique a beaucoup parlé de ce que l’Amour faisait faire, surtout en terme de tragédie. Médée ou Ariane trahissant leur famille pour le beau héros qui allait ensuite à leur tour les trahir pour une autre n’en sont que quelques malheureux exemples parmi tant d’autres. Mais sur le mode de la comparaison ou de la métaphore, elle a aussi pu parler de ce qu’elle faisait voir d’extraordinaire, c’est-à-dire l’être aimé pareil à un dieu ou l’éclipsant : « Lorsque Théron paraît, tout le reste s’efface, et sitôt qu’il s’en va, qu’importe tout le reste ? » . « Que dis-tu ? Enlevée ? Ah ! Quel monstre sauvage ? Enlève-t-on l’Amour ? Elle est l’Amour fait femme. » Méléagre de Gadara. Anth. Pal.

Une illusion qu’on retrouve beaucoup en littérature et qu’on a tous vécue un jour : celle de projeter un regard si émerveillé sur la personne aimée qu’on croit à son objectivité, son universalité, et s’apercevoir avec stupéfaction que les autres ne voient pas la même chose. Dans A la recherche du temps perdu, le regard subjectif de l’amoureux se confrontant au regard de celui qui ne l’est pas se fait en croisement. L’ami du héros est en adoration devant sa maîtresse, actrice, que le héros a connue comme pensionnaire d’un bordel bas de gamme. Parallèlement, ce même héros raconte ses déboires avec une merveilleuse jeune fille qui, lorsqu’il la montre en photo à son ami, ne lui inspire que cette expression stupéfaite : « C’est ça, la jeune fille que tu aimes ? »

Une expression brutale et inoubliable, bien que littéraire, pour dire tout le caractère subjectif du sentiment amoureux en même temps que l’universalité de l’illusion qu’il provoque. Nous avons tout d’abord crû que sa beauté, son rayonnement, son pouvoir d’attraction émanait de la personne aimée et s’exerçait sur tous ceux qui posaient leur regard sur elle. Puis, nous avons découvert que ce n’était pas le cas. Pire encore, l’apprendre ne fait pas disparaître l’illusion. Ce sont les autres que nous croyons victimes d’aveuglement.

L’expression le dit d’ailleurs très justement :  » L’amour rend aveugle. » Aveugle à qui ? A quoi ? Quand il s’agit de ne pas se rendre compte des imperfections physiques ou de petits travers de caractère, les conséquences ne vont pas bien loin et ne sont pas très graves. Dans le meilleur des cas, une âme de poète ou un artiste le transforme en littérature. Mais en réalité, cette illusion construit nos destins, nos forces et fragilités affectives de base car nous héritons des illusions du couple parental qui a permis à la famille de se constituer. Plus qu’en hériter, nous en faisons le socle sur lequel nous renforçons, consolidons ou construisons en contre nos illusions et désillusions amoureuses sans même en avoir conscience et sans avoir de prise réelle sur elles.

Un schéma psychologique qui construit un destin et qui fait dire aux gens de notre entourage : « Tu tombes toujours sur des…« , « Tu tombes toujours amoureuse de gens qui…« , comme si nous subissions une programmation. Et pourtant, une fois l’illusion retombée, la magie chimique ayant cessé de faire son effet, nous apparaissent soudain tous les petits signes, tous les indices que nous avions sous les yeux et qui nous rappellent à quel point les éléments de compréhension étaient là, sous nos yeux, qu’on ne pouvait pas les manquer, et que dans un autre cas que celui de l’amour, on aurait sans doute analysé comme un danger. On se rappelle de tous ces amis aussi, qui, non aveuglés et voulant notre bien, tentaient de nous prévenir.

Les Anciens ne se trompaient pas d’impression quand ils avaient l’image d’une flèche percée au coeur par le dieu Eros qui nous distillait inexorablement son poison. Un poison créateur qui fonde des familles, change des destinées, unit des êtres et des dynasties que tout semblait au départ vouloir opposer.

Mais dans le pire des cas, c’est un poison destructeur. Dépassant les fractures familiales de base car nourris de mal-être plus grand encore, nourrissant les faits divers et emplissant les cours de justice, ces illusions étranges appuyées sur des fractures personnelles et anciennes aveuglent sur des personnalités et comportements qui conduisent parfois jusqu’à à la violence et au crime.

 » Ca ne m’arriverait jamais à moi ! », jure-t-ton. Mais qui peut vraiment savoir comment ça arrive ? Et celles et ceux à qui ça arrive auraient-ils pu croire ça possible pour eux-même ? La tragédie n’est pas seulement l’histoire des autres. C’est pourquoi elle avait une place si importante autrefois.

Nouvel article Labo de Cléopâtre : La complexe histoire du baume

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Reflet de Cythère (11)

Dans Reflet de Cythère, un poème, texte littéraire ou autre permet d’éclairer un peu un aspect de la déesse Aphrodite ou de son culte.

Aujourd’hui, c’est un petit bijou que je vous propose. Il nous vient de la poétesse grecque Nossis qui vivait au III ème siècle avant notre ère. Il ne reste d’elle qu’une dizaine d’épigrammes et rien de connu sur sa vie, pas même sur le lieu où elle vivait.

Mais le poème qui suit est si beau, si célèbre, et lui donna une telle réputation qu’on a pu dire d’elle que le dieu Amour fondait lui-même la cire pour ses tablettes ! A l’époque de Nossis, en effet, le stylet s’enfonçait dans la cire pour y graver la poésie qu’on recopiait plus tard, notamment sur papyrus. C’est grâce à ça qu’elle est ainsi parvenue jusqu’à nous.

Ici, la déesse de l’Amour paraît sous le nom de Cypris. On lui donnait ce nom parce qu’elle était censée être née à Chypre.

Eloge de l’amour

« La douceur de l’amour surpasse toutes choses,

Croyez-m’en, moi, Nossis. Le miel a moins de prix.

Celle qui n’a pas eu le baiser de Cypris

Ne sait pas distinguer quelles fleurs sont les roses. »

Anthologie Palatine. V, 170

Dernier article du Labo de Cléopâtre : Importance des matières premières

Aphrodite, douceur et rage

Aphrodite, déesse de l’Amour et de la Beauté, est associée à d’autres caractéristiques ou bien, voit son caractère se préciser au fil des récits mythologiques, ou se révéler dans des qualificatifs qui la décrivent et qui reviennent tout au long des épopées : les « épithètes homériques ».

Aphrodite est ainsi souvent qualifiée de « tout sourire », qui révèle son caractère enjoué et charmeur. Un sourire d’une importance capitale dans les rapports sociaux qu’une femme entretient grâce à l’image qu’elle renvoie à celui qui la regarde, la juge, la condamne ou l’admire. Cette expression qui éclaire le visage, l’illumine, semble rendre la femme tellement accessible et aimable qu’elle est exigée sur les photographies engageant le commerce, ou quand le contact avec l’autre et la clientèle sont nécessaires.

La douceur d’Aphrodite, c’est aussi celle de la fragilité. La déesse de l’Amour, de par sa nature douce et délicate, est la première parmi les Immortels à être blessée sur le champ de bataille opposant Achéens et Troyens. De la même manière, elle est celle qui est la plus impliquée, la plus investie dans ses histoires d’amour avec les Mortels. Plusieurs textes classiques racontent ainsi son grand deuil lors de la mort du bel Adonis, son amant, tué par Arès rendu jaloux par leur relation, et qui a pris la forme d’un sanglier pour éliminer son rival. Dans le Dialexis de la rose, Procope de Gaza explique comment, à la suite de ce deuil, Aphrodite éperdue, se blessant aux épines des rosiers, fit passer les roses de la couleur blanche à la couleur rouge en y faisant couler son sang.

C’est une histoire de métamorphose, comme il en existait beaucoup dans la mythologie. Le texte précise : »Son corps était d’une grande délicatesse (qui d’autre, il faut le préciser, l’eût été plus qu’Aphrodite) » Un corps d’une grande délicatesse, et une blessure de plus pour la déesse douce et délicate.

Sa douceur, c’est aussi son implication dans la vie des Mortels avec lesquels elle se lie, par l’amour pour un homme ou la faveur accordée à ses protégés. Certes, les autres dieux peuvent entretenir des liens particuliers d’amitié avec les Mortels qui traversent leur destin, comme Athéna avait créé des liens avec Ulysse et Artémis avec Hippolyte, ou d’amour, comme certains dieux avec des Mortelles qu’ils ont séduites. Il existait pourtant une frontière au-delà de laquelle le lien entre Mortels et Immortels ne pouvaient plus avoir de relations : celles de la mort, justement.

Pour les Immortels, le contact avec un cadavre était une impureté, un tabou; assister à la mort leur était interdit. C’est pourquoi, au moment de mourir, Hippolyte est abandonné par Artémis dont il est pourtant un ami très cher. Un tabou qui n’a pas l’air d’arrêter la déesse de l’Amour. Au chant XXIII de l’Iliade, on apprend que le cadavre d’Hector est protégé de la putréfaction grâce aux soins que lui apporte l’Immortelle : « Autour d’Hector, cependant, les chiens ne s’affairent pas. La fille de Zeus, Aphrodite, nuit et jour, de lui les écarte. Elle l’oint d’une huile divine, fleurant la rose, de peur qu’Achille lui arrache toute la peau en le traînant. »

Un soin jaloux qui pourrait bien avoir pour origine l’Amour dont elle est la divine incarnation, tout comme dans l’Enéide, le soin et la protection de son fils Enée seront constants.

Et pourtant, malgré tout son amour, Aphrodite est une déesse qui peut être tyrannique envers ceux qu’elle aime. Voici ce qu’elle dit à Hélène qui lui tient tête et refuse de faire ce qu’elle dit : « Arrête, malheureuse, ou je te laisse à ma colère. Crains que mon fol amour pour toi ne se transforme en haine et que je ne provoque, entre Troyens et Achéens, des haines sans pitié dont tu périrais misérable. » Un cas loin d’être unique pour cette déesse dont les colère et les vengeances sont célèbres.

Certes, les Olympiens ont leur caractère, et les Anciens étaient autant soucieux de leur colère que de leur faveur. Néanmoins, seuls ceux capables d’un grand amour sont aussi capables d’une grande haine, à la manière de Tosca, le personnage de l’opéra de Puccini, sentimentale, tendre, ardente amoureuse autant que jalouse et rageuse meurtrière de l’odieux Scarpia; comme si la force de sentiments d’amour amenaient forcément une force contraire en cas de contrariété, dans un équilibre nécessaire.

De façon plus élémentaire encore, on peut songer au dieu de l’Ancien Testament : « Moi, Yahvé, je suis un dieu jaloux. » Parce qu’il a élu un peuple, semble dire le texte, parce qu’il l’aime plus que les autres, son amour se transformera en colère et en punition chaque fois qu’il se sentira trahi dans cet amour. Attention aux dieux d’Amour : ils sont aussi ceux qui se transforment le plus facilement en dieux de colère et de haine, tant ces deux sentiments sont les deux faces d’une même puissance émotionnelle.

Méfiez-vous toujours des sentiments d’un dieu ou d’un Mortel qui vous aime trop fort; chaque puissance de sentiment contient en elle son contraire, et ce qui vous a tant nourri pourrait bien alors vous engloutir.

Photo à la Une : Aphrodite et Hélène sur une amphore du V ème siècle av J-C .www.theoi.com )

Dernier article Labo de Cléopâtre : les encens aphrodisiaques

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Séduction : conditions intérieures et extérieures

L’amour est une nécessité du vivant pour perpétuer la vie, cause de la grande importance qu’on donnait autrefois aux divinités qui le représentaient. La quête de l’amour est en effet un intérêt universel. Chacun cherche à rejoindre l’autre pour aimer – même mal – être aimé, en investissant tout ensemble son désir sexuel, sa propre croyance en l’amour, ses forces et failles psychologiques qu’on offre et impose sans même le savoir.

Mais parce qu’aimer, c’est prendre un risque, s’exposer à l’autre dans sa vérité, ça se fait souvent dans un état émotionnel qui empêche toute lucidité et capacité au recul permettant à la fois de relativiser, d’y voir plus clair et de mieux s’orienter.

Ainsi, lorsqu’on a pour objectif de séduire la personne qui nous plaît, axé sur notre objectif, seul dans notre tête qui est loin d’être froide, nous n’arrivons pas à voir certaines réalités simples ou complexes qui conditionnent une relation.

  • Critère d’évaluation

Si vous voulez séduire une personne qui vous plaît selon certains critères, elle aussi possède des critères qui lui permettent d’accepter ou de refuser votre proposition. Et si vous l’interrogez sur ces critères et croyez correspondre à ceux-ci d’après ses réponses, elle vous a pourtant peut-être rangé dans une autre catégorie que vous ne pouvez pas envisager car elle correspond à une histoire personnelle et des valeurs dont elle-même n’a pas conscience car elles ont fait son éducation, et que vous ne pouvez envisager car on vous a donné d’autres valeurs.

La question pour garder le cap : l’image qu’on a de moi correspond-elle à celle que je me fais de moi-même et est-elle à mon avantage ? 

  • Valeurs

Toute société s’établit sur des valeurs qu’on peut croire parfois communes et qui ne sont pourtant pas forcément déterminantes. On peut très bien penser être sexy et élégante en mini-jupe alors que dans une autre classe socio-culturelle, ça pourra être vu comme vulgaire et racoleur; et vice-versa. Et ces questions, loin de concerner uniquement l’apparence physique, vont aussi toucher la morale, la politique, les choix éthiques, la façon de s’exprimer, de se comporter, l’alimentation, etc.

Les questions pour garder le cap : cette personne mérite-t-elle le sacrifice de mes valeurs ou, si j’adopte ses valeurs, celles-ci ne sont-elles de nature à m’apporter quelque chose de positif ou est-ce l’inverse ?

  • Rapport à l’autre

Il peut nous arriver d’aimer quelqu’un qui n’est pas capable d’amour ou qui ne pourrait absolument pas nous aimer. Ca arrive particulièrement dans les moments où on ne s’aime pas, où on déprime, où notre image de nous-même a été affectée. Parfois, c’est un problème insoluble et on passe sa vie entière à tomber sur les mauvaises personnes par tendance à l’auto-destruction. Que se passe-t-il alors ? On tombe amoureux de quelqu’un qui n’aime que les gens du sexe différent du nôtre ou d’une personne narcissique qui ne pourra jamais nous aimer, n’aimera jamais qu’elle-même et se servira de nous pour se valoriser, ou bien on s’éprend de quelqu’un de violent physiquement ou psychologiquement.

La question à se poser pour garder le cap : cette personne est-elle réellement et sincèrement capable de m’aimer ou est-ce moi qui ai besoin de me le figurer ?

  • La réalité de l’offre

L’acceptation ou le rejet dépendent aussi parfois de l’offre, qui dépend de beaucoup de paramètres. La personne qui nous intéresse est-elle intéressante pour les autres et cela a-t-il de l’impact sur elle ? Dans les sociétés où la répartition entre hommes et femmes est inégalitaire, le rapport à la séduction est très concurrentiel. Là où les femmes sont en excès, comme dans les sociétés touchées par une guerre, elles rivalisent dans l’élégance, les gadgets érotiques ou la chirurgie esthétique, et la surenchère est obligatoire pour se distinguer. Là où les hommes sont en excès, c’est la bataille matérielle qui fait rage et ce sont plus riches qui finissent en couple. Pourtant, rien de ces conditions ne définit l’être humain dans sa beauté d’âme et dans ce qu’il a réellement à offrir à l’autre.

Les questions pour garder le cap : la bataille pour cette personne vaut-elle la peine ou ai-je mes chances par rapport à l’offre proposée et les valeurs qui sont les miennes ?

  • Mes valeurs et qualités

Les forces en présence, c’est aussi soi-même, pas seulement les valeurs que l’autre pense qu’on incarne mais ce dont on est réellement porteur. Quand on est jeune, naïve, sincère et mignonne, on aime souvent les bad boys qu’on rêve de dompter. Plus généralement, c’est nous qui nous faisons dresser en perdant au passage nos illusions et la foi en nos valeurs. Une condition importante à notre séduction est dans ce que nous pouvons apporter à la relation en tant que personnalité profonde et surtout d’en prendre conscience. Et c’est celle-là qu’il s’agit avant tout d’apprendre à aimer pour ensuite la faire aimer.

La question pour garder le cap : quelles sont mes qualités et vont-elle s’épanouir ou se flétrir avec cette personne ? 

Nouvel article labo de Cléopâtre

 

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Le double en amour

Dans la littérature comme dans la mythologie, un motif crée toujours le trouble : celui du double. Le double peut prendre de multiples formes : dans la mythologie grecque, ça peut être l’Immortel dissimulé sous une apparence de Mortel, telle qu’Athéna apparaissait à Ulysse ou Aphrodite à Anchise ou à la belle Hélène. Dans la mythologie hindoue, 33 millions de dieux atteignent l’unité par la croyance que quel que soit le dieu adoré, il s’agit toujours du même, Dieu étant unique, seules ses manifestations et représentations sont multiples.

Du divin à l’amour, il n’y a souvent qu’un pas symbolique, comme le démontrent les traditions théologiques de toutes confessions. Dans la tradition hindoue, toujours, les dieux ont des histoires d’amour. Sâti, première femme de Shiva, qui s’était jetée sur le bûcher le jour de son mariage parce que son père s’y opposait, revient ressuscitée sous les traits de Parvatî, avec qui le dieu vivra enfin l’histoire d’amour qu’il n’avait pu partager avec Sâti – dont le nom désigne désormais celle qui se suicide sur le bûcher funéraire de son mari.

Dans la littérature aussi, la personne aimée semble subir un dédoublement qui peut être de natures très diverses. Dans la littérature romantique, la femme aimée, souvent inaccessible ou morte, se perd dans les figures fantasmées de son double, bien vivant, lui. Dans Ligeia, nouvelle des Histoires extraordinaires d’Edgar Poe, le mort saisit le vif, et la première épouse morte hante, possède, et finalement détruit la seconde qui, d’emblée, était présentée comme ne lui arrivant pas à la cheville. Le narrateur qualifie même de folie le fait d’avoir épousé cette seconde femme, qui ressemblait si peu à la première : »Je parlerai seulement de cette chambre, maudite à jamais, où dans un moment d’aliénation mentale, je conduisis à l’autel et pris pour épouse – après l’inoubliable Ligeia !-lady Rowena Trevanion de Tremaine, à la blonde chevelure et aux yeux bleus. »

Epouser quelqu’un par défaut et qu’on aime moins que celle qui la précède, c’est forcément destructeur pour l’un ou l’autre plutôt que pour le couple puisque celui-ci n’existe pas réellement. Dans la nouvelle de Poe, c’est destructeur pour la seconde épouse, qui en meurt. Dans le roman de Tristan et Iseult, c’est l’homme qui est détruit, après avoir détruit les espoirs de sa femme.

Après avoir dû subir les épreuves, séparations et déchirements imposés à leur amour adultère – puisqu’Iseult la blonde est mariée à l’oncle de Tristan – le jeune amant se voit proposer Iseult aux Blanches Mains. Mais elle a beau s’appeler Iseult, ce n’est pas celle qu’il aime. Regrettant sa folie après le mariage, il invente un prétexte pour demeurer chaste, condition de choix pour créer le malheur dans un couple. Lorsqu’il est blessé par une lance empoisonnée, sa femme se venge de son dédain en lui faisant croire que son amante, qu’il a fait demander à son chevet, n’est pas présente dans le bateau faisant voile jusqu’à lui. Il en meurt, et la blonde Iseult, de chagrin rend alors l’âme elle aussi. Femme trompée, la seconde Iseult reste la seule en vie de ce triangle amoureux inégal.

Quelquefois, le double en amour est la marque de l’indécision, de la confusion mentale qui ramène plutôt le sujet à la perte, au deuil, à l’impossibilité d’être heureux. Dans Sylvie, de Gérard de Nerval, le narrateur est ballotté entre trois femmes : Sylvie, petite paysanne qu’il aimait dans son enfance, Adrienne, jeune aristocrate promise à la vie religieuse rencontrée furtivement telle une apparition lors d’une fête provinciale, et Aurélie, actrice parisienne en laquelle il croit voir Adrienne. De ces trois femmes, Sylvie est réelle, l’autre, Adrienne, est fantasmée et représente l’idéal inaccessible, et la dernière, Aurélie, est un double qui a tôt fait de le ramener à la réalité. Trois femmes qu’il ne rejoindra jamais : Sylvie, réaliste, a cessé de l’attendre et s’apprête à se marier avec son double – son frère de lait -, Aurélie, femme réelle, se moque de cet amour d’une religieuse projeté sur elle, Adrienne, vue certainement une seule fois, est morte depuis longtemps tandis que le narrateur la cherchait encore vainement.

Mais le double, c’est aussi celui qui semble s’incarner dans ces gens qu’on va aimer avant de trouver l’amour de toute une vie, et qui, lorsqu’on y réfléchit, semblait nous amener vers lui. Qui n’a jamais constaté ce fait – à moins d’avoir été vraiment déçu par quelqu’un et donc attiré par la suite par une personnalité qui lui est totalement opposée – des ressemblances de caractère, d’attitude ou de psychologie, semblant avoir été à l’origine de notre attirance vers eux, comme si le grand amour, en préparation, procédait par étapes ?

Car si notre désir, notre idéal peuvent se chercher et ainsi paraître un peu flottants dans un premier temps, dans l’expectative de ce qu’on pourrait désirer, les grandes tendances de notre personnalité – avec toutes les contradictions qu’elle comporte – s’expriment aussi dans nos amours, de notre recherche à nos tâtonnements, du pâle reflet de notre idéal jusqu’à son incarnation parfaite.

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