Nudité et symbolisme

Au premier abord, on peut se dire qu’à propos de la nudité, il n’y a rien à dire mais tout à éprouver. C’est tout à fait juste. Dans une société où la nudité est prohibée, c’est ce qu’on appelle une grosse ficelle : tout le monde veut la voir et pour peu qu’il la voit, tout le monde est captivé, fasciné par elle, sans possibilité d’en détacher les yeux. S’y ajoute un phénomène très recherché dans une vie de stress, le lâcher-prise, l’arrêt de toute pensée. Ce pouvoir extraordinaire qu’a la représentation de la nudité, ceux qui veulent nous vendre des choses l’exploitent et le sur-exploitent. Manipulés par la libido et le voyeurisme, hors d’état de penser, nous sommes ainsi prêts à faire de nous ce qu’on veut.

Exposer la nudité dans une société qui  ne la pratique pas ramène donc au présent avec la violence d’un coup de poing. Violente dans sa représentation dans une société où le corps est dissimulé, c’est une force de discours avec un objectif précis mais aux intentions subtiles : la destruction sous des formes variées.

Dans notre vie, les moments où nous sommes nus sont rares : il y a les moments où on se lave et où on satisfait des besoins naturels tels que faire l’amour. La nudité, cachée, tient du mystère qu’on ne dévoile, en réalité, qu’à de rares privilégiés qui ont tous un lien avec notre vérité profonde, c’est-à-dire ceux qui nous ont fait naître, et ceux avec qui nous faisons l’amour et sommes prêts également à donner naissance à un autre être, nécessairement nu.

Ce lien entre la nudité et la vérité se voit dans les textes sacrés : Adam et Eve vivent nus et sans complexes dans le jardin du Paradis. Une fois goûté le fruit de l’arbre défendu, ils cachent leur nudité et celle-ci devient ainsi taboue pour les Hommes. Frappée d’interdit, elle peut alors devenir ce par quoi le fils de Noé, Cham, est maudit et contraint à devenir esclave de ses frères pour avoir vu leur père nu. Pourtant, lors de l’arrivée de l’Arche, c’est presque nu que danse David pour exprimer sa joie envers le Seigneur. Ce qui est normalement une pratique taboue et frappée d’interdit est exécutée à ce moment-là par le roi, c’est-à-dire celui qui doit montrer l’exemple au peuple tout entier. Mical, fille de Saül, lui fait des reproches, qui sont socialement légitimes, et David se justifie par ce qui est spirituellement légitime : cet abaissement vis-à-vis de Dieu est ce qui, en réalité, l’élève. Punie par Dieu, Mical n’aura pas d’enfant, autrement dit, n’aura pas le privilège de donner la vie à un être nu, justement.

Cet épisode démontre que la nudité a un lien avec le secret autant qu’avec son corollaire : la vérité. Ce qu’il ne faut pas montrer aux hommes, n’a pas, en revanche, à être caché à Dieu. Avant d’être chassés du Paradis, les Hommes étaient nus et c’est nus qu’ils naissent, c’est donc nus dans leur linceul qu’ils se font enterrer dans la tradition juive où on récite lors des funérailles : « Je suis venu au monde nu et nu je dois retourner à Dieu. »

Interdite dans la plupart des sociétés, la nudité est donc en lien avec la vérité de l’individu, le secret de son être profond, de son être spirituel, justifiant la pratique de la nudité dans certains cultes païens contemporains. La nudité serait donc bien liée à la spiritualité ! Un paradoxe pour une pratique qualifiée de bassement matérialiste suscitant la concupiscence ! Et pourtant, c’est bien le secret de l’Homme : sa vérité, ce qu’il cache sous ses vêtements civilisés, c’est la créature de Dieu, la bête qui est en lui, qu’il civilise et qui n’est jamais très loin, cette bête qui menace la civilisation de destruction, avec laquelle la nudité est aussi souvent en lien qu’avec la vérité.

La première des destructions opérée par la nudité serait d’abord celle de l’illusion quant à la nature humaine, la destruction du mensonge social. La deuxième est celle de l’ordre social, qui est celle pratiquée par exemple par les hooligans, les révoltés de mai 68, les bipolaires en phase maniaque, les Femen, etc. La troisième des destructions, c’est la destruction du psychisme, qu’une nudité inappropriée soit vue ou imposée à un individu. C’est ce qui fut choisi pour torturer l’esprit des musulmans dans les prisons de Guantanamo et celui des juifs dans les trains les menant aux camps de concentration où nulle intimité n’était possible, et dans les camps eux-mêmes, dont les photos qui nous restent de milliers d’hommes nus dehors nous font encore frémir d’horreur.

Finalement, le plus incroyable dans la nudité, c’est qu’elle constitue plutôt le meilleur écran de ce qu’elle cache alors qu’elle semble tout montrer. Que cache-t-elle ? L’intention profonde de celui qui l’utilise, car si dans le privé des gens qui se donnent l’un à l’autre, les intentions sont claires, montrer publiquement sa nudité ou la nudité de son conjoint, de ses enfants ou d’autres, dissimulent l’obscurité des raisons qui poussent à le faire.

Et si, la prochaine fois qu’on vous dévoile un corps, au lieu de jouir de la vue dans tout les sens du terme ou de critiquer la plastique de celle ou celui qu’on vous montre, vous regardiez derrière l’écran projeté et vous vous posiez la question : « Pourquoi ? » ?

Vous verrez que derrière la vérité dévoilée par le corps se cache un secret auquel vous n’aurez peut-être pas accès, mais dont il vous apparaîtra de façon certaine qu’il se cache bien au-delà des courbes du corps exposé…

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10 commentaires

  1. « Finalement, le plus incroyable dans la nudité, c’est qu’elle constitue plutôt le meilleur écran de ce qu’elle cache alors qu’elle semble tout montrer. Que cache-t-elle ? »
    et là je repense à l’épisode où Sherlock rencontre « The Woman » complètement nue… 🙂

    Comme d’habitude, les articles de ce blog sont de qualité. merci pour la réflexion 🙂

    1. Voilà un compliment qui me touche. Mais comme je ne connais pas cette histoire, j’ose demander : alors, que se cachait-il derrière cette nudité ?

  2. Tu as très bien abordé le thème, ce tabou religieux sur la nudité et l’absurdité de notre société d’aujourd’hui qui est capable de mettre des gens à moitié ou presque nus sur des affiches publicitaires afin de vendre un parfum une voiture un téléphone ou je ne sais quoi, et qui s’offusque dès qu’un bout de téton ou autre se montre en dehors ( il n’y qu’à voir la une et les photos des magazines people ou des émissions de télé-réalité, dont je ne suis pas féru) Autant se balader entièrement nu dans la rue ce n’est pas non plus l’idéal en fonction du temps mais cette abstraction de notre corps reste encore particulière , alors que visuellement on peut en voir presque partout au quotidien.

    1. Ce que tu dis renvoie aux raisons pour lesquelles on accepte la nudité dans certains cas et on s’en offusque dans d’autres et cela mériterait en effet de se pencher dessus sérieusement. Ca me rappelle d’ailleurs cette nouvelle que j’ai lue il n’y a pas longtemps : une chaîne américaine a flouté les seins représentés sur un Picasso ! Un Picasso, en terme d’érotisme, je trouve ça plutôt moyen. Et puis, je me suis posé cette question : est-ce que finalement, le problème n’est pas, non dans les seins cubistes et certainement cubiques du tableau, mais dans le fait qu’ils sont censés être ceux d’une Algérienne ? A méditer, en tous cas…

      1. la ça prend une toute autre ampleur en effet.
        Mais en me basant sur le thème de ton blog, et les dieux et représentant de la mythologie grecque et romaine, bien souvent ils sont représentés quasiment nus ou juste couvert la ou il faut bien d’une toge ou d’un morceau de vêtement, mais comme par le passé ce genre d’oeuvre n’était qu’à la vue d’une classe sociale « élevée » qui avait des moeurs on va dire très diverses ça choquait moins les esprits. Je ne parle même pas d’un tableau comme celui de Gustave Courbet l’origine du monde alors la vraiment choc et pourtant ça reste de l’art , mais bon pas toujours ouvert à certains esprits prudes ( ou parfois du moins en apparence)

      2. Non, ces oeuvres désormais classiques étaient dans les temples et les temples sont publics, tout comme l’étaient les thermes et les jeux du stade se pratiquaient nus. C’est la culture juive qui a apporté un autre regard sur la nudité. Je suis d’accord, la pruderie est en effet le versant hypocrite ou apeuré de l’obsession. Le prude, c’est celui qui ne veut pas voir de Courbet ce tableau, l’obsédé, c’est celui qui ne connaît de Courbet que ce seul tableau. L’équilibre, c’est de s’intéresser à tout…

  3. Notre société, d’une manière ou d’une autre, s’est coupée de ses instincts primaires, de son animalité. On met de la distance entre le civilisé et le sauvage. Sortir un sein pour allaiter son bébé est vu comme une chose sale à cacher (surtout aux Etats-Unis). Il est temps de se réconcilier avec ce corps que l’on veut parfait, que l’on pare et que l’on cache. Je n’ose sauter le pas des camps naturistes, mais j’aime aller au hammam. Pas de meilleur endroit pour se réconcilier avec les corps. Tout le monde est nu, et on est là pour se laver, pas pour se juger. Merci pour ce bel article qui invite à la réflexion.

    1. C’est marrant, j’ai le même rapport au hammam, auquel je suis souvent allé parce qu’il est public et qu’il n’y a personne pour s’occuper exclusivement d’un corps comme à l’institut où je ne veux pas aller à cause de ça. Et c’est vrai, on entre avec des complexes insufflés par la société et on se détend face à la réalité de ces corps qui nous placent à endroit qui n’est ni plus beau ni plus laid, mais juste aussi varié que les autres, dans sa beauté.

      1. Comme cette tradition vient d’une autre culture, dans laquelle le rapport au corps est encore différent, nos repères sont bousculés et on regarde les corps qutour de nous sous un qngle nouveau. J’avoue regarder les autres femmes, mais plus par curiosité que par voyeurisme. C’est intéressant de voir comment sont faits les autres, dans la vraie vie! Et les femmes arabes sont très décomplexées quand elles sont au hammam. Ca aide.

      2. Oui, c’est exactement comme ça que je le vis également, même si ça fait quelques temps que je n’y suis pas allée.

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