mythes grecs

Aphrodite et la prison de la frivolité

Un passage de la mythologie raconte une anecdote à propos de la déesse de l’Amour et de la Beauté. Un jour, celle-ci essaya le travail et se mit à la tapisserie. Scandalisée, Athéna alla se plaindre à son père Zeus. Elle était la déesse associée aux travaux d’aiguille – travail malgré tout essentiellement féminin – et il n’était pas question qu’Aphrodite empiète sur son domaine. Zeus donna raison à Athéna, et on ne vit plus jamais Aphrodite faire quoi que ce soit de ses mains qui ressemblait à du travail.

Le récit mythologique répartissait donc ainsi les rôles, entre la femme qui est belle et sert à embellir le monde en obéissant strictement aux règles définissant sa place – « Souris sur les photos », « Tu es tellement plus belle quand tu souris »-, et celle qui fait, agit au risque de faire peur au monde, de la priver de sexualité et de risquer d’être considérée comme marginale dans la société.

En grandissant, quand apparaissent les caractères sexuels secondaires, ce choix se présente à toute jeune fille qu’on trouve assez désirable pour la pousser à la sexualité. Que sera-t-elle ? Belle, frivole, et agréable à fréquenter, ou studieuse, ambitieuse et donc non disposée pour l’homme qui pourrait la désirer ?

C’est l’histoire d’une jeune fille qui ne se trouvait pas très jolie et qui regardait avec envie et jalousie la plus jolie fille de sa classe après qui tous les garçons couraient. Elle ne voulait pas spécialement qu’on lui courre après, mais elle voulait juste parfois avoir l’impression d’exister dans une société où il y a le sexe fort et où sa façon de représenter le sexe faible ne correspond pas à l’image qu’on désire en avoir.

Dans son traité sur l’éducation, Rousseau dit en 1762 : « Toute l’éducation des femmes doit être relative aux hommes. Leur plaire, leur être utiles, se faire aimer et honorer d’eux, les élever jeunes, les soigner grands, les consoler, leur rendre la vie agréable et douce. »

Le doux contre le fort, le sexe fort, qui agit, le sexe faible – aussi appelé beau sexe, en référence à la beauté qu’on associe au féminin et à la force, qu’on associe au masculin – qui grandit à l’ombre des tentations qui la feraient passer du côté des femmes qu’on dit paradoxalement « libres », c’est-à-dire les prostituées, qui seules, avaient le droit d’avoir de l’argent bien à elles.

Si cette vision de la femme est très associée dans notre imaginaire aux religions monothéistes, les mythes grecs ne laissent pas de place au doute quant aux rôles bien définis des uns et des autres Olympiens selon leur sexe : ceux qui agissent et décident sont masculins (Zeus, Poséidon, Hadès, Hermès, Apollon…), sont féminins ceux qui subissent (Perséphone, Héra, Aphrodite) ou qui s’écartent du jeu matrimonial ou sexuel pour ne pas subir (Athéna, Artémis).

Le monde d’Aphrodite – plus qu’aucune autre – c’est effectivement l’empire statique de la frivolité. Tout comme les textes anciens nous décrivent longuement la déesse de la Beauté qui, éprise d’Anchise, met ses plus beaux vêtements et bijoux, pour aller à sa rencontre, le cinéma, les réseaux sociaux, les clips musicaux sont pleins d’images de femmes et filles qui, apprêtées, maquillées, sur-sexualisées et esthétisées, semblent prêtes à se perdre dans leur propre image d’elle-même et le désir qu’elles inspirent.

C’est l’histoire d’une fille qui fait de l’art avec ses mains et le diffuse sur les réseaux sociaux pour ne gagner qu’une dizaine de like quand une autre en gagne près de 200 avec juste une photo d’elle en décolleté ou en tenue sexy. A cette dernière – celle qui fait ce qu’on désire d’elle – la plus grande distribution de dopamine !

Cette façon de voir le monde entre masculin et féminin perdure partout dans le monde – et même chez ceux qui se croient assez intelligents pour y échapper – lui assurant une stabilité rassurante pour les uns plus que pour les autres, mais malgré tout plusieurs fois millénaire.

Tant que tu es jeune et belle, séduis ! Tiens le rôle qu’on donne à la femme par excellence, puisque tu es née femme ! « Quand vous serez bien vieille, Hélène, assise au coin du feu (…)Ronsard me célébrait du temps que j’étais belle… » Hélène a eu l’audace de ne pas faire ce que Ronsard attendait d’elle. Elle ne profitera pas du plaisir et des honneurs qui ne reviendraient de toute façon qu’à lui, de qui on admet la sexualité libre et la conquête, quand on la condamnerait chez elle.

Aux femmes le monde du maquillage, de la mode, de la beauté et de la frivolité ? En fait, non. Aux uns et aux autres le monde et la place que la société et les proches acceptent de leur céder et leur reconnaît, en fonction de leurs croyances, leur culture et leur ouverture d’esprit.

La mythologie raconte aussi qu’Héphaïstos avait décidé de piéger Aphrodite et son amant Arès pour exposer aux Olympiens leur culpabilité et l’adultère de la déesse. Un filet tomba donc sur eux quand ils étaient au lit et exposa aux autres dieux leur nudité. Une ruse qui ne profita pas à Héphaïstos car la plupart des dieux envièrent Arès et eurent une aventure avec Aphrodite, flattée et reconnaissante de leur admiration. La déesse eut ainsi des enfants avec chacun, lui assurant une descendance assurée et nombreuse dans le monde des dieux. Les déesses, qui avaient aussi été invitées au spectacle, refusèrent, par pudeur. Chastes déesses, sans descendance autre que leur nom immortel…

A se demander pourquoi, avec autant de succès dans le monde qui lui a toujours reconnu sa place de déesse dont la beauté suffit à justifier son existence et l’immortalité de son nom et son image, elle éprouva le désir de faire autre chose que paraître pour se mettre à travailler de ses mains…

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Chypre, île d’Aphrodite

Avec l’évocation des poudres de Chypre, parfums anciens que je reconstitue dans la boutique du Labo de Cléopâtre, on peut dire que mes 2 blogs sont sous le règne de Chypre. Quand on parle d’Aphrodite, ceux qui connaissent la mythologie se souviennent qu’elle est née à Chypre, de l’émasculation d’Ouranos dont le membre rencontrait l’écume en tombant dans la mer, donnant naissance à la plus belle des déesses. Un récit mythique qu’on retrouve chez Hésiode, loin de toute évocation plus tardive d’une éventuelle filiation avec Zeus.

A Chypre, l’endroit exact de sa naissance est marqué par un rocher Petra tou Romiou, dit Rocher d’Aphrodite. Certains points de vue font d’ailleurs apparaître le rocher comme les organes génitaux coupés d’un géant.

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Dans l’Antiquité, puisque l’île était considérée comme le lieu de naissance d’Aphrodite, un grand sanctuaire lui était consacré – célèbre dans toute la région, notamment pour sa pratique de la prostitution sacrée – dont il ne reste que des ruines mais que chaque visiteur avec un rêve secret d’amour contribue à rendre encore vivant, et ce d’autant plus que d’anciennes coutumes restent vivaces. Des arbres à voeux ponctuent la route allant du rocher au sanctuaire d’Aphrodite, et une ancienne tradition recommande de plonger dans les eaux du rocher pour s’assurer de connaître un amour éternel.

Car en vérité, on ne plaisante pas avec la déesse de l’Amour et de la Beauté, et si on croit que son culte est tombé avec le triomphe du christianisme, c’est mal connaître le pouvoir d’une telle divinité et l’importance qu’elle peut avoir sur le destin des Hommes comme de tout ce qui est vivant. Pour preuve, les vestiges de l’île semblent démontrer qu’une déesse informe de la fertilité habitait déjà les lieux bien avant que l’époque classique fixe dans la statuaire la forme que nous lui connaissons bien et qui hante les musées.

Quand on regarde les commentaires de ceux qui suivirent la route d’Aphrodite, on voit de la déception : des paysages magnifiques, certes, mais finalement, rien d’inoubliable : une plage, un rocher, une baignade, une grotte, un jardin botanique plein d’espèces végétales en lien avec la mythologie, et le mythe d’Aphrodite en particulier; et quelques musées. Certes, pour un touriste habitué à voir des châteaux, des attractions, des spectacles et consommer de la culture comme on le fait des autres types de produits, un lieu dit sacré et mythologique – pour lequel on a dû faire des heures de randonnée sous un soleil de plomb – n’a pas grand-chose d’excitant.

Les montagnes, de l’Olympe à l’Himalaya, abruptes terres où vivent les dieux, nous sont bien connues à présent, malgré le danger qu’elles représentent encore, et chaque nouvelle ascension en diminue un peu le prestige et la dangerosité inscrits dans la mémoire collective de l’humanité. Les menhirs et autres mégalithes qu’on prenait autrefois pour des autels de géants ou des portes du monde des fées ont repris leur dimension humaine en même temps que progressaient les découvertes scientifiques et la reconstitution de plus en plus cohérente de l’histoire de la Terre.

Et pourtant, nous sommes les héritiers de ces homo sapiens, les hommes de sagesse qui se racontaient des histoires pour se créer une culture, des représentations communes, des attachements qui feront qu’on sera fiers d’être nés, attachés à une terre ou même tout simplement d’y avoir posé les pieds.

Mais le destin de Chypre est aussi dans sa partition : une partie nord de l’île étant occupée par l’armée turque, rappelant qu’aux temps des Troyens et des Achéens, la déesse savait provoquer les conflits pour la beauté et pour un territoire :

« Je chanterai Kythérée née de Kypros et qui fait de doux présents aux mortels. Son visage charmant sourit toujours, et elle porte la fleur aimable de la jeunesse. Saut, Déesse qui commandes à Salamis bien bâtie, et à Kypros entière. » Hymne homérique à Aphrodite. Traduction Lecomte de Lisle.

Enfin, Aphrodite, c’est aussi la déesse des parfums, ce qu’on sait peut-être moins, et Chypre est décrite comme une île odorante déjà par les auteurs de l’Antiquité, ce que va confirmer l’histoire des parfums qui la désigne comme une île des parfumeurs, entre Orient et Occident, grâce à la présence des plantes à parfum : ciste, myrte, mousse de chêne, roses, iris, origan. L’eau de Chypre, qui donnera ensuite la poudre de Chypre, puis les parfums chyprés, achevèrent d’associer la déesse, son île et les parfums.

Vous aimez Aphrodite et ne savez pas quoi faire pour vous rapprocher d’elle ? Renseignez-vous peut-être sur Chypre, l’antique déesse de l’Amour y a même sa route culturelle : La route culturelle d’Aphrodite

Nouvel article Labo de Cléopâtre : Poudres de Chypre

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