Aphrodite peut offrir un destin fabuleux à celles qu’elle a comblées de ses dons. Des destins fabuleux qu’on retrouve en littérature au travers de contes de fées surtout, où une jeune fille qui n’avait rien et était malheureuse finit par épouser un prince, de préférence l’héritier du royaume. Nos contes les plus célèbres ont cette structure narrative , ce scénario qui a fait rêver toute fille comprenant que son avenir consistait en autre chose qu’à être pour toujours la fille chérie et choyée de ses parents.Dans cet avenir, si le métier n’est pas clairement envisagé, la nécessité de l’histoire d’amour réussie comme base du bonheur est par contre rapidement comprise.
Cendrillon, la jeune fille persécutée dont la chaussure oubliée permet au prince de l’identifier, de la sortir de son enfer et d’en faire sa princesse est un des scenarii mettant en scène le destin fabuleux d’une fille comblée par la grâce, la beauté et que ses qualités distinguent malgré son abaissement quotidien au sein de son environnement familial. C’est un destin qui continue de faire rêver. L’innocente et belle jeune fille persécutée connaissant en définitive une destinée plus heureuse et prestigieuse que celle de ses persécutrices est un désir universellement partagé.
Ce conte, en réalité plus ancien que la Renaissance italienne qui semble l’avoir fait naître, est considéré comme venant d’Egypte. La culture européenne s’en est emparée dans l’Antiquité avec des auteurs aussi prestigieux qu’Hérodote, Strabon et Elien. Dans cette histoire, Cendrillon est en réalité une courtisane grecque vivant en Egypte appelée Rhodopis ou Rhodope, traduit parfois par visage de rose ou yeux de rose. Une courtisane, la beauté, un visage assimilé à la rose : on reconnaît bien là les faveurs d’Aphrodite.
« Quelques auteurs donnent à cette même courtisane le nom de Rhodôpis et racontent à son sujet la fable ou légende que voici : un jour, comme elle était au bain, un aigle enleva une de ses chaussures des mains de sa suivante, et s’envola vers Memphis où, s’étant arrêté juste au-dessus du roi, qui rendait alors la justice en plein air dans une des cours de son palais, il laissa tomber la sandale dans les plis de sa robe. Les proportions mignonnes de la sandale et le merveilleux de l’aventure émurent le roi, il envoya aussitôt par tout le pays des agents à la recherche de la femme dont le pied pouvait chausser une chaussure pareille ; ceux-ci finirent par la trouver dans la ville de Naucratis, et l’amenèrent au roi, qui l’épousa et qui, après sa mort, lui fit élever ce magnifique tombeau. »
Strabon. Géographie. Livre XVII.
Ici s’arrête le destin de Cendrillon dans l’histoire racontée entre autres par Perrault et les frères Grimm. Rhodopis, qui a inspiré son histoire, a quant à elle connu tous les rebondissements qui font les destins exceptionnels de celles destinées à la célébrité et à la gloire dans le monde réel. Hérodote en fait l’esclave d’un certain Jadmon, maître aussi du grand fabuliste Esope qui inspira tous les autres fabulistes après lui dont notre La Fontaine. Prostituée, elle fut rachetée par Charaxe qui n’est autre que le frère de Sappho, la plus grande poétesse de Grèce ancienne, et le dépouilla. En Grèce ancienne, les courtisanes et autres prostituées étaient les seules femmes, si elles étaient libres, à pouvoir jouir de leur propre fortune. Rhodopis est une de ces courtisanes devenue aussi riche que célèbre.
Elle est connue aussi pour avoir offert au temple de Delphes avec 1/10 de sa fortune des broches à boeufs. Si ce cadeau paraît un peu étrange, il faut se rappeler que les Grecs sacrifiaient des animaux dont ils consommaient la viande tandis que les dieux étaient censés en déguster les fumées. Pour une courtisane, c’est autant un acte démontrant sa piété que son influence au sein de sa communauté qui lui permet d’avoir de l’argent et d’en faire ce que bon lui semble jusqu’à participer à ce qu’il y a de plus sacré. C’est une façon très masculine de démontrer son pouvoir. Enfin, puisque les récits font d’elle une courtisane riche, célèbre, sans scrupules, devenue femme de pharaon, il ne faut pas s’étonner que Strabon lui attribue une pyramide, marque d’un immense prestige.
Par sa complexité, le personnage de Rhodope qui a donné naissance au mythe de Cendrillon illustre bien plus que cette dernière une destinée dont la réussite est basée sur les dons d’Aphrodite : de la beauté malgré l’aliénation, la prostitution, la séduction permettant l’escroquerie, son avènement par son mariage royal et son immortalisation dans une pyramide. C’est une figure plus subversive que son pourtant plus célèbre avatar de conte de fées, et de fait, il faut bien reconnaître que lorsqu’on suit son parcours tel que l’ont raconté les divers historiens, il ressemble beaucoup plus à une destinée comme en ont vécu beaucoup de favorisées d’Aphrodite historiques – de Théodora aux maîtresses des grands rois telles que Wallis Simpson et d’autres encore – dans un monde laissant si peu de pouvoir aux femmes, à savoir une réussite basée sur la beauté, la sexualité ou la prostitution, l’amour.
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