Dans un article de société du numéro de juin 2015, » Sexe : sommes-nous plus libérées ? », le magazine Marie-Claire met en évidence le paradoxe qui existe entre des pratiques sexuelles de plus en plus décomplexées et une absence très marquée d’épanouissement personnel au sein de cette sexualité pour la plupart des femmes. D’après l’enquête, menée par des sociologues et autres spécialistes, la diffusion de plus en plus accessible du porno grâce à internet tient lieu d’éducation sexuelle à la place d’une information constructive et réaliste. Or, révèle l’article, le porno diffuse essentiellement des images de fantasmes masculins auxquels on sacrifie la femme, dont le plaisir, dans ces films, consiste à satisfaire l’homme.
C’est une vieille histoire, un vieux mythe inventé par les Grecs et les Romains et qui se diffuse toujours : le mythe de la virilité. Ce mythe est très simple. Et dans les relations sexuelles, il permet depuis l’Antiquité de dominer hommes et femmes, et a même le pouvoir de changer l’homosexualité en hétérosexualité grâce à cette formule magique : l’homme viril, c’est celui qui prend, pas celui qui est pris. Celui qui est pris, homme ou femme, est une femme ! Dans cette configuration, il n’y a de plaisir que pour une seule personne, celui qui prend plutôt que celui qui donne, celui qui, en dominateur, tyran et conquérant, le vole à l’autre.
A l’ère des discours sur l’égalité et la parité – qui ne sont bien souvent que des discours comme le traitement des femmes en politique le montre bien – comment ne pas être surpris par le maintien de ces comportements ? Mais surtout, comment s’étonner que les femmes prennent peu de plaisir dans leur sexualité à deux si ce qui paraît le représenter le supprime, le dégrade et le falsifie ?
En même temps que le Héros viril subtilise son propre plaisir qu’il vient voler sur le corps de l’autre, il dérobe également celui de l’autre, qu’il verrouille et détruit…Et effectivement, quelle femme n’a vécu ça au moins une fois ?
Pourtant, la lointaine littérature elle-même reconnaît le haut pouvoir orgasmique féminin. Dans la mythologie, le personnage de Tirésias, le devin, est devenu femme pendant plusieurs années pour avoir frappé deux serpents accouplés. Retrouvant les mêmes serpents, il les frappa de nouveau et redevint homme, ce qui faisait de lui le seul être à avoir vécu simultanément dans le corps d’un homme et d’une femme. Zeus et Héra se disputant pour savoir lequel de l’homme ou de la femme avait le plus de plaisir, ils décidèrent logiquement de consulter Tirésias : » Tirésias répondit que de dix-neuf parties qui composaient le plaisir amoureux, la femme en éprouvait dix, et l’homme seulement neuf. » Appolodore, Bibliothèque. Livre III. Chez d’autres auteurs de cette époque, on lit la même histoire, les parties pouvant même aller de dix pour la femme à un pour l’homme.
Des fables, tout ça ! Bien sûr, mais seule la femme, effectivement, connaît de multiples orgasmes. De multiples orgasmes pour un être qui, semble-t-il, et peut-être culturellement autant que physiologiquement, le connaît en réalité si rarement…Etrange, non ? Ce pouvoir féminin, mis en scène au Moyen-Age, notamment dans la Farce du Cuvier, où une femme exige de son mari un minimum de 6 relations sexuelles par jour, est un tabou, une frayeur qu’on exhibe pour mieux le brider en en soulignant le caractère monstrueux, animal, diabolique même.
Car un être qui peut autant connaître le plaisir ne va-t-il pas tout faire pour l’éprouver, au risque de commettre l’adultère, déposséder les véritables héritiers de leurs droits en mettant à leur place des bâtards nés de son pêché, menaçant l’Eglise et la société tout entière ? Cette crainte prend corps dans la figure légendaire, paradoxale et jadis effrayante de la Papesse Jeanne qui aurait caché son sexe féminin pour accéder à la papauté et qui révéla son imposture en accouchant en public lors d’une messe à laquelle elle présidait. C’est ce personnage légendaire qu’on retrouve dans le jeu de tarot. Elle représente le désir de connaissance mais aussi le savoir caché, la puissance féminine secrète, cette puissance à laquelle a peut-être eu accès Tirésias.
Et pour trouver la voie de ce plaisir, comment faire ?
Comme Michelet disait qu’il avait les deux sexes de l’esprit, le plaisir, passant aussi beaucoup par l’esprit qui lui, n’a de sexe que si on y croit, est une sensation individuelle qui s’éprouve individuellement en le recherchant activement le plus souvent, qu’on soit homme ou femme. Et si plus de femmes parviennent à le trouver seule qu’elles ne l’ont trouvé à deux, il n’y a pas de mystère, c’est que rien ne les inhibait pour aller le chercher ! Quand l’homme trouve son plaisir dans le corps de l’autre, c’est qu’il va activement le trouver, il n’attend pas qu’on le lui donne ou le lui révèle. Mais évidemment, culturellement, il y a droit depuis longtemps ! Et bien, on ne vous l’a peut-être pas dit, et surtout, vous ne l’avez pas vu dans les films, mais pour la femme, c’est pareil ! Et s’il y a bien une égalité entre hommes et femmes, c’est bien sur ce point-là. Et ça n’a rien d’égoïste. L’homme sait s’occuper de son propre plaisir, il est temps que la femme s’autorise la même chose.
Le plaisir à deux consiste donc, et c’est peut-être cela qui est paradoxal, à être à la fois le voleur et le volé, l’homme viril qui prend son plaisir, selon le mythe de la virilité qui gouverne encore nos moeurs, et la femme passive qui permet à l’autre de prendre son plaisir, et ce quel que soit notre sexe, à l’image de ces mystérieuses divinités mi-homme mi-femme.
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Je trouve que ton texte est très approprié par rapport à notre époque , on est je trouve un peu à une époque charnière.
Nous sommes sensés être à la fois à une époque très libérée, avec des mœurs divers et variées, mais à la fois encore assez pris par nos carcans imposées par la société et la religion.
Autant le plaisir solitaire masculin est une chose « commune » et finalement entrée dans les mœurs et finalement entrée dans les mœurs aujourd’hui qu’un jeune garçon se masturbe et connait donc un peu plus son corps et ce qui lui fait plaisir ( en théorie du moins ) . Il n’en est pas de même pour les femmes je trouve, cette recherche du plaisir et de la connaissance de son corps reste très tabou dans le cercle intime. Cette position du dominant / dominé était certes très présente dans la culture greco-romaine, elle a encore ses influences aujourd’hui, alors que d’autres arrivent à dépasser ce stade et explorer des formes de sexualités très libres et ouvertes à type personnel, cela choque encore une majorité de la population. Il n’y à qu’a voir les couvertures des magazines de la presse féminine et masculine , les sujets « sexe » font encore beaucoup vendre .
Sur ton analyse de l’approche de la sexualité et du porno je suis d’accord avec ton approche mais en précision c’est la où je trouve qu’il y a eu justement une transition trop importante car on est passé d’une génération qui n’avait aucune éducation sexuelle , si ce n’est les quelques magazines qui circulait sous le manteau de façon très « soft » ( et plus pour les hommes soyons francs) et on est passé aujourd’hui à la génération qui a accès à un ordi puis internet ou finalement tout est disponible à portée de clic. Mais non plus pas plus d’encadrement la dessus ( et quand je parle encadrement ce n’est pas dans le sens « restrictif » mais bien accompagnatif, ou guide, afin de te donner les bases du comportement à avoir , je ne crois pas que l’on demande aux parents qui sont la pour éduquer normalement d’enseigner les positions du kamasutra à leurs enfants, mais d’avoir une approche sur le sujet avec leurs enfants car à mon sens c’est leur rôle de le faire et non pas à l’école ni à internet de le faire non plus.)
Quand à cette notion de plaisir elle est plus que de rigueur aujourd’hui on n’est plus dans un schéma ou la femme doit « subir » les assauts de son compagnon pour avoir du plaisir, aujourd’hui les choses changent ( déjà on insiste plus sur le fait que c’est vraiment une relation à deux et pas dans un seul sens , ce n’est pas que pour faire plaisir aux hommes) , de plus je pense qu’afin d’être épanoui dans une relation sexuelle il faut un peu se connaitre et savoir ce qui nous fait plaisir, sinon il n’est pas évident d’y arriver avec l’autre. ( enfin c’est mon point de vue).
Dernier point non des moindres ( oui j’en ai déjà pas mal dit , mais j’en profite sur nos échanges sur les super idées que tu mets en avant et auxquelles j’adhère 😉 ) je fais partie de cette génération d’hommes ou parfois j’ai un peu de mal à me situer sur ma « place » , il faut d’un point de vue société garder mon image et attitude d’homme, selon d’autres aspects sociétales plus ouvrir les aspects « féminins » de ma personnalité ( j’ai toujours du mal à comprendre le concept) et de plus si on suit certains médias, la relation entre deux personnes aujourd’hui semble plus un espèce de match de performance à savoir qui va jouir le plus et atteindre le plus de fois le 7ème ciel à chaque fois , en ayant suivi le schéma que tout le monde se doit de faire. Ça devient un peu compliqué à force, certains de mes comparses n’en ont rien à faire et continuent sur le schéma machiste de base, d’autres sont déboussolés et ne savent plus toujours sur quel pied danser, et d’autres n’en ont rien à faire. ( je pense avoir à peu près tout vu). Il est normal qu’après tant de siècles ou la relation amoureuse et sexuelle qui n’était vue que du point de vue du plaisir et de la domination masculine les choses changent et évoluent, mais je trouve qu’on est dans une phase un peu floue actuellement (ce n’est peut être que moi) .
Une des illustrations assez « tendance » de ces dernières années sont les influences médiatiques que ce soit par exemple la série » Sex and the City » ou dernièrement les livres ou film 50 nuances de Grey, que l’on aime ou pas , les schémas classiques sexuels ont changé ou évolué, et finalement on peut voir que chacun peut avoir son rythme et son propre schéma pour son épanouissement et plaisir personnel. Du moment que c’est consenti et voulu à deux de nos jours cela me semble important, mais ce coté « challenge » mis en permanence en avant me soucie un peu .
Bref .
Bel article et très bon point de vue 🙂 que je vais me permettre de partager si tu le veux bien sur mon blog aussi.
Bigre ! Ce commentaire est digne du Talmud ! Effectivement, on est passé d’une époque où il n’y avait rien en matière d’éducation sexuelle à une époque où, en guise d’éducation sexuelle, il y a eu un accès nocif aux films porno qui, oui, demandent un accompagnement. Mais en même temps, être à côté de ton fils pendant qu’il regarde les images et que vu ce que ça lui fait, il aimerait être tranquille, ça va être délicat…Néanmoins, c’est vrai, et c’est peut-être parce que mes parents m’ont acheté un livre d’éducation sexuelle avec photos et m’ont laissée seule avec, quand ils ont senti que c’était le moment, que je peux aujourd’hui en parler de cette manière-là. La solution serait d’abord de montrer ça à un jeune avant toute autre chose, mais l’accès à internet est si facile…
Le monde change, c’est vrai, pour les hommes aussi qui doivent prendre leurs marques, et effectivement, j’avais lu le témoignage des uns et des autres et tout est devenu compliqué : pour l’une, si tu ne paies pas le restaurant, tu peux passer pour un goujat, si tu le paies, tu peux passer pour un dominateur ou un type qui veut écraser l’autre avec son argent, alors que tu as juste envie de payer le resto et que ça te fait plaisir ! Bref, dans un monde où tu as accès à tout, tu crées ta culture et tes valeurs dans ton coin et plus personne ne se comprend car personne n’a les mêmes codes du savoir être amoureux. Fatalement, le « comment être un homme ou une femme » se complique également.
Quant à Sex and the City, je n’y ai jamais vu qu’une fine analyse sociologique de la sexualité et des relations en zone urbaine de type cosmopolite comme New York. La particularité de cette ville est que les femmes célibataires y sont plus nombreuses que les hommes, donc, cela complique les choses et durcit les rapports. Dans un monde de consommation, les relations se voient aussi plus facilement en termes d’offre et de demande. Dans une Nounou d’Enfer, on a les mêmes représentations sans le sexe, et là aussi cela se passe à New-York. Je ne pense pas que ces séries aient voulu s’ériger en modèle mais plutôt en miroir de la société. Les nuances de Grey, en revanche, ont pour vocation d’être du porno pour femmes, dans l’intention, déjà, c’est différent. Pour le coup, cela impose bien une image de ce qu’est le plaisir sexuel. Et bon courage si tu es une femme qui ne te retrouves pas là-dedans ! Et bon courage aussi si tu t’y retrouves !
Tout cela mérite un autre Talmud, tiens ! Merci beaucoup en tous cas.
je suis d’accord avec toi sur le fait que les séries tv tel Sex & the City ou 50 shades sont le reflet de la vie cosmpolite à new York , mais le point positif de ces shows à l’américaine c’est qu’elles osent enfin parler ouvertement à un grand public de certaines libertés de comportement qui pourraient choquer ( quoi que j’ai du mal à croire que le puritain regarde ces séries films ou livre ou alors pas ouvertement 🙂 ) ce que cela a un peu changé c’est que l’on voit différemment les pratiques sexuelles, en somme , personnellement si certains pratiques le S/M , le bondage, l’échangisme ou autre , ça ne me choque pas car cela relève de leur sphère intime et du moment que c’est quelque chose qu’ils partagent et ou ils y retrouvent leur plaisir cela les regarde.
Je suis aussi d’accord sur ta vue sur la série « Une Nounou d’enfer » qui d’ailleurs tenait fortement sur la « tension sexuelle » qui existait entre la nounou et le père de famille dans la série. ça faisait tenir la série 🙂
Sinon pour finir sur l’éducation des enfants je ne suis pas pour suivre en fin limier et collé derrière mon fils ce qu’il va voir sur internet, par contre discuter ensemble de l’approche que ça représente, des schémas qui sont présentés sur ces sites à la différence des relations dans la vraie vie et avoir ce genre de discussion cela me semble logique, c’est peut être aussi parceque j’ai eu de la chance d’avoir des parents qui ont eu cette approche que ça me parait plus évident de la reproduire . Je n’irais pas jusqu’à faire ce que j’ai pu voir dans certains cercles aux US, ou le gamin se récupère les vieux exemplaires de Playboy que son père planque dans une vieille malle du grenier, heu non … pas vraiment dans cet esprit. 🙂
On continuera nos discussions sur ton prochain billet, sur ce , bonne journée 🙂
A reblogué ceci sur Pimpf : Drifting somewhere…et a ajouté:
Blog à suivre, et très bonne approche du sujet que je vous recommande.