superficialité

N°100 : Aphroditologie

Pour ce centième article qui tombe à peu près en même temps que les 2 ans du blog – même si je suis du genre à penser que ça n’est qu’un blog et qu’en somme, ça n’intéressera pas grand monde – j’ai décidé de vous raconter l’origine d’Echodecythere et du lien que j’entretiens avec Aphrodite. Soyons fous, c’est parti, c’est le numéro 100 ! Merci de continuer à me lire après tout ce temps car dans la jungle des médias et de l’offre proposée, c’est dur de s’intéresser de façon constante à quelque chose créé par une seule personne, surtout si elle est un peu sauvage comme je le suis.

Donc, il y a deux ans, je décide de faire un blog sur Aphrodite dont chaque article, sauf exception, sera illustré par une photo de la déesse, le plus souvent sous la forme de la Vénus de Milo dont j’ai acheté une statuette dans une boutique pour touristes du quartier Saint-Michel. Tout est clair dans ma tête. Je n’ai qu’à commencer.

Tout cela est presque vrai. On va dire que c’est plutôt intuitivement clair, d’autant plus qu’à cette époque, j’ignore ce que c’est que de tenir un blog. Cette histoire t’intéresse ? Viens, lecteur, pour la première fois, je ne fais pas d’analyse, je ne vais pas chercher dans les livres anciens, les grimoires de magie, je ne vais pas interroger le sens d’une oeuvre d’art, je sors tout de moi-même, pour ce centième article, je te raconte une histoire.

Quelle histoire ? La mienne. J’ai horreur d’écrire sur moi pourtant, mais je trouve moi-même cette histoire si surprenante que je te la raconte.

C’est Noël et j’ai entre 12 et 13 ans. Je viens de recevoir un livre sur les mythes et légendes du monde entier adapté à mon âge. La plupart des histoires sont grecques et je les trouve passionnantes car je leur vois du sens et j’ai l’impression que je n’y suis pas habituée. En lettres, je suis la meilleure élève, et je suis une coquette. En lisant l’histoire du Jugement de Pâris, je rencontre Athéna, Héra et Aphrodite, et c’est là que j’ai le coup de foudre pour la déesse de l’Amour et de la beauté des anciens grecs. Je me mets à l’adorer et je n’arrive pas à comprendre comment l’Europe a pu renoncer aux anciens dieux qui me semblent bien plus intéressants que les grandes figures judéo-chrétiennes.

Dans ma vie, depuis toujours, les questions sur la beauté, la séduction, l’amour sont celles qui m’interpellent, m’interrogent, me passionnent sans relâche. Comme toutes les autres figures aphrodisiennes, les pin up, Marylin Monroe, Elisabeth Taylor, Cléopâtre me fascine également. Si tu connais bien ce blog, je suis sûre que tu n’es pas surpris de ce que je te raconte. Mais voici la suite.

Je suis à l’université, en licence de lettres. Un cours sur Homère me fait envie. Je sais que je vais y retrouver les anciens grecs. Je m’y inscris et je découvre l’Iliade et L’Odyssée et j’y retrouve surtout Aphrodite qui parle, bouge, agit, s’habille, joue des tours, exerce son pouvoir ! Je suis en adoration et je devine qu’il y a autre chose, qu’il y a plus à savoir à propos d’elle. Je rêve souvent que quelqu’un ait fait ce travail de compilation à propos de tout ce qui a pu se dire et se réfléchir sur Aphrodite, mais malheureusement ça n’existe pas. Le sujet aurait mauvaise réputation, serait jugé superficiel et de faible intérêt. Si on veut faire valoir son intelligence, on a plutôt intérêt à le faire à partir des codes de société masculins.

Retrouver cet univers m’a tellement enchantée que je m’inscris au cours suivant de ce professeur. Cette fois-ci, j’ose une synthèse sur Aphrodite et Hélène après que ce professeur a dit que malgré ce qu’on croyait, Aphrodite était la déesse de l’intelligence. Forcément, je vois un pont, je m’emballe. Je dois vite déchanter car contrairement à la première fois, je ne reçois pas une excellente note. « Superficiel », paraît-il. Oui, c’est l’adjectif en forme de préjugé qu’on applique toujours à mon intérêt pour l’amour, la beauté, la séduction, les cosmétiques, c’est-à-dire tout ce que j’aime au même titre que l’art, la littérature, la poésie, la réflexion.J’y ai encore droit aujourd’hui et pourtant, il s’était attaché à prouver le contraire. Je comprends que c’était un exercice de rhétorique avant toute chose. Dès que ça devient réel…Pourtant, je refuse de choisir car ce serait me trahir et j’assume de garder tous ces aspects de ma personnalité, que ça plaise ou non.

J’entame mon troisième cycle universitaire et j’apprends à faire de la recherche sans passer par les Grecs, sans passer par Aphrodite, avec un autre profond amoureux de la superficialité néanmoins. Aphrodite, de toutes façons, reste et restera toujours en moi. D’ailleurs, j’ai même acheté une statuette de la Vénus de Milo dans un magasin pour touristes du quartier Saint-Michel.

Bien des années plus tard, lorsque tout à fait par hasard, je conseille à quelqu’un de faire un blog, cette idée : « Et pourquoi pas moi ? » s’impose à mon esprit. Est-ce que ça te surprend, lecteur, si je te dis qu’immédiatement, je sais de quoi je vais parler et que la statuette que j’avais achetée à saint-Michel devient le fil conducteur de mes photos ? Tout vient naturellement, comme si ça m’attendait depuis toujours. et c’est seulement depuis peu de temps que je réalise : cette recherche sur Aphrodite, cette aphroditologie que je rêvais que quelqu’un fasse pour que j’y apprenne tout sur elle, c’est moi qui me la suis finalement apportée, persistant même avec mon second blog Le labo de Cléopâtre. J’ai travaillé à tous mes rêves de jeune fille et ça me donne tellement de joie que je suis bien sûre que ces projets te lasseront avant moi !

Et ça va peut-être te surprendre si tu n’as pas de sensibilité païenne, mais quand j’espère que tu es content de ce que tu as lu, j’espère toujours que la déesse aussi.FullSizeRender (97)

Famille de mes Vénus de Milo élargie au fil du temps pour Echodecythere. Ma première était la plus petite. A gauche, mon indispensable miroir grossissant, à droite, le parfum que j’ai créé à partir du cosmétique original de Cléopâtre.

Le labo de Cléopâtre : Cléopâtre et son célèbre bain au lait d’ânesse

 

Cet article et ces photos sont la propriété du site Echodecythere. Il est interdit de les reproduire sans l’autorisation de leur auteur.

Comment la Beauté est devenue une valeur négative

Bien que le marché de la Beauté soit un secteur qui ne connaisse pas la crise, il est communément admis que s’intéresser à tout ce qui relève de l’apparence est superficiel. En effet, dans la conscience collective, la coquetterie est toujours associée à l’égocentrisme et à l’ignorance induite par la trop grande préoccupation de soi qui empêche l’esprit de s’élever.

Ce paradoxe se trouve dans notre histoire, notre culture commune.

Dans le monde gréco-romain, la Beauté était une préoccupation constante. Les athlètes faisaient l’objet de cultes, pas seulement à cause de leur force physique mais aussi à cause de leur beauté. Aux abords des stades, on a ainsi trouvé maints graffitis évoquant la beauté des athlètes et l’amour qu’on leur portait. Les peintres de ces athlètes eux-mêmes, poussés peut-être par une forme de jalousie, se qualifiaient de beaux sur les poteries où leur nom restait aussi immortel que les corps nus qu’ils avaient peints. Les poètes également célébraient la Beauté des hommes et des femmes qu’ils aimaient, et l’Amour dont ils étaient la proie, sous l’impulsion d’Eros ou d’Aphrodite.

A cette époque, les athlètes concouraient nus, on massait leurs corps sublimes, on se pliait à la loi des dieux qui eux-mêmes se pliaient à la loi d’Aphrodite. On chantait la Beauté, l’Amour, le plaisir mais aussi le temps qui passe, qui ne laisse que cheveux blancs, corps décharnés et fatigués, Amour qui s’éloigne. Des préoccupations toujours actuelles et qui font de nous des consommateurs valorisés par la publicité mais malgré tout complexés et coupables, suspectés par ceux qui nous jugent, soit de superficialité soit de désir maladif de plaire.

Que s’est-il passé ?

Une révolution culturelle dont on ne mesure pas aujourd’hui l’importance tant elle date mais dont la littérature conserve les traces.

Depuis Homère et jusque vers le Vème siècle après JC, la poésie grecque est libre, volontiers érotique dans sa façon d’évoquer l’Amour et les plaisirs. Puis, le monde devenant progressivement chrétien, ces libertés commencent à être critiquées, puis condamnées. Palladas, poète qui assiste à la mort de la pensée païenne qu’il représente, témoigne dans ses vers de  ce changement de valeurs :

 » Sur un Eros de bronze devenu pöelle à frire

Un chaudronnier du bel Eros fit une pöelle : 

Soit ! Puisqu’Eros nous frit et qu’il fond notre moëlle. »

Traduction Marguerite Yourcenar dans La couronne et la Lyre. Poésie Gallimard

Plus tard, les poètes grecs devenus chrétiens, imiteront les Anciens avant de se taire, remplacés par les théologiens, toute autre littérature que religieuse disparaissant jusqu’aux environs du XIII ème siècle.

Chez les Grecs, on passait d’Artémis ( jeune vierge), à Aphrodite ( amoureuse qui découvre la sexualité ), puis seulement après cela à Héra ( femme mariée, matrone). La culture juive, dont la chrétienne est d’abord issue, fait passer la femme directement d’Artémis à Héra, et les seules femmes accomplies sont les mères, les femmes courageuses et surtout fidèles à leur communauté. La culture chrétienne y ajoutera les repenties et les saintes, excluant toute notion de beauté si ce n’est morale.

Dans le monde occidental, on est passé d’une vision positive – qui n’excluait néanmoins pas la violence – à une vision négative de la Beauté, valeur qu’on vend, ruine et exploite mais qu’on ne respecte pas parce qu’elle est accusée de rendre les hommes fous. Et on considère que celles qui s’en préoccupent sont des damnées, peu préoccupées de leur âme.

La Beauté est devenue une menace qu’il faut cacher ou détruire. A un moment de notre histoire, les procès de sorcellerie s’en chargeront.

Qu’en est-il de notre monde ?

Il est l’héritier de ce paradoxe. Les valeurs chrétiennes sont restées son socle idéologique car actives depuis 2000 ans. Mais en même temps, comme l’a montré Freud, les mythes antiques sont notre structure profonde, notre inconscient, la trame essentielle dont nous sommes faits. Et cette vérité n’a pas échappé à son neveu qui, grâce aux découvertes de Tonton, a élaboré l’étau qui nous maintiendra dans notre rôle de consommateur en exploitant les désirs de notre inconscient : le marketing.

Nous restons des êtres fondamentalement épris de Beauté, sinon, pourquoi aurions-nous besoin de mannequins, de belles personnes, de belles photos pour désirer un produit ?

Pour autant, la Beauté demeure une valeur plus essentielle que ce que la conscience collective accepte de lui reconnaître.

– La plupart des sociétés ont eu besoin d’une déesse pour la symboliser

– Elle est une préoccupation philosophique majeure depuis l’Antiquité

– Elle est au coeur du mystère insondable qu’est l’oeuvre d’art

– Elle conditionne la plupart des rapports sociaux de l’Amour à l’admiration en passant par le simple respect

– Elle génère richesse et emplois

– Elle favorise l’estime de soi…

La seule chose qu’on puisse reconnaître néanmoins, c’est qu’elle n’est pas, malgré la légende, à l’origine de la Guerre de Troie, qui était une vulgaire invasion dans un but économique. Mais sans l’évocation de la belle Hélène, ce raid trivial aurait-il pu se changer en épopée immortelle, première oeuvre littéraire de la culture occidentale ?

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