Avant d’être l’affaire des femmes, le maquillage est d’abord une spécificité d’êtres vivants en société, au milieu de groupes dont il a fallu se démarquer. Q’il soit corporel ou non, l’ornement tente de signaler extérieurement une exception intérieure, celle d’une richesse personnelle le plus souvent. Lorsqu’on est plus riche ou plus noble, quand quelque chose distingue un être des autres, on a le choix entre le montrer et le cacher.
D’une manière générale, le maquillage a pu revêtir un sens symbolique : peintures de guerre pour signaler son intention et effrayer son ennemi, ornements à l’occasion d’une fête rejouant un épisode mythologique. Il a pu aussi revêtir un sens pratique : le rouge à lèvres des prostituées annonçant leur spécialité, le khôl des égyptiens qui éloignait les maladies et les en protégeait.
Le maquillage est purement un produit de civilisation, et l’accueil qu’on lui fait est uniquement relatif à l’image qu’on s’en fait. Ainsi, comment le rouge à lèvres a-t-il pu passer d’un marqueur et accessoire de prostitution au symbole de la femme fatale de la plus haute sophistication ?
Le maquillage est logiquement porteur du paradoxe dont le féminin est porteur : à critiquer sur la femme ordinaire s’il est autre chose que discret, voire invisible, obligatoire sur l’icône, l’actrice, la femme d’exception considérées comme malade ou en crise si le fard est absent de leur visage ou insuffisamment criard.
De fait, à l’heure où les marques se multiplient pour attirer les clientes selon leurs valeurs ( maquillage bio, de prestigieuses marques de Haute Couture dont le seul nom suffit à faire rêver, de maquilleurs professionnels, etc.), le fait est que si les couleurs, les modèles proposés par des pros du cosmétique lui-même et conseils des maquilleurs se multiplient dans les pages de magazines, ces audaces ne se retrouvent pas sur les visages ordinaires. Ainsi, maintes femmes peuvent s’acheter ces objets du désir pour ne porter sur les paupières que du beige, du taupe et un gloss rose parce que « c’est discret ». On porte son maquillage tel qu’on se voit ou plutôt tel qu’on veut qu’on nous voie, tout en se rêvant peut-être Elisabeth Taylor dans Cléopâtre…
Pour autant, au-delà de ces conditionnements de société qui marchandent les rêves et les désirs des femmes qui se briseront à la réalité de leur vie quotidienne, on peut dégager quelques grands axes symboliques et sacrés dans l’utilisation que les femmes ont fait du fard, spécialement chez celles qui s’estiment le droit de porter leur féminité de cette manière-là et de la crier haut et fort.
Le maquillage correcteur
Il concerne spécialement le teint. Fonds de teint, poudres, blush, anti-cernes gomment les imperfections. L’imperfection est en effet ce qui nous rapproche de la nature, de ce qui nous a fait sous des lois qui paraissent strictes mais qui sont, du point de vue de la civilisation, anarchiques : des yeux jamais vraiment symétriques, une bouche trop fine, trop ceci, trop cela. Les corrections nous rapprochent d’un idéal, d’un canon de société et donc d’une divinité.
Anti-cernes et blush gomment nos signes de fatigue et cette décoloration qui peut être interprétée comme maladive. Etre pleine de vie, en pleine santé, voilà ce qui est érotique ! Le désir est l’élan vital, l’élan vital concerne exclusivement le vivant.
Le maquillage correcteur joue l’équilibre serré entre Eros, l’aspect vivant et sauvage du désir, et Aphrodite, son aspect formel, normé, policé.
Le maquillage des yeux
Là aussi, il peut être correcteur. Il agrandit de petits yeux, par exemple, ou équilibre une paupière tombante. Il peut aussi s’accorder avec le vêtement ou la couleur des yeux, des cheveux, du teint pour faire une harmonie, et dans cas cas-là, les couleurs peuvent varier mais elles n’ont pas de signification. Reste le symbole fort, universel et plusieurs fois millénaire des yeux cerclés de khôl comme à l’époque égyptienne, associé à des reines de pouvoir qui font du noir autour des yeux le symbole de la femme puissante, avisée et sexuellement triomphante. En choisissant ce maquillage, la femme choisit de mettre en avant son mystère, sa force et son intelligence en intensifiant le regard, siège de la perception, de la compréhension mais aussi miroir de l’âme dans toutes les émotions qu’il révèle.
Le maquillage de la bouche
On peut retrouver cette action correctrice de tous les types de maquillage à quoi peuvent s’ajouter des effets de matière qui vont capter la lumière et donc créer des volumes ou donner une impression d’humidité et de brillance, notamment avec les divers brillants à lèvres, colorés ou non. C’est un maquillage aux effets plus sensuels. Se maquiller la bouche est d’ailleurs, d’un point de vue symbolique, mettre l’accent sur sa sensualité. Outre son origine sulfureuse liée à la prostitution, on peut remarquer que le maquillage des lèvres correspondrait à peindre en rouge pour qu’on la voie, une porte d’entrée du corps qui renvoie symboliquement aux autres lèvres, la porte du bas. Le maquillage des lèvres en rouge profond met ainsi en valeur non seulement la sensualité de la femme qui le porte, mais aussi sa force de vie, sa fécondité et surtout, la force d’en porter tout le sens sur le visage et de l’assumer pleinement.
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