Depuis le début de la civilisation, l’emploi de produits de beauté a toujours été préférablement dévolu aux femmes : à elles les poudres, les fards, les produits améliorant la souplesse, l’apparence de la peau, la couleur des cheveux. Egyptiennes, Grecques et Romaines sont connues dans l’Antiquité pour avoir utilisé les fards, et les musées conservent d’antiques fioles de khôl ou de mélangeurs de fards retrouvés dans des tombes de femmes.
Cette quasi-exclusivité d’un emploi de cosmétiques au féminin fait également partie de ce qui a semblé creuser l’écart culturel entre hommes et femmes. Platon, déjà, reprochait aux femmes leur usage des cosmétiques jugés hypocrites, pernicieux, étant donné qu’à cause d’eux, on ne sait pas véritablement à qui on a à faire. C’est également un de ces arguments qui justifie pour Socrate, la supériorité des amours entre hommes.
Pourtant, dans un monde où la femme n’a pas de libertés, dépend d’un père puis d’un mari, ne peut sortir seule, ne peut étudier ni travailler, quel recours peut-elle avoir d’autre que la séduction ?
Depuis, culturellement, et malgré les nombreux changements intervenus dans la société et les droits qui leur ont été accordés, la séduction est du côté des femmes. Et pour que cette séduction ait plus de chances d’être durable, l’emploi de cosmétiques est judicieux. Judicieux mais ambivalent. De fait, même aujourd’hui, l’emploi des cosmétiques par les femmes fait toujours l’objet de méfiance souvent au sein même du couple ou des familles, même si cette méfiance s’avère plus marquée pour le maquillage dont les conséquences sont plus visibles.
Les raisons de cette méfiance, souvent inconscientes, peuvent avoir des origines très anciennes dans notre histoire culturelle et parfois très surprenantes :
– L’emploi des crèmes, fards et autres cosmétiques nécessitent des produits qui paraissent étranges, inconnus pour celui qui ignore tout de leur usage. L’ensemble de ces cosmétiques, conservés dans des flacons et pots sous forme de lotions, crèmes, pommades aux différentes textures, couleurs et parfums évoquent les substances employées par les sorcières dans l’imaginaire collectif. L’impression est renforcée par le fait que si l’homme n’y comprend rien, la femme semble en maîtriser tous les secrets sans être forcément passée par une formation pour cela. Cela donne alors le sentiment que la femme possède une science mystérieuse et se dessine alors inconsciemment la figure ancienne de la magicienne. Sans compter qu’autrefois, les cosmétiques employaient des substances toxiques aux effets très nocifs, comme le plomb de la céruse, qui, sous forme de poudre, blanchissait la peau en même temps qu’elle la détruisait et atteignait les organes. Le doute quant à l’innocuité des substances employées continue d’ailleurs toujours de planer sur les produits cosmétiques.
– Comme les arts magiques, la préparation qui permet de changer une femme ordinaire en une star de cinéma se fait dans le plus grand secret que semblent vouloir percer tous ceux qui consultent les photos des stars avec et sans maquillage. Chacun des gestes de la femme, entre le moment où elle s’apprête à se faire belle et le moment où elle se dévoile semble relever du mystère de Mélusine que son mari ne devait pas voir le samedi, jour où elle retrouvait sa queue de serpent. Chaque femme qui s’enferme pour se faire belle a quelque chose de la fée qui déploie son art secret d’enchanteresse. Et la transformation physique intervenue, d’autant plus discrète qu’elle a été tenue secrète, apparaît comme sans cause, relevant du mystère ou d’un sort.
– Bien avant ça, cependant, aux yeux de beaucoup de religieux de toutes confessions, la femme qui emploie des cosmétiques a quelque chose de démoniaque en ce qu’elle ne se satisfait pas de l’apparence que Dieu lui a donnée en tentant de l’améliorer. Son acte, par le simple fait de mettre des crèmes et du maquillage pour être plus belle, fut et peut encore être interprété comme un acte de rébellion envers les choix de Dieu qui l’ont faite comme elle est. Qui n’a d’ailleurs jamais vu de femmes de milieu très religieux aller au-delà du refus de maquillage et s’abstenir même des simples soins élémentaires de la peau ?
– Enfin, celle qui emploie des cosmétiques en vue d’améliorer son apparence risque de le faire dans le but de séduire. Or, la séduction a longtemps été considérée comme une caractéristique du Diable dans le but de détourner de Dieu. Et de fait, dans la séduction comme dans la beauté féminine, ce qui est suspect est la cause qu’on lui attribue. Pour les théologiens d’autrefois, le fait que la femme soit plus belle que l’homme n’est pas due à la nature ou à la volonté de Dieu mais à sa volonté de nuire. « Qu’est-ce que la femme ? C’est un lacet formé avec un artifice admirable pour prendre les hommes; un piège toujours tendu, une Circé qui ne s’occupe qu’à préparer divers poisons.« , dit l’abbé Drouet de Maupertuis, à la suite de Saint Diacre.
Si, en plus, au lieu d’être passive, c’est elle-même qui organise sa séduction au moyen de poudres, crèmes, fards et lotions, comment ne pas voir en elle, chez ceux qui la craignent ou la méconnaissent, l’ombre de ce qu’elle fut pendant si longtemps à leurs yeux : la sorcière, maîtresse de sa beauté et donc de son destin ?
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Merci pour cet excellent article ,il faut reconnaitre que dans la grêce ancienne l’usage des parfums était quasiment réservé aux prostitués (es)
C’est juste. Et ce, même au XIXÈME ème siécle encore. La vieille bourgeoisie catholique conserve ces valeurs qui stipulent que la séduction a quelque chose de honteux, de forcément sexuel. Or, paradoxalement, le parfum est aussi ce qu’on offrait préférablement aux dieux puisqu’ils s’en nourrissent…