Aphrodite androgyne et transgenre

C’est une chose étonnante et merveilleuse que de voir Conchita Wurst, gagnante du concours Eurovision de la chanson 2014. Un travesti barbu, on n’avait encore jamais vu ça ! Gagner l’Eurovision est une chose en soi pas très prometteuse en terme d’avenir et tout le monde se rappelle bien qu’hormis Abba, personne n’en a pu faire un tremplin. Avec la gagnante de cette année invitée au Parlement européen, félicitée par le chef du gouvernement du pays qu’elle représente, l’Eurovision peut paraître à nouveau dans le coup.

Pourtant, rien n’est plus faux. Le personnage de Conchita Wurst, créé de toutes pièces par Thomas Neuwirth, un chanteur autrichien qui ne parvenait pas à la célébrité avant l’invention de ce personnage, ne doit son succès qu’au hasard qui a fait d’elle celle qui était au bon endroit au bon moment.
En effet, comme l’explique le site du Nouvel Obs, pour un pays conservateur mais également entaché par des événements peu reluisants comme l’est l’Autriche, une représentante telle que Conchita Wurst donne enfin de ce pays une image résolument moderne. Et effectivement, l’Europe entière réagit au message du personnage qui interroge bien mieux notre identité dans l’image qu’elle renvoie que son créateur ne l’aurait fait par des propos qu’il aurait exprimé sans son déguisement.
Mais quel est le lien avec Aphrodite, se demande-t-on ?
Il exista à Chypre, dans l’Antiquité, plusieurs représentations d’Aphrodite conçue comme dieu et non comme déesse, considérée à la fois comme masculine et féminine, explique un article d’archéologues chypriotes Sophocles Sophocleous. Voici un extrait assez troublant :  » Aphrodite était considérée à la fois masculine et féminine, concept qui faisait d’elle une divinité androgyne. Ce caractère ambigu de la déesse fut ainsi représenté dans l’art, selon les mêmes auteurs.
Macrobe nous décrit une de ces effigies, où la déesse réunissait les attributs des deux sexes en prenant la stature d’un homme habillé en femme, pourvu d’une barbe et tenant un sceptre. »

Bien que l’article précise qu’il s’agit d’une caractéristique chypriote, la représentation d’une divinité comme androgyne se rencontre encore chez les hindous, où Shiva peut prendre l’aspect d’Ardhanaraisvara, dans lequel il est mi-homme, mi-femme. Cette moitié féminine de lui-même est celle de son épouse Paravatî, et la répartition homme-femme de la divinité se fait de façon latérale et non de haut en bas comme chez les chypriotes. Mais l’affirmation est la même.
La divinité primordiale est au-delà des répartitions sexuées car elle exprime l’intégralité de l’univers. Shiva, Aphrodite, le divin ne peuvent se laisser limiter par ces bornes. Fut un temps où l’Europe le savait. Puis le Christianisme est venu, héritier du judaïsme, et avec lui des règles claires :  » Une femme ne portera point un habillement d’homme, et un homme ne mettra point des vêtements de femme; car quiconque fait ces choses est en abomination à l’Eternel ton Dieu. » Deutéronome.
En effet, un monde dans lequel un homme est un homme, s’assume comme un homme, s’habille comme un homme, et de même pour une femme, est un monde rassurant sans les complications liées à l’identité sexuée, la façon de l’assumer au moral de façon personnelle sous les noms et actes des travestis, transexuels, transgenres, et à la manière d’en user avec autrui dans ce qu’on appelle l’orientation sexuelle, devenue elle aussi génératrice de conflits toujours d’actualité. Pourtant, ce ne serait pas un monde conforme à la diversité et la beauté du vivant qui montre des aspects plus surprenants au travers d’une seule ou plusieurs espèces, animaux monogames, hermaphrodites, mâles qui portent les petits dans leur ventre, etc.
Et Conhita Wurst, dans tout ça ?
Etant donné que c’est un personnage inventé dont on connaît plus la barbe que les chansons, qu’à l’heure du buzz, il vaut mieux faire parler de soi en mal que de ne pas faire parler du tout, que ce personnage est plus célèbre que son créateur et que chacun s’empare de lui politiquement au gré de ses besoins, il est légitime d’éprouver à son égard une certaine méfiance, le choix du nom  » saucisse » n’aidant pas non plus.
D’un autre côté, lorsqu’on connaît l’Aphrodite androgyne, on ne peut que s’émerveiller de voir renaître de ses cendres une figure européenne dont la modernité se compte en réalité en millénaires…

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