Rondeurs, féminité et symbolisme

Pour parler du corps de la femme, on va souvent parler de rondeurs, à double sens. Le premier désigne les spécificités du corps féminin, plus en courbes que celui de l’homme, le second désigne des femmes dont la silhouette épaisse par rapport à la norme sociale accentue ces formes. Par un bel euphémisme, on glisse doucement de l’un à l’autre sans paraître offenser, en laissant croire, par ce glissement, que le corps plus rond est le propre du féminin, ce qui est malgré tout juste d’un certain point de vue.

En effet, si c’est juste du point de vue physiologique à cause des hormones et des grossesses que peuvent subir les femmes au cours de leur vie, ce n’est pas juste dans l’image donnée par les médias de ce qu’est un beau corps féminin dans notre société et à laquelle nous adhérons parfois malgré nous.
Le corps qui est beau est le corps qui est mince, voire très mince. Les rondeurs, elles, ne sont acceptées que depuis quelques années car on s’est rendu compte qu’elles constituaient une force économique. Un article du magazine ELLE révélait il y a quelques années que 80 % des femmes taillaient au minimum 40 tandis que les magazines représentent une image inverse, avec peut-être moins de 20 % de femmes taillant à partir de 40 sur les photographies.
Pourquoi un tel désaveu ?
Si à certaines époques et dans certains endroits du globe, les femmes bien en chair ont été appréciées, ce n’est pas le cas dans notre société.
Le corps des femmes, support de fantasmes, de peurs et d’idéaux est le plus aliéné des deux sexes dans une société patriarcale car c’est lui qui est vu comme un objet de convoitise. Selon s’il est gras ou mince, il signifie différentes choses et manifeste une tendance de toute la société.
Ainsi, si au Moyen-Age le corps fluet témoignait d’un plus grand attachement aux plaisirs célestes qu’aux plaisirs terrestres, la Renaissance célébrait la vie et ses plaisirs à travers la représentation de corps gras et puissants comme les femmes de Rubens ou le Christ athlétique de Michel-Ange dans la Chapelle Sixtine. Mais après plusieurs famines et la Peste Noire pour décimer l’Europe, comment valoriser les corps maigres rappelant ces heures noires ? En opposition avec l’Eglise qui s’était montrée impuissante contre ces fléaux, la Renaissance fit le choix des plaisirs terrestres.
Et maintenant ?
Maintenant, le problème est inversé. Si après la Seconde Guerre Mondiale, le cinéma représente des femmes rondes parce que les années de guerre et de privations avaient donné, comme à la Renaissance, du goût pour l’opulence jusque dans les silhouettes, la société d’abondance, par un mouvement de balancier inverse, génère le goût contraire.
Ainsi, dans notre société, céder à la tentation de ce qui est disponible facilement est le propre de ceux qui ne savent pas se contrôler, se maîtriser, pense-t-on. Dans la majorité des cas, ces gens-là, on les appelle les pauvres – même si la réalité d’un surpoids dépasse la fiction sociale qu’on veut plaquer sur lui. Les élites urbaines savent conserver la ligne, la forme, par l’argent qu’elles peuvent mettre dans les régimes des stars d’Hollywood, les nouveaux sports en vogue à New-York, les soins esthétiques, et surtout, le triomphe de leur volonté.
En sachant rester mince à tout prix, on se montre compétitif, élitiste, adapté, quitte à ne pouvoir partager un repas entre amis parce qu’on suit un régime spécial. Il y a souvent un lien très net entre minceur très contrôlée et haut niveau social, et c’est d’autant plus vrai en vieillissant où le métabolisme n’aidant plus, rester mince demande un travail et des efforts constants qui s’opposent au laisser-aller des classes sociales plus basses.
Le laisser-aller, c’est justement celui dont on a besoin pour atteindre l’orgasme. Contre cette idée de l’hyper-contrôle, il y a cette contre valeur de l’abandon, de la lascivité qu’incarne la femme qui a des formes et qui, comme à la Renaissance, semble avoir choisi les plaisirs de la vie dans une existence où prime l’hédonisme plutôt que l’ascension sociale, et ce même si c’est faux et que la lutte contre le surpoids et la crédibilité au sein de son emploi sont au cœur de sa vie. Son corps doux, accueillant, évoque également les rondeurs maternelles, le moelleux d’une chair qui adoucit les angles des os saillants pour en protéger l’être aimé. Le corps d’une femme ronde est plus sexualisé : il faut mettre une fille très mince à moitié nue pour y trouver une paire de seins ou de fesses, sur le corps d’une femme ronde, on n’a pas besoin de chercher. Pour autant, il n’est pas vu dans sa beauté ou son côté charnel mais comme une difformité par rapport au corps mince ultra médiatisé et admiré.
Le problème de valoriser des silhouettes de femmes plutôt que l’intégralité des femmes est de créer chez les hommes une forme de schizophrénie sociale dans laquelle ils doivent choisir entre l’image qu’ils veulent donner d’eux-mêmes et la construction de leur bonheur personnel. La presse féminine a su le résumer ainsi :  » L’homme aime sortir avec une mince et rentrer avec une ronde. » Par ailleurs, si nous ne sommes habitués qu’à aimer un type de femmes qui n’est représenté qu’à 20 % dans la société, quelle place va-t-on faire aux 80 autres ?
En attendant, tous ceux qui subissent le phénomène sans le comprendre sont malheureux et bien que la société se mette peu à peu à changer pour les besoins du marché, désir d’ascension sociale et épanouissement personnel semblent ne faire bon ménage nulle part, et encore moins à travers le corps des femmes.

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