féminisme

Danse africaine : fesses, séduction et expression

Dans la culture africaine, les fesses ont un grand rôle à jouer, et la stéatopygie (grosses fesses) y est tellement appréciée que dans beaucoup de capitales africaines, un immense marché se développe autour des techniques de grossissement des fesses, inoffensives ou dangereuses.

Mettre en valeur ses fesses, les montrer, les mettre au centre du regard de l’autre et de sa propre beauté, c’est vraiment l’apanage des africaines. A tel point que lorsque certaines stars américaines d’origine afro-américaine ou non font le show avec des danses lascives mettant en scène leur postérieur, celles-ci ne sont pas du tout impressionnées :  » C’est du leumbeul ! », s’écrient-elles.

Le leumbeul, c’est la version érotisée d’une pratique culturelle essentiellement féminine qui a surtout lieu au Sénégal : le sabar. Le sabar, c’est tout à la fois un style de musique, une danse, l’ensemble des percussions nécessaires à celles-ci, une fête traditionnelle et populaire. Mais c’est avant tout une pratique sociale organisée à l’initiative des femmes dans un pays où ce sont les hommes qui font la loi.

Les femmes d’un même quartier ou d’une même communauté s’invitent à tour de rôle pour cet événement créé à l’instigation d’une seule, même si l’argent nécessaire vient d’une caisse commune. Dans cette fête qui dure près de 4 heures, les musiciens jouent tandis que les femmes dansent souvent à tour de rôle au centre d’un cercle formé par les danseuses et les autres spectateurs.

En plus de jouer un grand rôle social dans le sens de la cohésion, le sabar peut également avoir une fonction thérapeutique qu’il a toujours eue traditionnellement, notamment dans la lutte contre la dépression.

Et les fesses dans tout ça ?

Si le sabar en tant que danse sollicite fortement les jambes, il sollicite nécessairement les fesses, muscles nés dans leur prolongement lors de la bipédie. Chez la femme, les fesses sont généralement plus grasses que chez l’homme, les remuer lors de la danse accentue cette différence, manifestant alors la spécificité féminine.

Car justement, de façon plus profonde, le sabar est une danse de l’expression de la féminité et, dans un monde où la séparation entre les sexes est si marquée, de la différence. Les spécialistes l’expliquent d’ailleurs : dans des cultures où l’inégalité entre les sexes est si grande puisque la polygamie y est fréquente, génératrice d’insécurité chez les femmes, le sabar est un espace de liberté au coeur duquel la femme règne.

Quant au leumbeul, c’est la version hyper-sexualisée du sabar qui fait même l’objet d’une interdiction depuis 2001 tant la récupération à la limite de la pornographie est facile, en témoignent les video qui circulent et donnent en effet une image très sexuelle du sabar un peu éloigné de son aspect traditionnel. En même temps, une société dans laquelle on pratique la polygamie n’implique pas seulement des situations où une épouse doit partager son mari avec une autre, mais aussi où elle risque de voir n’importe quelle femme venir rejoindre le domicile conjugal dès lors qu’elle aura tapé dans l’oeil de son époux.

Dans ce climat sensuellement et sexuellement très concurrentiel, la danse se transforme alors en battle, démonstrations de puissances érotiques et sexuelles mises en scène publiquement lors d’un sabar quand il se déroule de jour ou d’un tannebeer lorsqu’il a cours de nuit. Ces mises en scène engagent naturellement le postérieur qu’on apprécie gras, généreux autant que tonique.

Et progressivement, ce que les femmes ont vécu comme une contrainte en plus d’une nécessité s’est transformé en une culture unique dans laquelle on ne sait pas très bien ce qu’elles manifestent dans leur danse : leur jalousie, leur pouvoir sexuel à l’adresse des hommes ou des autres femmes, leur beauté personnelle, leur liberté d’expression même s’il reste réservé au sabar ou tout simplement la puissance féminine en soi.

Les mêmes armes, rien de moins, sont employées par les stars américaines au premier rang desquelles Beyoncé, dont le déhanché, le postérieur insolent, l’image hyper-sexualisée et féminisée se conjugue pourtant avec le féminisme nourri des idées et des textes de l’auteure nigériane Chimamanda Ngozi Adichie.

Un hasard  ?

Rien n’est moins sûr…

Un très bon article des cahiers d’ethnomusicologie sur le sabar : http://ethnomusicologie.revues.org/294

(Photo à la une : GuYom pour http://scenesdunord.fr/ lors du Grand sabar Takoussane du 21/05/2009 à Lille.)

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Seins et symbolisme

Spécificité du corps féminin, caractère sexuel secondaire qui, paradoxalement prend la première place par sa visibilité bien qu’il soit couvert, le sein, de toutes les manières qui lui sont possibles, occupe bien souvent l’espace principal du rapport homme-femme.

Les seins apparaissent chez la femme à la puberté, comme le reste des autres caractères sexuels secondaires, mais celui-ci, contrairement aux autres – les poils, qu’on peut épiler, les règles, qui ne se manifestent que 5 jours par mois – s’installe aussi bien dans la durée que dans la contrainte.

Car les seins paraissent libres, poussant comme ils le veulent, en taille, en forme, apparaissent selon des lois génétiques et hormonales se déclarant soudainement et évoluant selon des changements hormonaux ou relatifs à d’autres causes pas toujours identifiables et qui peuvent laisser perplexes. En bref, ils semblent mener leur propre vie sur le corps de la femme, comme ces parasites qui colonisent d’autres espèces pour pouvoir vivre, occasionnant parfois des gênes, des douleurs, et, parce qu’ils sont également une zone érogène, le plaisir et l’excitation.

Ils sont si contraignants, si envahissants, si puissants qu’ils exigent même un appareillage, un vêtement, qui leur est réservé pour pouvoir les dresser, les sangler et les contraindre à plus d’obéissance et de discrétion !

Mais ce ne sont pas les seuls problèmes qu’ils génèrent, car apparaissant à un âge où les idées de séduction, de désir et d’identité, commencent à émerger, ils ont le pouvoir d’occasionner bien des complexes selon qu’une jeune fille se voit dotée bien malgré elle d’une poitrine conforme à ce que les autres désirent ou non. Trop petite, on se moquera d’elle, trop grosse, on se moquera également d’elle et elle attirera bien souvent des comportements grossiers d’une violence d’autant moins certaine qu’elle se prétendra souvent involontaire. Un sein frôlé, n’est-ce pas un petit plaisir que certains s’offrent hypocritement, à peu de frais, se retranchant derrière l’accident ?

Ainsi, en plus d’être des parasites, les seins sont les éclaireurs à  l’avant-poste de la vie sexuelle, laissant deviner sa part violente et pulsionnelle qu’il faudra cerner et maîtriser avant de pouvoir la vivre sereinement. Car les seins, de par leur position comme de leur fonction initiale destinée à nourrir l’être à qui on a donné la vie, nous projettent hors de nous-mêmes, dans cette arène désirante que constitue le monde.

Et dans ce monde d’hommes où la femme est l’objet du désir, les seins ont la première place, créant des inégalités entre celles qui en ont et celles qui n’en ont pas, celles qui en ont de gros, celles qui en ont de petits, celles qui sont inhibées, celles qui ne le sont pas, tournant la roue du destin dans un sens inattendu, révélant à certaines leur pouvoir, à d’autres qu’elles n’en ont pas, et donnent l’idée aux plus ambitieuses et limitées à leur enveloppe physique, d’en acquérir de plus gros. Comment s’en étonner quand certaines publicités pour la lingerie, entre autres, cachant le visage du mannequin et se focalisant sur la poitrine pour une meilleure identification, symbolisent à merveille le rapport que la société entretient vis-à-vis des femmes, c’est-à-dire avec leur corps plutôt qu’avec leur esprit, ce corps muet sur lequel projeter tous ses désirs ?

Cette réduction, assez courante pour finir par devenir inaperçue est donc logiquement autant ce qui aliène la femme au désir que ce par quoi elle va pouvoir manifester son pouvoir, sa colère et sa contestation dans la langue où on a le plus envie de l’entendre, c’est-à-dire l’exposition de son corps. En mai 68, les femmes brûlaient leur soutien-gorge dans un rituel destiné à brûler également toute entrave faisant de la femme un être aliéné. Dans les années 70, une femme se promenait dans les rues de Paris, les seins enfermés dans une boîte, proposant à des hommes inconnus de les caresser, montrant combien le corps de la femme était un objet. Seuls nos seins vous intéressent ? Et bien, c’est désormais eux qui parleront, semblent dire au monde les Femen, féministes activistes dont les seins sont les pancartes sur lesquelles elles inscrivent leurs revendications.

Ainsi, les seins, lieu de notre faiblesse et de notre aliénation, savent aussi devenir lieu de notre pouvoir et de notre révolte.

Ce pouvoir, c’est aussi celui de participer à la nature quand une femme décide d’allaiter ou de revendiquer sa liberté quand elle choisit à l’inverse de ne pas le faire, mais aussi de le faire en public, comme la nature le lui permet et comme la société ne l’accepte plus. Car à force de les avoir érotisés, exposés dans un but d’excitation purement sexuel depuis que la Renaissance a adopté le point de vue hédoniste des Grecs de l’Antiquité, les seins dénudés ne signifient plus désormais, dans nos vies où ils sont à vendre, ce don de l’amour et de la vie offerts à un nouvel être tel que le Moyen-Age en avait l’habitude dans les représentations de Vierge à l’enfant.

Logique alors qu’ils soient le lieu de tous les paradoxes, clivages, oppositions et révoltes. Les seins sont donc les contestataires qui remplissent nos soutien-gorge, des bombes sociales qui ne se désamorcent que dans la maturité de la relation apaisée d’une femme avec elle-même, dans toutes ses dimensions physiques et spirituelles – qu’elle peut découvrir parfois à la suite d’une ablation – mais aussi avec le monde, quand celui-ci accepte qu’elle soit aussi autre chose qu’une belle femme : une belle personne.

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