culture culinaire

Recette aphrodisiaque portugaise

Dans son livre Cinq mille ans de cuisine aphrodisiaque, Pino Correnti, le restaurateur qui s’était fait une spécialité des recettes d’amour révèle cette curiosité : en 1953, à la veille de se marier, un voyage au Portugal parmi les étudiants de Coimbra décide du tournant de sa vie. Fin septembre, à la période de l’abattage des cochons, un banquet précédant le dépucelage d’un jeune homme y était organisé, même si ce repas aphrodisiaque, on l’imagine bien, ne lui ait pas été exclusivement destiné. Cette pratique aujourd’hui perdue exigeait dans la recette des baies de mandragore ( effectivement comestibles ) ou un bout de racine ( toxique et plus difficilement maniable ) qu’on pouvait se procurer au Maroc justement à cette époque-là de l’année.

La mandragore, plante magique de première importance qui a dominé l’imaginaire européen pendant des siècles, est comme beaucoup de plantes toxiques également médicinales, à condition d’en consommer la juste dose. Son emploi comme aphrodisiaque est déjà mentionné dans la Bible où les soeurs Rachel et Léa en donnent à Joseph. Dans son livre, qui date de 1992, Pino Correnti précise que seuls aujourd’hui savent se servir de la mandragore dans les philtres d’amour les guérisseurs du Maghreb et du Portugal. Mais près de 30 ans après, qu’en est-il ? Ayant pu vérifier l’information au Maroc, il se trouve qu’il est toujours possible et il est même courant de consommer de la mandragore en l’utilisant pour la cuisine. Néanmoins, il reconnaissait déjà à cette époque-là qu’au Portugal, peu se souvenaient encore de cette pratique, certainement tombée en désuétude.

Pour autant, la plante est effectivement rare car en voie d’extinction; par ailleurs, ayant perdu l’usage approprié et raisonné de cette plante dans notre culture, il serait dangereux de la manier sans la connaître, et ce d’autant plus qu’elle est mortelle et que sa dangerosité étant aussi affaire de sensibilité, il est difficile d’évaluer sans véritables connaissances la dose limite avant d’évidents problèmes de santé. Pino Correnti ayant pensé à ces cas, propose de remplacer les 3 grammes de mandragore par 25 grammes de gingembre.

Pour l’anecdote, c’est ce banquet des étudiants portugais dont la tradition s’est aujourd’hui perdue, qui a convaincu le restaurateur sicilien de se former à la cuisine aphrodisiaque à laquelle il consacra également son restaurant. Certainement parce que lorsqu’on goûte à une tel plat, il est difficile de contester les aspects historique, culturel, et mystérieux de la cuisine aphrodisiaque. Et la recette, la voilà :

Sarrabulgo de Coimbra

Pour la marinade :

  • 2 verres de vin rouge vieux
  • 25 grammes de gingembre
  • 3 gousses d’ail
  • 1 oignon
  • 1 poivron rouge ( piquant ou doux )

Pour le sarrabulgo

  • 600 grammes de filet de porc
  • 300 grammes de foie de porc
  • 100 grammes de saindoux
  • 1 verre de sang de porc frais
  • 300 grammes de riz
  • 1 petit bouquet de persil
  • 1 pincée de cannelle
  • 1 pincée de noix de muscade
  • Sel, poivre

Hachez l’ail, l’oignon et le poivron, râpez le gingembre. Taillez 2 fois 6 tranches dans le filet et le foie de porc. Faites mariner tous ces ingrédients dans le vin rouge pendant 45 minutes.

Ceci fait, retirez les tranches de viande et séchez-les sur du papier absorbant avant de les faire frire dans le saindoux et salez légèrement. Filtrer la marinade avant de l’ajouter. Baisser le feu et profitez-en pour hâcher le persil. Lorsque le liquide a largement réduit, ajoutez le sang de porc. Poursuivez la cuisson pendant que vous faites cuire le riz qui vous servira à présenter votre sarrabulgo en remuant de temps en temps. Laissez cuire jusqu’à ce que tous les ingrédients soient bien amalgamés.

Présentez votre sarrabulgo garni de persil hâché, cannelle et noix de muscade.

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Cuisine, amour et sensualité

Dans notre société de surabondance, les invitations à consommer, le succès des sites ou guides spécialisés dans la cuisine ou les restaurants jouxtent parallèlement des discours de plus en plus axés sur l’alimentation du point de vue de la santé que du point de vue du plaisir. A l’ère où l’obésité est devenue un phénomène d’ampleur internationale et bien que la restauration soit un des seuls secteurs qui ne connaisse pas la crise, éradiquer les mauvaises habitudes, traquer les mauvaises graisses, partir en quête de méthodes pour manger plus équilibré sont les comportements à adopter pour montrer qu’on est responsable, ou donner une apparence raisonnable à ses problèmes alimentaires tels que l’orthorexie, cette obsession contemporaine de manger le plus sainement possible sans prendre en considération les autres paramètres.

A force de vouloir protéger la population, le discours ambiant associe de moins en moins la cuisine et le fait de s’alimenter au plaisir mais de plus en plus à la santé ( prévention du surpoids, de l’obésité, des maladies cardio-vasculaires…), à la prudence, à la peur, même, et donc de plus en plus à un devoir. Se nourrir est une nécessité, le faire correctement est un chemin sur lequel doit s’engager toute personne responsable.

Et le plaisir dans tout ça ?

Les Grecs anciens qui se savaient mortels et qui n’avaient aucun espoir de contrôle sur cette réalité associaient bien souvent dans leurs poésies le festin, le vin et l’amour, le désir, Dionysos et Aphrodite, qu’ils entendaient bien célébrer tant qu’ils étaient vivants. Dans nos sociétés où la science a révélé que nous pouvions avoir un contrôle pas absolu mais non négligeable sur notre espérance de vie par le biais de notre alimentation, et où l’excès est devenu un risque plus grand que le manque, on associe de moins en moins les plaisirs de la table aux plaisirs de l’amour.

Et pourtant, dès notre naissance, la nourriture est associée au plaisir. Le contentement, le calme manifesté par le bébé qu’on a nourri se lisent sur son visage incapable de dissimulation. Dans toutes les sociétés, la nourriture est au coeur des coutumes religieuses où chaque fête est associée à des aliments traditionnels à partager : l’agneau de Pâques, le mouton de l’Aïd, les crêpes de la Chandeleur, les mets sucrés de Roch Hachana, le pain de Lughnasadh, la dinde de Thanksgiving, les sucreries de Divalî, etc…Il n’y a pas de fêtes traditionnelles sans nourriture car il n’y a pas de vie sans nourriture. Et lorsqu’elle est réalisée, cuisinée, travaillée, la nourriture est un don, un don de civilisation et de culture car chaque pays, chaque région, même, a la sienne.

La cuisine, c’est aussi un don d’amour. Cuisiner pour l’être qu’on aime, sa famille, ses enfants, passent pour les meilleures preuves d’amour. Car faire la cuisine pour quelqu’un, y prendre un soin et une attention méticuleux, hors d’un cadre où toute reconnaissance en est attendue, est le même geste que celui de la mère qui nourrit son enfant parce qu’elle l’aime et veut le voir grandir. Nourrir, c’est transmettre la vie, offrir une de ses conditions essentielles.

Mais la cuisine que l’on mange est aussi en lien avec la sexualité. Manger, c’est laisser quelque chose entrer dans son corps. Beaucoup de personnes pour qui le lien avec la sexualité est un problème pour maintes raisons souffrent de troubles alimentaires, principalement l’anorexie et la boulimie mais aussi des troubles plus complexes d’intolérances à certains aliments en lien avec leur histoire personnelle et symbolique relative à la sexualité.

Justement, dans une histoire d’amour naissant, une invitation à dîner sera une délicate introduction à la sensualité. Les premiers repas, partagés, ce sont des pré-préliminaires évoquant symboliquement d’autres plaisirs à venir par leur déploiement multi-sensoriel. Car un plat, c’est une odeur, un aspect visuel, des couleurs, des textures, un goût, enfin, un ensemble d’éléments qui pénètrent en soi. De ce fait, partager un repas, c’est aussi l’occasion de deviner les qualités et défauts d’un partenaire sexuel. Une obsession de la ligne pourra augurer d’une volonté de trop grand contrôle pour un abandon naturel et facile au plaisir, une goinfrerie annoncera souvent un manque de finesse et de sensibilité, une trop grande exigence sera généralement la marque d’un ego dominateur, etc. Toutes ces choses qui se manifestent à table se manifesteront souvent au lit…

En revanche, un des signes que la relation est en bonne voie est cette forme d’abandon à l’instant présent, au plaisir d’être avec l’autre, en goûtant ses plats et lui faisant goûter les siens dans un partage et une union qui laisse présager favorablement celle à venir entre les draps et dans la vie à deux.

Alors oui, il ne faut pas manger trop gras, trop sucré, trop salé, mais dans une assiette comme dans un lit, qui a envie de manger sans goût ? Pas Aphrodite, en tous cas…

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