S’il y a bien, dans l’anatomie, un élément exclusivement humain et dont la séduction n’est propre qu’à notre espèce, ce sont bien les fesses. Muscles développés essentiellement par l’effort considérable que réclame la bipédie, aucune autre espèce n’en est doté. L’intérêt que nous portons aux fesses est une chose qui ne relève donc pas de l’impératif de reproduction mais serait plutôt une caractéristique humaine, un trait de civilisation. D’ailleurs, les premières représentations impressionnantes de muscles postérieurs dans l’art nous viennent des débuts de la civilisation, avec les statues stéatopyges – aux grosses fesses – de la Préhistoire, toutes féminines. Dans l’Antiquité, par contre, il est plus courant de remarquer un magnifique fessier sur la statue d’un athlète ou d’un héros mythologique que sur celle d’une déesse même qualifiée de callipyge – aux belles fesses -. Là encore, le développement des muscles fessiers et leur beauté sont associés à des disciplines aux origines de la civilisation – et dont les femmes sont exclues à cette époque – : la philosophie et l’athlétisme au service d’un idéal de citoyenneté.
Spécifiquement humaines, les fesses jouent un rôle symbolique très fort dans notre imaginaire. Leur forme et leur emplacement en font une sorte de face inversée, une rondeur cachée placée dans le bas de notre dos quand notre visage constitue une rondeur visible au sommet de notre corps. Sorte de « face cachée », on a d’ailleurs souvent métaphoriquement qualifié les fesses de « lune », nom qui n’a pas été donné par hasard. Car les fesses, face cachée de notre être, en sont également la séduction dont nous n’avons pas conscience puisqu’elle se joue derrière notre dos. Beaucoup de films et de photos mettent d’ailleurs en scène une femme marchant tandis qu’un homme admire ses fesses sans qu’elle le sache, comme dans la scène mythique de Certains l’aiment chaud où Tony Curtis et Jack Lemmon, travestis en femmes, admirent les fesses de Marylin Monroe rejoignant le train à petit pas rapides.
L’opposition et le rapprochement entre « face » et « fesses » – qui en français ont la particularité intéressante d’avoir des sonorités proches – marquent une existence de femme toute sa vie durant. Lorsque la vieillesse commence à se faire sentir, Gabrielle Chanel recommandait : « Entre la face et les fesses, il faut choisir.« , signifiant qu’en vieillissant, on doit choisir entre avoir des fesses minces mais un visage ridé et de grosses fesses et un visage mieux préservé des ravages visibles du temps.
Le visage est donc au soleil ce que les fesses sont à la lune. Le visage, comme le soleil, est haut, toujours visible et peu mobile quand les fesses, comme la lune, sont basses, cachées, en mouvements. Les fesses sont ainsi le symbole de la dualité de l’individu, son côté obscur comme ce qu’il cache, mais également le lieu de la sexualité interdite par Dieu dans la Bible, celle de Sodome.
Mais comme rien n’est jamais simple avec les fesses dont le symbole est lui aussi mobile et ambivalent, elles peuvent être investies d’une valeur contradictoirement positive, à condition d’être généreuses ou plutôt…ouvertes. Oui, parce que les fesses, ce sont aussi les portes de la fonction d’excrétion sur laquelle plane moins de tabous que sur la sexualité. Selon que l’excrétion d’une personne lui est facile, on lui associe un tempérament ouvert; si ce n’est pas le cas, on lui soupçonne un tempérament fermé. Les expressions pour qualifier les tempérament coincés et psychorigides sont d’ailleurs assez claires : »avoir un manche à balai dans le derrière« , « être coincé du cul« , « être constipé« , associent bien, dans le langage populaire, une certaine rigidité mentale avec des difficultés d’excrétion.
Et pourtant, dans la société occidentale moderne, on ne peut pas dire que les fesses soient vraiment développées ne serait-ce que dans une certaine image sensuelle de la femme. En même temps, comment s’en étonner ? Ce sont les valeurs protestantes et puritaines de l’Amérique du XIX ème siècle qui constituent le socle de cette société dans laquelle la discipline, le travail, le sérieux et l’hyper-contrôle sont valorisés, mettant du même coup un frein au naturel, à la liberté, à la sensualité qu’à l’inverse les Grecs ne reniaient pas dans leur conception de la civilisation et qui s’incarnent métaphoriquement dans des fesses larges et généreuses.
Faut-il alors s’étonner que les seules faisant de leurs fesses un atout de séduction soient les femmes d’origine africaine dont la culture, parfois aussi jusqu’au danger, valorise les belles fesses et la sensualité des femmes plutôt que leur valeur sociale ? Comme d’habitude, tout est une question d’équilibre dans lequel il serait bon d’apprendre des autres dans un bel échange de valeurs appréciable.
Un idéal malheureusement rarement atteint.
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