Deux mille ans d’histoires d’amour

A parcourir l’histoire de la littérature et l’histoire des mentalités, on voit que ce que nos contemporains appellent l’amour, ce qu’hommes et femmes recherchent dans une union réside dans une forme de complémentarité teintée d’idéalisme où les sentiments triomphent de toutes les différences et de tous les obstacles. Une histoire d’amour qui nous fait rêver, c’est le parcours amoureux de deux êtres qu’aucune différence sociale, raciale, religieuse ne peut fragiliser. C’est une conception en réalité très moderne qui semble suivre l’idéal philosophique des Lumières proposant l’égalité entre les hommes – même s’il oublie largement les femmes-.

Pourtant, le rêve d’égalité, d’amour partagé et de respect au sein d’un couple d’amoureux apparut très tôt dans l’histoire de la littérature.

Certes, on ne trouve pas d’amour qui puisse nous faire rêver dans les épopées dont les personnages sont pris dans des histoires qui les dépassent, néanmoins, l’aspect absolu, hors conventions et tout puissant de l’amour est connu et évoqué dans les caractéristiques d’Aphrodite et d’Eros. La capacité de l’Amour à nous  rendre complet est sensible dans la conception d’Aristophane rapportée par Platon qui veut qu’homme et femme soient les deux moitiés d’un même être qui cherchent à se réunir. Dans de petits récits plus tardifs, néanmoins, se profilent des histoires d’amour absolu : celle de Psyché et du dieu Eros ou de Pyrame et Thisbé qui deviendront célèbres à la Renaissance sous les noms de Roméo et Juliette, ou encore celle de Daphnis et Chloé, deux bergers orphelins en réalité de haute naissance qui inspireront les amours de bergers et bergères des romans pastoraux de l’époque classique et qui resteront en vogue suffisamment longtemps pour donner à Marie-Antoinette envie de jouer à la bergère plus d’un millénaire après. Rêver d’amour sincère et idéal, on le voit, toucha toute femme.

Car le mariage, dans toutes classes sociales, a d’abord été une question intéressant clans et familles voulant accroître domaines ou prestige avant d’être l’union de deux êtres qui s’aiment et s’unissent pour leur bonheur individuel et mutuel, préoccupations qui n’émergeront que plus tard. C’est sur cette faille, ce manque à combler dans la réalisation personnelle du bonheur et donc d’un des sens de la vie humaine que va s’élaborer la littérature amoureuse.

Quand les arts et la culture émergent de leur longue éclipse depuis la fin de l’Antiquité, on est déjà à l’époque des cathédrales. Sous l’inspiration de Marie de France, Chrétien de Troyes met en romans avec la matière de Bretagne ce que les troubadours d’Aliénor d’Aquitaine ont créé dans leurs chansons sous le nom de « fine amor » et que nous connaissons mieux sous celui d’Amour courtois. Guenièvre et Lancelot, Tristan et Iseult nous évoquent effectivement les premiers amants à l’amour éternel mais aussi adultères. L’époque était pourtant très chrétienne.  Néanmoins, dans ces romans, les amants, investis de valeur spirituelle, étaient protégés par Dieu. Dans le système féodal lui-même, pour mettre de l’ordre parmi les chevaliers, tous célibataires, le seigneur permettait une sorte d’amour platonique et très contrôlé entre sa dame et ses vassaux, ce qui maintenait la cohésion sociale de façon plus émotionnelle, voire légèrement érotique.

A la Renaissance, l’amour revient en France sous forme de poésie imitée des Italiens que leur Antiquité retrouvée inspirait depuis déjà un siècle. Les poètes de la Pléiade chantent l’amour en même temps qu’apparaissent à la cour les grandes maîtresses royales. Au XVII ème siècle, les romans pastoraux de bergers et bergères qui s’aiment innocemment reviennent avec notamment Honoré d’Urfé, entre autres. Le siècle des Précieuses verra l’amour triompher et des femmes modestes devenir les grands amours voire les épouses des souverains, comme madame de Maintenon dont Louis XIV s’éprit sur ce constat : »Comme elle sait bien aimer, et il y aurait du plaisir à être aimé d’elle. »

Le XVIII ème siècle, que les liens avec le Nouveau Monde avait éclairé sur les inégalités, commence à faire discrètement exploser les frontières sociales s’opposant à l’amour, comme on le voit dans les pièces de Marivaux ou les romans de Jane Austen. Au XIX ème siècle, les amours absolues mais contrariées hantent la poésie et les romans des auteurs romantiques où les femmes aimées n’en finissent pas de mourir ou d’être inaccessibles, nous faisant revenir aux « amours de loin » de nos troubadours, comme si le véritable amour, toujours fantasmé, ne pouvait être que celui qu’on ne peut pas vivre.

Devenue entre temps un genre à part entière destiné principalement aux femmes, la littérature amoureuse nous pousse à nous interroger toujours plus entre les vides qu’elle comble et les rêves d’impossible qu’elle suscite dans un monde devenu accessible et consommable et où le bonheur, toujours un rêve plus loin, semble parfois se dérober.

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