Forces et subtilités du maquillage noir

Depuis l’Egypte antique, les yeux cerclés de noir sont une pratique courante, constituant le maquillage le plus basique et donc le plus simple. Et pourtant, la subtilité de ses emplois et de ses effets sont incontestables, à condition d’y regarder de plus près.

C’est le maquillage le plus simple, le plus basique, oui, mais c’est d’abord le plus mal connoté car c’est celui qui met le plus en valeur les yeux et donc attire le plus le regard. Or, chez les chrétiens, le maquillage a toujours été mal vu car assimilé à la séduction qui s’oppose à la vertu, il a l’art d’attirer le regard. D’après la logique des théologiens, après le regard viendra le désir, après le désir viendra la faute et après la fauté le péché. Et de fait, le maquillage noir, qui peut être sur-représenté sur les podiums et au cinéma, est en réalité sous-représenté dans la vie ordinaire car très fortement sexualisé. Et c’est vrai que les femmes qui le portent et chez qui on le remarque fortement ont quelque chose à voir avec un esprit frondeur : goths, punks, adeptes du rock et du métal, ou juste des femmes puissantes qui assument tous les aspects de leur personnalité.

Cette caractéristique culturelle a surtout cours en Occident. Chez les femmes du Maghreb ou de l’Orient en général, le khôl en fard gras ou en poudre, ordinaire, local et très ancien d’emploi, est connoté positivement aussi comme un symbole d’identité. Une femme du Maghreb dont les yeux sont maquillés en noir ne choque personne et aucun jugement sévère n’est apposé sur elle du seul fait qu’elle se maquille ainsi. Mais n’est-ce qu’un phénomène culturel ?

A bien y réfléchir, un maquillage noir sur une peau brune, entourant des yeux sombres et des cheveux noirs, n’a rien de choquant. Cela constitue une harmonie dans laquelle le noir du fard n’est qu’un rappel du noir des cheveux, des sourcils, cils et yeux. Mais sur une Occidentale, l’effet n’est pas le même. Sa peau, ses cheveux, ses yeux sont souvent clairs. Pour peu que les cils et les sourcils soient également blonds, le contraste avec des yeux cerclés de noir sera beaucoup plus saisissant, voire agressif et choquant.

Cette mise en valeur particulière des yeux, si elle paraît provocante dans la vie ordinaire, s’avère indispensable au théâtre ou à l’opéra où la faible distance suffit à faire disparaître les yeux des acteurs et actrices et du même coup les émotions qu’ils doivent transmettre au regard du spectateur. Le regard rehaussé de noir et très maquillé a alors le pouvoir de refaire le lien avec le public, provoquer son  empathie et donc réaliser la catharsis. Les émotions, enfin accessibles au spectateur grâce à l’utilisation du fard le plus puissant, vont favoriser la purgation et par là, la purification de l’âme. Du même coup, les personnages sont sublimés et les acteurs, embellis, ont cette sorte d’aura particulière qu’on attribue aux souverains depuis l’Egypte antique et qui a le pouvoir de changer une personne ordinaire en une divinité.

Une de ses autres forces est de pouvoir rajeunir l’oeil vieillissant. Un très léger trait de crayon sombre, tracé finement au ras des cils – tout en éclaircissant les zones alentour – a le pouvoir de compenser visuellement la perte de volume et donc de faire paraître plus jeune en ouvrant le regard, comme Horus retrouvait sa beauté et compensait la perte de son oeil gauche par le maquillage. Rappelez-vous le scandale autour de la photo d’Uma Thurman : ses yeux, mis en valeur par des couleurs claires sans qu’un trait de crayon ne vienne compenser la perte de volume obligatoire avec l’âge, se sont mis à trahir leur âge réel.

Paradoxalement pour le fard à la couleur la plus puissante, il est possible de mettre en valeur le regard de façon extrêmement subtile avec du maquillage noir, à condition d’utiliser un vrai khôl sous forme de bâton gras. Pour un effet presque invisible qui a le pouvoir de blanchir le blanc de l’oeil et souligner naturellement comme avec une plus grande épaisseur de cils, faites comme les femmes du Magreb qui se mettent du khôl avant de se coucher pour profiter de ses effets légers mais incontestables le lendemain. Pour en renforcer l’effet, vous pouvez mettre une goutte de jus de citron dans chaque oeil si vous êtes courageuse. Le blanc de l’oeil, assaini, fera d’autant plus ressortir votre iris, mettant l’accent sur la beauté de votre regard. L’effet est magnifique !

Enfin, le dernier point, comme à l’époque des Pharaons, et à condition de l’acheter dans des boutiques indiennes, vous pouvez trouver des bâtons de khôls camphrés qui rafraîchissent l’oeil et surtout le protègent de certaines affections courantes, même s’il est difficile d’en parler dans nos sociétés modernes. Pourtant, devinez avec quoi je fais cesser mes démangeaisons aux yeux consécutives aux rhinites allergiques, sans jamais avoir besoin de gouttes et autres produits de pharmacie ? Bien sûr, cela reste entre nous. La plupart des gens vous diraient que ce n’est pas possible, voire, au pire, que c’est dangereux. L’ambivalence du khôl, il est vrai, a longtemps été dans son équilibre entre son efficacité et sa toxicité.

Depuis l’époque des pharaons, les subtils et différents pouvoirs du khôl n’ont pas cessé.  Si nous ne le voyons pas toujours, c’est que nous ne lui accordons ni place ni importance.

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