Il existe un lien entre femmes, sexualité et grenouilles, si ce n’est, évidemment, entre sorcières et grenouilles.Comme d’habitude dans notre Occident chrétien, tout commence par un symbole païen positif dévoyé en diablerie. La grenouille était en effet un symbole de fertilité plutôt répandu.
Pouvant vivre à la fois hors de l’eau et dans l’eau, la peau imberbe, visqueuse et froide, elle a toutes les qualités pour évoquer le sexe, dans toutes ses caractéristiques. Et c’est loin d’être la seule chose fascinante – le fascinus est le sexe dressé pour les Romains, un très ancien symbole de protection qui a donné nos fascinant, fasciner, fascination, etc – On voyait aussi, semble-t-il, les grenouilles comme un symbole de transformation, de régénérescence, particulièrement chez les Egyptiens obsédés par la vie après la mort.
Les multiples formes de la grenouille, passant de l’oeuf au têtard – qui ne laisse rien présager de sa forme et sa couleur futures par cette couleur noire, la présence de cette queue et cette vie exclusivement sub-aquatique – sont à l’origine du symbole de transformation qui lui est associé. Plus étonnant encore, depuis l’invention du microscope, l’Homme a pu découvrir que la forme des têtards comme leur manière de se déplacer étaient très semblables à celles des spermatozoïdes, à l’origine de sa propre conception.

C’est donc clair : d’où qu’on porte nos yeux sur ses qualités, la grenouille semble nous parler le sexe sans jamais l’avouer. Mais de sexe trouble, mystérieux, toujours un peu teinté d’incompréhension, de sorcellerie ou de mystère. La forme même de la grenouille, toujours hésitante avec celle du crapaud, et qu’on ne distingue réellement qu’en les connaissant bien – se décline en symbole maléfique de luxure sur les façades des églises chrétiennes, ou protectrice de l’édifice sous la forme de gouttière dont le nom se rapproche du sien : la gargouille.
Crapauds et grenouilles se retrouvent également dans les recettes de médecine, mais aussi de magie populaire – elle-même dans une proximité trouble avec la médecine ancienne – et particulièrement dans les sorts d’amour ou de fidélité :
« Prélevé sur le côté gauche d’une grenouille, un osselet (…) qui, jeté dans l’eau, donnerait l’impression de la faire bouillir (…) ajouté dans une boisson, il exciterait l’ardeur amoureuse et les querelles; attaché au corps, il stimulerait le désir vénérien.« Pline. Histoire Naturelle, Livre 37
Une vertu aphrodisiaque avérée qui a été aussi scientifiquement démontrée lors du séjour d’une troupe de soldats français en Algérie : « Les effets des cuisses de grenouille ont été constatés sur une troupe de soldats français séjournant en Algérie durant le XIXe siècle. Alors qu’ils avaient consommé des batraciens capturés dans les marécages, ils furent victimes d’érections douloureuses et prolongées. » ( Aticle Le Point 2014)
En réalité, c’est la cantharidine – présente dans les coléoptères faisant partie du régime alimentaire des grenouilles et contre le poison duquel elles sont immunisées – qui avait eu cet effet, les cantharides étant un aphrodisiaque aussi efficace que potentiellement létal à trop forte dose.
Quoi qu’il en soit, les grenouilles ont souvent un lien avec la sexualité, et particulièrement celle de la femme : « Si l’on transperce des grenouilles avec un roseau, des parties naturelles jusqu’à la bouche, et qu’un mari trempe cette tige dans le sang menstruel de sa femme, cela dégoûte celle-ci de ses amants. » Pline Histoire Naturelle. Livre 37.
Une image peu ragoûtante qu’on retrouve incarnée littéralement dans le film d’animation Les triplettes de Belleville, où 3 anciennes stars françaises qui firent carrière dans l’Amérique des années Jazz croisent le chemin de Mme Souza, venue chercher son petit-fils – un cycliste enlevé par la French Mafia. En bonnes françaises caricaturées par l’oeil américain, leur régime est exclusivement constitué de grenouilles à tous les stades de leur développement, et parmi la variété proposée au menu figure une brochette de grenouilles transpercées « des parties naturelles jusqu’à la bouche », et servies par 3 vieilles femmes aux cheveux longs et blancs qui évoqueraient volontiers les sorcières de nos frayeurs d’enfants – qui furent celles auquel crut le Moyen-Age.

Il n’est pas une recette de sorcellerie historique ou imaginaire qui n’emploie un sortilège à base de crapaud ou de grenouille, dont certains spécimens sont effectivement toxiques et peuvent se révéler réellement efficaces pour faire périr les gens, comme ça arrive encore par le biais de la médecine chinoise contrefaite.
Outre cela, le croassement des grenouilles évoque toujours les bavardages féminins, surtout auprès des mares que furent les bénitiers, où leur présence ne fut jamais tolérée qu’avec suspicion. Finalement, sorcière, femme ou Français – qui fait peur par ses pratiques alimentaires -, ce qui les rapproche de la grenouille, c’est toujours l’altérité, le fait d’incarner cet autre qui fascine et qui fait peur en même temps par son étrangeté supposée.
(Photo à la Une : Echodecythere, autres photos : Sylvain Chomet. les Triplettes de Belleville. 2003 )
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