Les questions sur l’identité féminine et les droits des femmes touchent toutes les sociétés, des plus traditionnelles aux plus contemporaines. Sur cette question, il y aurait bien des choses à dire, qui loin de tous préjugés et de conclusions hâtives, nous surprendraient par leurs complexités de points de vue possibles.
Pour l’heure, je partage avec vous une merveilleuse découverte grâce à Mohammed Kacimi et Rachid Koraïchi, écrivains et artistes d’origine algérienne qui lui ont consacré un livre. C’est une tradition unique et exclusivement féminine associant poésies et divination : la Bouqala.
Lors de réunions nocturnes et conviviales exclusivement féminines, les femmes d’Alger s’adonnent souvent à un jeu complexe dans lequel chaque convive dépose un bijou dans un bocal rempli d’eau par la maîtresse de maison. Puis, le bocal est pris et tourné 7 fois au-dessus de l’encens pendant que des formules incantatoires sont récitées.
Chaque femme présente doit penser à une personne ou situation qui la préoccupe puis réciter un poème de son choix, motivée par la mémoire ou l’inspiration du moment.
Ensuite, une jeune fille est nommée pour sortir au hasard un bijou de l’eau qui désignera celle dont on interprétera le poème. Au regard de ses désirs, attentes et ambitions, on interprétera le choix du poème qu’elle a fait pour le projeter dans son avenir possible. De cette interprétation, nous ne saurons rien. C’est un secret mystérieux du gynécée, celui que toute femme garde dans son coeur sans le partager avec ceux qui ne comprennent pas ses attentes ou qui voudraient lui en faire le reproche.
Une belle tradition presque initiatique qui touche un univers à part, celui des femmes d’Alger associant dans quelque chose de bien vivant la poésie, la culture, leurs désirs, leurs rêves et espoirs.
– Quelques poèmes d’amour de la « Bouqala, chants des femmes d’Alger » de Mohammed Kacimi et Rachid Koraïchi, aux Editions Thierry Magnier :
- « Une fenêtre face à une à une autre dérobée
Une gazelle du quartier s’y tient
Je veux lui offrir une coupe d’or
Avant de l’enlever. »
- Ramiers et tourterelles sur le dôme du hammam
Une blanche colombe se tenait sur la terrasse
J’ai baisé sa joue et lui mis une rose dans les cheveux. »
- « J’aimerais tant revoir ta gracieuse taille
Tes joues de roses et tes lèvres au goût de pomme
Puissions-nous jouir d’une nuit
Avant de goûter au repos. »
- « Un jeune homme passa une canne à la main
Portant beau le chéchia et le costume
Pour lui, j’abandonnerais mari et enfants
Et je ferais de la ville un désert. »
Les poèmes, profonds, ne parlent pas que d’amour mais aussi du temps qui passe, de la vie, des émotions, des désirs d’amour et même de Dieu et de sexualité. Laissez-vous emporter par cette façon qu’ont les femmes d’Alger de déposer leurs désirs et laisser le jeu du hasard décider du sens à donner au poème qui leur est venu en tête.
- « Je ne veux de la pomme que le rouge sur mes joues
Je ne puis prendre un vieillard pour époux
Je préfère un beau jeune homme avec lequel je jouerai au lit. »
Par cette tradition, la poésie est un art très ancien pourtant toujours vivant :
- « Maîtresse, ô maîtresse, pourquoi cette détresse
Aurais-tu perdu ton aiguille ou ton coupon de soie ?
J’ai tout ce qu’il faut pour broder
Un jeune homme aux yeux noirs m’a quittée. »
Ce poème rappelle en effet un ancien poème de Sappho, cité dans Héphestion, traîté des mètres :
- « Ma mère, ô tendre mère, ô ma mère indulgente,
Je n’ai plus rien filé, je n’ai plus rien tissé,
Car j’aime un beau jeune homme et mon coeur est blessé. »
(Photo à la Une : illustration de Rachid Koraïchi pour le livre Bouqala, chants des femmes d’Alger)
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