Une vie d’amour

Certains ont écrit leur histoire d’amour, certains l’ont racontée à leurs enfants, mais d’une manière générale, les histoires d’amour fondent des couples, marquent les esprits, fondent des destinées et s’évaporent dans l’oubli, ne laissant aucune trace.

Dans l’Anthologie Palatine, une compilation de poèmes grecs de l’Antiquité, une catégorie est réservée aux épigrammes, poèmes courts qu’on inscrivait sur des monuments ou des pierres tombales et qui était un genre à part entière dans l’Antiquité, même si ce sont les épitaphes, réservées aux pierres tombales, qui sont les plus remarquables. Elles savent en effet, en quelques vers, résumer la situation qu’a connue le mort, sa vie, et la restituer en poésie donnant à méditer, s’émouvoir et même rire, parfois. Les cimetières grecs, placés le long des routes au lieu de nos panneaux publicitaires, introduisaient à un autre voyage, celui de ceux partis dans l’Hadès et qui avaient eu une vie, comme le passant qui en découvre ce qu’on a voulu en sauver de l’oubli par la poésie.

C’est le souvenir de cette poésie si particulière qui m’a poussée à mener l’enquête cet été au cimetière de Montmartre à la recherche des restes d’une vie d’amour dont le souvenir a été gravé dans la pierre. Au cours de certaines visites dans différents cimetières, il a pu nous arriver de rencontrer des tombes où demeuraient des témoignages, des messages, ce qu’on avait voulu y graver de particulièrement émouvant. Quelquefois, les messages sont très banals, laconiques, peu révélateurs d’une vie ou des sentiments que la personne a inspirés, et quelquefois, c’est l’inverse.

Dans tous les cas, ce qui reste n’est jamais qu’une émotion, un résumé, ce qu’on a choisi de garder en mémoire d’une personne ou plutôt du lien qu’on entretenait avec elle comme dans les sobres « à mon père », « à ma mère », « regrets » ou d’autres plus intimes. Quelquefois, ce sont des époux qui se sont occupés eux-mêmes d’une pierre tombale qui leur est commune et ce qui demeure comme souvenir d’eux est un petit message, une petite allusion, une impression fugace dont on ne sait si elle représente véritablement les sentiments qu’ils avaient partagés. Mais qu’importe ! Ce dernier message est celui qu’ils ont choisi. Il fera peut-être sens à contrario de ce qu’ils auront voulu, vécu, ou sera peut-être conforme à ce qu’ils avaient désiré, consciemment ou non, laisser comme impression de leur lien ici-bas.

Au milieu des tombes divers messages ordinaires adressés aux chers disparus, j’ai aussi choisi la pierre tombale divisée de ces deux époux à la religion différente, l’un chrétien, l’autre juive manifestant leur volonté d’être distingués même dans la mort mais montrant qu’ils surent malgré tout être unis jusqu’au bout ( photo 1 de la galerie ). J’ai aussi été frappée de prime abord par cette pierre tombale en forme de deux coeurs entrelacés, puis je me suis aperçue que les époux qui doivent y être enterrés ont chacun une date de naissance, mais aucune date de mort ( photo 2 de la galerie )…

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( Sur cette pierre tombale où on ne voit pas grand-chose est écrit : « Nos âmes pour toujours unies veillent et se bercent l’une l’autre Amour murmurent-elles.« )

Un dernier point, lecteur qui passe ici par habitude et par choix ou par le plus grand des hasards, je n’ai pas choisi mes allées, c’est le hasard qui m’a guidée. J’aurais pu trouver mieux, peut-être, mais ça n’a pas vraiment de sens puisque le sens est le voyage, le hasard, qui est une bonne métaphore de la vie : plein d’allées possibles, et pourtant, c’est une ou deux seulement qui seront choisies.

. En revanche, il faut que tu saches, si tu as envie de tenter cette expérience, que si tu es hypersensible comme moi, une mauvaise surprise t’attend. Au bout d’une heure à une heure et demie de recherches, le mort a saisi le vif. L’empathie prenant le dessus, l’émotion a commencé à m’envahir et ce qui était un voyage au coeur des souvenirs d’amour que les gens ont voulu laisser de leur passage sur Terre est devenu rencontre avec les émotions de ceux qui ont perdu quelqu’un. Les larmes ont commencé à couler naturellement, et une fois la machine lancée, chaque message m’a mise en relation avec cette douleur d’avoir perdu un être cher.

Devant le déferlement de ces émotions violentes, il m’a fallu m’en retourner tant j’étais incapable de continuer. Si tu es de même nature que moi, te voilà prévenu. J’ai néanmoins beaucoup aimé ce voyage, je regrette seulement de n’avoir pas pu vous montrer ce que d’autres promenades précédentes m’avaient fait découvrir, auxquelles je n’avais jamais pensé donner un sens et que je n’avais donc pas photographié.

( Image à la Une : tombe d’un couple d’époux de la période étrusque. Musée du Louvre. Toutes les autres, cimetière de Montmartre )

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7 commentaires

  1. En lisant cet article, je me souviens de l’impression laissée après chaque promenade dans ces lieux que j’aime tant, comme après avoir médité face à une vanité. Pour de nombreuses personnes enterrées là, c’est peut-être la seule poésie ou même la seule œuvre qui subsistera de leur vie, leur épitaphe!
    L’art a ce pouvoir d’adoucir la douleur.
    Merci pour ce texte très émouvant.

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