La joie à l’origine de Noël

Au moment de Noël, il y a souvent deux camps : celui des enfants qui se réjouissent, et celui des adultes qui stressent de devoir acheter des cadeaux – les bons !- sans rogner de trop sur leur budget. Un sentiment amer qu’ils n’ont pas toujours eu puisqu’eux aussi ont été enfants et ont connu la joie de recevoir à Noël. Un temps révolu qui leur laisse peut-être un sentiment de nostalgie et leur fait dire souvent que Noël, ce n’est plus comme avant, que maintenant, c’est surtout la fête du commerce.

Noël est une fête bien plus anciennes que les origines chrétiennes qu’elle semble revendiquer depuis environ 2000 ans.

Fête de la naissance de Dieu fait homme, elle remplace la célébration d’autres dieux représentant le soleil invaincu dont on célébrait la renaissance au solstice d’hiver, moment où les jours allaient enfin rallonger, promesse de printemps et de renouveau au coeur de la plus longue nuit, comme un symbole d’espoir.

A Rome, on fêtait les Saturnalia, les fêtes de Saturne, de l’obscur et déchu père de Jupiter. L’histoire des dieux grecs, toujours pleine de violence, consiste toujours en une lutte dynastique pour le pouvoir d’où tout amour familial est exclu au bénéfice des rapports de force. Une logique immuable qu’a débusquée Freud au coeur des rapports humains inconscients, hésitant sans cesse entre intérêts personnels et collectifs, l’amour et la haine pour l’autre, l’amour de l’autre pour nourrir son amour-propre, et tous les autres sentiments ambivalents. Dans la dynastie des dieux gréco-romains, chaque père a été déchu jusqu’à ce que Zeus-Jupiter prenne le pouvoir sur son père Saturne, comme lui-même l’avait pris sur son père Uranus.

Lors des Saturnalia, les fêtes de Satune qui avaient lieu fin décembre, le dieu vaincu étant à l’honneur, les valeurs sociales s’inversent. Les maîtres servent les esclaves qui sont libres de parler et d’agir sans contraintes, les administrations ferment, on s’offre de petits présents, des douceurs sucrées au miel surmontées de pièces de monnaie. On fleurit de plantes vertes les maisons (houx, gui, lierre).

« Personne, durant la fête, ne devra s’occuper d´affaires soit politiques , soit particulières, excepté celles qui ont pour but les jeux, la bonne chère et les plaisirs : les cuisiniers seuls et les pâtissiers auront de l’occupation. – Égalité pour tous , esclaves ou libres, pauvres ou riches. – Défense absolue de se fâcher, de se mettre en colère, de faire des menaces. Pas de comptes d’administration pendant les Saturnales. – Qu’on ne redemande à personne ni argent ni habits. Point d’écriture durant la fête. Clôture des gymnases durant les Saturnales ; pas d’exercices ni de déclamations oratoires, sauf les discours spirituels, enjoués, assaisonnés de railleries et de badinage. »

Lucien, Satunales, 13

Saturne, pourvoyeur de biens, était alors pourvoyeur de joie. Et dans une société qui créait et assumait les inégalités, les fêtes institutionnelles autorisant le renversement des valeurs était plus que salutaires, nécessaires comme soupape de sécurité contre le ressentiment et la tentation de révolte qu’induisent inévitablement les trop grands écarts entre les situations. C’était un système générant sa propre cohérence et son propre équilibre et qui, des Saturnales dans la Rome ancienne au Carnaval de la période chrétienne, offrait au coeur de la saison froide, un temps de libération des tensions et d’égalité dans un monde profondément inégal.

Quel rapport avec le domaine d’Aphrodite ?

En apparence, presque rien. Pourtant, bien souvent, les Saturnales, jours de liberté absolue, ont été employés comme synonymes d’orgies, de totale licence permise. Un concept qui s’accorde mal avec la culture judéo-chrétienne de la maîtrise et du sérieux venue plus tard et qui a remplacé la joie et la licence par le recueillement solennel.

Parallèlement, la galette des Rois, censée célébrer la visite des Rois Mages faite à l’enfant Jésus est aussi une tradition romaine liée aux Saturnales qui sacrait le roi du jour qui pouvait commander à toute la maison, à condition de tomber sur la fève, une vraie. Aujourd’hui, le seul avantage qu’on y gagne est une couronne de carton doré sur la tête et un morceau de porcelaine à l’effigie d’une icône de la société de consommation.

Pourquoi ne pas re-saturnaliser un peu nos fêtes ? Mettre une vraie fève dans la galette si on la fait soi-même. Les Romains aimaient le poivre et épiçaient leurs plats et nous avons conservé cette tradition des épices pour les fêtes de Noël, héritée souvent de l’Allemagne ou de notre Moyen-Age, épices là aussi associées à la joie et la lumière par la diversité de leurs couleurs, et la chaleur du soleil renaissant par leurs propriétés échauffantes. Epiçons, dans tous les sens du terme !

En résumé, un Noël plus proche de l’esprit d’origine comprend des cadeaux mais aussi de la liberté d’expression, des rires, des jeux, de la licence, quelque chose de chaud, de sexy, un esprit de vacances, des repas, de la chaleur et du bonheur.

Mamie n’est pas d’accord ? C’est le domaine d’Aphrodite, ici, pas celui de Mamie !

Nouvel article Labo de Cléopâtre : Encens de Noël d’Europe

Cet article est la propriété du site Le labo de Cléopâtre. Il est interdit de le reproduire sans l’autorisation de son auteur.